Profitez-en, après celui là c'est fini

Cosmos 1999 : Brian the brain

avril 30th, 2011 Posted in Ordinateur au cinéma, Série

Après la première saison de Cosmos 1999, les budgets ont été drastiquement réduits et un producteur américain a repris en mains la série. Le résultat est plutôt triste à voir.
Les plateaux ont rétréci, le mobilier de designers a été évacué, la distribution a été rabougrie et même, amputée de certains de ses plus importants personnages : le docteur Bergman, Paul Hancock, David Kano, Tanya Aleksandr. Quelques personnages sont apparus, notamment l’extra-terrestre « métamorphe » Maya, qui sait se transformer en d’autres personnes ou en animaux : serpent, lion, berger allemand.

On lit souvent que le producteur, Fred Freiberger, a apporté à la série un rythme narratif plus efficace, mais — peut-être aussi pour cette raison — il lui a surtout fait perdre son ambiance unique et a laissé son propos s’égarer.

Il faudrait noter méthodiquement tous les détails (rapports de hiérarchie, vêtements, évolution du rôle des acteurs ou des thématiques) pour en jurer mais je perçois une dégradation politique chez les habitants d’Alpha, qui perdent le climat égalitaire qui les liait.
Les noirs ne sont plus informaticiens ou docteurs, mais avant tout membres du service de sécurité. Les uniformes ne sont plus unisexe : pantalon et veste pour les garçons, jupes pour les filles.
Chacun (en dehors des membres du service de sécurité apparemment) porte sur la poitrine un badge sur lequel se trouve… sa propre photo. On peut difficilement imaginer accessoire plus inutile. La discrète arme de poing capable d’étourdir (ou de tuer, selon le réglage) est souvent remplacée par de grossiers fusils-lasers. Même la musique été changée pour un air un peu plus pompeux1. Au générique, on ne voit plus John Koenig calme et détendu, bras croisés, mais en train de d’utiliser son pistolet laser. La république des savants naufragée qu’était Moon Alpha devient une bête mission d’exploration spatiale, une sorte de sous-Star Trek.

L’épisode Brian The Brain (saison 2, épisode 9) fait pauvrement écho à l’épisode Gwent, cité dans l’article précédent.

Invités dans un vaisseau terrestre à la dérive, Helena Russell et John Koenig découvrent qu’il est vide de toute population humaine et que son seul occupant est son ordinateur de bord, qui a pour interface un robot maladroit et comique dont l’apparence évoque le robot Shakey, développé à l’université de Stanford et très populaire à l’époque. La machine accepte de se faire surnommer Brian, anagramme de Brain (cerveau). Maya a un mauvais pressentiment, est certaine que quelque chose va mal tourner, mais n’empêche pas pour autant Helena et John de se faire capturer par la machine : on sait depuis Cassandre de Troie qu’une prédiction n’est intéressante scénaristiquement parlant que si elle se réalise effectivement mais que personne n’en tient compte au bon moment.
Emmené sur la planète où est mort tout l’équipage humain de Brian, John a pour charge d’aller chercher le carburant qui y reste, car Brian a un plan qui est de voyager éternellement d’un bout à l’autre de la galaxie.

Il est difficile pour Koenig de lutter contre Brian car ce dernier dispose de nombreux atouts : il a pris le contrôle des ordinateurs de la base Moon Alpha et des vaisseaux « aigle » et peut en brouiller les communications ou en vider les données, mais il sait aussi envoyer un rayonnement ultraviolet douloureux sur ses captifs afin de les forcer à faire ce qu’il veut qu’ils fassent.
Son égoïsme est absolu et l’idée de provoquer la souffrance ou la mort d’autrui ne semble pas trop l’inquiéter. Ainsi, on comprend qu’il est directement responsable de la mort tragique de l’équipage qu’il transportait et, notamment, du capitaine Michael, qu’il avait voulu empêcher de construire un second ordinateur qui aurait pu lui être supérieur.

Affligé d’une intonnation horripilante de joyeux drille, Brian est un farceur froid friand de connaissances et un amateur d’expérimentations scientifiques.
Dans une scène assez ridicule, il force Helena et John à s’enfermer dans deux sas de décompression séparés dont il vide l’air respirable. Chacun a la possibilité, avant de perdre connaissance, de se sacrifier en envoyant l’oxygène qui lui reste à l’autre. Le but de la manœuvre pour Brian est de prouver à Helena et John que, malgré leurs démentis, ils sont bel et bien amoureux l’un de l’autre. Une variante inversée du jugement de Salomon ou des expériences de Stanley Milgram dont le but final est de dire « ouh les amoureux ! » à ses cobayes.

C’est ici que se trouve le potentiel scénaristique de la personnalité de Brian à mon avis : il a une apparence inoffensive, un peu comique, et une voix joviale — parce qu’il a été conçu de cette manière —, mais sa tournure d’esprit véritable est, au contraire, glaciale. C’est tout le danger de l’anthropomorphisme, il ne faut pas projeter sur un être non-humain (un chien, par exemple, et un jour prochain, un robot) les qualités humaines dont on lui a donné l’apparence, en oubliant sa nature véritable.

Après être tombé dans tous les pièges de Brian, Koenig finit par décider — pas trop tôt — de battre l’ordinateur sur le terrain de la pensée. Grâce aux pouvoirs de Maya, qui prend l’apparence d’une souris pour entrer discrètement dans le vaisseau puis prend l’apparence du capitaine Michael décédé, il parvient à donner des remords à Brian. Ce dernier, ne comprenant pas comment le capitaine a pu revenir d’entre les morts, ne fonctionne plus très bien et se met même à émettre de la fumée (très populaire manifestation visuelle du bug informatique au cinéma depuis Desk Set, en 1957). Cela permet à Koenig et à Maya de projeter le robot dans l’espace, mais sans le perdre complètement puisqu’il reste arrimé par son antenne. Entre temps les scénaristes semblent avoir oublié que le robot n’est que la partie mobile de Brian, mais nous ne sommes plus à une imprécision près.
Par peur qu’on lui coupe son antenne, Brian accepte de rendre ses données à l’ordinateur de Moon Alpha :  « Allez-y, prenez-moi ma mémoire, prenez tout. Tout ce que je voulais c’était vivre… et avoir des amis, je me sentais si seul… prenez tout, prenez tout ».
En écoutant cette tirade, Helena Russell s’étonne : « Il pleure ! »

L’épilogue vaut son pesant d’or. Brian est neutralisé et bien puni, alors se pose la question de ce qu’il faut en faire : lui rendre ses données et sa liberté ? Après tout il semble capable d’éprouver du remords, de pleurer, « il a une conscience », dit Helena. Pour Koenig, il y a un moyen de neutraliser le danger représenté par Brian, c’est de lui programmer une moralité : « Give it the ten commandments »« Donnez-lui les dix commandements« .
La religion2 pour suppléer aux lois de la robotique d’Asimov, il fallait y penser.

L’officier de pont Tony acquiesce à cette idée mais ajoute qu’il ne serait pas bête de programmer à Brian de s’auto-détruire en cas de mauvaises pensées.
On n’est jamais trop prudent.

  1. Pour l’anecdote, mentionnons qu’en Italie, la musique de Spazzio 1999, seconde saison, a été remplacée par un étrange disco par Ennio Morricone. []
  2. Encore un recul et une démonstration de l’américanisation de la série : la première saison de Cosmos 1999 aborde souvent des questions mystiques (la vie, la mort, l’éternité) mais dans un climat intellectuel d’agnosticisme généralisé, rien à voir avec aucune église.  []
  1. 5 Responses to “Cosmos 1999 : Brian the brain”

  2. By sylvette on Avr 30, 2011

    Rhaa comme elle m’énervait l’autre avec sa choucroute et ses rouflaquettes, là!

  3. By Stan Gros on Mai 1, 2011

    C’est génial! Les dix commandements, et, par dessus, l’autodestruction en cas de mauvaise pensée! Une chute par dessus la chute! Il y a tellement d’humoriste qui bossent comme des fous pour trouver des trucs pareils! Et eux ils y arrivent comme ça, naturellement, sans même s’en rendre compte… Du pur génie!

  4. By Jean-no on Mai 1, 2011

    @Sylvette : c’est vrai que les rouflaquettes, pour une fille, ça craint, ça a toujours craint, ça ne sera jamais sexy.

  5. By bastien on Mai 6, 2011

    Je veux bien que l’on m’explique comment un robot peut honorer un seul Dieu ou éviter de commetre l’adultère.
    Et puis ils sont uhne peu chiches, pourquoi ne pas lui donner tout le Deutéronome? Parce qu’après il saura qu’on ne mange pas d’aigle de mer ni d’Autruche, ce qu’on fait des faux témoins et des fiancées qui n’ont pas touché leur mari.

  6. By Jean-no on Mai 6, 2011

    @bastien : sans oublier, dans les premières instructions, l’interdiction de produire des images figuratives !

Postez un commentaire


Veuillez noter que l'auteur de ce blog s'autorise à modifier vos commentaires afin d'améliorer leur mise en forme (liens, orthographe) si cela est nécessaire.
En ajoutant un commentaire à cette page, vous acceptez implicitement que celui-ci soit diffusé non seulement ici-même mais aussi sous une autre forme, électronique ou imprimée par exemple.