Profitez-en, après celui là c'est fini

I, Daniel Blake

décembre 8th, 2016 Posted in Interactivité au cinéma

idaniel_blake_affiche Très politisé, comme tous les films du réalisateur Ken Loach et de son scénariste Paul Laverty, Moi, Daniel Blake (I, Daniel Blake, 2016) raconte l’histoire d’un charpentier de cinquante-neuf ans qui a dû cesser de travailler pour se rétablir d’une crise cardiaque mais qui n’arrive pas à clarifier son statut vis à vis des services sociaux : son médecin lui interdit de travailler, mais sur la foi d’un questionnaire inadapté à sa situation, la société qui s’occupe de contrôler les allocataires des pensions lui impose de consacrer trente-cinq heures chaque semaine à la recherche d’emplois qu’il sera forcé de refuser ensuite. Il se lie d’amitié avec Katie (Hayley Squires), une mère célibataire qui a dû quitter Londres pour Newcastle où elle ne connaît personne mais où on lui a attribué un logement social. Daniel et Katie sont, chacun à sa manière, victimes d’une administration défectueuse, incapable de répondre à leurs situations autrement qu’en les culpabilisant, en les brimant, en les humiliant. Très documenté, construit à partir de nombreux témoignages, c’est presque un film didactique, mais la construction des personnages, la qualité du jeu de leurs interprètes (à commencer par l’humoriste Dave Johns, dans le rôle-titre), la volonté qu’a le réalisateur de rendre compte d’une réalité avec empathie et sobriété en font un film émouvant et marquant, ainsi qu’a dû le penser le jury du festival de Cannes, puisque I, Daniel Blake y a obtenu la palme d’or en 2016.

idaniel_blake_ordinateur

Le contexte misérable, les effets pervers de la privatisation des services sociaux mise en place en 2010 sous David Cameron et la revendication qu’a le héros du film de rester digne alors qu’on cherche à le briser sont très bien montrés, mais ce qui m’a surpris et particulièrement intéressé dane le film, c’est la manière dont la bureaucratie déshumanisée est bien exposée, et la finesse avec laquelle on comprend le rôle qu’y jouent Internet et les call-centers, qui sous couvert de faciliter les démarches pratiques servent avant tout à temporiser, à créer de la distance entre les services sociaux et ceux qui y recourent, mais aussi entre les problèmes et leur résolution. Lorsqu’une employée du Jobcenter Plus (qui gère les allocations chômage, le Service des retraites, la prise en charge du handicap) prend la responsabilité d’expliquer à Daniel le fonctionnement du site Internet de son propre service, elle est convoquée par sa supérieure : ça constituerait un fâcheux précédent. Du point de vue du spectateur, c’est pourtant l’humain qui constitue le motif d’espoir du film, puisque Daniel rencontre régulièrement des inconnus qui ne montrent aucune mauvaise volonté à lui donner un coup de main, comme il le fait lui-même. Katie rencontre elle aussi de nombreuses âmes charitables ou compatissantes, mais elle croisera aussi des gens qui n’ont aucun scrupules à tenter de tirer parti de sa détresse.
L’administration, elle, est présentée comme une machine impitoyable et absurde, faussement rationnelle, qui fait la morale à ceux qui n’arrivent pas à suivre ses règles kafkaïennes et leur applique des sanctions disproportionnées, mais ne se sent aucune obligation d’être efficace ou bienveillante.

Dans une bibl

La salle rit lorsque Daniel soulève la souris du bureau pour obéir aux instructions (lever la souris en haut de l’écran). Mais j’ai déjà assisté à la même scène amusante il y a quelques années seulement : les outils qui nous semblent à présent naturels ne le sont pas, et même sans en être conscients, ou sans nous en souvenir, notre familiarité avec l’écran, la souris, l’interface, est le fruit d’un apprentissage.

Daniel Blake n’a pas d’ordinateur chez lui, il n’en a jamais utilisé, il a tout à apprendre. On le voit notamment tenter laborieusement de remplir un formulaire en ligne et se trouver complètement désemparé lorsque le site web lui renvoie un message d’erreur assez cryptique relatif à une case qu’il a oublié de cocher. La plupart d’entre nous butons sur ce genre de problème quotidiennement, mais ils nous sont familiers, et nous savons, par exemple, qu’il suffit souvent de cliquer sur le bouton « page précédente » pour retrouver le formulaire et le compléter. Mais Daniel Blake fait partie des gens qui n’ont pas cette expérience, et pour qui une opération informatique assez banale est une cause de profonde perplexité et d’angoisse.
Les gens handicapés vis à vis des technologies au point de devoir se faire expliquer le fonctionnement d’une souris n’existeront peut-être plus un jour, et Moi, Daniel Blake constituera alors une excellente évocation de ce qu’ils ont vécu. On peut en revanche craindre que ce que ce que le film montre d’autre — des procédures, des sous-traitants, des call-centers, des numéros surtaxés et des formulaires derrière lesquelles s’abrite une administration impuissante — soit loin d’avoir disparu.

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