Profitez-en, après celui là c'est fini

Des ennemis imaginaires qui font de vrais morts

juillet 24th, 2011 Posted in Images, Pas gai

(un texte décousu écrit à chaud)

Le contexte : le 22 juillet 2011 à quinze heures trente, à Oslo, une voiture piégée a explosé en plein centre-ville. Une heure et demie plus tard, sur l’île d’Utøya, située dans le lac Tyrifjorden, à l’Ouest de la capitale, un homme déguisé en policier armé d’un fusil d’assaut et prétendant venir assurer la sécurité ouvrait le feu sur les participants à une université d’été de jeunes travaillistes.

Photo par Alejandro Decap (fiiup/FlickR), Creative Commons BY-NC-ND 2.0

Le même jour, la rédaction du journal de France 2 a préféré ouvrir son édition sur le tour de France. Le bilan humain dépasse les quatre-vingt dix morts. Au moment où j’écris, tout laisse croire que le responsable du carnage, qui a pu être arrêté vivant, a agi seul. Cet homme se dit nationaliste, chrétien et d’extrême-droite, en lutte contre l’islamisation, le marxisme et la multiculturisation.

Il se nomme Anders Behring Breivik et est un fermier norvégien1, norvégien « de souche », précisent les journaux français.

Le terme « de souche », généralement appliqué aux français, me semble de plus en plus souvent employé par la classe politique et dans la presse, depuis quelques années. Personne ne se donne la peine de théoriser cette notion, comme si elle allait de soi. À ma connaissance, la locution, empruntée à la généalogie, a longtemps été employée en association avec un adjectif : français de souche italienne ; de souche gauloise ; de souche gréco-romaine ; de souche espagnole ; de souche polonaise ; de souche franque ; de souche anglo-normande ; de souche catholique ; de souche protestante ; de souche lorraine ; de souche indigène.
Les fantasmes nationalistes, la période coloniale et la montée de l’antisémitisme à la fin du XIXe siècle ont fait le reste et « de souche » est devenu un substantif censé indiquer la stabilité géographique très ancienne des ancêtres de la personne désignée par l’expression. La première mention claire et répétée que j’ai trouvé du mot en fouillant un peu Gallica et Google books provient du livre La France aux français (1892), écrit par un dénommé Ed. Marchand — a priori sans rapport avec le promoteur du Music-Hall en France à la même époque, Édouard Marchand. L’auteur expliquait que les français, qui étaient selon lui la générosité et la franchise incarnée, devaient prendre garde à ce que ces qualités ne soient pas gâchées par des étrangers, étrangers qui, expliquait-il, affluaient massivement, encouragés par l’enthousiasme laxiste issu de l’universalisme de 1789. Et ces étrangers (« et juifs », précise-t-il souvent), viennent occuper des emplois, fonder des banques et s’enrichir sans s’être donné la peine d’apprendre ou de comprendre les valeurs du pays antérieures à la Révolution française. Rétrospectivement, il se dit qu’il aurait fallu organiser des cours de francisation afin que la nationalité ne soit pas offerte sans contrepartie mais bien méritée, notamment pour toute personne désirant accéder à des fonctions politiques: « Ce fut un tort à nous de ne pas leur faire faire un stage pendant lequel ils eussent appris nos besoins, nos aspirations, avant de leur accorder l’accès de ces hautes fonctions ».

Après la guerre de 1914-1918, les alsaciens réintégrés à leur «patrie» étaient considérés avec une grande méfiance. Ils ont alors été séparés en catégories : français de catégorie A (français qui le seraient resté sans la guerre de 1870), de catégorie B (dont un parent n'est pas de catégorie A), C (dont les parents viennent de pays neutres) ou D (dont les parents viennent de pays ennemis). La lettre était indiquée sur la carte d'identité de chaque Alsacien et leur donnait des droits différents. Je n'ai pas retrouvé le décret qui institue cette distinction mais il semble qu'ici aussi on employait l'expression «de souche».

Il est amusant que cette rhétorique, jusque dans ses slogans, n’ait pas énormément évolué entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui, avec le Front National ou les branches les plus infréquentables de l’UMP.

Les nationalistes racistes — c’est à dire ceux qui croient qu’on peut et qu’on doit établir un lien entre lignée, géographie et institutions (État ou religions par exemple), et se faire croire que tous ces éléments ont une valeur permanente immuable —  ne sont pas mathématiciens, en général, ni généticiens2, ni démographes, sinon ils verraient facilement qu’il vaut mieux éviter de se vanter de n’avoir que des ancêtres dont les lieux d’habitation ont été circonscrits à une petite zone géographique. Chaque être humain, né par le biais de la reproduction sexuée a deux parents qui lui transmettent chacun la moitié de leurs gènes — notons que les gènes, sauf mutation accidentelle, ne s’altèrent pas : notre patrimoine génétique fonctionne comme un paquet de cartes à jouer : mélanger un jeu de trèfle un jeu de pique ne produira pas du pifle ou du trèque, mais produira juste un jeu où co-existent les deux genres de cartes.

(mise à jour) Patrick Peccatte m'a suggéré l'utilisation du Books nGram Viewer de Google Labs pour surveiller l'occurrence de l'expression «français de souche» dans les livres. On remarque une petite poussée en vers 1850, qui ne concerne qu'un livre en fait (un voyage de Rodolphe Töpffer !) et où «français de souche» décrit la langue française. Puis un monticule vers 1880, une autre un peu avant guerre, une forte progression de 1950 à 1960 (Guerre d'Algérie), et une encore plus importante entre les années 1980 et 2000. L’occurrence de l'expression baisse pendant la décennie 2000-2010, tout en restant à un niveau important.

Le nombre de nos ancêtres est donc deux à la puissance du nombre de générations. Sur deux générations, nous avons deux puissance deux ancêtres, donc quatre grands-parents. Sur trois générations, nous avons deux puissance trois ancêtres, donc huit arrière-grands parents. Nous avons ensuite seize arrière-arrière-grands parents, puis trente-deux aïeux de cinquième génération, soixante-quatre de sixième génération,… Si nous estimons une génération à vingt-cinq années, nous avons deux-cent-cinquante-six ancêtres au bout de deux siècles, quatre-mille-nonante-six au bout de trois, soixante-cinq mille et quelques au bout de quatre cent ans, un million au bout de cinq cent… Cela semble raisonnable, mais au bout de mille ans, nous avons plus de mille milliards d’ancêtres, soit dix fois le nombre de personnes que l’on estime avoir vécu sur terre. Et au bout de deux mille ans, nous avons plus de cent mille milliards de milliards d’ancêtres. Il est évident que notre patrimoine génétique à chacun est truffé de doublons (qu’un même ancêtre soit commun à plusieurs branches de notre arbre généalogique). Plus ces doublons sont proches dans le temps et plus nous avons de chances d’avoir en doublon des gènes létaux ou porteurs d’affections génétiques, et de voir ceux-ci s’exprimer. La force de la reproduction sexuée réside dans son potentiel de diversité génétique. Peut-être qu’un jour la société Monsanto ou les eugénistes façon Aldous et Julian Huxley ou certains de leurs descendants spirituels parmi les transhumanistes, parviendront à une méthode scientifique pour que l’espèce humaine échappe à sa biologie, c’est à dire aussi à la reproduction sexuée (ce qui semblerait dommage à beaucoup je pense), et parvienne à se perpétuer à l’exacte, par parthénogenèse ou par mitose. En attendant ce moment, les humains sont bien forcés d’accepter que le brassage génétique est une question de survie. Les « races », inventées par les éleveurs pour obtenir des animaux aux caractéristiques précises (vaches laitières, chevaux de course,…) le démontrent assez bien : les animaux de race vivent nettement moins longtemps que les bâtards et développent beaucoup plus facilement des affections génétiques, ce que l’on observe particulièrement bien sur les animaux de compagnie, destinés à mourir de leur belle mort, mais pas seulement : certaines races agricoles ne peuvent plus naître ou survivre sans assistance humaine.

La série Babylon V, saison 1, épisode 4 (février 1994). "Quand on est obsédé par l'ennemi, on devient l'ennemi".

Toujours au journal télévisé, et même dans certains articles de la presse écrite, Anders Behring Breivik a abondamment été qualifié de « catholique », au point que je suis allé vérifier s’il était bien dans ce cas, rarissime en Norvège, mais évidemment, c’était un abus de langage, l’auteur du premier attentat terroriste jamais perpétré à Oslo est bien membre de l’Église de Norvège, une religion luthérienne institutionnelle. Les Catholiques ne sont pas spécialement aimés en Norvège. Je me souviens d’avoir vu là-bas, à l’occasion d’un référendum par lequel les norvégiens devaient accepter ou refuser d’entrer dans l’Union Européenne (1994), un tract posté dans les boites-aux-lettres du village de ma grand-mère (puisque je suis français de souche norvégienne !), qui expliquait par la numérologie et quelques coïncidences que le pape Jean-Paul II ne pouvait être que l’antéchrist annoncé par le livre des révélations, et que par conséquent, adhérer à l’Union Européenne, c’était l’assurance d’avancer la date de l’Armageddon. Je regrette de ne pas avoir conservé ce tract, il était photocopié, on y voyait le pape, des symboles divers, le nombre 666, l’ensemble tenait un peu du graphisme des fanzines punks qu’autre chose. Mais dans les pays protestants, en appeler à l’Apocalypse de Jean n’est pas vraiment un gag, ce livre fait profondément partie de la culture locale, ou en tout cas de son inconscient collectif. Je suppose que le tract dont je parle est plutôt lié à un groupe évangéliste — c’est à dire d’un protestantisme de combat, prosélyte, d’influence américaine. Quand j’écris « d’influence américaine », c’est d’abord parce que les sectes radicales allemandes ou hollandaises des XVIIe et XVIIIe siècles, qui refusaient le Catholicisme autant que l’embourgeoisement des Luthériens ont été chassées d’Europe ou s’en sont chassés eux-mêmes pour se réfugier aux Amériques, où ils ont pu se développer sous le nom générique de « chrétiens » : baptistes, mennonites, anabaptistes (Amish, par exemple), adventistes, méthodistes, puritains, antitrinitariens (Témoins de Jéhovah, Mormons, Quakers), et marquer profondément la culture nord-américaine…
Mais l’influence religieuse est sans doute aussi une arme politique, car la Norvège est un piller stratégique de l’Otan (que ce soit pour sa proximité avec la Russie ou par l’importance de sa production pétrolière) et il n’y a rien d’absurde à penser que la bigoterie ait pu être sciemment utilisée par les États-Unis pour contrarier son adhésion à l’Union Européenne.

Alors que l'Union européenne n'a jamais été aussi éloignée de ses fondations social-démocrates, Anders Breivik y voit une entité marxiste...

Pourtant, les États-Unis d’Amérique se sont précisément construit contre ces groupes religieux, qui se considèrent pour la plupart en lutte contre l’état fédéral dont les pères-fondateurs étaient, rappelons-le, théistes ou, même s’ils ne pouvaient pas vraiment le dire publiquement, athées. Mais la première puissance du monde a souvent utilisé les superstitions locales pour favoriser son intérêt politique immédiat et créer des motifs de divisions géopolitiques là où ça les arrangeait — l’Islam contre le communisme en Afghanistan, ou le christianisme en Corée du sud ou en Pologne, par exemple. Et cette attitude est aussi dangereuse qu’irresponsable3.

Anders Behring Breivik a publié sur Internet un long texte explicatif et une vidéo. Je n’aurai pas le courage ni le temps de lire le texte, qui fait 1500 pages tout de même. En revanche j’ai regardé attentivement la vidéo, qui m’a beaucoup intéressé. Le texte et la vidéo ont le même titre, en anglais : 2083 – A European Declaration of Independance. Il s’agit d’un manifeste contre l’Islamisation de l’Europe, contre le Marxisme et contre le Multiculturalisme. Le raisonnement développé est à peu près celui que les néo-conservateurs plus ou moins atlantistes français comme Éric Zemmour, Robert Ménard, Élisabeth Lévy ou encore Alain Finkielkraut4 émettent de manière plus ou moins raffinée et plus ou moins ambiguë. Pour eux, la compassion envers le tiers-monde, l’intérêt porté envers les cultures exogènes et le sentiment de culpabilité post-colonial affaiblissent le monde occidental face au monde Islamique, considéré comme un bloc homogène et hostile, à la suite de la théorie du « Choc des civilisations » proposé par Samuel Huntington en 1996 — une théorie performative, en fait, qui ne se vérifiera que grâce à ceux qu’elle aura convaincus !

Donner aux gens d'un pays la peur de ceux qui viennent d'un pays plus pauvre est assez commode. Les immigrés dits "clandestins" ou "sans papiers" sont employés par certaines sociétés à un tarif bien inférieur au salaire minimal et sans aucun des droits dont bénéficient les autres salariés. S'ils sont identifiés, ce sont eux les criminels.

Ces éditorialistes et leurs équivalents de divers pays (Oriana Fallaci en Italie, Robert Spencer aux États-Unis,…) ne sont pourtant à mon avis pas responsables de l’ambiance délétère de repli nationaliste qui s’est installée (apparemment dans le monde entier) ces dernières années. Ils en sont les symptômes, les boutons de fièvre, tout comme Anders Breivik. La cause véritable, pour moi, c’est la propagande très sournoise que diffusent les médias (par le journal télévisé autant que par certains épisodes de séries, à mon avis), sciemment ou non, et qui vise à faire croire à chacun que le monde qui l’entoure est hostile, plus hostile que jamais, du niveau le plus minusculement local (un adulte qui parle à un enfant qui n’est pas le sien dans un square est soupçonné d’être un enleveur pervers) au niveau global le plus délirant (le monde est constitué d’une poignée de civilisations qui s’affrontent). Il en découle des situations déraisonnables où des individus sont soupçonnés d’être les représentants d’armées d’envahisseurs et où des angoisses complètement irraisonnées paralysent les capacités cognitives de ceux qui les vivent. Je me rappelle par exemple avoir discuté avec un notable croate, qui vivait sur une île paisible, dans un village de pêcheurs où les touristes sont rarissimes et où l’unique musulman à des kilomètres à la ronde, un égoutier bosniaque, se démarque des catholiques parce qu’il ne mange un peu moins de jambon cru et boit un peu moins de vin qu’eux, mais à peine.
Mon notable, donc, félicitait un jeune homme qui avait donné l’alerte lorsqu’un incendie avait pris derrière chez lui en disant qu’une telle vigilance serait bien utile pour parer aux attaques des musulmans qui, il en était sûr, projetaient de saboter le « traject », c’est à dire la ligne maritime qui relie son île au continent. C’est la conclusion, évidemment ridicule, qu’il avait tiré de son visionnage des journaux télévisés.

Ce qui me frappe dans la vidéo d’Anders Breivik — et qui était en fait la raison de cet article au départ —, c’est qu’elle ne s’appuie pas sur des faits, des analyses, mais uniquement sur des représentations, qui vont de la peinture pompier au dessin de presse. Un dessin allégorique, une photo de barbu grimaçant, un visage féminin en sang, un slogan invérifiable, sont traités ici comme des preuves ou des démonstrations.
Les propagandistes de l’Islam radical diffusent exactement le même genre de vidéos, tout aussi peu étayées par des faits, et invoquant elles aussi un passé réinventé et fantasmé, à grand coups de symboles — les mêmes, du reste : croix de malte et croissants verts…
Les ennemis imaginaires s’affrontent, chacun utilise le fantasme de ce qu’est l’autre pour légitimer sa propre envie de puissance, ou quelque chose du genre, mais les morts, eux, ne sont pas du tout imaginaires.

Les émeutes de 2005 dans les banlieues françaises ont été présentées dans beaucoup de pays comme une question religieuse. Anders Breivik les intègre à son raisonnement... (extrait de sa vidéo)

La tentation du repli nationaliste, qui s’appuie sur le fantasme de l’Arcadie profite surtout à ceux qui vendent des armes, des guerres, qui gagnent de l’argent avec les frontières, les églises et les taux de change, c’est à dire à une infime partie des habitants de la planète. De son côté, la mondialisation n’est ni un bien ni un mal, elle est un fait : il ne faut que quelques heures pour se rendre n’importe où dans le monde, il ne faut que quelques millisecondes pour entrer virtuellement en contact avec quelqu’un qui se situe à vingt mille kilomètres, et en y réfléchissant un peu, nous voyons bien que parmi nos amis ou parmi les membres de nos familles se trouvent des gens qui viennent de loin, et cela sera toujours plus vrai.
Le monde est « fini », son exploration est terminée, on n’y découvrira pas de nouvelles terres5, on ne peut rien faire d’autre qu’y vivre ensemble.
Ce « vivre ensemble » devrait même interpeller les affreux — les Rupert Murdoch, les marchands de canons, les voleurs de matières premières, etc.  — car depuis que la république populaire de Chine est entrée dans l’économie de marché, les perspectives d’extension du système capitaliste sont à peu près bouchées. Or le système capitaliste n’est plus ou moins sain que lorsqu’il peut progresser économiquement, assouvir son constant besoin de « croissance ». Les conditions actuelles ne sont plus celles-ci, nous n’avons pas besoin de croissance de la productivité, parce que la production a atteint un niveau qui n’est plus soutenable : on produit de plus en plus d’objets (dont la durée de vie doit être constamment raccourcie, c’est le principe de l’obsolescence programmée), on consomme de plus en plus d’énergie, mais pour pouvoir le faire il faut abaisser le coût de la main d’œuvre et la valeur du travailleur, et donc créer du chômage, et pour écouler la production auprès de ceux qui sont appauvris, baisser le prix des objets, favoriser l’avidité ou le sentiment que consommer — consumer — c’est vivre,  etc.
Il me semble que cette manière de voir les choses ne peut aboutir à rien de bon.
Aujourd’hui, comme on dit, on envoie des hommes sur la lune, on transplante des organes, on guérit des maladies autrefois mortelles, on connaît et on maîtrise de mieux en mieux le fonctionnement de la nature, bref, l’humanité a plus que jamais les moyens de partager non pas l’argent, qui ne devrait plus servir à rien depuis longtemps, mais la prospérité matérielle et le goût de faire et d’apprendre6.

Extrait de la vidéo d'Anders Breivik : les templiers contre la diversité, le multiculturalisme, le matriarcat et l'impérialisme européen ; pour l'unité, le moniculturalisme, le patriarcat et l'isolationisme européen.

Les vieilles méthodes — l’exploitation et la guerre — semblent plus sures et plus immédiatement rémunératrices à ceux qui nous les imposent que le projet d’une planète pacifiée et prospère. Je finis un peu dans le slogan, mais ça me semble important : devons-nous nous laisser faire ? Devons-nous nous entre-tuer pour que ceux qui nous guident vivent leurs vies misérables — car elles le sont — sur des yachts ou dans des palais ?

  1. Si j’ai bien compris, l’achat d’une ferme a surtout servi à ce jeune homme pour se procurer les engrais qui ont servi à fabriquer l’explosif employé pour l’attentat. []
  2. À ce propos, lire Descendez-vous de Genghis-Khan et Pourquoi nous venons tous d’Afrique et pourquoi c’est important, par Tom Roud. []
  3. À voir à ce sujet, l’excellent documentaire BBC The Power of nightmares. []
  4. Éric Zemmour, Élisabeth Lévy, Alain Finkielkraut et peut-être même Robert Ménard ne sont ni des imbéciles ni des salauds et il y a bien des raisons de s’intéresser à leurs analyses sur tout un tas de sujets. Mais lorsque leurs avis portent sur le nationalisme et les questions de civilisations, ils semblent irrésistiblement poussés par des angoisse irraisonnées et incapables de proférer autre chose que des fausses évidences de bistrot du coin.  []
  5. Je remarque que la science-fiction qui porte sur la découverte de mondes nouveaux a elle aussi décru à présent qu’il ne reste pas une cîme jamais escaladée ni une forêt sans canette de Coca-Cola jetée. []
  6. Ce que nous disait très bien Bertrand Russell dès 1932 avec son Éloge de l’Oisiveté, livre à avoir lu, je pense, et que l’on trouve pour seulement six euros !  []
  1. 36 Responses to “Des ennemis imaginaires qui font de vrais morts”

  2. By DM on Juil 25, 2011

    Pinaillage:
    1) C’est Rupert, pas Ruppert.
    2) Non, tu ne peux pas entrer en quelques millisecondes en contact avec quelqu’un a 20000 km de chez toi (aux antipodes, quoi), ne serait-ce que parce que la lumière, et donc les transmissions électriques, ne va pas à une vitesse suffisante pour cela.

  3. By Jean-no on Juil 25, 2011

    @DM :
    1) Merci, je vais corriger ça
    2) : ça dépend de ce que tu mets dans « quelques milisecondes ». Bon disons quelques centièmes.

  4. By boris on Juil 25, 2011

    Ton analyse sur l’emploi du mot souche comme substantif me fait penser à l’emploi du mot « valeur » employé à tout bout de champs (notamment dans la classe politique) et sensé mettre en opposition la bonne morale (le comble étant le terme « vraies valeurs ») contre la mauvaise pensée. Les gentils contre les méchants en quelque sorte.

  5. By PCH on Juil 25, 2011

    La réponse est non (voir la Puerta del Sol, par exemple) mais doit-on attendre les échéances électorales fixées par « ceux qui nous guident et qui vivent leurs vies misérables » ?

  6. By Dals on Juil 25, 2011

    Quelques commentaires :

    C’est l’individu qui se qualifie « de souche » : la presse reprend le qualificatif.

    A en croire son livre de chevet, devenir agriculteur, vivre seul, et prétendre être passionné de jeux vidéos étaient des excuses proposées parmi les possibles pour ne pas éveiller l’attention sur ses activités.

  7. By Jean-no on Juil 25, 2011

    @Dals : la presse ne reprend pas « de souche », à mon avis, elle traduit une autre notion (comme elle traduit abusivement « chrétien » par « catholique »). Je ne lis pas assez bien le norvégien pour savoir laquelle, je suis plutôt curieux de le savoir.

  8. By plop on Juil 25, 2011

    2 remarques en passant:
    – le mot français de souche est (malheureusement) employé par tout le monde y compris à la gauche de gauche (voir l’emploi du mot « souchien », qui d’ailleurs y ajoute l’insulte). C’est inévitable à partir du moment ou l’on établi une classification des personnes en fonction de leurs origines.

    – Il y a un paradoxe que personne n’a semble t’il noté, c’est que le tueur est obsédé par la perspective d’un éventuel futur colonialisme (musulman), mais il est déjà profondément colonisé : son unique message twitter est en anglais, sa vidéo est en anglais, son texte de 1500 pages est en anglais et il a même anglicisé ses nom et prénom pour le signer.

  9. By Jean-no on Juil 25, 2011

    @plop : oui, « de souche » est devenu très courant. Voir le diagramme que j’ai ajouté à l’article. Sur le paradoxe dont tu parles, ça ne me semble pas si étonnant, car son obsession semble être la chrétienté et l’Europe (pas l’Europe politique mais le fantasme européen), il ne s’adresse pas qu’aux norvégiens, qu’il n’aime pas beaucoup du reste, car après tout ce sont des norvégiens qu’il a tués ! Les norvégiens sont très naturellement anglophones, d’abord parce qu’ils ont bien appris à l’école mais aussi parce que leur langue est très proche de l’anglais – même structure, mêmes racines, d’ailleurs l’anglais descend du vieux scandinave.

  10. By Frère Scoliose on Juil 25, 2011

    Merci pour cet article.

    J’y trouve quand même une contradiction.

    Vous dites que les Finkielkraut, Ménard et Zeemour ne sont pour rien dans ce type d’évènement (évidemment, encore que Breivik cite Finkielkraut en toutes lettres). Mais vous ne pouvez pas dire aussi sûrement qu’ils ne sont pour rien dans la montée des thèses et sentiments xénophobes, islamophobes et identitaires.

    La preuve, vous dites :

    « Ces éditorialistes et leurs équivalents de divers pays (Oriana Fallaci en Italie, Robert Spencer aux États-Unis,…) ne sont pourtant à mon avis pas responsables de l’ambiance délétère de repli nationaliste qui s’est installée (apparemment dans le monde entier) ces dernières années. Ils en sont les symptômes, les boutons de fièvre, tout comme Anders Breivik. La cause véritable, pour moi, c’est la propagande très sournoise que diffusent les médias (par le journal télévisé autant que par certains épisodes de séries, à mon avis), sciemment ou non, et qui vise à faire croire à chacun que le monde qui l’entoure est hostile, plus hostile que jamais, du niveau le plus minusculement local ».

    Mais selon vous, de quelle autre propagande les médias sont-ils le relais que celle qui est justement distillée par des éditocrates multi-cartes que sont les Finkielkraut, Zemmour, Ivan Rioufol, Claude Imbert ? Ces éditocrates sont, à l’instar d’un Brice Hortefeux, d’un Claude Guéant ou d’une Marine Le Pen, ceux qui émettent la phraséologie xénophobe, ceux qui plantent le décor et diffusent le parfum d’ambiance.

    S’il n’est évidemment pas question de baillonner toutes ces ordures, il est grand temps de montrer quelle est leur responsabilité dans ce carnage, et dans l’avilissement intellectuel de toute une frange des populations européennes, qui s’adonnent à leurs fantasmes de suprématisme blanc, et à cette prophétie autoréalisatrice et mortifère du « choc des civilisations ».

  11. By Jean-no on Juil 25, 2011

    @Frère Scoliose : désolé, votre post n’est pas apparu de suite, il avait atterri dans les spams.
    J’ai une théorie. Je ne sais pas bien l’exposer, et sans doute que mes mots seront imprécis, ce qui est une honte quand on sait le nombre de philosophes ou sémioticiens qui y ont réfléchi.
    Pour moi il existe différents niveaux de messages : les messages directs, par exemple ceux d’un éditorial de philosophe médiatique. Ces messages peuvent faire réfléchir, apporter des éléments neufs, etc., mais en général les gens les liront non pour leur contenu mais en en cherchant à y adhérer ou pas, en fonction de ce qu’ils pensent de l’auteur, du sujet, enfin en fonction d’opinions déjà faites. C’est comme ça que si on déteste déjà Finkilekraut, on trouvera toutes les raisons de continuer à le faire en le lisant. Et si on a besoin d’une couche artificielle de « pensée » pour justifier cent meurtres, on peut faire comme Anders Breivik et citer Finkielkraut qui n’a pourtant jamais appelé au meurtre et à qui on peut juste reprocher une vision passéiste de la culture cultivée et des propos très douteux sur la composition à son goût trop sombre de l’équipe de France de football : qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, qui veut noyer son chien, etc. Mais je doute qu’à aucun moment la littérature d’A.F. soit pour quelque chose dans ce qui s’est passé.
    De l’autre côté, il existe des messages discrets, non cognitifs, qui ne sont même pas identifiés comme des messages. Quand un épisode de Battlestar Gallactica (Saison 1, épisode huit) justifie la torture physique (exécutée par le personnage positif et aimable de Starbuck) et le meurtre d’état (exécuté de sang-froid par la présidente-compatissante -> tiens ça rappelle le destin de Ben Laden) en pleine période de délire bushiste, c’est un message qui va avoir une influence, parce qu’il est transmis sans filtre, et parfaitement enrobé : la plupart des gens qui ont vu cet épisode à l’époque l’ont compris à l’inverse et y ont vu une dénonciation (et c’est le message qui est émis à un niveau cognitif) de la violence, du totalitarisme militaire, etc. – mais la psychologie sociale a bien prouvé que ça ne se passe pas du tout comme ça (cf. 150 petites expériences de psychologie des médias : Pour mieux comprendre comment on vous manipule de Sébastien Bohler).
    Pour moi, les « penseurs » cités plus haut sont plus des symptômes que des producteurs d’idées : il ne faut pas leur prêter trop d’importance, ils ne le méritent pas en fait. Ils ne produisent pas d’informations, d’idées, de concepts, ils se contentent d’être dans la réaction pure. À la rigueur on peut leur reprocher de désinhiber certaines paroles, mais sans doute pas d’actions.

  12. By Wood on Juil 25, 2011

    Apparemment son manifeste de 1500 pages est en grande partie copié-collé à partir de celui du tristement célèbre « Unabomber » (en changeant un mot par ci, par là) :

    http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/norway/8658269/Norway-shooting-Anders-Behring-Breivik-plagiarised-Unabomber.html

  13. By Décolonisé on Juil 25, 2011

    « Pour moi, les « penseurs » cités plus haut sont plus des symptômes que des producteurs d’idées : il ne faut pas leur prêter trop d’importance, ils ne le méritent pas en fait. »

    Bonjour,

    je crois que vous vous trompez sur la question et je me sens obligé de prendre mon cas personnel. Ca va faire « 3615 my life » mais je pense que c’est un témoignage intéressant et que c’est le bon moment.

    A l’époque où je commençais à fréquenter Internet pour autre chose que jouer aux jeux-vidéos et à m’intéresser à la politique (vers 2003-2004) on peut dire que j’étais plutôt centriste de droite, assez consensuel et dont la culture politique s’était arrêté aux guignols de l’info de l’époque NPA. J’ai commencé à lire des blogs plus à droite comme Chictype et surtout fdesouche (première monture). Je me souviens aussi surtout d’un texte de Dantec publié sur le site Surlering qui m’avait pas mal retourné. C’était très impressionnant pour moi puisque je n’avais jamais ouvert d’essais politiques et j’ai lu presque tout le site en quelques mois. Je peux dire que j’ai vu la naissance de la réacosphère de très près, en participant même à un site très connu encore actif aujourd’hui. J’ai un msn rempli de vieilles adresses comme celui de fdesouche ou encore Cochonhalal. Je me suis intéressé aux mêmes « auteurs » notamment Finkielkraut et bien après (il est venu tard) Zemmour. J’ai eu plusieurs périodes, la première était très islamophobe puis après je me suis donné une couche anti-marxiste/gauche et donc néolibéral proche des libertariens. Je me disais chrétien aussi, ce qui était comique vu ma pratique au réel et la dernière fois que j’étais allé à l’Eglise ou ouvert la Bible (soit trop vieux pour que je m’en souviens). Vers la fin, c’était il y a à peine 3 ans, j’étais encore dans le trip complotiste d’Alain Soral qui me paraissait enfin plus intelligent et profond que les autres avant de me rendre compte que c’était simplement le plus dégueulasse et le meilleur en récupération.

    La chose à comprendre ce que – me concernant – à aucun moment je ne me considérais comme d’Extrême-droite et encore moins raciste, antisémite et pas même xénophobe. Les critiques à gauche me paraissaient complètement saugrenues, voir totalitaires, et n’avaient aucun impact sur moi. J’avais déjà lu le blog de Consanguin et je trouvais ça très drôle mais ne me sentais absolument pas concerné. Et tous ces gens, ces anonymes ou pseudo-journalistes donneurs d’opinions et politiciens un peu plus à droite que d’ordinaire comptaient beaucoup pour moi car à défaut d’ouvrir des livres, c’est eux que je lisais et écoutais. Plus rapide et confortant, puisque j’étais bien évidement une victime du politiquement correct de gauche. J’ai bien sûr voté Sarkozy (Le pen au premier tour), un « socialiste de droite » mais c’était mieux que rien.

    Ca c’était moi. Je ne pourrais pas me supporter d’aujourd’hui mais je comprends très bien tous ces gens, quelque soit la tendance dont ils se revendiquent. Vos critiques (la gauche) les concernant sont bonnes mais on y est complètement imperméable à ce moment là. On est comme colonisé. Ce type, Anders, je pense que je lui trouverais des excuses en ce moment même, comme au gars de Tucson et d’autres avant eux. Un texte que j’aimais bien relire à l’époque c’était effectivement celui de « Unabomber » intitulé je crois « psychologie du gauchisme » et traduit en français. Très révélateur quand j’y repense.

  14. By Jean-no on Juil 25, 2011

    @Décolonisé : je note le texte de Dantec qui vous a retourné. Voilà, Dantec est un écrivain, donc un artiste, quelqu’un qui sait produire des images fortes, et donc séduisantes d’une certaine manière. Je ne vois pas du tout la brochette de plumitifs cités plus haut avoir ce même genre de pouvoir. Soral, ben j’ai pas lu, pas trop envie. Bon, ok, les idées exprimées peuvent avoir une influence, mais on est à mon avis infiniment plus armé face à un discours que face à une image, car ce qui est dit peut être contredit, alors que face à une vision d’artiste, qui souvent impressionne son propre auteur et lui échappe (comme Fritz Lang dont le cinéma s’est retrouvé en phase avec la ligne idéologique nazie qu’il n’avait aucune raison d’apprécier), face à une rumeur, face à une réputation, etc., il est bien plus difficile de se défendre.

  15. By Tom Roud on Juil 26, 2011

    Et qu’est-ce qui vous a fait changer de point de vue, décolonisé ?

    Sinon, personnellement, je vais parfois faire un tour sur des blogs genre fdesouche, pour mon édification personnelle. Il y a clairement des billets ouvertement racistes. Ou disons plutôt que, comme il s’agit de simples extraits, certains billets sont des « pousse aux crime » évidents pour les commentaires. Par exemple, fdesouche a mis récemment en ligne la vidéo d’une bataille rangée entre les équipes de foot d’Algérie et d’Egypte, l’idée étant qu’en commentaires, de charmantes personnes se lâchent avec des insultes qui font froid dans le dos , genre « ce sont des animaux » – la négation de l’humanité de l’autre, c’est le début de la justification de son massacre, on le sait bien. (on pourrait d’ailleurs s’interroger sur le fonctionnement très intéressant en soi d’un point de vue psychologique de fdesouche, qui sélectionne soigneusement des informations afin de construire une « représentation » du monde d’extrême droite, confortée ensuite par les commentaires qui créent un sentiment de communauté).

  16. By Jean-no on Juil 26, 2011

    @Tom : La méthode fdesouche est passionnante à observer, exactement comme tu la décris. Il n’a pas de discours, il laisse les gens se construire une image du monde et ses commentaires servent de caisse de résonance… L’efficacité est à mon avis énorme, notamment sur ceux qui sont déjà d’accord bien sûr.

  17. By Sophie on Juil 26, 2011

    J’ai appris aujourd’hui de la bouche du criminologue Alain Bauer, invité à « C dans l’air » sur France 5 et citant une enquête Europol, que seulement 3% des actes terroristes perpétrés l’année dernière en Europe sont d’origine islamiste, le reste relevant de fractions extrêmistes, essentiellement nationalistes et régionalistes. CQFD.

  18. By Kurozato on Juil 26, 2011

    J’aime bien cet article.

    Pourtant, je suis dubitatif en ce qui concerne le passage contenant

    « En attendant ce moment, les humains sont bien forces d’accepter que le brassage genetique est une question de survie. »

    et ce qui suit a propos des animaux de races. Y a-t-il un probleme de survie liee a la genetique en Europe ? Faut-il absolument que les Europeens se melent a d’autres lignes genetiques sous peine de degenerescence ? Non, pas vraiment. Le metissage est certainement sympathique, mais je ne vois pas a quel objectif il repond ici (en dehors d’opposer aux isolationistes et aux quelques fanas d’une purete de la race, l’apologie d’une pratique diametralement opposee).

    Par ailleurs, je pense qu’il faut faire grand cas de l’impression que beaucoup ressentent que l’identite et la culture francaise seraient en perdition ou/et sous attaque. Ce sentiment, qui a mon avis n’est pas infonde et dont on fait souvent l’erreur, a gauche, de le mepriser (tout obsede, qu’on y est, de debusquer le vilain racisme), trouve un point d’ancrage dans une Islamisation largement fantasmee (il y a, certes, une minorite militante). Cette erosion est plus le resultat de processus subis et, de fait, acceptes par tous, tel que la standardisation du travail, des lieux de vie, des objets, etc, et de leur colonisation symbolique par le marketing, la com’, la mode, etc. Ces transformations ne sont malheureusement pas nouvelles et s’agiter face a la menace musulmane ne les inversera pas.

  19. By Jean-no on Juil 26, 2011

    @Kurozato : le brassage génétique n’a rien à voir avec le métissage. En fait techniquement, chacun de nous est un métis, nous sommes constitués de la moitié des gènes de deux individus différents. Si ces deux individus sont frères et sœur, c’est un gros problème car un frère et une sœur ont déjà 50% de gènes en commun, ou bien plus si par exemple leurs parents étaient déjà frères et sœur, etc. C’est l’origine assez évidente du tabou (universel) de l’inceste d’ailleurs, ou de traditions, des lieux du monde entier, qui consistent à aller chercher son épouse au moins hors de son village.
    Maintenant, votre post indique que vous pensez que « européen » est une lignée, une « race ». Ce n’est pas le cas. Le mot « race » est une notion liée à l’élevage d’animaux et il est rarissime dans l’histoire humaine qu’on ait tenté de créer des « races » au sein de l’espèce. Sans parler des tentatives nazies de « purifier » la race par la reproduction organisée des « bons aryens » (j’adore écrire « bon aryen », peux pas m’empêcher) et par le meurtre des autres, la création de « races » a souvent été le fait des monarchies, où l’on se marie entre cousins et même entre frère et soeur. Le résultat est l’apparition d’affections génétiques, d’enfants morts-nés et d’avortements spontanés.
    Bien sûr, les japonais typiques ont des caractéristiques physiques qui permettent de les distinguer des habitants typiques de l’Afrique de l’ouest, caractéristiques physiques qu’on peut attribuer, malgré une origine commune (il n’y a qu’une espèce humaine) à l’isolement et aux paramètres locaux : la peau d’un habitant typique du Sénégal est adaptée à certaines conditions d’ensoleillement, la taille des pygmées est adaptée à la vie dans la forêt dense, etc.
    L’adaptation des organismes aux conditions de vie est lente (et le sera de plus en plus) mais certaine : si l’exposition aux soleil en Irlande devenait celle de l’Afrique équatoriale (si une rotation de l’axe de la terre plaçait l’Irlande sur l’équateur disons), les gens cesseraient progressivement d’y avoir une peau de lait, des yeux et des cheveux clairs, et les individus ayant le plus de chances de survivre et d’avoir des enfants seraient ceux qui ont un plus fort taux de mélanine dans la peau. L’espèce humaine est particulière parce qu’elle est aussi très industrieuse, on a inventé les chapeaux, les crèmes solaires, les parasols, les manteaux, la médecine, et ne parlons pas de l’avenir avec la manipulation du génome. Notre adaptation aux conditions de vie se fait aussi par là, mais je digresse un peu.
    Les nazis (encore eux mais c’est un cas d’école, je ne veux pas en faire un thought terminating cliché, qui croyaient très fort à une race européenne, ont vite découvert qu’il fallait se débarasser de la plupart des Européens pour faire exister une « race européenne ». Un peu paradoxal. Si on y regarde bien, les européens asiatiques (Björk, toute islandaise qu’elle soit, n’est pas une grande blonde, vous l’aurez remarqué : en fait la scandinavie a d’abord été peuplée de petits bruns aux yeux bridés avant d’être envahie par des germanopolonais), les ibères, les russes, les irlandais, les allemands du nord de l’Allemagne, etc., sont extrèmement dissemblables. Pareil en Afrique sub-saharienne où la couleur de peau (et encore) est le seul trait commun entre un Africain et un autre vivant à deux mille kilomètres. En Chine on peut aussi rencontrer, dans certaines régions, des gens très grands, et dans d’autres, des gens très petits (quoique le changement d’alimentation crée encore des surprises, la taille change parfois d’une génération à l’autre), certains qui ont un type assez européen, et d’autres qui ressemblent plus aux habitants de Malaisie ou encore du Thaïlande. La diversité existe déjà dans le monde bien plus qu’on ne le croit. Dans certains pays, comme la Norvège ou le Japon, elle est niée alors qu’elle existe : les Norvégiens vivent avec les Sami (Lapons) qui sont très différents, et les Japonais, avec les Aïnous, qu’ils briment aussi. En France aussi la diversité est refusée, mais pas la diversité physique en général (pour un ancien empire colonial par ailleurs situé dans un carrefour géographique, ça serait ridicule), la diversité culturelle : on peut voir un noir au Journal télévisé mais on n’y verra jamais quelqu’un qui a l’accent antillais, ni non plus l’accent méridional, ch’ti, alsacien, « de cité » ou que sais-je.
    Ce qui m’amène à la culture, dont je parlerai dans mon prochain post parce que celui-ci est déjà bien long.

  20. By Jean-no on Juil 26, 2011

    @Kurozato : Et maintenant, la perte de l’identité culturelle française.
    Oui c’est un fait, notre culture se perd, je ne connais strictement personne qui connaisse les danses traditionnelles de sa région par exemple. Or chaque région française avait des danses de groupe très précises, qui façonnaient l’identité du village, du canton, de la région. Et les gens faisaient aussi confectionner des costumes régionaux, qu’ils mettaient les beaux jours. Ce genre de chose n’a pas disparu partout dans le monde, mais en France c’est un cas, et la question c’est : est-ce que à 15 ans j’aurais aimé qu’on me force à danser la bourrée auvergnate et à porter un couvre-chef traditionnel plutôt qu’une casquette à l’envers ? Et pourquoi est-ce que je me sentais curieusement proche d’un habitant du Bronx ? (sur cette envie d’ailleurs, qui existe partout dans le monde, j’ai déjà commis un modeste article).
    Des choses se perdent, et c’est dommage, mais à un niveau individuel, chacun de nous a-t-il envie d’être un conservatoire des traditions populaires ? Je ne pense pas, nous sommes dirigés par l’habitude certes (c’est rassurant) mais aussi par la curiosité et toujours, par le plaisir. Si la musique de Prince me plait plus que du Michel Sardou, je ne me forcerai pas à écouter Michel Sardou pour être fidèle à je ne sais quoi. L’Art avec un grand A n’a jamais connu de barrières de ce genre : un Mozart, un Shakespeare, un Debussy, un Kurosawa, un Satyajit Ray, un Django Reinhardt ou un Miles Davis, considérés pourtant comme emblématique du génie de leurs peuples respectifs, ne se sont jamais interdit d’aller piquer (et sans le cacher) des choses hors des frontières de leur chez eux, bien au contraire. Et c’est vrai de l’art populaire aussi (cf. les découvertes de Jurgis Baltrusaitis avec par exemple Le Moyen Age fantastique, où l’on voit que les motifs et les thèmes médiévaux venaient parfois de lieux si éloignés que les gens ignoraient leur existence), mais l’opération se fait plus lentement et moins consciemment. En fait notre organisme n’a rien contre la diversité : on peut être séduit par une mélodie chinoise (parfois après une petite initiation car comme je le disais aussi, nous sommes menés par l’habitude) et voir la différence entre une bonne musique chinoise et une mauvaise. On peut aussi être Européen du Nord et être attiré par quelqu’un du sexe opposé qui vient d’Afrique ou d’Asie. En revanche je peux vous garantir que notre organisme ne nous pousse pas (sauf grave dérèglement des sens ou perversité) à être séduit par quelqu’un qui aurait la peau recouverte d’une moisissure verdâtre : nos gènes nous poussent vers la bonne santé.
    Bon je me perds un peu.
    Comme je l’écrivais, le monde va assez vite : on n’envoie plus de faux missionnaires voler le secret des vers à soie en Chine au péril de leur vie, on commande des mètres linéaires de soie aux Chinois et ils mettent deux semaines à arriver en bateau ou un jour en avion. Pour cette raison, oui, tout se chamboule et certaines traditions locales se perdent complètement. Parfois ce n’est pas un mal : si certaines mutilations rituelles commencent à disparaître, comment s’en plaindre ?
    Cela me semble très grave dans le cas de la nourriture, dont la standardisation est un vrai problème, mais en même temps, il y a une résistance : par exemple en France la liste des semences autorisées en agriculture, après avoir réduite à un très petit nombre de variétés, recommence à s’étoffer et on voit réapparaître des légumes perdus (panais, blette, rutabaga, tomate cœur de bœuf, etc.). Souvent, la lutte contre la standardisation culturelle procède d’une réinvention. Baptiste Coulmont (auteur d’une récente Sociologie des prénoms) raconte par exemple que la culture Bretonne actuelle est réinventée : le nombre de bretons qui ont un prénom bretonnant est nettement plus élevé aujourd’hui qu’il y a cent ans, et ces prénoms, malgré leurs sonorités, n’ont souvent jamais existé ! L’Islam a ce problème d’être une culture artificielle : il y a cent ans, la pratique religieuse et les traditions des différents lieux musulmans était d’une diversité incroyable (rapports hommes-femmes, tabous alimentaires) mais ceux qui veulent aujourd’hui « retrouver leurs traditions » le font en se collant à un Islam Sunnite récent de la péninsule arabique. Parcequ’en général, ceux qui veulent « retrouver leurs traditions » les ont déjà perdues depuis longtemps et sont souvent aussi les plus ignorants et les moins disposés à faire des recherches : ils veulent retrouver ce qu’ils croient être leurs traditions, parce que c’est l’idée de retour qui les séduit. Je parle des musulmans dont la diversité culturelle s’appauvrit en croyant coller à un passé mythique mais on peut dire la même chose des juifs (cas intéressant, avec les israéliens qui ont retrouvé l’hébreu… et perdu les différents dialectes yiddish qui constituaient en grande partie leur identité). En Croatie, pour se distinguer des Serbes, les gens ont inventé x nouveaux mots, soi-disant anciens, par exemple un mot pour « hélicoptère » car leur ancien mot, « helicopter » leur semblait trop serbe… Assez comique. On pourrait parler des nationalismes asiatiques qui se sont aussi construits artificiellement. La France, pareillement, s’est construite politiquement par l’éradication partielle des identités culturelles locales : l’identité française est plus artificielle qu’aucune autre.
    En fait, si on veut sauver toutes les cultures, les garder sous cloche, il faut supprimer la télévision, Internet, l’automobile et tous les autres moyens de transport, d’ailleurs. Et puis aussi zigouiller ceux qui osent tenter un nouveau pas de danse ou une mélodie nouvelle.

  21. By Décolonisé on Juil 26, 2011

    « Et qu’est-ce qui vous a fait changer de point de vue, décolonisé ? »

    Petit à petit par une sorte d’indigestion de la prose de ces milieux et donc une autocritique enfin achevée avec la crise économique (surtout pour le côté libéral).

  22. By quentin on Juil 26, 2011

    Sur l’idée que les éditorialistes seraient des symptômes, tandis que certaines images médiatiques seraient le véritable moteur du « repli nationaliste » :

    Je suis près à croire, en effet, que les images médiatiques ont un impact plus important que les discours politiques sur « l’ambiance générale », parce qu’elles ne font pas explicitement appel à l’esprit critique (elles demandent un effort supplémentaire pour être décrypté) tout en touchant un public plus large et sans doute moins critique.

    Là où je suis moins d’accord, c’est sur le fait qu’elles ne seraient pas elle même des symptômes. Je n’imagine pas le scénariste de série américaine se demander comment faire passer un max de messages nationalistes sans que ça se voir trop. Je l’imagine plutôt lui aussi influencé par l’ambiance générale, et intégrant dans son scénario des éléments qu’il pense sincèrement être le reflet de notre société (alors qu’il s’agit de fantasmes stéréotypés).

    Il y a peut être un phénomène d’amplification de « l’ambiance » dominante par les médias, mais finalement je me demande toujours de quoi exactement elles sont le symptôme (sinon de sentiments humains vieux comme le monde, du vieillissement de la population et d’autres facteurs sociaux).

  23. By Jean-no on Juil 26, 2011

    @quentin : en fait la différence que je fais entre un discours « cognitif » et un discours qui s’appuie sur l’imaginaire (ou l’image), c’est qu’on peut répondre plus facilement au premier qu’au second. Mais les images sont aussi et peut-être encore plus des symptômes, et en même temps des caisses de résonance. Sur le scénariste de télé, il y a une tradition du patriotisme chez les auteurs de fictions populaires américaines qui est très spontanée : pas besoin de demander, ça sort tout seul. Mais parfois tout sort en même temps : spontané ou dirigé, c’est étonnant.
    Le journal télé peut être extrêmement cynique par contre. Je connais quelqu’un qui a bossé pour la plus grande chaîne d’infos du monde anglo-saxon, et aussi la plus politisée (celle qui a piloté la guerre du Golfe 2)… Eh bien chaque jour il y avait des instructions très claires, on ne disait pas aux gens « parlez de ça pour telle raison » mais « l’histoire du jour est… » et l’histoire du jour, ou de la semaine, ça pouvait être par « Obama est-il musulman ? » : absurde bien sûr, mais quand la « polémique » inventée est matraquée, que tous les éditorialistes émettent un avis etc., ça finit par créer un doute : et si c’était vrai ? et si oui pourquoi est-ce caché ? et si c’était à demi vrai ? L’effet est ravageur.

  24. By Ouaille on Juil 26, 2011

    Toutes ces histoires de symptomes c’est gentil, mais ça fait un peu faute à pas de chance, dérive incontrôlée, et coupe l’analyse : si tout est symptome, où sont les causes ? Dans l’ambiance ? Ca ne me semble pas tenir.

    Les médias peuvent être orientés, on l’a vu au long de la guerre froide, et il n’y a aucune raison que ça se soit arrêté avec. L’islamophobie a pris un élan dans les médias au début des années à la fin des années 90 / début 2000, ce qui est documenté (voir http://seenthis.net/people/nidal).

    Quand Finkelkraut ou les autres disent certaines choses, s’expriment sur certains sujets, ils le font en conscience, et servent volontairement la diffusion de certaines idées, indépendamment du fait qu’ils croient ou non en ce qu’ils racontent.

    Par ailleurs, il convient sans doute dans l’analyse de prendre en compte les liens entre les fondamentalistes chrétiens US et Israël, ainsi que le fait – peu diffusé dans les médias – que la Palestine compte unilatéralement déclarer son indépendance en septembre, mettant l’ONU et la communauté internationale devant leurs responsabilités.

  25. By Jean-no on Juil 26, 2011

    @Ouaille : Trouver un responsable au niveau idéologique est commode, mais à mon avis contre-productif. On n’explique pas le nazisme par Mein Kampf par exemple (les gens ne l’ont lu que bien trop tard, ils l’auraient juste trouvé délirant et comique sinon). Par contre une propagande répétée et sibylline, oui je crois que ça a un effet, et les médias d’information sont un outil puissant et parfois cyniquement employé (cf. mon exemple sur une chaîne d’info américaine plus haut). L’Islamophobie, je n’aime pas trop le mot, ça m’arrive de l’employer par automatisme (il est dans l’air) mais je me reprends parce qu’en fait il est déjà trop chargé : c’est l’arabophobie qui est présente dans les fictions américaines depuis le choc pétrolier et de plus en plus (mais de plus en plus finement) partout. Le concept d’Islamophobie crée un lien invisible entre proche-moyen-orient et Islam, or il me semble qu’on peut être arabe et laïc, arabe et athée, ou sinon, y’a plus qu’à se pendre !
    Bon, je ne dis pas qu’une connerie dite par un philosophe x ou y n’aura pas d’impact, surtout qu’il y a la question de la confiance (j’ai aimé les trois derniers livres de x donc je donne du crédit aux idées contenues dans le 4e) et de l’engagement (c’est coûteux, vexant, de reconnaître après coup qu’on a eu tort de suivre les opinions de quelqu’un) mais ça serait trop d’honneur pour eux que de leur prêter une véritable importance en tant que fabricateurs de la conscience du public.
    Sur les fondamentalistes chrétiens US et Israël, c’est assez intéressant : les protestants se considèrent comme les continuateurs du judaïsme – alors que les catholiques, depuis qu’ils ont décidé que le nouveau testament était supérieur à l’ancien, se voient en rupture – mais ça ne les a pas empêchés d’être ultra-antisémites et donc pas spécialement pro israéliens jusqu’à très très récemment. Leur changement d’humeur à ce sujet me semble tactique et s’inscrit à présent dans la concurrence avec l’Islam, non pas aux États-Unis ni en Europe, mais en Afrique sub-saharienne notamment.

  26. By grindaizer on Juil 26, 2011

    Bonjour, je n’ai pas l’habitude de commenter par manque de temps, et je n’ai malheureusement pas le temps de me lancer dans de grands discours.

    Je souhaite toutefois signaler que je suis surpris de voir tant persister le schéma simpliste qui consiste à croire qu’il y a nécessairement une cause et une conséquence disjointes dans de nombreux cas.

    Nous vivons dans un monde complexe avec une dynamique non-linéaire auto-entretenue. Une certaine dynamique peut émerger à la suite d’une multitude de processus compliqués, mais le fait qu’elle perdure implique que les « symptômes » sont en quelque sorte réinjectés dans le système, et entretiennent ainsi leur propre existence. Donc personnellement, je préfère ne pas négliger les symptômes, mais en même temps ne pas me fixer uniquement dessus.

    C’est d’ailleurs le grand problème de nombreuses actions politiques. Beaucoup ne prennent pas en compte le caractère global, complexe et auto-entretenu d’un problème, mais se concentre uniquement sur un aspect local.

  27. By Jean-no on Juil 26, 2011

    @grindaizer : Je suis plutôt d’accord, la pensée individuelle ou collective est la résultante de systèmes très complexes. De temps en temps on peut identifier un évènement fortement signifiant, souvent un déclencheur, mais ne pour faire exploser un baril de poudre, il ne suffit pas d’une étincelle, il faut déjà que le baril de poudre existe. Un vendeur ambulant qui s’immole par le feu, c’est un fou et un suicidaire, mais si ça se passe dans un pays excédé, ça déclenche une révolution. Les symptômes sont à surveiller mais disons que pour moi, un Zemmour fait beaucoup parler de lui et a peu d’effet (il ne convainc que les convaincus) tandis qu’une somme de faits apparemment anodins (généralisation d’un nouveau vocabulaire, obsession de certains thèmes au JT ou dans les séries,…) installent une ambiance générale qui d’un seul coup fait que l’on prend au sérieux des évènements, des discours ou des personnes auxquelles on n’aurait pas prêté attention sinon…
    Quand au caractère global, absolument ! C’est ce qui me fait rire avec le repli culturel : les gens rêvent que leur pays a été une Arcadie et que leurs malheurs viennent d’ailleurs, mais « ailleurs » est déjà là et l’a toujours été, et « ici » est là et y sera toujours. L’exemple fun, c’est l’identité « européenne » qui se réclame d’une religion orientale créée par un juif…

  28. By Ouaille on Juil 26, 2011

    Je ne cherche pas de responsabile unique, dans le chaos ambiant, ce serait lui faire trop d’honneur et se planter. Par contre je ne vois pas l’intérêt de la notion de symptome si on ne cherche pas des causes en même temps.

    Islamophobie / arabophobie : ok pour arabophobie, c’est le vieux racisme du colonisateur qui s’exprime, je pense qu’on est d’accord.

    Finkelkraut & co s’expriment en permanence dans les médias, ils ont une influence et en sont coupables, quelle que soit son importance. Ensuite, dire que cette influence est moindre que celle d’un film parce que « l’image c’est plus direct que le langage », pourquoi pas, mais tant que ce n’est pas appuyé sur une étude un peu sérieuse (et je nevois pas vraiment laquelle), ça reste une intuition qui ne vaut que comme telle. Bref, s’il est facile d’étudier l’idéologie véhiculée par une scène particulière d’un film, il me paraît périlleux de minimiser le reste des médias.

  29. By Jean-no on Juil 26, 2011

    @Ouaille : oui c’est une intuition. En partie. Je me dis que si les discours rationnels (structurés, avec une logique et informatifs) avaient un vrai impact, seuls ceux qui sont intelligents et tournés vers l’intérêt général auraient du succès :-)
    Mais en même temps il y a eu des expériences très signifiantes en psychologie sociale, dont on a une belle liste dans 150 petites expériences de psychologie des médias : Pour mieux comprendre comment on vous manipule de Sébastien Bohler (où je trouve certaines conclusions assez fausses personnellement, mais où les références et le détail des expériences sont données) qui montre par exemple que si on met la tête d’Alain Finkielkraut à côté de photos de paires de basket sur des tas de photos, les gens pourront jurer, au final, que gars est un grand sportif. Dans un registre proche, le Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (JL Beauvois, RV Jouve) est passionnant aussi.
    Je pense que les médias sont un tout, on a tendance à séparer les messages (et c’est encore plus facile quand on connaît leur émetteur) mais un même discours va être porté par des publicités, par des feuilletons, par des journaux TV, par la presse, par certains mots (« français de souche »), souvent à l’insu de tous.

  30. By Frère Scoliose on Juil 27, 2011

    Aaaah, tout cela a l’air très intéressant. Jean-No, Décolonisé, je reviendrai répondre à vos messages dans très peu de temps, dès que j’en dispose en fait.

    Il va sans dire que nous n’attribuons nullement une responsabilité directe, ni même indirecte, dans la tuerie d’Oslo, à des gens comme Finkielkraut, Zemmour, Taguieff ou même Dantec.

    Il faut voir en revanche que ces gens professent des idées qui n’ont pas besoin d’être caricaturées pour faire germer dans la tête de certains de leurs auditeurs des projets de mass murder.

    A force de répéter que la France est totalement envahie par un fantasme d’islamisation chimérique, à force d’expliquer que l’Europe est vérolée par des idéaux post-marxistes, deux affirmations qui sont juste à l’opposé du réel d’ailleurs, et bien oui, certains deviennent criminels.

    Un peu comme Mohammed Atta aura précipité un avion dans une tour, à force de s’injecter du Ben Laden dans le texte. Le parallèle a ses limites, mais il demeure parfaitement pertinent, dès qu’on parle d’intégrismes.

    Breivik est un intégriste, plus européiste que nationaliste d’ailleurs, c’est-à-dire un promoteur de la chimérique Europe blanche, judéo-chrétienne et belliqueuse. Et il n’est pas le seul. Et oui, contrairement à ce qu’affirme ce plouc imbécile de Laurent Joffrin, il y a une communauté de pensée très forte entre Breivik et les gens que je cite. Très forte.

    Et je rejoins Ouaille : que les crétins qui pulullent sur Françoissetouche soient des symptômes, que l’électorat FN soit un symptôme, d’accord. Lorsqu’on est éditocrate, écrivain ou « intellectuel », on n’est pas seulement un symptôme. En tant que prescripteur, en tant qu’influenceur, en tant que média, on n’est plus seulement un symptôme, on devient l’agent pathogène aussi.

    Ali Kamenei serait un symptôme du salafisme duodécimain ? Non, il en est le leader. Ayman Al Zawahiri serait un symptôme de l’intégrisme sunnite terroriste ? Non, il en est le théoricien. Toutes proportions gardées, les individus dont nous parlons sont, pour les veaux xénophobes, des leaders, des porte-paroles, des modèles.

    Je trouverais saugrenu de reprocher à Finkielkraut la moindre forme de responsabilité dans le massacre norvégien. Mais je trouve très intéressant de souligner que la conclusion logique de certaines de ces affirmations réside là. Il en va bien entendu de même de pauvres types comme Ivan Rioufol ou Geert Wilders, évidemment. Et je trouve amusant de constater que Breivik écrit plutôt pas mal : on dirait du cybertechnopolar islamophobe montréalais, c’est troublant !

    More soon.

  31. By Jean-no on Juil 27, 2011

    @Frère Scoliose : Là où ceux qui disent que Breivik est isolé ont raison c’est qu’apparemment il est isolé de tout groupe – c’est peut-être même ce qui fait qu’il a réussi son coup – mais là où je vous rejoins, c’est que oui, des comme lui, solitaires ou pas, il y en a d’autres.
    Je ne vais pas non plus dire que la banalisation de certaines idées par nos zintellectuels (Taguieff est particulièrement tête à claques pour le coup, parce que son nom est toujours suivi de « chercheur au CNRS », comme si son opinion était le fruit d’une recherche sérieuse alors qu’il est violemment de parti-pris). Mais une chose que j’ai appris avec la publicité (où je n’ai jamais travaillé mais à laquelle je me suis intéressé), c’est que le matraquage a plus d’impact que les raisonnements ou les informations. Quand tous les JT parlent de « musulman modéré » pour décrire quelqu’un qui n’est pas un assassin et qui se trouve être musulman, ça donne l’idée qu’il y aurait un islam « tiède » qui se tient tranquille et un autre qui serait pousserait la logique plus loin… Imaginons qu’on dise « les chrétiens modérés condamnent les actions de Anders Breivik » : ça serait scandaleux, car porteur du message implicite que les chrétiens qui ne sont pas des monstres seraient des chrétiens mous. Or les gens sont plus intelligents que leurs religions ou leurs livres saints, en général, ils font le tri en fonction de ce en quoi ils ont envie de croire – tout comme Anders Breivik qui se réclame du christianisme qui l’arrange (-> j’écris ceci en ayant en tête les débats qu’ont suscité un de mes tweets aujourd’hui).
    Je n’ai pas eu le courage de lire le truc de Breivik…

  32. By Erlikhan on Juil 27, 2011

    « Ni des imbéciles, ni des salauds » dites-vous ?
    Imbéciles, certainement pas. Salauds, je n’en suis pas si certain. Ces « penseurs » que vous citez basent tous leurs discours sur la haine de la gauche, des musulmans et des « pas comme eux » en général. Breivik a tout simplement réalisé leurs fantasmes d’extermination.

  33. By Jean-no on Juil 27, 2011

    @Erlikhan : Je pense qu’ils sont tous sincères dans leurs positions, et je ne pense pas qu’ils aient une vraie volonté de nuire. Par ailleurs ce sont des gens aux parcours très différents, on peut les mettre dans le même sac mais ça serait en fait injuste. Et je ne pense pas qu’ils soient dans des projets d’extermination !

  34. By Décolonisé on Juil 28, 2011

    « Et je ne pense pas qu’ils soient dans des projets d’extermination ! »

    Leurs discours très ciblés et catastrophistes ne posent plus que deux alternatives à l’esprit de celui qui y croit : Le fatalisme ou l’action.

    Les plus nombreux sont les fatalistes qui se contentent de thérapies de groupes (sur internet), de rire du présent/passé qui fout le camp, et irl de se « barricader » ou de s’exiler. Du moins l’affirme-t-on. C’est ce que je lisais aussi bien chez les libéraux qu’à l’extrême-droite. D’où aussi la profusion de blogs dans ces milieux.

    Parmi ceux qui préfèrent l’action, ça va de l’action individuelle (on s’interdit par exemple telle action ou endroit) à ceux qui vont militer dans un parti ou un groupuscule. Les Breivik ce sont ceux qui décident que ça ne suffit pas, sans que du reste on ne leur ai jamais rien demandé. Mais les cibles étaient connues d’avance et c’est la logique de tout discours qui fait reposer les problèmes sur des groupes de personnes. Ce que les idéologues dont on parle n’ont pas du tout l’impression de sous-entendre. En ce moment il doivent tous bouillir des furieux amalgames qui leurs sont faits.

    Enfin je pense qu’en premier lieu il faudrait se demander pourquoi ce genre d’acte terroriste ne survient que 10 ans après le 11 septembre 2001. Entre temps c’est la création et la montée de tout un appareil idéologique qui théorise nos problèmes via les politiques d’immigrations voulues par la gauche et donc – facteur nouveau – l’islam destructeur de nos valeurs communes. Son manifeste parait très cohérent et structuré c’est pourquoi il a préféré attaquer la source que les symptômes. C’est un attentat politique et je m’étonne (sans trop l’être) qu’on ne lui réserve pas le même traitement médiatique qu’à un Jihadiste. Est-ce simplement parce qu’il était seul ? Or ses actes appellent à être reproduits et ils le seront. Selon Breivik tout devait commencer par la France. On a dit les Norvégiens naïfs, j’attends de voir ce qu’il en sera chez nous.

    http://www.liberation.fr/monde/01012350843-2083-une-declaration-europeenne-d-independance-ou-le-petit-manuel-du-neo

  35. By Jean-no on Juil 28, 2011

    @Décolonisé : là où les Finkie, Ménard, etc., m’inquiètent le plus c’est qu’ils n’ont plus un gramme d’imagination et d’espoir pour Israël, tout ce qu’ils disent sur le sujet implique que soit les israéliens soit les palestiniens devront disparaître, ou plutôt, qu’ils sont pour la paix à la condition que les palestiniens n’existent plus. Ce manque de projection positive dans l’avenir fait peur, mais là encore, autant comme symptôme d’une pensée générale que comme vecteur d’opinion. Par contre quand Finkie dit « il y a trop de noirs dans l’équipe de France » ou quand Zemmour délire sur le pouvoir des femmes, ils se ridiculisent surtout, parce que la société française est nettement en avance sur eux – même s’il est vrai que, en cas de coupe du monde ratée, ou en cas de présidentielle ratée, le racisme/la xénophobie (cf. le récent article d’André Gunthert et ses commentaires), certains archaïsmes resurgissent.
    Je crois que j’ai une réponse à la question « pourquoi seulement dix ans après le 11 septembre ». Et ma réponse c’est que les dix ans passés n’ont pas été consacrés qu’à préparer une idéologie xénophobe, ils ont surtout été dix ans de guerre armée. Anders Breivk survient au moment où les pays occidentaux se désengagent d’Afghanistan et d’Irak. Tant que ce front là était vraiment actif (il l’est peut-être toujours mais pas médiatiquement), les gens pouvaient se dire que leurs états prenaient en charge les menaces islamistes, mais une fois que ces guerres se terminent (assez honteusement, d’ailleurs, sans avoir réglé grand chose), que faire, d’autant que la menace a été montée en épingle, martelée par les médias, indépendamment de sa réalité effective (les analystes qu’on voit en causer sur les chaînes d’info racontent pour la plupart n’importe quoi et sont constamment contredits par les faits) et que la peur est donc plus installée que jamais. Après le 11 septembre, les États-Unis auraient pu dire « c’est Ben Laden, on va l’attrapper », mais ils ont choisi de dire « on est menacés par le monde musulman ». Ça a pris, et ça n’a rendu personne très malin, dans aucun camp d’ailleurs, on n’a sans doute pas fini d’en payer les conséquences.

    Dans le genre média et symptôme d’opinions rances, voir aussi ce vieil article sur un numéro du Nouveau Détective dont le contenu m’a laissé stupéfait.

  36. By jean-michel on Août 10, 2011

    @Jean-no: D’ailleurs Finkielkraut est cité dans le manifeste de Anders Breivik p.616.
    « Le philosophe français Alain Finkielkraut a prévenu que la noble idée de la guerre contre le racisme devient peu à peu une idéologie affreusement erronée. Cet antiracisme sera au XXIe siècle ce que le communisme fut au XXe : une source de violence. »

    source: http://www.rue89.com : le web, pire ennemi des intellectuels médiatiques français

  37. By Jean-no on Août 10, 2011

    @jm : oui, ça m’a épaté, parce qu’en citant Finkie je pensais au contexte français, je n’imaginais pas que Breivik pouvait le connaître finalement.

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