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Les Grandes Grandes Vacances

mai 7th, 2015 Posted in Dans le poste, Série

grandes_grandes_vacances_dvdLe mois dernier, j’ai regardé avec plaisir la série Les Grandes Grandes Vacances, diffusée sur France 3, qui raconte l’existence d’une bande de gamins sous l’Occupation allemande, en Normandie. En attendant la sortie en DVD le mois prochain, on peut visionner les dix épisodes de la série sur le site de la chaîne.
Au delà des qualités intrinsèques de cette série, on peut espérer qu’elle annonce un renouveau des programmes destinés à la jeunesse. La France a une grosse production de séries d’animation et forme quantité de jeunes gens à ces métiers chaque année avec des écoles telles que les Gobelins, Supinfocom, la Poudrière, l’Emca, etc. Or ces grands talents peinent parfois à s’exprimer complètement tant les contraintes qui pèsent sur la production française et internationale sont fortes : rien ne doit être dérangeant, discriminant, et il ne faut faire de publicité ni à la violence, ni à l’alcool et au tabac, ni au danger. Les intentions sont louables, mais souvent poussées à des extrémités contre productives. Comment, par exemple, lutter contre le racisme en s’interdisant de mettre en scène un personnage victime d’exclusion ?
On m’a raconté aussi un dessin animé où un décor a dû être redessiné car on y voyait une chaise un peu trop proche d’une fenêtre : les personnages du dessin animé pourraient se défenestrer !

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Nous connaissons tous l’histoire tragique de cet enfant qui, croyant disposer des pouvoirs de Superman, s’est tué en se jetant d’un gratte-ciel. Mais cette histoire n’est, jusqu’à preuve du contraire, qu’une légende urbaine1, et si l’on adore prêter à certaines catégories (enfants, classes populaires, étrangers, femmes) une incapacité à faire la part entre imaginaire et réalité (roman, bande dessinée, cinéma, jeu vidéo) et une perméabilité totale aux mauvaises influences, il apparait au contraire que — surprise ! — les gens savent faire la part des choses et parviennent à s’intéresser à un récit de fiction sans l’imiter aussitôt. En fait, dès tout petit, on aime les histoires et on sait les vivre, les expérimenter, les ressentir, sans pour autant perdre le sens commun. Le poète Samuel Taylor Coleridge a donné un nom au processus : Willing suspension of disbelief, qu’on traduira en français par Suspension volontaire de l’incrédulité. Notons par ailleurs que ceux qui jugent de l’influençabilité d’autrui, si sérieux et informés qu’ils pensent être, peuvent tout à fait confondre fiction et réalité, lorsqu’ils cherchent à comprendre le monde par le biais du journal télévisé, lorsqu’ils calquent leur modèle d’existence sur la publicité, ou face à de quelconques curés et gourous de tout poil. La propagande, par définition, ne peut abuser que ceux qui s’imaginent incapables d’être influencés.

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La production pour enfants actuelle, donc, a tendance à éviter ce qui peut poser question. Par ailleurs, nos chaînes traitent la programmation par-dessous la jambe, et diffusent ce qu’elles veulent quand elles veulent (les horaires, en tout cas, sont mal annoncés par les programmes télé), parfois sans respect de l’ordre des épisodes. L’unique chose certaine avec les programmes jeunesse, y compris sur les chaînes publiques, c’est qu’ils sont saturés de plages de publicité2.
Entre le mode de diffusion et les thèmes abordés, il semble que le format favori des diffuseurs soit les séries centrées sur l’humour. Il n’est pas rare que ce soient de bonnes séries, d’une grande qualité graphique, très bien animées, très drôles, si ce n’est que l’on n’en garde pas toujours grand chose3. Le principe du feuilleton, lui, semble avoir en grande partie disparu, chose que j’ai par ailleurs remarqué dans le journal de Spirou il y bien vingt-cinq ans. Et c’est bien dommage, si je rapporte ça à mon expérience personnelle : les récits que j’ai vu enfant et qui me restent, même lorsque je n’en ai qu’un souvenir très vague, relèvent souvent du feuilleton à épisodes, et regorgent d’histoires injustes, émouvantes, inquiétantes, mettant souvent en scène des enfants livrés à eux-mêmes : Deux ans de vacances, Matt et Jenny, Belle et Sébastien, Zora la Rousse. Comme toute ma génération, j’imagine, j’ai été marqué aussi par des séries japonaises telles qu’Albator, Heidi (de Takahata et Miyazaki, excusez du peu) et d’innombrables autres, ou franco-japonaises telles qu’Ulysse 31 et les Cités d’Or.

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La génération d’animateurs actuels est marquée par un ensemble d’influences : les meilleures séries Nickelodeon, la bande dessinée « indépendante », le travail de Pixar et, bien entendu les films merveilleux du Studio Ghibli. Il est un peu dommage de ne confier à ces jeunes gens que des projets sans grand relief.

Il a fallu le prétexte de la véracité historique pour que les créateurs des Grandes Grandes Vacances4 parviennent à monter un projet de feuilleton qui aborde des thèmes potentiellement dérangeants, si ce n’est traumatisants — je m’en voudrais de trop en dire, mais certains des protagonistes importants du récit ont des destins pour le moins tragiques. Et tout passe, même des adultes que l’on voit fumer et boire un liquide rose qui ne semble pas être de la grenadine. On y parle aussi de violence, de deuil, d’injustice, de différences entre classes sociales et de préjugés racistes.
Au delà du thème, du scénario, des personnages, la réalisation de l’ensemble est irréprochable et sert parfaitement le dessin d’Émile Bravo. Les séquences sont tantôt contemplatives et tantôt dynamiques, beaucoup de choses passent par les gestes ou des expressions du visage assez minimalistes… On sent l’influence des meilleurs films d’animation japonais.
Et évidemment, ça fonctionne ! Je connais bien des personnes, enfants comme adultes, qui se sont montrés chaque jour impatients de savoir ce qui viendrait le lendemain, et je fais partie du nombre. 1,3 million de spectateurs ont suivi la série, et parmi eux, une part non-négligeable d’adultes. Le succès de cette série s’est prolongée sur Internet, avec la diffusion en replay et la création d’un jeu ludo-éducatif que, je dois l’avouer, je n’ai pas eu la curiosité d’aller voir.

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Ce succès fera-t-il jurisprudence, permettra-t-il la création d’autres séries ambitieuses ? Espérons-le. Je ne suis pas certain, malheureusement, que la série puisse facilement s’exporter, car il n’est pas certain que son caractère pédagogique séduira partout dans le monde (on ne s’intéresse pas au sort de la France sous l’Occupation dans tous les pays, même si ce n’est qu’une des qualités du feuilleton) et, partant, que beaucoup de chaines soient prêtes à accepter ses transgressions vis-à-vis du modèle de ce que doit être un programme familial. C’est peut-être le talon d’Achille de cette série, car l’animation, ça coûte cher, et sans perspectives de diffusion internationale, il n’est pas forcément facile de produire une série qui atteint un tel niveau d’ambition et de qualité.
Les dix épisodes qui viennent d’être diffusés, et qui durent un peu plus d’une demi-heure chacun, sont identifiés comme «Saison 1» de la série. Puisqu’ils commencent et se terminent avec la guerre, on peut se demander quels scénarios donner à des saisons ultérieures. J’aurais bien des idées : pourquoi ne pas raconter l’enfance des parents des héros, pendant la guerre de 1914-1918 ? Ou l’enfance parallèle de gamins anglais sous les bombardements ? D’autres enfants vivant à Paris ? Les deux héros sont des petits parisiens, ils ont des camarades restés en ville. Certains personnages pourraient circuler entre les différentes saisons, d’ailleurs. Et puisque la guerre a été mondiale, on pourrait aussi montrer ce qu’elle a été dans des pays dits neutres, dans des pays de l’Axe, en URSS, en Yougoslavie, en Italie, en Afrique, aux États-Unis. Et, bien sûr, la série pourrait traiter les conflits français qui ont suivi, je pense à ceux qui ont abouti à la décolonisation de l’Indochine et de l’Algérie. Ce serait la levée d’un autre tabou français, mais celui qui voudra convaincre une chaîne de télé de s’engager dans une série sur la guerre d’Algérie a intérêt à être un sacré bonimenteur. Et c’est bien dommage, d’ailleurs, car ce sujet auquel nous refusons de penser trop souvent a laissé de nombreuses plaies ouvertes et est la cause de bien des névroses de la société française.

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Le thème de l’enfance et de la guerre est en tout cas inépuisable et il serait formidable, même avec d’autres personnages et d’autres époques, de poursuivre ce travail.
Une dernière extension possible à ces Grandes grandes vacances serait, évidemment, la réalisation d’un long-métrage. Mais même si un tel film serait sans aucun doute superbe et utile, son existence serait moins révolutionnaire que le projet si audacieux qui vient d’être mené à bien avec succès : un beau feuilleton d’aventure destiné à la jeunesse.

  1. Je vais m’auto-citer : Jean-Noël Lafargue, Entre la plèbe et l’élite : les ambitions contraires de la bande dessinée, éd. Atelier Perrousseaux 2012, p.66. []
  2. J’encourage toute personne qui s’intéresse aux médias, et spécifiquement aux représentations du genre, à passer un samedi matin devant une émission destinée aux enfants, pour observer la vision du monde qu’y développent les publicités. J’ai applaudi des deux mains le principe de l’abandon de la publicité sur les chaines publiques sous Sarkozy, mais je ne vois pas ce qu’il vaut dès lors que l’on inflige aux enfants des heures de publicités chaque semaines. []
  3. Soyons honnête : je ne connais pas toute la production actuelle (notamment par Ankama, dont le travail me semble de loin très intéressant), je regarde assez peu de séries pour enfants, les miens étant désormais tous grands. Les dernières séries qui m’aient marqué datent un peu : Jumanji, la famille Delajungle, les Razmokets, les Powerpuff girls, la Famille Pirate, les Zinzins de l’espace et, surtout, Bob l’éponge et Hey Arnold. []
  4. Les Grandes Grandes Vacances est une série créée par Delphine Maury et Olivier Vinuesa, réalisée par Paul Leluc et dont le dessin est dû à Émile Bravo, et la musique de générique, à Syd Matters.
    Chaque épisode est suivi d’une séquence d’une minute, qui reprend l’anecdote d’une personne qui a vécu l’époque, illustrée à chaque fois par un jeune diplômé de l’école de la Poudrière, dans l’univers graphique qui lui est propre. []
  1. 12 Responses to “Les Grandes Grandes Vacances”

  2. By Nikolavitch on Mai 7, 2015

    On a grandi à peu près avec les mêmes trucs. Et à propos de l’imitation, je vais subtilement nuancer :

    Si Albator ne m’a pas appris à picoler, par exemple, il m’a en revanche appris à le faire avec classe. Et c’est là que ce problème de l’imitation devient vertigineux.

  3. By Thomas on Mai 7, 2015

    bonjour,

    Il y a Wakfu aussi, pas mal foutu, sur le principe du feuilleton et qui je crois marche pas mal à l’étranger. Elle a même sa déclinaison porno, un signe de succès je présume.

  4. By Wood on Mai 7, 2015

    @Nikolavitch : tu veux dire que tu picoles avec une cape et un bandeau sur l’oeil ?

  5. By Nikolavitch on Mai 7, 2015

    le bandeau sur l’oeil, non, parce que ça fout en l’air la vision stéréoscopique, et c’est là qu’on se retrouve avec le même problème de boisson que le pilote dans l’avion.

    non, Albator avait un porté de verre extrêmement majestueux et classe (contrairement à son équipage de pochards qui boivent à la bouteille vautrés dans les couloirs)

  6. By NicoleBlachon on Mai 7, 2015

    A noter une « injustice » faite à la province: ce programme a été diffusé pendant les vacances de la zone de Paris. Les autres zones ont dû voir en replay… quand elles étaient averties de cette diffusion !!!

  7. By Jean-no on Mai 7, 2015

    @NicoleBlachon : c’est vrai mais je ne sais pas trop comment ça aurait pu être évité. Ceci dit, France 3 est généreux sur le replay, puisque tout est visionnable à présent.

  8. By Fred Boot on Mai 7, 2015

    Mh… Les écrans video restent désespérement noirs. Peut-être que la diffusion en replay n’est pas possible dans mon patelin. Dommage.

  9. By Jean-no on Mai 7, 2015

    @Fred : ah, zut ! Pourtant, la France n’est plus non plus une vraie démocratie, il pourrait y avoir des accords, quand même !

  10. By Raymond on Mai 9, 2015

    J’ai regardé la série et je l’ai bien aimé. Je crois que la série pourrait tout de même être exporté.

  11. By christian plof on Mar 4, 2016

    sur la question de l’international : le feuilleton GGV a été diffusé en Allemagne par la ZDF ! Doublée en allemand elle a provoqué un grand nombre de réactions enthousiastes du public ! Pour un feuilleton français sur la seconde guerre mondiale c’est génial ! Le traitement des soldats allemands est équilibré, des gros méchants et d’autres, humains, comme parfois la réalité l’a montré, tous ces soldats étaient des hommes… ce qui permet de rappeler que les auteurs ont travaillé a partir de témoignages réels, d’interviews de personnes qui avaient été enfants pendant la guerre (d’ou le titre donnée par l’un des interviewés)… Travail remarquable, inhabituel en TV, surtout comparé aux séries humoristiques…

  12. By Jean-no on Mar 5, 2016

    @Christian plof : ça ne m’étonne pas pour l’Allemagne, qui est traumatisée par son propre rôle pendant la guerre et y réfléchit depuis soixante-dix ans… Mais j’imagine mal les Japonais, par exemple, acheter cette série, parce que eux (l’État, les programmes scolaires, etc.) n’ont pas du tout fait tout ce travail qu’a fait l’Allemagne. Et c’est bien dommage parce que c’est un des rares marchés qui soit capable d’accueillir des dessins animés pour enfants un peu plus durs qu’à l’habitude…

  13. By Vesy Eloïse on Fév 12, 2018

    Bonjour/Bonsoir,

    Etudiante en Master Histoire et Audiovisuel (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), je réalise un Mémoire sur cette série animée.
    Dans la perspective de mieux connaître le public de cette série, j’ai réalisé un petit questionnaire à destination du public (enfants ou adolescents la plupart du temps) des Grandes grandes vacances.

    N’hésitez pas à soumettre ce questionnaire à toutes celles et ceux qui souhaiteraient partager leurs avis et opinions sur ce dessin animé.

    Vous pouvez aussi le transmettre dans tous vos réseaux (notamment aux parents, professeurs, animateurs, etc.), cela m’aiderait beaucoup.
    Le but étant pour moi d’avoir un maximum de réponses si possible avant le moi d’Avril.

    Voici le lien Google Form : https://docs.google.com/forms

    Si vous souhaitez la version PDF ou pour plus d’informations, merci me contacter par mail : eloise.vesy(at)sfr.fr

    Quelques précisions pour le questionnaire :
    – Le questionnaire dure environ 10 minutes maximum. Mais cela dépendra surtout des réponses de l’enfant.

    – Si vous voulez soumettre le questionnaire à plusieurs enfants, c’est bien un questionnaire par enfant

    – Étant donné que le public visé est essentiellement constitué de mineurs, j’aurais besoin des coordonnées d’au moins un parent (ce sera  a précisé dans le questionnaire). Il est possible que je revienne en effet vers eux si j’envisage de citer leur(s) enfants(s) pour mon travail.

    Merci beaucoup.
    Eloïse Vesy

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