Viol au second degré

(Je n’avais pas spécialement envie de parler d’Alain Finkielkraut ou de Roman Polanski, à dire vrai. Mais quelques défenses de l’un et de l’autre lues ici ou là m’attristent et me forcent à écrire ces quelques lignes. Comme Finkie, je vais tenter un truc, attention les mirettes.)

Mettons les choses au clair, en disant « Violez, violez, violez », il me semble évident qu’Alain Finkielkraut tentait non pas de l’humour au second degré comme l’ont dit certains mais une maladroite hyperbole, une outrance destinée à nous faire comprendre que bien entendu, il n’appelle personne à commettre un viol. Eh oui, qui lancerait un aussi absurde mot d’ordre ? Un Finkie énervé, excessif, un peu ridicule, c’est toujours un moment télégénique, idéal pour les extraits de dix secondes qu’on se partage ensuite avec gourmandise sur les réseaux sociaux. Je ne sais pas s’il est vraiment honnête d’avoir laissé entendre que l’académicien ronchon était sérieusement en train d’exhorter les hommes au viol et d’avouer commettre le viol conjugal.
Et puis comme l’ont fait remarquer ses premiers défenseurs : il manquait le contexte.

«Violez, violez, violez ! Je dis aux hommes : violez les femmes. D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs, et elle commence à en avoir marre ».
Un humour impayable.

Bon et puis il y a pire que Finkelkraut !
Il y a cet horrible Imam (hein ? Qu’est-ce qu’il raconte ?), qui a une tête à organiser des prières clandestines dans des parkings de Seine-Saint-Denis, qui dit « Allahou Akbar » et qui est sans doute même musulman.

Des propos scandaleux que les féministes intersectionnelles décoloniales se gardent bien de dénoncer !

Je traduis :

« Si la jeune fille est pubère, et surtout si elle a un petit ami, alors il est licite pour un homme mûr d’abuser d’elle, même si elle n’est pas consentante. Ce n’est pas vraiment un viol.

Scandaleux, non ? On tracasse Alain Finkielkraut alors qu’il y a dans les territoires perdus de la République des salauds pour dire des horreurs pareilles ! Franchement, c’est du deux-poids-deux-mesures, les « maccarthystes néo-féministes » (© Pascal Bruckner) n’hésitent pas à chercher des poux à un honorable académicien qui tente un trait d’humour, mais se gardent bien de protester lorsque des abominations sont proférées par un arabe musulman de banlieue.

Bon, je vous ai bien eu, moi aussi (et je ne suis pas drôle, moi non plus), la citation n’est pas d’un horrible religieux, ce personnage est imaginaire, les mots écrits en arabe sont extraits d’une recette de cuisine (oui, c’est fou, mais la langue arabe peut servir à d’autres choses qu’à véhiculer des fatwas !), et pour la « traduction », j’ai juste paraphrasé… (roulements de tambours)… Alain Finkielkraut ! En effet, après son « Violez, violez, violez ! », c’est exactement ce qu’il a dit : la victime de Roman Polanski avait peut-être treize ans mais elle était pubère, alors bon, ce n’était pas vraiment un vrai viol, et puis elle avait un petit ami, alors hein, elle n’était pas tout à fait non-consentante.
Eh oui, c’est cela que l’on découvre en « replaçant l’extrait dans le contexte » : Alain Finkielkraut minore le viol d’une fille de treize ans (« et neuf mois », précise-t-il), en utilisant comme circonstance atténuante que celle-ci avait déjà enlacé un garçon : si on en a enlacé un, on ne peut pas refuser ses faveurs à d’autres. C’est précisément ce dont Caroline de Haas l’accusait juste avant qu’il ne lance son « Violez ! », accusation dont il a, donc confirmé la valeur, annulant toute l’éventuelle pertinence de son effet rhétorique.
Peut-être pouvait-on dire et penser des choses pareilles quand Alain Finkielkraut était jeune, je ne sais pas, je n’étais pas né, mais aujourd’hui, ce n’est pas admissible. Finkie se vante d’être un peu ringard, se prend pour la mauvaise conscience de la modernité, c’est bien, mais en dévoilant pareille vision des femmes, qui dès lors qu’elles entendent disposer librement de leur corps peuvent être considérées comme des objets offerts à qui veut en user, il se montre terriblement rétrograde et se révèle bien plus copain des Talibans que de quiconque.

Je comprends très bien que l’on défende Polanski par amitié, par fidélité, en disant que quarante-cinq ans ont passé, qu’il a changé et qu’il a droit à la rédemption, que c’était une autre époque, qu’il a exprimé ses regrets, que sa victime l’a pardonné, que le juge qui l’a poursuivi avait instrumentalisé l’affaire à des fins électorales (dans un pays où les juges sont élus), etc.
Fort bien. Pourquoi pas. On peut défendre l’auteur d’un crime passé. Le pardon, c’est bien, l’amitié, c’est bien. Ça pousse parfois à commettre des erreurs, mais ce sont de beaux sentiments tout de même.
En revanche ce qu’on n’a pas le droit de faire, c’est de défendre le crime lui-même.
Et j’accuse (eh…) Alain Finkielkraut (et quelques autres) de l’avoir fait. Et pas seulement cette semaine, ce n’est donc plus exactement une maladresse. Et il n’y a pas vraiment de quoi rire.

2 réflexions sur « Viol au second degré »

  1. Enzo33

    Salut Jean-No,

    Pour commencer, sache que mes sources d’actualité, uniquement sur Internet, sont tellement décalées par rapport aux médias mainstream, que j’en arrive à considérer ton blog comme un de mes derniers liens avec le monde fantasmé que nos gouvernants et leurs généreux donateurs essaient de nous vendre comme le monde réel. N’y vois aucun reproche, j’aime beaucoup tes analyses, je me demande juste quelle place ce monde fantasmé occupe dans le temps de cerveau disponible de mes compatriotes. Or donc, pendant que les migrants continuent de crever en Méditerranée, pendant que des multinationales pillent les sols de l’Afrique, pendant que les chancelleries de tous les pays avancés détruisent l’ensemble des états sociaux qu’elles sont censées garantir, l’affaire du jour c’est donc la défense de Roman Polanski par Alain Finkielkraut.

    Il se trouve que voici une dizaine d’années, jeune arrivant dans ma profession en lien avec la culture, j’écoutais et regardais beaucoup de ces débats qui agitaient le tout-Paris, en me disant que la Capitale abritait l’essentiel de la discussion intellectuelle de notre pays, que les intervenants y étaient probablement des sommités dans leurs domaines respectifs, et que j’avais sans aucun doute beaucoup à apprendre en les écoutant. C’est à cette époque que j’ai repéré Finkielkraut, ses dialogues hystériques et caricaturaux avec Tarik Ramadan (autre violeur soit dit en passant, curieux qu’il ait été reproché à Plenel d’avoir débattu avec lui mais pas à Finkielkraut), mais aussi un premier épisode sur Polanski interpellé en Suisse, épisode qui avait au passage éclaboussé Frédéric Mitterrand et Benoît Hamon si mes souvenirs sont exacts. Mon admiration un peu naïve pour ces gens en avait pris un coup. Mais quand je me remémore cet épisode, je me retrouve en tous points dans ton dernier paragraphe, en gros Finkielkraut commettait le délit d’amitié et de fidélité, et rappelait que la plaignante avait retiré sa plainte, ce qui était vrai d’ailleurs. Bref, Finkie défendant son copain était pathétique sur la forme, mais pas sur le fond.

    C’est sur Beur FM je crois, que l’un des contradicteurs de Finkie avait osé une remarque, qui m’avait beaucoup dérangé à l’époque mais qui me revient tout de suite en mémoire à la lecture de ton texte : « Monsieur Finkielkraut, nous entendons vos propos visant à défendre Roman Polanski. Nous aimerions juste, afin que le doute soit définitivement levé, que vous mettiez la même ardeur prochainement à défendre une personne qui ne soit pas Juive. » Le débat était parti en vrille, Finkie entamant un couplet sur la concurrence victimaire sur un mode « Touche pas à ma Shoah » tout en délicatesse.

    Dix ans ont passé, et l’épisode que tu relates m’inspire deux observations.

    Tout d’abord, les producteurs et/ou les journaleux qui ont invité Alain Finkielkraut sur ce plateau ont forcément un minimum de mémoire, ils ne peuvent ignorer que Finkie n’en est pas à son coup d’essai concernant la défense de Polanski, et ils connaissent la prodigieuse capacité de l’intéressé à ridiculiser la cause qu’il prétend défendre. Dès lors, je suis à peu près aussi gêné que s’ils avaient invité une personne muette pour stigmatiser son absence de répartie, ou un handicapé mental pour rire à ses dépens. Ils ont probablement fait de l’audimat, mais ils n’ont aucune morale.

    Deuxièmement, en effet la défense du cinéaste par l’académicien prend cette fois une tournure aussi problématique sur le fond que sur la forme. J’ignore si Alain Finkielkraut pense réellement ce qu’il dit (auquel cas c’est un salaud) ou si son propos est juste approximatif (auquel cas c’est un imbécile), mais j’en arrive à me poser la question des motivations réelles de Finkie pour oser de tels propos à la télévision. Et je suis certain, en tout cas, que l’antisémitisme latent qui travaille la société française sort renforcé de ce moment de télévision, car la camaraderie confessionnelle reste l’une des dernières hypothèses vraisemblables permettant d’expliquer un tel dérapage.

    Avec un tel avocat, Polanski n’a plus besoin d’ennemis. Ses amis suffisent largement à le desservir.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Enzo33 : je fréquente en ligne ou ailleurs des gens de plusieurs familles idéologiques, car ça ne me stresse pas trop de ne pas être d’accord avec tout le monde (mais j’essaie de comprendre le point de vue de chacun). Je fréquente ainsi quelques personnes appartenant au milieu néo-laïcard actuel, qui est capable de faire tout un pâté pour un foulard, qui est extrêmement et à juste titre concerné par le retour de l’antisémitisme et qui a effectué une migration émotionnelle (plus qu’idéologique) depuis la gauche mitterrandienne touche-pas-à-mon-pote vers une droite que je n’arrive pas à ne pas trouver xénophobe. Eh bien chez ces gens, la défense de Polanski semble être un enjeu, jusqu’à dire de grosses bêtises, comme de minimiser ce qu’est un viol, de le reprocher à sa victime ou à sa mère, etc. C’est pour une amie qui appartient à ce petit monde que j’ai écrit cet article, mais c’est peine perdue, elle y a répondu sans le lire, car ce n’est pas spécialement la justice qui l’intéresse, c’est désormais une question de camp…

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