Réveillon en visioconférence
décembre 20th, 2020 Posted in VintageUn document de saison : dans le numéro 112 de l’hebdomadaire Le Rire, le 26 décembre 1896, Albert Robida imaginait ce que serait Noël au XXe siècle. Il imaginait notamment que les enfants seraient devenus geeks et pragmatiques, se faisant offrir des livres de mathématiques, des instruments scientifiques, ou tout simplement de l’argent à placer.
Si la magie de Noël, la poésie, le merveilleux ne disparaissent pas complètement au cours du XXe siècle qui est décrit ici, c’est en devenant électriques, artificiels, et encombrés de câbles de toute sorte — jusqu’aux câbles comestibles ! Toujours au sujet de l’alimentation, l’oie de Noël serait un jour remplacée par des capsules et des pilules,…1.
Pour les vivants de cette fin d’année 2020, l’idée qui a le plus de sel dans cette planche est tout de même celle d’un réveillon en visioconférence, à l’aide du fameux Téléphonoscope, dispositif de transmission du son et de l’image que Robida avait dessiné pour la première fois dans Le Vingtième siècle (1883)2 :
On note au passage un sujet assez récurrent dans les illustrations de l’époque qui s’amusaient à prophétiser le siècle suivant : celui des femmes qui s’emparent d’une profession à l’époque exclusivement masculine — ici, la cadette du narrateur est ingénieure3 des Mines dans l’Oural4.
Si d’autres auteurs ont traité ce thème par le ridicule (comme c’est drôle, un militaire en jupons, ou une avocate qui doit interrompre sa plaidoirie pour donner le sein…), ou avec un fantasme d’inversion des rôles un peu suspect (comme c’est comique, l’époux d’une députée forcé d’être homme au foyer…), j’ai souvent l’impression que Robida était convaincu que la place des femmes dans la société pouvait changer à l’avenir, et allait changer.
- Je n’aurais pas imaginé que ce motif soit si ancien. Je ne sais pas s’il existe toujours, mais c’était un « cliché du futur » lorsque j’étais enfant : en l’an 2000 — le futur, pour nous — on ne se nourrirait plus que de pilules. [↩]
- Robida s’est sans doute inspiré de George du Maurier qui, dans Punch, en 1879, avait tenté de représenter une invention dont Thomas Alva Edison venait de déposer le brevet, le Téléphonoscope. Malgré son nom, l’invention d’Edison n’avait rien de commun avec ce que George du Maurier avait imaginé, c’était plutôt l’association d’un mégaphone et d’un cornet acoustique. [↩]
- C’est Robida qui féminise le nom. Il semble qu’il soit l’auteur originel de cette forme dont la toute première occurrence semble se trouver dans Le Vingtième siècle. La vie électrique (1893), p.138. [↩]
- La première femme ingénieure des Mines, en France, a été Anne-Marcelle Schrameck, en 1919. Cette primeur a à l’époque fait scandale, car les ingénieurs des mines devaient obligatoirement effectuer un stage comme mineur de fond, ce qui ne semblait pas convenable pour une femme. Cette question a abouti à ce que les écoles des Mines refusent d’admettre des femmes parmi leurs étudiants… jusqu’en 1968 !
La fille aînée du narrateur étudie la science dentaire, ce qui à l’époque est une idée moins révolutionnaire, puisque c’est en 1875 que Madeleine Brès a été la première femme française à soutenir une thèse en médecine. [↩]
2 Responses to “Réveillon en visioconférence”
By Stéphane on Déc 20, 2020
Hé bien ça fait bien plaisir à lire ! Merci de cette découverte :)
By Myriam on Déc 20, 2020
Un monde riant.