La nouvelle gare Saint-Lazare, un an plus tard
mars 21st, 2013 Posted in Les pros, stationspottingLa gare Saint-Lazare rénovée a été inaugurée il y a un an exactement. Je m’étais montré très critique à l’époque1, mais ça n’a pas empêché que l’on m’invite à la conférence de presse qui vient d’être organisée à l’occasion de cet anniversaire. La conférence de presse se tenait tôt ce matin dans la dernière salle non-aménagée de la gare2, avec des tuyaux dans tous les sens et des murs nus. Quand je suis arrivé, on m’a servi un café (bon) et un jus de fruit (bon aussi). Je n’ai pas goûté les petits fours. Pendant que la pièce se remplissait, des gens de différents âges, mais tous très doués, se relayaient sur un piano situé près de l’entrée, qui était là pour illustrer l’opération « Pianos en gare » qui consiste, comme son nom l’indique, à laisser traîner des pianos dans les gares, afin que les voyageurs s’arrêtent pour les écouter ou faire la démonstration de leur talent de pianiste. Pour, nous dit-on, « créer de l’émotion ». Rien que ça.
Sur l’estrade se trouvaient Laurent Morel, président du directoire de Klépierre, et Rachel Picard3, directrice de Gares et Connexions, la branche de la SNCF qui est chargée de l’aménagement des gares. Le métier de Klépierre est de bâtir et d’exploiter des centres commerciaux, c’est même le premier acteur européen dans ce domaine. Le capital de cette société est notamment détenu par Simon property group, une société immobilière américaine, et par BNP Paribas, qui, ce n’est pas forcément une coïncidence, est aussi propriétaire de tous les distributeurs d’argent qui ont été disposés dans la gare. La séance a commencé par le visionnage d’une vidéo dans laquelle des usagers de la gare, classés selon la fréquence à laquelle ils traversent le lieu (vacanciers, quotidiens, occasionnels) donnaient leur sentiment enthousiaste devant une caméra : c’est plus propre, c’est plus beau, c’est plus lumineux, c’est plus pratique, on peut faire les boutiques ».
On entend un habitant d’Uzès, venu là pour des vacances, qui résume son sentiment : « on ne dirait pas une gare, c’est autre chose ». Il ne précise pas à quelle « autre chose » il pensait, mais cette dernière réflexion m’a rappelé une dame, complètement perdue, à l’automne dernier, qui ne comprenait pas où pouvaient se trouver les trains et qui n’était même pas certaine de bien se trouver dans la gare car, me disait-elle « là on est dans un espèce de centre commercial… ». La confusion de cette dame n’était pas le fruit de son étourderie, et c’est ce que confirme en premier lieu de la conférence de presse : j’ai guetté en vain le mot « usager », mais strictement personne ne l’a prononcé, il est remplacé par le mot « client » ou bien, lorsque les gens ne font vraiment qu’utiliser les trains, par le mot « transit ». L’expression « centre commercial » est de loin celle qui aura été la plus employée pour décrire la gare Saint-Lazare. Il faut dire qu’en terme de rendement financier, cette activité a rencontré un franc succès puisque, a-t-on appris, le mètre carré de boutique rapportait quatorze mille euros par an, et jusqu’à trois fois plus pour certaines boutiques. Le chiffre d’affaires du centre commercial, pour sa première année est de cent-vingt millions d’euros, soit quinze pour cent de plus que ce qui était prévu, ce qui place Saint-Lazare devant toutes les autres gares et en fait la référence dans le domaine, devant la gare londonienne de Saint Pancras qui tenait ce rang jusqu’ici.
J’aime bien entendre les « pros » parler sans langue de bois (en s’oubliant complètement ?), c’est plutôt instructif, même lorsque cela ne fait que confirmer ce que l’on avait cru comprendre depuis longtemps.
J’ai appris aujourd’hui qu’il existait un domaine économique nommé « achat d’impulsion », et qu’il fallait équilibrer les types de commerces afin de proposer une offre suffisamment variée pour « capter tous les types de flux de clients » : surtout, que personne ne passe par les mailles du filet. J’ai appris aussi que les enseignes ne sont pas forcément là pour vendre, mais aussi et surtout pour être « toujours présentes dans le regard des clients ». Dans le regard, entendez : dans le paysage physique et mental. Une enseigne est donc aussi une publicité pour une marque, une présence, et peu importe ensuite si la clientèle « fortement nomadisée » (?) achète ensuite les objets produits par la marque dans une boutique physique ou virtuelle, à la Gare Saint-Lazare ou ailleurs. L’important est qu’elle n’arrive pas à imaginer acheter autre chose que les logos et les marques qui encombrent son cerveau. J’ai aussi appris que les « espaces-gares » (?) sont pour les marques de formidables « laboratoires », permettant de savoir tout de suite si une nouveauté commerciale peut prendre.
Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens sont apparemment ravis de la nouvelle gare, et on a calculé qu’il leur faut vingt-cinq pour cent de temps en moins qu’autrefois pour aller d’un point à un autre. Ce qui n’est pas dit, pour ces deux statistiques, c’est si elles comparent la gare actuelle à celle d’il y a quinze ans ou à celle de l’interminable période des travaux de rénovation. Je doute pour part un peu que le flux soit amélioré, car les escalators ont été installés en dépit du bon sens et remplacent des escaliers et des escalators qui allaient assez directement des voies de chemin de fer vers l’entrée de la station de métro. Sans compter que la sortie qui permettait de se rendre à la cour du Havre depuis l’étage des quais a été fermée. On a observé que le « client » passe en moyenne vingt-deux-minutes dans la gare. Il faut en tout cas que les gens soient heureux : « un client heureux, c’est un client qui va passer du temps et qui achètera plus ». Les philosophes, les psychologues et les évolutionnistes peuvent cesser de chercher, on sait enfin à quoi sert le bonheur : ça fait acheter plus. Vive le bonheur.
Pendant la séance de questions, un journaliste de La Croix a demandé quelle part du loyer des boutiques revenait à la SNCF. La réponse m’a semblé incroyable : on nous assure que le contrat est « gagnant-gagnant », mais l’accord financier entre Klépierre et Gares et Connexions est confidentiel. Ce qui signifie qu’une société financée depuis des décennies par les français (qui héritent de sa dette il me semble), détenue majoritairement par l’État français peut avoir des revenus occultes, enfin des revenus dont le public n’a pas le droit de prendre connaissance. Il faut dire que la SNCF, bien que théoriquement publique, est constituée de nombreuses filiales de droit privé, et j’imagine que c’est ce qui permet cette scandaleuse opacité. Dans le même ordre d’idées, j’aimerais bien savoir comment est réparti l’argent que rapportent les publicités affichées par Métrobus sur les réseaux SNCF et RATP. En fait, j’aurais dû poser une question sur les afficheurs Numériflash de Métrobus : pourquoi la gare en compte-t-elle un si grand nombre ? Quelle est leur consommation électrique globale ? Combien la SNCF gagne-t-elle avec ça ? Est-ce que leurs caméras sont actives ?
Le bilan de tout ça, donc, c’est que nous sommes des clients, du transit (cent millions de personnes par an sur cette gare), que l’on remplit notre cerveau de marques, que nous sommes des sujets d’expériences, mais nous n’avons pas besoin de connaître le détail des comptes, tout ce que nous devons savoir c’est que nous rapportons beaucoup d’argent. Et qu’un train sur dix ne parvient pas à respecter son horaire car « Transilien c’est très compliqué ». En me rendant à la conférence de presse, moi qui viens justement à Paris par Saint-Lazare, j’ai laissé passer un premier train sans pouvoir monter dedans car lorsqu’il est arrivé dans ma gare, ses passagers étaient déjà tellement serrés que les visages étaient collés aux fenêtres. J’admire les gens qui sont forcés d’affronter les heures de pointe chaque jour.
Manger
L’annonce sympathique de cette conférence de presse, que vont retenir la plupart des médias j’imagine, c’est que le chef étoilé Éric Frechon, qui dirige les cuisines de l’hôtel Bristol, va ouvrir un restaurant nommé Lazare, dans le lieu même où s’est tenue la conférence de presse. S’il se tient à son programme, il ne s’agira pas d’un restaurant de luxe mais d’un endroit où l’on pourra déguster une cuisine familiale dans un esprit « brasserie ».
Bien joué ! Avec la nourriture, on peut m’amadouer, et je dois avouer que l’idée de ce restaurant me plait bien, d’autant que le chef en question, à qui je trouve un faux-air de François Berléand, semble vraiment croire à ce qu’il dit lorsqu’il parle d’une cuisine de qualité, à base de bons produits, mais malgré tout accessible à « presque tout le monde ».
- Cf. les articles La nouvelle gare Saint-Lazare et son complément. [↩]
- Pour être précis, les étages de la gare, qui ne sont jusqu’ici pas ouverts au public et abritent des bureaux, vont être rénovés eux aussi, peut-être pour créer un centre d’affaires et/ou une crèche, mais tout ça est à l’état de projet. [↩]
- Rachel Picard, très récemment placée à la tête de Gares et Connexions, a longtemps dirigé voyages-sncf.com. [↩]
9 Responses to “La nouvelle gare Saint-Lazare, un an plus tard”
By @sylasp on Mar 21, 2013
Voilà donc pourquoi on retrouve toujours plus ou moins les mêmes marques d’enseignes dans les centres commerciaux, au moins on est fixé maintenant, c’est bien pour nous laver le cerveau ;-)
L’idée du resto est séduisante, mais bon, manger dans une gare, ce n’est pas des plus reposants, même si là il semblerait que ce resto soit à l’écart du flux humain.
By Jean-no on Mar 21, 2013
@Sylasp : oui, le restaurant donne sur la rue en fait. J’aime bien les restaurants de gare, va savoir pourquoi. Celui de la gare de Lyon, Le train bleu, par ex.
By @sylasp on Mar 21, 2013
ah, on peut y manger sans passer par la gare, c’est bien ça
By SR2 on Mar 22, 2013
« J’aime bien entendre les « pros » parler sans langue de bois (en s’oubliant complètement ?), c’est plutôt instructif, même lorsque cela ne fait que confirmer ce que l’on avait cru comprendre depuis longtemps. »
Le principe de toute société consiste à diviser le monde en deux : ce dont on se nourrit, et ce avec quoi on s’associe pour se nourrir.
Un professionnel est donc celui qui fait le choix de se nourrir de vous, par tous les moyens à sa disposition. CQFD.
By blaz on Mar 22, 2013
bonjour,
je lis avec intérêt vos posts sur l’aménagement des gares.
et je partage votre point de vue sur la rénovation de Saint Laz’ : centre commercial avec train en prime, escalators disposés non pas pour vous raccourcir le trajet, mais pour que vous passiez devant le maximum d’enseignes, omniprésence des écrans publicitaires(bien que j’ai l’impression qu’il y en ait un peu moins ces derniers temps?) etc.
Je reviens juste sur votre légende de photos : » Autrefois, on achetait les billets à des guichets qui ont été fermés pour être remplacés par des panneaux de publicité Numériflash. »
Vous omettez tout de même le nouvel « espace » guichets au niveau des quais grandes lignes (côté rue de clichy). Il y a des guichets, cest propre, efficace et plutôt rapide (ce qui est assez rare pour un guichet SNCF il faut bien en convenir)
oui j’avais envie de tatillonner un peu ;)
By Jean-no on Mar 22, 2013
@blaz : oui, c’est pour la banlieue que les guichets ont été réduits au minimum (et les distributeurs que je montre sont ceux de la banlieue), c’est à dire un comptoir avec une ou deux personnes, et aucune possibilité d’avoir un conseil. Je me mets à la place des gens qui ne connaissent pas cette gare et doivent se rendre en banlieue… Je pense qu’on était mieux accompagné autrefois, même si les panneaux qui indiquent toutes les destinations compensent. Pour la Normandie, rien à dire, il y a même deux espaces : celui dont vous parlez et puis un autre, un étage plus bas. Par contre touts les guichets de la salle des pas perdus, qui faisaient grandes lignes et banlieue, ont été remplacés par des panneaux.
By bituur esztreym on Mar 22, 2013
autres éléments apparemment omis par Morel et Picard :
– plus (ou pas encore) de salle d’attente digne de ce nom ; côté grandes lignes normandie, juste quelques pauvres bancs, environ 24 places en tout, en plein vent, j’y ai passé il y a deux mois deux bonnes heures, gelé, entre 21hxx et 23h40, attendant le dernier train. seule alternative, aller soit au st*rb*cks soit dans autre enseigne, et payer donc.
– plus (ou pas encore) de consignes, alors que les autres gares parisiennes en ont.
– plus de toilettes publiques : il y a bien des toilettes, gérées par une entreprise privée, et qui ferment à 22h (ou 22h30) ; tous les usagers (pardon, transit ;) qui prennent des train après, peuvent attendre en tortillant que leur train soit parti et les toilettes à bord ouvertes, ou alors aller dans une enseigne ou un bar dans les rues voisines.
sur le (ou pas encore) : des agents de la gare m’ont expliqué (le soir où me les pelai), que cela fait des mois qu’ils réclament ces services à la direction ou aux services dirigeants concernés. pas de réponse autre que dilatoire.
la priorité était clairement de vendre / louer le plus d’espaces commerciaux possibles, quitte à se retrouver fort dépourvu – lorsque justement, la bise fut venue gelant les usagers dans le passage en plein vent ;) – en mètres carrés pour y placer ces antiques services.
brouzoufs rulez, quoi. et les peones, brossez-vous.
By Jean-no on Mar 22, 2013
@bituur esztreym : ben oui si le mètre carré rapporte des dizaines de milliers d’euros, une salle d’attente, c’est une perte sèche. Leur espace avec des bancs est lamentable. Sur les toilettes, tu remarqueras qu’elles disparaissent des trains de banlieue en plus : de nombreux trains n’ont plus qu’une ou deux cabines WC.
By bituur esztreym on Mar 22, 2013
quant à moi, je ne vais jamais dans les enseignes, si j’ai du temps d’attente (hormis tard le dimanche soir, car là c’est fermé), je vais Chez Léon, sis rue de l’Isly toute proche, un des 2 seuls / derniers Routiers (avé le label, hein) intra-muros ;)
on y est bien !