L’iconographie antisémite

(Après vingt-quatre heures de discussions tendues sur Twitter, je me sens forcé de synthétiser mon propos dans un article, parce que je suis comme ça, j’aime exposer les choses de manière un peu méthodique et de les consigner ici pour y renvoyer ceux avec qui je converse. Peut-être que ça ne sert qu’à moi — j’adore me relire, des années après, pour savoir ce qui se passait et ce que je pensais à un instant donné —, peut-être que ça servira à d’autres.)

L’affaire commence avec un dessin de Jean Solé en « une » de Siné Mensuel, qui a été immédiatement considéré par certains comme relevant de l’iconographie antisémite « des années 1930 » ou « de la seconde guerre mondiale » — les deux références que j’ai le plus souvent lues.
Voici le dessin en question :

Siné mensuel #106, avril 2021. Ce dessin accompagne un éditorial qui accuse Macron d’être un souverain gagné par l’hubris, si sûr de lui qu’il est sourd à toute critique, aux dépens du citoyen. Le propos n’est pas du plus grand raffinement, mais il me semble que c’est le genre de reproches que l’on fait régulièrement aux souverains depuis des siècles.

J’aimerais commencer par évacuer une question : rien dans la longue carrière de Jean Solé ne laisse supposer chez lui la moindre trace de peste antisémite, consciente ou inconsciente. Mes discussions sur Twitter font apparaître que tout le monde ne connaît pas forcément la signature de Solé, et pourtant, tout le monde le connaît sans le savoir, puisqu’on lui doit des décennies de couvertures du Guide du Routard, l’affiche du film Le Père Noël est une ordure, d’innombrables couvertures pour Fluide Glacial mais aussi pour Pilote, et puis une participation à une série destinée à railler le chauvinisme français : Superdupont, scénarisé par les regrettés Marcel Gotlib et Jacques Lob, dont Solé n’a pas été l’unique ni même le premier dessinateur, mais qui en a été le plus productif animateur, sur une durée de quinze ans.

Une petite sélection de dessins de Solé, dont beaucoup sont dans la rétine de chacun de nous, même sans être particulièrement spécialiste de la bande dessinée, il me semble !

L’œuvre de Solé n’a rien de suspect, donc (et bon courage à qui voudra prouver le contraire), et l’auteur n’a pas de réputation particulière dans le registre de l’antisémitisme, du racisme ou du complotisme. Quoique les uns et les autres aient cru voir dans son dessin, ce n’est pas ce qu’il voulait y mettre. Un autre élément m’incite à réfuter toute intention de cet ordre dans le dessin qui se trouve plus haut : je sais par une publication Facebook de Julien Solé, fils de son père et lui-même talentueux dessinateur, que Jean Solé est bouleversé par cette accusation qu’il n’a pas vu venir, qu’il ne comprend pas et qu’il juge d’une grande injustice tant elle est loin de ce qu’il est. Au passage, on apprend que ce dessin n’avait pas été conçu pour servir de « une » au mensuel, ce qui n’est peut-être pas sans importance dans ce qui a suivi sa publication : un dessin destiné à être imprimé dans un coin n’est pas une affiche, que ce soit au niveau de sa signification autant qu’au niveau de son rendu graphique — les dessins de couverture de Solé sont toujours très soignés et riches en détails, ce n’est pas le cas ici.
Je ne vais pas m’amuser à enquêter pour savoir qui a lancé cette campagne contre Solé et — car c’est plus vraisemblablement la cible — contre Siné Mensuel.
Je ne sais pas si les accusateurs sont tous de bonne foi, certains semblent trop contents d’y voir une énième preuve que la gauche est fondamentalement antisémite, et s’en servent comme argument circulaire, et comme outil de terreur intellectuelle1, mais je sais de par mes discussions que beaucoup, parmi ceux qui voient dans le dessin une référence à l’imagerie antisémite sont de bonne foi. Et d’ailleurs peut-être que tout le monde est de la plus absolue bonne foi dans l’affaire, peu importe : il ne suffit pas d’être convaincu pour être juste. En revanche il est important de comprendre ce que les gens honnêtes voient, et pourquoi.

Anecdote de ma jeunesse de graffiti-artist : je dessinais mes personnages sans bouche. S’ils avaient dû avoir une bouche, ils auraient ressemblé à la version qui se trouve en haut à droite. Or j’ai un jour découvert avec horreur que le trait qui pour moi marquait le nez était perçu par beaucoup comme une bouche, ce qui, si on ajoutait un nez, aurait donné mon exemple situé en bas à droite. Un malentendu graphique, mais j’ai eu beau protester, je ne peux nier que ceux qui ont vu une bouche (et donc un énorme menton), l’avaient vu.

Je dis souvent que le public a toujours raison. C’est une formule qui fait bondir, par son évidente absurdité (ne serait-ce que parce qu’il y a autant de réceptions d’œuvres que de personnes : tout le monde ne saurait pas avoir raison en même temps), mais voici ce que j’entends par là : peu importe ce qu’on dit à un spectateur, si il voit dans une œuvre autre chose que ce que l’auteur a voulu y mettre, eh bien il sera vain de lui dire « tu te trompes », « tu n’as rien compris », tout comme il est inutile de convaincre quelqu’un qui n’a pas ri que la blague était drôle. Le spectateur ne peut pas forcément déterminer les intentions d’un auteur, il peut passer à côté d’un propos par manque de culture, par manque de codes, ou au contraire parce qu’il est trop bien préparé à avoir une certaine interprétation du message. Mais Il n’en reste pas moins qu’il est seul fondé à savoir ce qu’il ressent, ce qu’il comprend ce qu’il perçoit : il est seul propriétaire — sans en être maître — de sa réception, de son regard. Ce qu’on voit dans une image, à moins que celle-ci soit parfaitement maîtrisée dans sa réalisation et totalement explicite dans son propos, vient en grande partie de nous-mêmes.
Dans un premier mouvement, j’ai râlé contre ceux (je visais un post de Gilles Clavreul, du Printemps Républicain) qui utilisent la suspicion d’antisémitisme comme argument de disqualification politique, lesquels semblent considérer l’antisémitisme avec bien plus de légèreté que moi, car en en faisant un outil rhétorique, ils contribuent à banaliser la question et à vider l’accusation de son sens. Les réponses qu’on m’a faites, y compris sans être en accord avec moi, étaient généralement polies, mais j’ai aussi eu droit à quelques inévitables accusations : si je ne suis pas d’accord avec Gilles Clavreul et Raphaël Enthoven, c’est peut-être bien que je suis un ignorant qui n’a jamais vu de dessins antisémites des années 1930, ou que je refuse volontairement de voir la référence, et dans ce cas, que ma motivation serait que je suis — et allez donc ! — antisémite moi-même.

Jusqu’à l’argumentum ad parisioctum : le détective a découvert dans ma bio Twitter que j’enseignais à Paris 8 (« un nid d’indigénistes », croit savoir un crétin), je suis donc suspect d’office pour tous les crimes.

Si je n’ai aucun doute sur les intentions et la personnalité de l’auteur du dessin incriminé, si je suis certain qu’il n’a cherché aucune connivence rance, qu’il n’a diffusé aucun message codé, j’admets bien entendu qu’un dessin, un récit, un cliché, peut échapper à son auteur et véhiculer autre chose que ce qu’il a souhaité y mettre, qu’il est possible d’être vecteur, à son insu, d’idées que l’on désapprouve. Reste à établir si c’est bien le cas ici.
J’ai subi une bordée de tweets d’un niveau de cuistrerie variable qui entendaient m’apprendre l’Histoire du dessin de presse et de la caricature. Si je ne prétends pas en être un spécialiste complet, je crois sans peur de trop me tromper que je connais mieux le sujet que la moyenne. Je sais par exemple que le dessin antisémite n’a pas été inventé entre les deux guerres mondiales2. Mais bon, ça ne me vexe pas qu’on essaie de me faire cours, après tout, personne n’est à l’abri d’être ignorant, on a toujours des choses à découvrir, et heureusement, du reste.

Ceux qui ont pensent avoir immédiatement identifié dans le dessin de Solé une caricature antisémite devraient essayer de se remémorer dans quel contexte ils ont découvert ce dessin : ce dessin était-il seul, ou déjà accompagné d’un signalement qui participait à la polémique en induisant une certaine lecture ?

Comme je suis un peu psycho-rigide, j’ai régulièrement réclamé des éléments concrets : qu’est-ce qui, dans le dessin, justifie le ressenti de ceux qui le rapprochent des plus ignobles caricatures des années 1930 ?
On m’a répondu : le nez crochu ; les mains crochues ; la bague ; le nez épaté ; le nez arqué ; les grandes oreilles ; le visage déformé ; les yeux mi-clos ; le sourire carnassier ; le menton redressé ; le dessin en plongée3. Il me semble pourtant que c’est une assez banale caricature, au sens des caricatures les plus inoffensives qui soient, dont les auteurs de contentent d’agrandir le nez, d’exagérer sa bosse, de faire avancer le menton, etc. Je reviendrai aux détails physiques plus tard.
Mais ce qui me frappe surtout ce sont les images que l’on m’a produites pour preuve :

(désolé de devoir publier ces horreurs sur le présent blog !)

À l’exception d’une caricature clairement antisémite représentant Agnès Buzyn, qui échappe à ce motif et que je ne reproduis pas ici, les dessins que m’ont soumis ceux qui entendaient me convaincre montrent un personnage censé représenter « le juif », accroché comme une tique à la Terre entière. La récurrence de ce motif comme « preuve par l’image » m’intrigue, car le fait qu’il revienne si souvent dans les références que l’on me montre indique que ceux qui me le signalent ont cru voir l’exact même contenu dans le dessin de Solé : ils ont halluciné cette allégorie. Car, remontez observer le dessin en haut de la page, on n’y voit rien de tel et même rien d’approchant. Il n’y a pas de monde auquel s’agrippe Macron, et delà de ça, aucun détail déterminant ne rapproche les dessins criminels du dessin incriminé. L’iconographie antisémite française produite entre l’affaire Dreyfus et la fin de la seconde guerre mondiale est pourtant épouvantablement riche et on pouvait y trouver bien d’autres motifs, il est surprenant que tant de gens m’aient sorti les mêmes images alors même qu’une comparaison un peu minutieuse établit à mon sens que rien de concret ne justifie cet « air antisémite »4 que d’aucuns lui trouvent.
Plusieurs personnes semblent juger que la bague est un attribut évident de l’iconographie antisémite. Cela n’a rien de si évident pour moi, et je note que ce n’est pas un élément iconographique présent dans les dessins montrés au dessus.
En fait, entre la bague, la couronne, le ricanement, et même le rapport à l’argent public, la première référence qui m’est venue, c’est celle du Prince Jean dans la version Disney de Robin des Bois. Et je ne suis pas le seul à avoir eu spontanément cette image en tête.

Ce Disney n’est à mon avis pas le meilleur mais il reste un grand souvenir : je l’ai vu à sa sortie en France, au grand Rex, c’est même le premier film que j’aie jamais vu en salle. Il a quelques qualités, mais pour l’avoir revu récemment je dirais que son scénario est assez faible. Certaines séquences sont directement décalquées d’autres films, et tout particulièrement du Livre de la Jungle et des Aristochats. Le récit sert de prétexte à un pamphlet assez violent contre les impôts. Comme beaucoup de Disney, celui-ci développe une vision du gouvernement héréditaire légitime : le bon roi est Richard cœur de Lion et le mauvais, son frère le prince Jean-sans-Terre. Du point de vue de la réalité historique, c’est une double-injustice, je vous renvoie aux biographies de ces deux rois !

Au jeu des différences, je remarque que Macron n’est pas barbu ; n’est pas vêtu de haillons mais d’une sage combinaison pull-chemise ; que sa main n’agrippe pas une Terre mais frotte son menton.
La bague et la couronne en or5, avec des fleurs de lys, s’il vous plait, renvoient à l’Histoire de France et à la souveraineté territoriale, qui sont à mille lieues des poncifs de la forme d’antisémitisme que l’on reproche à Solé de véhiculer. Alors de quoi parle-t-on ?
Restent le nez et la main.
Si l’on compare le dessin en couverture de Siné Mensuel à des dessins récents de Solé, comme le couverture de Superdupont : In vitro veritas reproduite plus haut, on remarque que la main crispée est plutôt typique de sa manière lorsqu’il figure des « méchants » — puisqu’il est entendu que le dessin ne donne pas un beau rôle au président.

Pour ce qui est des traits mêmes du visage, les choix opérés par le dessinateur chargent à peine la physionomie de l’original, qui peut avoir le menton en avant et dont le nez, sous certains angles, est légèrement busqué. Traits qui sont sans doute plus évidents encore avec une vue en plongée telle que celle du dessin.
Emmanuel Macron n’est pas si facile à dessiner, et on peut lui trouver le nez droit ou bossu, selon les angles et les profils. En cherchant rapidement sur Google image, je remarque diverses versions du nez, des oreilles et du menton de Macron…

Quelques images glanées ici et là… Certains font un Macron furieusement proche de Sarkozy, d’autres lui donnent un faux-air de Joe Dassin, d’autres en font un espèce de vampire…

En tant que dessinateur amateur (et franchement peu physionomiste, donc pas non plus une référence), je remarque que je ne parviens jamais à dessiner Macron deux fois de la même manière, je lui trouve un physique plus difficile à saisir que d’autres — à la rigueur c’est son implantation capillaire qui me semble facile à imiter.
Le nez dessiné par Solé ne ressemble pas beaucoup à celui de Macron — il me rappelle, à vrai dire, celui de l’auteur Lewis Trondheim6 ! —, mais bon, si la courbe ratée d’un nez, sur un dessin, suffit à accuser, juger et condamner un dessinateur dans un procès en antisémitisme, où allons-nous ?

Il reste un point particulier dans le dessin, un détail que je n’ai pas évoqué jusqu’ici : le titre du journal qui publie ce dessin en « une » : Siné Mensuel, fondé par Maurice Sinet, dit Siné, décédé il y a cinq ans, qui avait fondé Siné Hebdo après avoir été licencié de Charlie Hebdo. Le directeur de publication de Charlie à l’époque, Philippe Val, avait profité de l’accusation publique d’antisémitisme dont ce vétéran du journal venait de faire l’objet pour se débarrasser de lui7. Entre temps, la justice a débouté les accusateurs de Siné et lui a même fait obtenir quatre-vingt dix mille euros de dommages et intérêts, mais la réputation8 est restée, contaminant le journal et s’appliquant désormais à un dessin publié cinq ans après le décès de Siné.
Il me semble que toute personne qui pense que l’antisémitisme est une chose grave devrait se garder de participer avec légèreté à des procès expéditifs en la matière : il ne suffit pas que quelqu’un soit accusé pour être coupable.

Lire ailleurs : Jean Solé dans « Siné Mensuel » : histoire d’un dessin dévoyé, par Didier Pasamonik, sur ActuaBD.
Lire aussi, cet article de 2013 sur l’utilisation de la laideur comme outil de stigmatisation par la représentation (des juifs mais aussi des sorcières) : L’utilisation des préjuges esthétiques comme redoutable outil de stigmatisation du juif, par Claudine Sagaert
9.

  1. Apparemment les gens du Printemps Républicain, la Licra — qui utilise cette affaire pour s’en prendre au politicien britannique Jeremy Corbyn, lequel n’est à ma connaissance pas lié à Siné Mensuel ! — ou encore Bernard Henri Lévy ont été de la première salve… []
  2. La violence de la presse catholique des dernières décennies du XIXe siècle (y compris des titres désormais bien sages : Le Pèlerin, La Croix…), est, par exemple, ahurissante. []
  3. On m’a aussi parlé de banquier, mais il n’y a pas de haut-de-forme, de cigare, de billets, ou quelque indice iconographique reliant ce dessin au concept de banquier ! []
  4. Dans le film Nous irons tous au paradis (1977), Simon (Guy Bedos) accuse Bouly (Victor Lanoux), d’avoir un « type antisémite ». []
  5. Couronne en or, ou couronne en carton, car celle-ci ressemble furieusement aux couronnes offertes avec les galettes des rois en célébration de l’Épiphanie. []
  6. Mais j’insiste, je ne suis pas très physionomiste. []
  7. Un vieil article que j’ai écrit à l’époque : Le Cas Siné. []
  8. La réputation de Siné est due aussi à une autre affaire, datant de 1982, assez indéfendable mais pour laquelle la Licra avait accepté les excuses du mis en cause. Lire : Affaire Siné (Wikipédia). []
  9. On y lit le catalogue complet des traits physiques qui ont été prêtés aux juifs pour les stigmatiser : peau foncée ou peau jaune ; nez crochu, nez en forme de 6 ; traits grossiers ; oreilles pointures, dressées ou tombantes ; cheveu noir et crépu ; embonpoint excessif ou maigreur extrême ; dents acérées ; yeux globuleux ; lèvres charnues ; mains potelées,… []

35 réflexions sur « L’iconographie antisémite »

    1. Weiss

      Moi j’aurais dis Charles Montgomery Burns dans sa folle jeunesse.
      En plus niveau caractère, et idôlatrue, de son entourage, ça colle.

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  1. CastexDemission

    une citation nauséabonde de l’auteur de poste qui vous permettra de comprendre comment il pense « Pour moi, l’antisémitisme relève de la maladie mentale, on a vu des gens assez sains d’esprit se fourvoyer dans ce délire. Ça justifie une vigilance, mais pas l’injustice et les procès expéditifs. »
    A gerber comme sa défense de ce dessin
    Tu dégoûtes

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Je vois que cette locution « maladie mentale » passe mal, alors je veux bien la retirer. Mon propos est de dire que l’antisémitisme n’est pas un racisme comme un autre, il prend une forme paranoïaque, complotiste. Bien sûr, il y a d’autres exemples dans l’Histoire de racismes qui ont pris ou qui prennent une forme paranoïaque.

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  2. Intéressant, en effet. Non dénué de pertinence, mais faisant l’impasse sur beaucoup de choses, ou passant un peu rapidement dessus.
    1. La caricature en question est associée à un titre, et cette association fait beaucoup dans l’interprétation du dessin. Il faut donc peut-être y voir davantage une démarche ouvertement antisémite de Siné Mensuel (qui a choisi de mettre ce dessin en couverture alors qu’il n’y était pas destiné, et à ajouté ce titre), au corps défendant de Solé.
    2. Une deuxième chose qui est passée sous silence dans ce texte, c’est le contexte des nombreuses caricatures réellement antisémites de Macron que l’on a vues en 2017 (campagne présidentielle) et 2018 (dans les manifestations des giléjones), puis d’Agnès Buzyn (que l’auteur de ce texte choisit justement de ne pas reproduire). Il est probable que ce passif ait aussi beaucoup pesé dans l’interprétation qui a été faite de cette image.
    3. L’organe de presse qui affiche cette caricature et ce titre en couverture porte le nom d’un satiriste dont la carrière a été marquée par plusieurs affaires d’antisémitisme (la dernière en date ayant débouché sur son licenciement de Charlie Hebdo et la création de ce journal qui porte son nom). C’est dit, mais en dédouanant un peu rapidement Siné. Je tiens tout de même à dire à tous ceux qui cherchent systématiquement à écarter tout soupçon d’antisémitisme quand l’évidence est pourtant tenace, que les propos de Maurice Sinet en 1982 ont laissé une marque indélébile dans la mémoire de ceux qu’il a blessés. Je le cite donc : « Je suis antisémite depuis qu’Israël bombarde. Je suis antisémite et je n’ai plus peur de l’avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs… Rue des Rosiers, contre Rosenberg-Goldenberg, je suis pour… On en a plein le cul. Je veux que chaque Juif vive dans la peur, sauf s’il est pro-palestinien… Qu’ils meurent ! Ils me font chier… Ça fait deux mille ans qu’ils nous font chier… ces enfoirés… Il faut les euthanasier… Soi-disant les Juifs qui ont un folklore à la con, à la Chagall de merde… Y a qu’une race au monde… Tu sais que ça se reproduit entre eux, les Juifs… C’est quand même fou… Ce sont des cons congénitaux. »

    Ces trois faits comptent beaucoup pour comprendre l’interprétation d’un dessin qui porte tout de même en lui des éléments troublants, et l’émotion qu’elle a suscité.
    Bref : sans doute Solé n’est pas antisémite, et il a été maladroit, mais le journal qui a publié ce dessin en y ajoutant ce titre n’a pas ajouté de la maladresse à une maladresse : il s’est rendu coupable de ce dont aujourd’hui, injustement, Solé est accusé. Cette tribune, malgré ses silences et son parti-pris, m’a permis de mieux cerner le problème.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Sur le point 1, il me semble que l’aura de Siné Mensuel, qui hérite de l’aura de Robert Sinet (provocateur, excessif, vasouilleux parfois — cf., plus récemment que 1982, ses propos sur les musulmans), est un point déterminant ici. Je remarque que depuis la création de Siné Hebdo, aucune affaire de ce genre n’est sortie, et je doute que ce journal y aurait échappé s’il avait tendu le bâton pour se faire battre. Donc c’est moins en fonction d’un contenu criminel passé que ce dessin est condamné, mais d’un soupçon. Je rappelle que Siné est mort il y a cinq ans et que c’est sa veuve qui dirige le journal, laquelle veuve n’a pas été accusée d’antisémitisme à ma connaissance. Je ne lis pas Siné Mensuel mais la liste de ses collaborateurs n’est pas tellement sulfureuse.

      Sur le point 2, j’ai mentionné le dessin de Buzyn, mais je n’avais vraiment pas envie de le montrer, ce n’est pas l’Histoire, avec son caractère d’archive, quoi, c’est un dessin de propagande actuelle, qui touche à une polémique actuelle. Il est décalqué sur un autre dessin antisémite, et il est vrai qu’il se rapproche nettement plus de celui de Solé. Mais franchement, dans quelle mesure exactement ? Certains voient plutôt Iznogoud, Gargamel,… Si le nez dessiné est particulier et pas très ressemblant à celui de Macron, d’ailleurs, il n’y a pas dans la représentation de Macron ici le caractère repoussant (peau crade, barbe crade, rictus, yeux morts) des caricatures antisémites.

      Sur le point 3, Siné a été odieux, mais sans le défendre, il a eu exactement le même genre d’excès verbaux concernant des personnes ou des groupes (pour rappel :  » (…) plus je croise les femmes voilées qui prolifèrent dans mon quartier, plus j’ai envie de leur botter violemment le cul. J’ai toujours détesté les grenouilles de bénitier catholiques vêtues de noir, je ne vois donc pas pourquoi je supporterais mieux ces patates à la silhouette affligeante, et véritables épouvantails contre la séduction ! Leurs maris barbus embabouchés et en sarouel coranique sous leur tunique n’ont rien à leur envier, point de vue disgracieux. Ils rivalisent de ridicule avec les juifs loubavitchs ! Je renverserais aussi de bon coeur le plat de lentilles à la saucisse sur la tronche des mômes qui refusent de manger du cochon à la cantoche. »). Bon, certes, ça ne va pas jusqu’à l’appel au meurtre, on est d’accord. Mais bon, de toute façon, je ne veux pas spécialement défendre Siné, bien que je n’aime pas la manœuvre « quand on veut noyer son chien » employée par Val en son temps, je dis juste que Solé n’est pas suspect, n’est pas coupable.

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      1. Pat

        Val a tout fait pour faire viré Sine de Charlie , le journal a d’ailleurs été condamné et non Sine
        val , l’ordure , a arnaque Cavanna et tout fait pour que Polac quitte le journal .
        Val avec Malka l’avocat de clearstream ont tout fait pour virer les historiques .

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        1. Jean-no Auteur de l’article

          …Et Macron ne l’est pas. Du coup quelque chose ne colle pas trop dans l’accusation, même s’il est vrai qu’une personne non-juive peut être victime d’antisémitisme et une personne juive, être antisémite. Enfin Catherine Sinet juge ignoble l’accusation dont son époux a fait l’objet.

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  3. Nathalie

    Un facteur qu’on ne peut pas négliger, dans cette histoire, c’est que la plupart des gens qui ont vu l’image ne sont pas des lecteurs de Siné Mensuel et ne connaissent pas forcément l’auteur de ce dessin : ils l’ont vu dans le contexte des réseaux sociaux où on leur annonçait que l’image était supposée être antisémite.
    Donc évidemment, ça convoque dans leur esprit ce qu’ils connaissent de cette imagerie et comme le souvenir et l’impression qu’on a d’une image n’est pas l’image elle-même, on peut facilement se leurrer en toute bonne foi. À ta place d’ailleurs, je changerais le titre de l’article pour éviter la confusion que cela peut produire sur les gens qui ne lisent que les titres.

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  4. auspitz georges

    bonjour,
    mon approche est un peu différente; le mensuel qui a publié ne m’intéresse pas, je ne veux rien en savoir; Siné a été victime d’une machination pour être évincé; la justice en a jugé; de nos jours, il est vite fait de se faire traité d’antisémite quand on n’est pas d’accord avec le gouvernement actuel d’Israël; le lobby sioniste y veille bien; je suis membre de l’UJFP;
    l’auteur du dessin, je ne le connais pas, et ça m’est bien égale, il pense ce qu’il veut, il vit comme il veut; et je veux bien admettre qu’il n’est pas antisémite, pas du tout; il est de bonne fois;
    mais pour moi, c’est presque pire; parce que ce dessin est profondément antisémite; comme il est dit dans le texte qui précède, la seule chose qui compte c’est la façon dont l’oeuvre est reçue; une femme qui se met nue sur une scène pour protester contre la destruction de la vie artistique est une oeuvre que je reçois avec émotion; mais cette caricature est antisémite;
    il reste encore en France de nombreuses , ou leurs descendants, qui ont eu à souffrir des persécutions; ils prennent ce dessin dans la gueule; un grand coup à l’estomac; ils ne s’agit en aucun cas de politiser la situation, ou d’en profiter pour régler des comptes; je ne connais aucune personne concernée;
    mais le plus grave à mes yeux, c’est qu’une personne de bonne fois, arrive en toute naïveté à produire une caricature antisémite, il faut alors se dire que dans ce pays, il n’y a plus de repère, la situation est terriblement dégradée; et ça, ça me fait peur; j’aurais préféré qu’il soit antisémite;

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Mais la perception dépend des personnes, de leur bagage, de leurs attendus, de leurs réflexes,… Ici, il y a tout de même très peu d’éléments, au point que beaucoup de gens m’en ont cité d’imaginaires, par exemple en décrivant l’image comme « banquier + nez crochu »… Le nez crochu se discute, mais je ne vois aucun banquier !

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  5. Eric IZABELLE

    Siné était un vieil anar ronchon et ouvertement anticlérical, depuis aussi longtemps que je me souvienne, c’est-à-dire depuis 50 que j’ai lu Pilote, Hara Kiri, Charlie, etc.

    Il aurait sans doute pris plaisir à cette fausse polémique, montée par une bande de joyeux paroissiens lâchés en meute sur les réseaux sociaux, où ils sont toujours d’accord avec le consensus mou des bas de plafond qui nous servent désormais d’élite intellectuelle.

    Jean Solé est tout sauf antisémite, et son dessin est excellent — comme toujours depuis 50 ans, et malgré tous les cons.

    Mort aux cons.

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  6. Makach Mouch'kil

    « mais bon, si la courbe ratée d’un nez, sur un dessin, suffit à accuser, juger et condamner un dessinateur dans un procès en antisémitisme, où allons-nous ? »

    là tu parles en général ou tu exonères un dessinateur ultra-précis comme Solé en suggérant qu’il a foiré le nez?

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Solé est précis mais il n’est pas forcément un portraitiste (cf. On m’a rappelé son Giscard… Qui ressemble à Jean-Jacques Goldman !), et de plus, il s’agit ici d’un petit dessin (porté à un format plus grand que prévu).

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      1. Makach Mouch'kil

        Donc, pour expliquer le nez crochu de Macron sur le dessin de Solé, tu évoques une courbe ratée? Je vais pas te tomber dessus (d’autres l’ont fait brrrrr) mais c’est léger comme remarque. Ça revient à dire si on généralise, que chaque dessin à problèmes c’est à cause d’un coup de crayon trop à droite…

        Twitter est super brutal. y a pas de modérateur comme sur un forum, et ça réagit à vif (à tort comme à raison) et c’est pour ça que c’est pas fait pour quelqu’un comme moi qui à tendance à réagir d’abord et réfléchir après, et regretter sa réaction dans 95% des cas. Donc, tout ce que tu postes, plus c’est vu, plus c’est scruté, et on t’épargnera aucune faiblesse de langage, ou facilité d’explication.

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  7. Dominique Natanson

    Je veux bien entendre cette explication.
    Je suis un militant juif de l’UJFP, organisation qui avait soutenu Siné quand il a été odieusement viré de Charlie-Hebdo.
    Donc, je ne soupçonne nullement Siné-mensuel d’intentions antisémites et je ne baverai pas avec Clavreul.
    Cependant, ce dessin me met mal à l’aise car certains des codes de l’antisémitisme peuvent effectivement y être repérés. Le titre comme l’or de la bague et de la couronne est une figuration de l’argent, comme effectivement le nez, les oreilles, le geste de la main (pour palper des billets ?), le rictus…
    A décharge pour Siné-mensuel, je n’avais pas vu cela au premier regard quand le journal est arrivé chez moi – car je suis abonné. Je l’avais trouvé mauvais et j’étais gêné sans savoir pourquoi. Ma fille, elle, a réagi au premier coup d’œil comme d’autres amis juifs.
    Je fais une différence entre une campagne antisémite et l’usage maladroit de codes de l’antisémitisme. Je ne crois pas que Solé soit antisémite, je ne crois pas que Siné-mensuel mène une campagne quelconque. Et je vois bien que certaines attaques viennent de ce même camp laïcard qui parallèlement mène, lui, des campagnes islamophobes.
    Je continuerai donc à vous lire.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Je ne réfute pas l’authenticité de la perception négative, qu’il s’agisse du malaise diffus dont vous parlez dans votre propre cas autant que l’identification immédiate de codes antisémites faite par votre fille — et par d’autres gens pas forcément juifs, d’ailleurs : une jeune femme que je connais et qui n’est pas juive me disait avoir spontanément pensé à l’affiche du film Jud Süss, dont elle avait le souvenir pour l’avoir vu (et apparemment durablement retenu) en cours d’Histoire Géographie… Elle a pu constater (avec surprise) que les deux images n’entretenaient, pour le coup, pas le moindre lien. Et pourtant ça lui était venu (peut-être par ma faute, car elle a découvert l’image alors qu’elle était associée au titre de mon article, l’iconographie antisémite. Donc il doit y avoir un truc, mais pas évident à identifier, car beaucoup d’autres gens n’ont pas eu le même sentiment du tout, c’est donc qu’il n’y a rien ici d’universel, pas de code concret. On m’a même cité pour preuve des éléments absents, comme « le banquier » : certes Macron a été banquier mais à ce compte-là, toute représentation de Macron représente un banquier ! Alors je me demande : si la couronne avait été plus terne, rappelant moins l’or (et donc l’argent), est-ce que ça aurait tout changé ? Si la bosse du nez avait été un rien différente, est-ce que ça aurait tout changé ? S’il y avait eu écrit « ha ha » au lieu de « hin hin » ? Si Solé dessinait des mains plus rondes ?…
      Dans un premier temps, j’avais été tenté de considérer ceux qui avaient une perception différente de la mienne (qui ais pensé immédiatement au Prince Jean de Disney, donc) comme des hypocrites, avant tout du fait de leur personnalité (Clavreul, BHL, ne sont pas des gens à qui je prête une grande honnêteté intellectuelle). Mais ils ne sont pas seuls, et au contraire, des gens que j’estime ont eu la même crispation. Ça mérite d’être compris/analysé.

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  8. Makach Mouch'kil

    Je ne connaissais pas ces couvertures de Charlie Hebdo avec Macron au nez crochu. Il faut dire que CH m’est tombé des mains au début des années 2000 et ça ne m’a plus manqué.

    Je vais pas mentir en disant qu’en découvrant pour la première fois le dessin de Solé je me suis dit « oh punaise ça date de quand ce truc?? ça reprend une affiche du temps de vichy ou quoi? » tout ça surtout à cause du nez. Maintenant je pense que ceux qui sont choqués ont raison de l’être, ceux qui ne voyent pas ce tarin si problématique devrait ouvrir un livre d’histoire. Quant à Solé, sa production passée devrait suffire à l’exonérer.

    Mais du coup ça veut dire que les couvertures de CH sont aussi antisémites sauf que là tout le monde s’en fout? vraiment?

    PS la remarque antisémitisme = maladie mentale de gens sains d’esprit, ben ça veut rien dire comme phrase!!

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  9. auspitz georges

    bonjour,
    le dialogue est toujours fructueux, si on écarte l’injure, si on respecte l’interlocuteur, et si on essaie de comprendre son point du vue; ce qui a lieu ici;
    il y a eu débat au sein de l’organisation dont je suis simple adhérent; nous sommes arrivés à l’avis suivant
    – non, Solé n’est pas antisémite;
    – non, Siné mensuel n’est pas un journal antisémite;
    – nous ne vivons pas dans une campagne antisémite;
    – oui, cette caricature est loupée, nous avons généralement utilisé le mot  » merdique »; la cible est manquée;
    personnellement, plutôt que de se morfondre, l’auteur et le journal devraient admettre ce loupé;
    mais la bataille politique ne doit pas être perdue; en conservant le titre génial  » quoi qu’il vous en coûte » un dessinateur doit-être capable de produire de nombreuses illustrations; et faire un pied de nez à la meute; car ces braves gens utilisent l’indignation morale en défense de leur Macron adoré; cette bataille reste d’abord politique;

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Du reste, le rapport titre/image dessert l’image en produisant un sens involontaire, mais ruine aussi le titre : avec un Macron en roi non pas sournois et content de lui, mais déconnecté du peuple, insouciant, ça aurait eu autrement plus de force ! On est peut-être là dans un bête cas d’illustration iconographique choisie à la va-comme-ça-peut : on pioche dans le stock d’images ce qui ressemble à ce qu’on voudrait avoir, sans se rendre compte que ça va produire un contresens…

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  10. Dytar

    Pour ma part, j’ajouterais deux termes aux analyses de Jean-Noël que je partage pour une grande part : le problème des angles morts (du point de vue du créateur), et celui de la surinterprétation (du point de vue des récepteurs).
    En effet, je pense que Jean Solé était tellement à mille lieux de pensées antisémites que la possibilité que son dessin ait pu être interprété ainsi ne l’a sans doute pas effleuré (je conclue cela de sa réaction partagée par son fils sur son fil facebook, et aussi par la connaissance de son oeuvre, et même par l’occasion que j’ai eue un jour de l’avoir entendu raconter une partie de son histoire familiale fortement marquée par l’antifascisme). Les angles morts d’un créateur sont inévitables, et c’est normalement le rôle d’une maison d’édition, d’un rédacteur en chef, de prendre un peu de recul et d’identifier de possibles problèmes d’interprétation, ou d’éventuelles réminiscences inconscientes. Je ne sais pas comment cela s’est passé sur ce cas, mais je suis d’accord que, non seulement le journal n’a pas semblé voir un problème, mais surtout l’a a minima amplifié en associant le dessin à ce titre et en le mettant en couverture…
    Reste le problème de la surinterprétation : je pense que l’endroit d’où l’on se situe, nos centres d’intérêt, le contexte dans lequel on baigne, déterminent une bonne part de la réception d’une oeuvre. Pour ma part, travaillant depuis deux ans sur un sujet autour de l’affaire Dreyfus, je dois admettre que j’ai fait partie des gens à qui la réminiscence de certaines caricatures antisémites est arrivée spontanément à l’esprit. Mais aussitôt la signature m’a rassuré, car j’étais d’emblée convaincu de la probité morale de Solé, pour les raison exposées plus haut : il se trouve donc que mon bagage culturel et le contexte du moment faisait pour moi équilibre, mais je comprends que l’on puisse se retrancher dans un camp ou dans un autre (à ceci près que je pense qu’un des gros problèmes à quoi nous avons affaire dans nos usages médiatiques est celui de la polarisation des esprits, contre lequel chacun devrait être vigilant, et on a vu là un parfait exemple de ce phénomène).
    En poussant l’analyse du dessin, j’ai constaté comme dans cet article de Jean-Noël qu’il y avait en fait assez peu d’éléments à même de susciter cette réminiscence, et surtout aucun élément précis chargé d’une connotation clairement antisémite. Je me suis dit que mon contexte personnel d’attention aux caricatures antisémites m’avait conduit à une surinterprétation spontanée. A cela s’ajoutait le contexte général de certaines charges effectivement antisémites contre Macron (la plus évidente à mes yeux n’étant pas celles que j’ai vu ici ou là évoquées, mais le photomontage trop précipitamment tweeté par Filoche en 2017, qui lui a valu son exclusion du PS, fabriqué je crois par quelqu’un dans la mouvance de Soral : on y voyait Macron avec un brassard nazi où la croix gammée était remplacée par un dollar, et dans l’ombre en arrière-plan Drahi, Attali et le banquier Rotschild)…
    Troublé par ce phénomène de surinterprétation, j’ai repensé à deux autres fois où j’ai pu avoir un regard différent sur une même image à connotation éventuellement antisémite : d’abord dans Harry Potter, les gobelins banquiers. Ce n’est que récemment, pour les mêmes raison personnelles du bain culturel dans lequel je suis immergé, que j’ai trouvé que ces gobelins, dans le rôle qui leur était assigné dans la saga d’Harry Potter, me posaient problème : ils rejouent en effet, je suppose inconsciemment, le cliché antisémite du banquier antipathique, laid, aux nez et doigts crochus, au grand pouvoir souterrain… Auparavant, cela ne m’avait pas sauté aux yeux, alors même que je connaissais déjà l’histoire de la caricature antisémite quand j’ai vu les premiers Harry Potter. Pour le coup, je ne sais pas s’il s’agit de surinterprétation, car je crois qu’il y a là une réminiscence plus claire de clichés antisémites que dans le cas du dessin de Solé, mais il faudrait sans doute développer et pousser plus loin l’analyse…
    Je voulais surtout évoquer une autre image, ou série d’images, moins connues aujourd’hui : les caricatures de Kupka dans l’Assiette au beurre, en 1902, en particulier cette série intitulée L’Argent : http://www.magasinpittoresque.be/assiette-au-beurre/L-Argent-Kupka.htm
    On y voit une allégorie de l’argent, d’un point de vue anarchiste : un bourgeois géant et boursouflé, au ventre rond et doré, dominant notamment des armées de travailleurs soumis en servitude. Parfois une couronne et des bagues lui sont attribuées (comme en couverture du journal). Vu le contexte de l’époque, où fleuraient les caricatures explicitement antisémites, je me suis demandé si ces images avaient une telle connotation : il y a bien le nez busqué, la laideur… mais quoi d’autre ? Pas évident. La charge est vraiment dirigée contre la domination capitaliste. Mais je me suis dit : est-ce que, malgré ce peu d’indices explicites, on pouvait tout de même interpréter les caricatures de Kupka comme antisémites à la lumière des caricatures antisémites qui associent les juifs à l’argent et à un projet de domination du monde ? J’imagine que oui, mais je pense que ce serait de la surinterprétation. Comme dans le cas du dessin de Solé.
    J’ai enfin repensé à ce mot de Bernard Lazare, anarchiste juif et l’un des premiers défenseurs de Dreyfus, à Drumont, idéologue antisémite : « ce que vous nommez la domination juive, ce que j’appelle moi la tyrannie du capital qui n’est pas juif spécialement mais universel. » On a parfois l’impression que l’amalgame se retourne aujourd’hui : il serait délicat de caricaturer férocement « la tyrannie du capital » sans renvoyé à l’antisémitisme ? Il faut peu de choses pour surinterpréter, quelques éléments complémentaires suffisent à orienter le regard (ne serait-ce que de dire : regardez ! c’est antisémite), sans parler de l’ergonomie des réseaux sociaux qui suscite les réactions rapides, les regards superficiels, et cela peut rapidement faire des dégâts. Ce qui n’empêche pas d’être vigilant avec les manifestations réellement antisémites qui affleurent toujours aujourd’hui…

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    1. Dytar

      J’ajouterais simplement que nul n’est à l’abri des angles morts ou des risques de surinterprétation, ces deux facettes opposées qui nous font manquer de justesse dans la perception d’un sujet. Prendre un peu de recul pour minimiser ces risques n’est hélas pas vraiment compatible avec le timing des réseaux sociaux…

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  11. Jeanne

    Cette caricature est-elle antisémite ?
    D’abord, il faut évacuer tout ce qui relèves des intentions de l’auteur de l’image. Elle ne sont ni une preuve suffisante, ni une preuve nécessaire pour caractériser une image comme antisémite : elle l’est dans sa nature et dans ses effets.

    Ensuite il me semble important de poser une définition forcément incomplète de l’antisémitisme.

    L’antisémitisme ce n’est pas seulement la haine des juifs. La haine des Juifs et le point de départ et d’arrivée de l’antisémisme, mais il est plus large que ça. L’antisémisme réside dans une certain critique personnaliste du pouvoir, et une analyse politique paranoïaque. Ce qu’on nomme aujourd’hui conspirationnisme est une forme d’antisémitisme même lorsqu’il ne vise pas ouvertement les Juifs. L’antijudaïsme médiéval a écrit les lettres de noblesse de ce qui est devenu ensuite l’antisémisme (d’ailleurs la distinction entre les deux est sujette à critique universitaire), les Juifs étant accusé de duplicité et de complots envers les les chrétiens, donnant lieu à des massacres de Juifs accusés d’avoir répandu le choléra et la peste en empoisonnant des puits, ou encore de capturer des enfants chrétiens pour célébrer des rituels de sang). Les Juifs ont été également associés à l’argent et au pouvoir depuis le Moyen-Âge. Conséquence du fait que les chrétiens se voyaient interdits par l’Eglise de pratiquer l’usure, tandis que l’accès à de nombreux métiers était interdit aux Juifs : ceux-ci se sont donc en partie tournés vers l’usure pour subsister. Cette contrainte économique a elle aussi nourri le ressentiment envers les Juifs puisqu’ils collectaient les dettes. Cependant ils n’ont jamais été les seuls à le faire, et c’est l’organisation économique médiévale qui les a poussé à le faire.

    Pas étonnant donc, que l’antisémitisme soit aussi présent à gauche dès le XIXème siècle. Pas étonnant non plus que la critique du capitalisme et de l’activité bancaire tombent si souvent dans l’antisémitisme. Marx lui-même postule que la religion juive est intrinsèquement liée à l’amour de l’argent, lorsqu’elle ne l’est que dans l’imaginaire antisémite.
    L’anticapitalisme dans sa forme personnaliste (et donc incomplète et peu radicale) confond le système économique et ses bénéficiaires. La classe bourgeoise est ainsi vue comme le mal, lorsqu’elle n’est qu’un symptôme du mal, et un de ces agents. D’autre part, l’anticapitalisme pêche également lorsqu’il ne se concentre que sur les banques et la finance, considérés à tort comme le coeur de la machine capitaliste. Cela se fait au détriment notamment d’une critique du travail salarié et de la propriété privée comme institutions capitalistes. La sphère de circulation du capital constitue une cible plus séduisante que la sphère de production, parce qu’elle correspond à la part « cachée » du capitalisme, celle qui est obscure dans ses fonctionnements et dérobée à l’oeil du non initié. Elle acquiert donc une dimension magique, que l’on peut facilement attribuer à un petit nombre de personnages malfaisants, dont l’image libère tous les fantasmes.
    Ces analyses très partielles du capitalisme rejoignent donc trait pour trait l’antijudaïsme, jusque dans l’association de l’oppression et de la misère à une puissance magique. L’URSS a d’ailleurs été une importante courroie de transmission de l’antisémitisme de gauche.

    Je passe à l’image.
    Je vais répéter ce que vous savez déjà : ce qui lui est repproché en termes strictement visuels c’est la combinaison : nez crochu + mains en serre + courronnes + bagues. Je ne retiens pas le « quoi qu’il en coûte », à mes yeux c’est plus une circonstance aggravante.
    Comme vous le savez le nez crochu est un symbole antisémite qui date du moyen âge, et qui a perduré bien au delà de la stricte haine des juifs : les sorcières et autres créatures folkloriques aux nez crochus sont des échos dans la culture populaire de ce stigmate et de l’antijudaïsme (de la même façon, la figure du vampire dérive elle aussi des accusations médiévales de rituels de sang)
    Si on estime que la caricature commence à partir du moment où elle est démocratisée dans la presse imprimée au XIXème siècle, elle hérite des formes de dessins sayriques antérieurs, et donc notamment des représentations stigmatisantes pour les Juifs qui n’ont pas cessé d’exister depuis le Moyen-Âge, notamment par voie de presse. Les déformations du visage qui font partie de l’ADN de la caricature ont un but bien précis : celui de déshumaniser un personne (je ne mets pas nécessairement de jugement de valeur à déshumaniser ici). C’est à la fois le ressort comique, mais aussi le moyen de jeter l’opprobre sur elle via la représentation. Ce n’est donc pas un simple hasard si les nez crochus et proéminents prolifèrent dans la caricature de l’époque moderne. Elle a simplement puisé dans un répertoire préexistant, notamment dans le repértoire antisémite, antisémitisme qui est en Europe depuis au moins l’époque médiévale à l’avant-garde de la déshumanisation et de la violence politique contre une minorité. Ensuite la caricature moderne naît aussi dans une époque antisémite, où a émergé l’anticapitalisme tronqué dont j’ai parlé plus haut. De fait bons nombres de caricatures étaient ouvertement antisémites lorsqu’elle ne l’était pas de manière inconsciente et indirecte. J’enfonce le clou : une caricature n’a pas besoin de viser les Juif•ve•s pour colporter ce que j’ai décrit comme antisémitisme.
    D’autre part, la caricature a évolué en même temps que l’antisémitisme jusqu’à son culminement sous les régimes fascistes et nazis. ce qu’on considère aujourd’hui comme les canons de la représentation antisémite sont ceux de l’imagerie de cette époque. Les nez proéminents et crochus y figurent évidemment en première place, ainsi que les mains en serre de rapace. La couronne et les bagues s’y trouvaient ausi présentes, ainsi que les accusations portées à l’encontre des Juifs comme « rois de la finance » et comploteurs dirigeant le monde depuis ses coulisses. Tous ces attributs concordant à représenter les Juif•ve•s comme une minorité possédante, aux intentions malfaisantes et cachées.

    L’image de Solé désigne il est vrai un goy. Cependant Macron est pour la plupart des gens l’incarnation du pouvoir en France. Non seulement ça, mais aussi l’incarnation du capitalisme. Macron est perçu, pour de bonnes raisons, comme un agent du capitalisme oeuvrant pour les intérêts sont ceux de la classe bourgeoise. Cependant cette critique de Macron vire très souvent au complotisme et à l’antisémitisme. L’accusation comme quoi Macron serait « proche des cercles de pouvoir privés » prend régulièrement une tournure assez ridicule : c’est un truisme, il appartient à la classe bourgeoise, il n’y a donc rien de caché, ni même de particulièrement scandaleux là-dedans. D’autre part cette critique postule qu’il serait corrompu par les « pouvoirs de l’argent ». Encore une fois c’est assez risible, Macron ne fait qu’oeuvrer en accord avec l’idéologie de sa classe, il serait effectivement corrompu que cela ne dirait rien de plus. Cependant on retrouve un motif antisémite de réseau de pouvoir caché dans cette critique. Cet antisémitisme envers Macron culmine dans l’obsession par une bonne partie de la gauche et de l’extrême-droite sur le fait que Macron a bossé à la banque Rothschild. Ce qui n’a rien d’étonnant en soit et ne devrait pas faire objet de scandale : Macron est un bourge, il a bossé dans une banque, et alors ? Cependant cela prend tout son sens quand on sait que le nom Rothschild est une obsession pour les antisémites depuis plus d’un siècle (je me demande même si ça ne commence pas au XIXème). Cette banque, parce qu’elle appartient à une riche famille juive, a été considérée à tort comme toute puissante et la source de tous les maux du capitalisme, notamment par les nazis d’ailleurs. L’utiliser comme argument dans une critique de la politique de Macron est donc antisémite, puisque cela reproduit cet ensemble de mythes. On l’a vu depuis le début du mouvement gilet jaune, puis avec la crise sanitaire, le complotisme et l’antisémitisme ont connu une ascension dans la critique du gouvernement Macron, notamment au sein de la critique anticapitaliste et/ou de gauche de Macron.
    C’est donc à la lumière de ce contexte que l’on peut comprendre cette image. Elle condense efficacement l’antisémitisme, pas seulement parce qu’elle représente Macron comme un homme de pouvoir autoritaire et injuste (ce qu’il est objectivement), mais parce que d’une part, elle le montre en maniganceur, les mains serrées comme on représente un personnage machiavélique, et ricanant comme le ferait quelqu’un avec un projet diabolique, et d’autre part parce qu’elle exploite les canons physiques de la représentation antisémite, à savoir nez proéminent et recourbé, et doigts crochus. Son nez d’ailleurs ne ressemble absolument pas à celui du dessin, il faut être particulièrement de mauvaise foi pour l’avancer. Si il est vraiment nécessaire de le dire, ce n’est pas une accentuation de la forme du nez de Macron, mais bien une déformation : le sien est courbé, mais forme un angle droit avec son visage au niveau de sa base. C’est un nez aquilin. Celui du dessin n’est pas aquilin, il est crochu et dépasse largement par le bas l’angle formé par la base et la lèvre supérieure. Ce nez est une reprise flagrante de codes de représentation antisémite.

    Pour toutes ces raisons, je considère l’image comme antisémite, encore une fois dans sa nature et ses effets.

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    1. Bouteille d'eau minérale

      Bonjour madame,

      Je me permets d’intervenir pour relever plusieurs points, qui me paraissent fondamentaux.

      Le premier est que vous évacuez beaucoup trop vite la question des intentions. Si ce que vous dites est fondé, alors certaines représentations de croix gammées sont de simples swastikas ; vous saurez par exemple que la croix gammée de l’emblème personnel d’Adolf Hitler est positionnée de manière similaire à la swastika hindoue. Doit-on en conclure qu’Hitler était personnellement un visnouite sans pensée raciste, ou que tous les hindous sont des nazis en puissance ? De fait, la symbolique est bien malheureusement indissociable de l’intention, sans quoi une partie de l’analyse devient absente, et l’explication devient incomplète. Je noterai d’ailleurs que sans prise en compte de l’intentionnalité, vous vous retrouvez dans l’incapacité d’expliquer pourquoi telle ou telle représentation est apparue.

      Sur le reste, je me permets de soulever quelques points qui me semblent trop vite expédiés, ou même carrément litigieux.

      Premièrement, je suis curieux que Marx aurait postulé que la religion juive aurait été intrinsèquement liée à l’amour de l’argent. En l’occurrence, il dit une chose dans _Sur la question juive_ (_Zur Judenfrage_) qui peut sembler similaire à un lecteur non-averti, mais qui ne l’est pas : « Quel est le Dieu profane du Juif ? L’argent. » (Welches ist sein weltlicher Gott? Das Geld.) En l’occurrence, vous pourrez lire ledit article de Karl Marx, mais il n’explique pas une nature religieuse de ce rapport à l’argent, mais _historique_, dans une tradition hégélienne assez classique sur la philosophie de l’histoire et en reprenant votre point de vue (qui est malheureusement historiographiquement très daté) d’usuriers surtout juifs, qui auraient fini par « contaminer » le monde avec le commerce d’argent qui aurait été l’une des fondations du capitalisme. Je me permets de noter que la vision d’un Marx antisémite est loin d’être partagée dans le monde universitaire, et que les interprétations de ce texte varient (Maximilien Rubel, qu’on peut difficilement taxer d’antisémitisme, y voyait par exemple plus une dénonciation de l’esprit qu’on avait forcé à faire adopter aux Juifs et qu’on voulait désormais étendre à tous).

      J’émets un doute particulièrement important sur le mythe anti judaïque du meurtre rituel comme origine du vampire. Les créatures les plus proches du vampire actuel sont situés dans les Balkans et les régions alentours, où des pratiques apotropaïques anti-vampiriques typiques existent depuis le milieu du Moyen-âge dans ces régions – c’est-à-dire au moment où le mythe est mentionné pour la première fois en Europe occidentale et commence sa diffusion. Et si les mentions que je connais des créatures vampiriques sont tardives, il semble admis qu’elles soient anciennes dans la région au vue des éléments archéologiques et de ce que laissent entendre les textes étudiés. Donc là-dessus j’aimerai bien voir vos sources, car j’avoue être curieux de quelque chose que je n’ai jamais vu dans des ouvrages parlant des meurtres rituels jusqu’à présent. Soit un développement historiographique m’a échappé, soit il y a une extrapolation de votre part ou une position très minoritaire dans le champ historique (et je vous avoue que bien que mon érudition soit modeste en matière d’accusations de meurtre rituel, je croyais avoir parcouru l’essentiel de la littérature scientifique parue en livres et en anglais depuis une trentaine d’années – ce qui ne fait pas plus d’une dizaine d’ouvrages, je l’accorde).

      Ensuite, je pense que vous devez mal connaître l’histoire de la caricature pour estimer que toutes les représentations de nez crochus ou proéminents sont uniquement liées à des Juifs ; elles le sont aussi… à des gens qui en ont, tout simplement, ou pour symboliser encore autre chose ! Une miniature célèbre des _Grandes Chroniques de France_, signalée par l’historienne de l’art Sara Lipton (spécialiste de la représentation des Juifs dans l’art) montre le cas d’un homme non-juif avec un nez aquilin (vu ensuite dans des représentations antisémites), nez qui indique son statut social inférieur, en train d’aider à l’expulsion des Juifs. Lipton donne un certain nombre d’autres exemples non-juifs de représentations de nez déformés dans son ouvrage de 2014. Bref, cette « difformité » n’est en rien liée aux Juifs.

      Enfin, l’obsession pour le travail d’Emmanuel Macron à la banque Rothschild tient, pour la gauche, plutôt que la question d’une forme d’antisémitisme, surtout aux conditions particulièrement étonnantes de son arrivée à la banque : passage dans une banque d’affaires, passage du service public à la banque puis départ de la banque vers le service public, obtention d’un poste à un âge étonnamment jeune laissant entendre du piston, revenus sur la période, etc. Je ne dis pas que toutes les critiques sont fondées, je signale simplement qu’elles n’existent pas par antisémitisme, mais simplement compréhensibles et n’ont rien de motivées.

      Je ne répondrai pas au reste, car je pense que cela relève du ressenti (même si ressenti n’est pas raison) ; mais je pense que vous procédez beaucoup par raccourcis voire même ce qui ressemblent à des contrevérités pour arriver à de telles conclusions.

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  12. Sur la question des intentions, il faudrait poursuivre… Un jour, un ami récent m’a parlé des « nez crochus ». J’ai été si abasourdi que je n’ai pas réagi sur le coup. Mais je lui en ai parlé quelques jours après. Il est tombé des nues : il avait toujours, dans sa famille (paysanne) entendu cette expression. Et il n’avait absolument pas conscience de son caractère antisémite ! Je lui ai donc fait un petit cours à l’issue duquel, ébranlé, bouleversé même, il a évidemment admis avoir employé un cliché antisémite, et s’en est excusé avec desolation. J’ai ensuite appris à le connaître mieux, et tout m’a démontré qu’en effet il ne pouvait y avoir aucune intention antisémite de sa part.
    Mais ce que j’ai apprécié sur le moment, c’est qu’il reconnaisse sa maladresse et s’en excuse, MALGRÉ l’absence d’intention.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Gé : Ici, Catherine Sinet, comme Jean Solé, ont une culture de l’image a priori suffisante pour qu’on ne puisse pas imaginer un manque de maîtrise des codes. Mais si le dessinateur n’est pas antisémite, si les spectateurs offusqués ne le sont pas non plus, comment le dessin pourrait-il l’être dans son essence même et alors qu’il y a bien peu de codes concrets qui pourraient servir d’indice ?
      Sur Twitter, quelqu’un (ulcéré par le dessin) m’a expliqué que mon article était antisémite. Il me citait des passages qui ne l’étaient pas, mais surtout, qui n’étaient pas de moi : l’un était un extrait de l’article de Didier Pasamonik (qui, en tant que commissaire d’expositions consacrés à la question du judaïsme et de la bande dessinée, est peu suspect de malveillance autant que d’ignorance), et l’autre extrait… Était signé… Gilles Ciment (eh oui cher ami). Triple contre-sens, donc : il ne m’insultait pas pour un de mes écrits, et il s’en prenait à deux personnes qui, pour leurs passif ou leurs positions respectives sont difficilement soupçonnables de quoi que ce soit… Sauf par quelqu’un qui était prêt à lire ce qu’il voulait lire (il tiquait sur le mot « ressenti », qu’il confondait visiblement avec « illusion »), en fonction de son préjugé. Je lui ai demandé si sa bévue pathétique changeait quelque chose à son jugement sur ma personne et il m’a répondu : « non, vous êtes les mêmes ». On sort un peu de la raison, là.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Lurker : On m’a signalé ce tweet, auquel je n’ai pu avoir accès qu’en me déconnectant de Twitter. Ça fait longtemps qu’on ne se cause plus sur les réseaux sociaux, avec celle qui l’a émis, je crois que ma manière tranquille de discuter l’irrite un chouia, et réciproquement, son côté punk-rageux est sans doute trop pour moi (moi je suis punk petit-bourgeois de banlieue, comme genre de punk). Par contre j’apprécie son talent graphique et ses réflexions, ses écrits de blog sont agréables et intéressants. Donc je ne l’appellerais pas « SJWette-de-service » ! Ici je note qu’elle me défend sur ce qui m’importe : elle ne fait pas semblant de me comprendre de travers pour m’accuser de crimes imaginaires, et si elle me lit : je lui en sais gré. Pour le reste, elle me reproche ce que j’ai effectivement écrit. Je vois bien que ma métaphore de l’antisémitisme comme une maladie mentale est maladroite et ne passe pas, je l’ai ravalée (cf. mon article suivant), cette vision n’ayant jamais eu pour but ni d’excuser l’antisémitisme ni d’insulter les gens souffrant de maladies psychiatriques, juste de dire que l’antisémitisme est à mon avis une forme très singulière de racisme (mais à ma décharge, dans un récent post sur Facebook, Joann Sfar l’a écrit aussi — moins maladroitement que moi, sans doute, car ça n’a pas provoqué de réactions).
      Pour le reste je n’ai pas de potes alpha bodybuildés, je ne comprends pas ce que c’est, dans ce contexte.

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  13. Madar

    Je suis très ennuyé par le dessin de Solé. S’il était l’oeuvre d’un dessinateur lambda je l’aurai immédiatement taxé d’antisémitisme, de nombreux codes y figurent et la revue dans laquelle il parait n’y est pas pour rien ( d’ailleurs le titre n’est pas de Solé et le dessin n’était pas prévu pour être en couverture). Mais c’est Solé, le dessinateur du babacoolisme et du rock des années 70, le pote de Gotlib qui a porté l’étoile jaune. Je ne sais pas comment Solé a évolué depuis 50 ans, de nombreuses figures de gauche ont évolué plutôt curieusement et on a vu renaître un antisémitisme de gauche dont la revue de Siné est malheureusement un étendard. Même s’il n’en avait pas du tout l’intention, il me semble impossible de ne pas voir, au minimum, des signes interprétables comme antisémites dans ce dessin et donc Solé aurait dû en refuser la publication.
    Bref, comme dirait Molière, qu’est-ce que Jean Solé est allé faire dans cette galère ?
    Jean-No, je pense que tu n’as toujours pas accepté qu’il existe un antisémitisme de gauche.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Salut Philippe, ça faisait une paie !
      Solé, ça se saurait. Et malgré la mauvaise réputation de Maurice Sinet, Siné Mensuel n’est pas plus soupçonnable (il suffit de voir qui y collabore — beaucoup de gens qui s’en iraient s’ils avaient doute —, et de considérer le passif sans tache du journal jusqu’ici : c’est un mensuel de gauche, oui, voilà. Franchement, il ne faut pas se laisser avoir par les jugements en réputation sans procès : Siné Mensuel n’a aucun passif, ses collaborateurs sont über-mainstream (Berroyer, Meurice, Vanhoenacker, Willem, Cestac, Gelluck, Pelloux,… On est quand même loin du « louche ». Mais je me suis fait avoir moi-même par la personnalité du fondateur, n’ayant absolument jamais acheté ce journal. Je suis absolument certain que bien sûr ni Solé, ni le journal n’ont maîtrisé ou voulu l’effet obtenu, qui n’est pas universel du tout : les uns voient l’affiche du Juif Süss, les autres voient un bête souverain félon, c’est mon cas. Dans l’article qui suit j’essaie une explication supplémentaire pour comprendre ce que ressentent les uns et les autres.

      J’ai vu venir un antisémitisme de gauche, si si, bien sûr (et même un philosémitisme d’extrême-droite). Je l’ai peut-être vu plus tard que d’autres plus attentifs que moi, mais je ne peux pas le nier. J’ai vu des gens partir d’un très raisonnable soutien aux Palestiniens, se déclarer anti-sionistes (mot qui me pose problème à plusieurs titres, mais déjà parce que passer de pro-… à anti-… est le début de la fin !) et qui peu à peu, parfois sincèrement heurtés par l’utilisation de la suspicion d’antisémitisme comme argument massue, parfois embarqués par l’opposition victimes/bourreaux, oppresseurs/opprimés, qui fait l’impasse sur les faits et qui ne permet pas vraiment de résolution par le haut, parfois aussi parce qu’eux-mêmes n’avaient fait que refouler un vieux fond culturel antisémite (vieille-France ou maghrébin, les deux existent) ont peu à peu vrillé. La Dieudonnite, quoi. C’est un peu ce genre de gens (tout comme leurs adversaires qui utilisent la laïcité ou l’universalisme comme arguments contre les musulmans) qui font que je refuse depuis longtemps de me dire « de gauche » bien que je partage quelques valeurs traditionnellement associées à ce bord politique.
      Donc oui, il existe un antisémitisme de gauche (et j’ai peur qu’il existait déjà au moment de l’affaire Dreyfus), et même si je ne me sens pas garant de la gauche, ça ne veut pas dire que toute personne de gauche ou d’extrême-gauche soit antisémite.

      Mais si ce dessin est produit par un auteur insoupçonnable, publié dans un journal qui l’est à mon avis autant (je te renvoie à la défense de Catherine Sinet), à destination d’un public qui n’est a priori pas néo-fasciste, ni même gaucho-fasciste, s’il n’y a aucune tentative de recherche de scandale ou de connivence rance, il me semble qu’on est au minimum dans le registre du malentendu visuel, dont je trouve passionnant de comprendre les ressorts, mais au sujet duquel il serait dommage que les uns et les autres se soupçonnent de crimes qu’ils n’ont pas commis. Pour cette raison, je trouve dommage que la défense de Siné Mensuel présuppose que les gens qui ont vu dans le dessin un clin d’œil antisémite seraient hypocrites cherchant à nuire au journal : je suis certain que tout le monde est très sincère dans cette histoire (cf. le commentaire de Daniel Natanson, qui a été dérangé par le dessin alors même qu’il avait défendu Siné contre Val), et devrait éviter de juger le ressenti ou les arrières pensées de l’autre, car c’est là qu’arrivent des préjugés et des biais divers. On peut ne pas voir la même chose dans une image sans que quiconque mente ou se mente sur ce qu’il perçoit. On n’est comptable que de ce qu’on perçoit et ce qu’on pense soi-même, et encore, alors préjuger de ce que pense l’autre…

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  14. Philippe Madar

    Oui ça fait un petit moment…
    Je n’ai jamais Lu Siné mensuel mais son image est catastrophique et ce journal passe, à tort ou à raison, pour une espèce de Charlie-hebdo antisémite.
    Raison de plus selon moi pour faire attention si on y est publié.
    J’ai cru comprendre que Solé était effondré par cette polémique. Au minimum il n’a pas été vigilant et ne s’est pas rendu compte de l’interprétation évidente qui allait être faite de son dessin et qu’il allait blesser.

    Dans le fond je pense que les attaques envers Macron sur l’argent, sous entendu protecteur des riches car ancien banquier de chez Rotschild, ont toutes un arrière goût d’antisémitisme. Il y a tellement d’autres angles d’attaque possibles envers « le meilleur épidémiologiste de France ».

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      Il semble que l’aura de Siné Mensuel soit indue (je te renvoie à l’identité de ses collaborateurs et à l’absence de casseroles du journal (qui était, on le voit ici d’ailleurs, pourtant attendu au tournant), même du vivant de Sinet, mort il y a cinq ans tout de même !).
      Le côté Macron-banquier avait de relents assez rances il y a quatre ans, et je pense que c’est ce qui a convoqué l’interprétation de ce dessin, certaines personnes m’ont même dit de bonne foi qu’ils voyaient dessiné un banquier, malgré l’absence de signes traditionnels (haut-de-forme, monocle, cigare, billets ?) et alors même que c’est clairement un monarque qui est montré. Si tu lis l’édito du journal qui accompagnait le dessin (page suivante, j’imagine — je l’ai lu en ligne —, il attaquait Macron en tant que roitelet sourd aux conseils et à l’opinion, avec un effet négatif sur le nombre de cas de covid, comparément à nos voisins. Donc les intentions sont claires, mais il y a une monstrueuse maladresse (et une injustice envers le président), qui entre le slogan « quoi qu’il vous en coûte » — pourtant bien trouvé — et le dessin qui montre un souverain qui se réjouit : un roi qui n’écoute pas, ce n’est pas pareil qu’un roi qui se réjouit des malheurs du peuple. L’association de l’image et du texte est vraiment foireuse. Mais pour moi rien d’évident dans le ressenti qu’elle a provoqué.
      Je trouve très pertinent le commentaire fait par LL de Mars à la suite du billet de Didier Pasamonik, qui rappelle surtout que le crime commis par ce dessin, c’est de ne pas être le chef d’œuvre de son auteur : https://www.actuabd.com/Jean-Sole-dans-Sine-Mensuel-histoire-d-un-dessin-devoye.

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