Profitez-en, après celui là c'est fini

Photo non contractuelle

mars 28th, 2013 Posted in Images, indices

Un intéressant cas de propagande par l’image avec l’illustration d’une tribune publiée par Slate, sur laquelle je suis tombé à la faveur d’une discussion sur mon nouveau blog, Castagne. La problématique de l’article, signée par deux juristes, est de chercher les moyens légaux qui auraient permis le licenciement « pour faute grave » de la directrice adjointe de la crèche qui, revenue d’un congé parental de plusieurs années, avait refusé de se séparer de son hijab, son voile islamique.

Oublions le débat sur le bien-fondé de l’affaire, sur le sens du voile (aliénation, sexisme, liberté,… ?), déjà discuté ailleurs. Je trouve surtout intéressant de me pencher sur la question de l’illustration.
Voici comment se présente l’article de Slate :

baby_loup_slate

La photographie prise par un photographe de Reuters, Jean-Paul Pélissier est légendée de la manière suivante : « À Marseille, en 2010 ». On y voit deux adolescentes entourées de quatre femmes visiblement musulmanes et visiblement plus âgées dont au moins une porte un voile intégral, et les trois autres, un vêtement très couvrant. On voit aussi en arrière-plan une camionnette avec un tag.

Dans le contexte, associé au titre « La laïcité mise à rude épreuve », l’image convoque tous les fantasmes d’invasion et de rapport de force : ce n’est plus une femme voilée que l’on tente de licencier, ce sont quatre femmes aux silhouettes fantomatiques inquiétantes, vêtues de leur uniforme religieux, qui nous inquiètent par leur multiplication. On peut presque se demander si elles ne sont pas censées être le futur des deux gamines méditerranéennes vêtues à l’occidentale qu’elles encerclent. Bien entendu, je surinterprète, mais ce genre d’illustration, placée à côté du titre, pousse à l’interprétation, le lecteur est forcé de créer un rapport entre texte et image, de donner un sens à l’ensemble. Lorsque l’on atteint la légende (à condition qu’on la remarque seulement), écrite en gris clair, il est trop tard, nous avons déjà inventé toute une histoire un peu confuse qui va orienter notre lecture de l’article.

Fatima_Afif

En cherchant des photographies de Fatima Afif, l’employée récalcitrante, on tombe sur le cliché ci-dessus (mais je ne suis pas totalement sûr qu’il s’agisse d’elle) qui montre une femme vêtue d’un foulard islamique. Elle ne ressemble pas à une bonne-sœur, comme les femmes de l’image qui illustre l’article de Slate, elle ressemble à de nombreuses femmes que l’on peut croiser sans y prêter attention dans les rues en France. Quoiqu’on en pense, donc, ce n’est pas le même genre de voile. Cette photographie, outre sa plus grande exactitude (j’ignore s’il s’agit de la bonne personne, mais en tout cas la photographie a été prise dans la région où l’affaire est disputée, et non à 800 kilomètres de là), raconte une histoire un peu différente : la femme voilée est seule et elle se trouve notamment face à trois policiers qui la dépassent d’une tête : sans être forcément une victime, elle ne semble pas être vraiment une menace. De plus elle a un visage, elle est une personne, un sujet.

J’aurais voulu voir comment Reuters référencie la photographie hors-sujet utilisée par Slate, mais je n’ai pas de compte-client chez Reuters. Ce genre de recherche est souvent éloquente car les photographies s’inscrivent souvent dans des séries, qui trahissent notamment ce que le photographe a véritablement photographié, qui permettent de deviner si le cliché est « volé » ou s’il s’agit plutôt d’une séance plus ou moins posée. En tout cas, après avoir effectué une recherche sur le nom du photographe, je me dis que le sujet doit l’intéresser, puisque de nombreuses photos de femmes portant le niqab sont signées par lui :

Pelissier_niqabs

Pour un photographe, ce genre de cliché doit être appréciable car il n’y a a priori aucun besoin de faire signer aux modèles un document relatif à leur droit à l’image.
Les photos ci-dessus ont été beaucoup montrées il y a trois ans, lorsque la loi sur le voile intégral dans l’espace public a été votée. C’est aussi le cas de celle utilisée par Slate cette semaine, qui a illustré en son temps des articles des sites de Radio France ou du magazine Time. J’ignore la cuisine interne de Slate : l’image choisie l’est-elle parce qu’elle est moins chère que l’image d’actualité ? Parce que Slate a un contrat avec Reuters ou possède déjà un droit de diffusion sur cette image ? Il peut y avoir mille raisons à ce choix malheureux.
Reste le résultat : une image et un titre qui orientent la lecture de l’article et même, en occultent la nature précise — un conseil de juristes pour licencier certains employés.

  1. 3 Responses to “Photo non contractuelle”

  2. By Simplicissimus on Mar 29, 2013

    Quand on cherche sur Google Images, le mot clé proposé est « hijab en France » et sa photo a également pas mal servi en 2010.

    Sur Newscom, ce photographe a 17516 photos dont un bon tiers localisées à Marseille.

  3. By Atombrecher on Mar 30, 2013

    En effet, ce que vous dites sur le choix de la photo, et les conséquences qui en découlent, est très vrai.
    Il aurait certes été appréciable que la photo de l’article soit de la personne dont on parles (comparaison carotte/oranges, tout ça…), mais ce que le journal sous-entend n’est-il pas que le port d’un vêtement qui dissimule presque totalement l’individu est, en soi, un facteur de perte d’individualité?
    Ce qui revient en sommes à parler d’un sujet A pour aborder un sujet G, lié mais lointain.

  4. By Jean-no on Mar 30, 2013

    @Atombrecher : lié, mais lointain, donc il s’agit d’une association d’idées, et de l’angoisse de la « pente glissante » (qui vole un oeuf vole un boeuf, qui porte un hijab portera un niqab,…). Ça m’intéresse parce que ça pose la question du statut de l’image « illustrative ». Slate n’est bien entendu qu’un média parmi d’autres à utiliser l’image un peu à tort et à travers.

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