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Première édition de Maker Faire Paris

juin 23rd, 2014 Posted in Design, Interactivité, Sciences

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La Maker Faire, créée en 2006 à l’initiative du magazine Make:, a connu sa première édition parisienne ce week-end, au Centquatre. Il s’agit d’une foire de « makers », c’est à dire de gens qui se passionnent pour le fait de fabriquer des objets par eux-mêmes. Certains sont aux franges du hacking, c’est à dire qu’ils détournent des objets manufacturés existants de leur usage initial, soit pour en faire de nouveaux objets, soit pour les améliorer.
Les domaines sont variés, de la fabrication de drones au jardinage.

Le nom de la manifestation est intéressant : Maker Faire signifie « foire de fabricateurs », mais dit dans une langue un peu désuète, puisque le mot anglais faire, pour « foire », a depuis longtemps été remplacé par fair (qui peut aussi signifier « honnête »). J’imagine que les créateurs de la Maker Faire n’ignorent pas que « faire » est la traduction française du verbe anglais to make, et que le jeu sur les mots n’est pas dû au hasard.

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Beaucoup de robots et de drones

Il y aurait énormément à dire sur ce mouvement qui est moins une nouveauté qu’une tentative de retrouver un rapport aux objets que nous avons peu à peu perdu.
Une amie me disait dernièrement qu’elle s’était fait qualifier de « mère toxique » par un psychothérapeute, car elle avait commis le crime de coudre à la main des vêtements pour son fils lorsqu’il était petit : il aurait fallu les acheter, comme tout un chacun, car échapper à l’industrie, au commerce, aux marques, aux logos, dans un monde qui leur est assujetti, c’est une forme de maltraitance aussi condamnable que de refuser à un enfant de fêter son anniversaire. Je me souviens que lorsque j’étais moi-même enfant — il y a quarante ans —, coudre des vêtements ou les raccommoder n’était pas considéré comme un abus, nos mères le faisaient, comme leurs mères avant elles. Le « fait-main » avait toute une économie : patrons, merceries, machines à coudre, magazines dédiés,… Tout cela existe toujours, mais clairement de manière différente, c’est devenu un « hobby » parfois semi-professionnel, parfois même à vocation politique (simplicité volontaire, revendication de la possession de ses moyens de production, retour à une certaine indépendance économique,…), et donc plus une activité ordinaire des mères de famille. On peut parler aussi du FabLab qui ne fait jamais que réinventer le principe de l’atelier. Et nous ne sommes mêmes pas au début de ce mouvement de retour au fait-main, car pendant les années 1970, dans la foulée des préoccupations écologistes, les livres consacrés aux maisons à faire soi-même et au « système D »1 pullulaient.

Un robot créé par des chercheurs de l'Inria ; un jeu vidéo ; un pédalier à copier-coller.

Poppy, le robot open-source des chercheurs de l’Inria ; un jeu vidéo ; un pédalier à copier-coller.

Ce que je veux dire, c’est que les « makers » me semblent apparaître en réaction à une certaine raréfaction du travail manuel2, mais que ce contrepoint est peut-être purement symbolique face aux centaines d’objets usinés en Chine qui s’entassent dans nos maisons. Je remarque d’ailleurs que l’outil emblématique des « makers », à savoir l’imprimante 3D, s’inspire du monde industriel : le particulier ne dispose plus d’un savoir-faire, mais d’une usine miniature !

En entrant, je trouvais le tarif d’entrée un peu abusif3, mais j’ai appris en discutant que les exposants étaient choisis sur projet et ne payaient rien. Dans ces conditions, le prix est honnête, puisqu’il permet de ne pas sélectionner les exposants sur de mauvais critères. Cependant, c’est le public qui se trouve sélectionné sur un mauvais critère : je connais plus d’un étudiant pour qui quinze euros n’est pas une somme anodine, et l’on regrettera qu’aucun tarif réduit n’ait été prévu pour ce public. La contrepartie plaisante à cette sélection par le budget est, bien sûr, que l’on se balade dans les allées sans se faire trop bousculer, car si le public était assez nombreux, la circulation n’était (en tout cas le dimanche) pas du tout pénible, et les enfants pouvaient se promener assez librement.

Bouge ton corps !

Bouge ton corps quand la machine te l’ordonne, et tu recevras une dose de sucre en récompense. Avec d’autres espèces que l’humain, on appelle ça du dressage.

La première chose que j’ai vu à la Maker Faire m’a un peu inquiété : c’était une installation qui distribuait des canettes d’une célèbre marque marque de boissons « énergisantes » aux visiteurs qui acceptaient de se placer face à la borne et d’effectuer une chorégraphie imposée par un logiciel. C’est, pour moi, l’utilisation la plus obscène possible de l’interactivité : on impose au public de se comporter en pantin, puis on récompense sa servilité en lui donnant un cadeau, comme les dresseurs jettent des sardines aux otaries dans les cirques. Heureusement, aucun autre stand ne m’a rendu aussi dubitatif.

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Le stand de la société « leStylo3D ».

Parmi les projets interactifs intéressants, j’ai pu remarquer ceux qui proviennent du département « design interactif » de l’école e-artsup, où j’ai enseigné quelques années. J’ai retrouvé le scanner à livres de La Quadrature du net, que présentait Benjamin Sonntag. Enfin j’ai vu le stand de WEIO, la carte de prototypage d’Uroš Petrevski, Draško Drašković et nodesign, qui se démarque de ses concurrents Arduino ou Raspberry PI par son orientation « Internet des objets » et par le fait qu’on la programme dans deux langages familiers : Python, mais aussi HTML5.
J’en reparlerai.
Les bricolages sympathiques, pédagogiques, décoratifs, artistiques, musicaux, ludiques, foisonnent. Sur chaque stand, la personne explique son projet. On trouve à quelques mètres de distance un pédalier à copier-coller réalisé en désossant un clavier, une guirlande de noël qui nous donne l’illusion de voir un cheval au galop, des robots en papier, ou un robot de l’Inria réalisé en impression 3D mais équipé de moteurs coûteux. On trouve aussi des radio-amateurs, qui nous ramènent à une autre époque du fais-le-toi-même.

Le stand WEIO

Le stand WEIO. Uroš Petrevski fait la démonstration d’une lampe dont l’éclairage varie en fonction d’une application sur smartphone.

Les imprimantes 3D ont leur espace dédié, où l’on peut voir différents modèles reposant sur la technologie du fil de plastique fondu, depuis le stylo 3D Doodler jusqu’à des outils assez professionnels, en passant par les classiques repRap et autres makerBot. Les modèles vraiment chers et reposant sur d’autres technologies étaient représentés par leurs seules réalisations. Certains exposants commercialisent les imprimantes, d’autres commercialisent la réalisation de modèles imprimés et d’autres encore, des sessions pédagogiques.
Un peu partout, des LEDs et des capteurs Kinect.
Tout ce dont j’ai parlé au dessus se situait dans des espaces sombres situés en sous-sol. Heureusement, on finit par sortir à l’air libre et au soleil.

L'impression 3D...

L’impression 3D…

Dans les allées, j’ai vu aussi les gens de La Paillasse, à qui je consacrerai un article un de ces jours4 ; les net-artists de We love the net (représenté par Aurélien Fache et Julien Levesque), qui créent des objets destinés à faire entrer du tangible dans le virtuel et vice-versa ; j’ai croisé Jean-Louis Fréchin, qui m’a reparlé de la plate-forme WEIO et m’a promis que je pourrai la tester en primeur ; de loin, j’ai aussi vu Fleur Pellerin, qui était le ministre pour ce genre d’événements il y a encore quelques mois, et qui visitait tous les stands, avec une certaine simplicité — je n’ai pas repéré d’armée de photographes ni de gardes du corps, en tout cas.
Il y avait des conférences, mais j’avoue que je ne me suis pas posé pour y assister.
Quelques ateliers assez sympathiques (soudure d’un badge électronique à ramener chez soi, par exemple5), tournaient en permanence. Les drones de Parrot épuisaient leurs batteries au dessus de nos têtes. Un bras de robot industriel, reconverti en imprimante 3D, fabriquait des meubles.

Le tatouage piloté par ordinateur. Pas encore testé sur de la peau humaine.

Le tatouage piloté par ordinateur. Pas encore testé sur de la peau humaine.

Parmi les applications originales, j’ai repéré un stand dédié à la création de pâtes alimentaires, et un autre où l’on avait transformé une imprimante 3D MakerBot en une machine à tatouer. Pour l’instant, les tatouages n’étaient réalisés que sur une surface polymère plane, mais une fois le système couplé à un scanner 3D ou autre système permettant d’évaluer la forme à tatouer, on peut imaginer la création de tatouages d’un genre nouveau, ultra-précis, avec des formes géométriques, etc.

J’aime bien le principe de cette première édition parisienne de Maker Faire, et j’ai été surpris par le fait que cette foire n’ait pas été un centre commercial. À la rigueur, d’ailleurs, il m’a manqué des stands de commerce pur et dur : vente de livres que l’on ne trouve pas facilement, de tee-shirts ou de quincaillerie électronique. Sauf erreur, l’unique éditeur de logiciels libres présent était la fondation Mozilla.

Impression 3D

L’impression 3D de meubles à l’aide d’un bras robotique industriel.

En conclusion, cette première édition de Maker Faire Paris est plutôt prometteuse, je pense que j’y ai passé cinq bonnes heures sans souffrir, alors on m’y reverra sans aucun doute la prochaine fois.

  1. Le « D » du système D signifie « débrouille ». Je crois que le mot date de la période de l’occupation, mais je n’ai pas encore trouvé de livre qui fasse l’historique sérieux de ces questions.
    Ajout : Omer Pesquer me signale que la revue Système D fête ses quatre-vingt dix ans cette année. []
  2. Dans le même ordre d’idées, est-ce qu’il existe toujours des émissions consacrée à la cuisine de « ménagère » à la télévision aujourd’hui ? Les seules émissions du genre que je vois sont basées sur l’excellence et la concurrence. []
  3. Quinze euros sur place ou douze euros par Internet… Mais douze euros auxquels s’ajoutait un euro et quelques de « frais » qui rendaient le tarif « par internet » assez peu intéressant. []
  4. Vous avez sept jours pour participer au crowdfunding de ces jeunes gens que j’aime qualifier de savants-fous dangereux sur Kisskissbankbank. []
  5. L’atelier soudure a été critiqué par certains car le fil à souder fourni contenait du plomb, a-t-on appris. []
  1. 4 Responses to “Première édition de Maker Faire Paris

  2. By Jade on Juin 24, 2014

    Merci pour ton article ! Alors, en grande fan d’émissions culinaires, je dirais que Babette, sur France Ô, fait une super émission pas du tout compétitive sur la cuisine ménagère avec du goût et des produits frais :-)(http://www.franceo.fr/emissions/les-ptits-plats-de-babette).
    Certes le tarif d’entrée était cher, mais au vu de tout ce qui pouvait être fait à la Maker Faire + le temps que les visiteurs y passaient, c’était AMHA correct (plus rentable qu’une place de cinéma par exemple !).
    Nous avions aussi des packs famille (pour 4 personnes, une ne payait pas son entrée), et distribué moult codes de réduction et autre sur nos sites partenaires, via les makers, la newsletter… :-)
    Comme tu le dis, la plupart des makers a pu avoir un stand « basique » (une table, deux chaises) sans rien débourser !

  3. By momo on Juin 25, 2014

    À ce propos, le livre sur Arduino sort bientôt ?

  4. By Jean-no on Juin 26, 2014

    @momo : fin de l’été, normalement.

  5. By LeStylo3D on Juin 27, 2014

    Salut,

    Très bon article de fond, par contre j’ai remarqué qu’il n’y avait pas de légende sous la photo de notre stand (LeStylo3D), serait-il possible d’en rajouter une ?
    Merci, et n’hésitez pas à nous contacter pour quoi que ce soit.

    Benoit pour leStylo3D.

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