#telAvivSurSeine

J’ai posté plein de bêtises ces derniers jours, alors redevenons sérieux.
Je ne me suis pas trop intéressé à la polémique entourant la manifestation « Tel Aviv sur Seine », mais j’ai fini par le faire en lisant un étrange article qui affirme que le battage médiatique autour de « Tel Aviv sur Seine » est artificiel et a été sciemment provoqué par un groupuscule d’utilisateurs de Twitter qui ont utilisé la technique dite « de l’Astroturfing »1 afin de sembler constituer une masse innombrable alors qu’ils n’étaient, selon les estimations de l’auteur, qu’une dizaine de milliers, parfois arrivés sur Twitter récemment, et souvent liés les uns aux autres par leurs idées politiques — ce qui n’est pas vraiment rare sur Twitter ! J’ai trouvé cette manière de disqualifier l’opinion un peu légère : dix mille personnes, ça me semble plus légitime en tant que mouvement spontané que les polémiques auto-engendrées autour d’une petite phrase par deux ou trois journalistes qui lui donnent une existence en prétendent se contenter de la rapporter. L’auteur de l’article est un chercheur de l’Université de Louvain : est-ce que les tensions autour d’Israël sont moins exacerbées en Belgique qu’en France, pour que cette personne n’arrive pas à imaginer l’effet produit par « Tel Aviv sur Seine » un an seulement après une guerre à Gaza ?

Afin de concurrence Tel Aviv sur Seine et d'améliorer l'image

Afin de concurrence Tel Aviv sur Seine et d’améliorer l’image quelque peu négative dont pâtit l’État Islamique, je propose de lancer une manifestation nommée Mossoul à la Mer de sable
Oui, je sais, c’est vraiment de très mauvais goût mais j’ai pas pu m’empêcher.

Pour ceux qui liront cet article dans trois mois, quand tout sera oublié, je résume : dans le cadre de « Paris-plage », la mairie de Paris a eu l’idée incongrue de nouer un partenariat  culturel avec une ville qui pour certains est une simple station balnéaire méditerranéenne, pour d’autres la ville moyen-orientale de la nightlife musicale, arty, gay-friendly, anti-Likoud, moderne,… et pour d’autres encore, la capitale d’Israël2.
Il paraît que le but de l’opération était de redorer l’image d’Israël, un nom que l’opinion publique associe surtout à des conflits territoriaux et qui a donc bien besoin de changer d’image publique. Je dois l’avouer, même si je sais que ce pays est bien d’autres choses que ça, ma catégorie mentale « plage + Israël » ne convoque pas des images de vacances, de baraques à falafels, de fête et de tolérance, mais juste le souvenir des quatre enfants morts il y a un an sur une plage de Gaza où ils jouaient3, et où ils ont été victimes d’une frappe aérienne de Tsahal, qui au même moment vantait l’humanité et la précision de ses attaques : seules les cachettes des combattants adverses étaient visées, et lesdits combattants avaient tout le temps de se mettre à l’abri puisqu’ils étaient prévenus à l’avance des bombardements grâce à des coups de téléphone, des SMS, des tracts, et, pour finir, des sommations explicites à coup de bombes assourdissantes. Des précautions pour minimiser les pertes civiles qui, selon le site officiel de l’armée israélienne, je cite, « prouvent le déséquilibre moral entre Tsahal et le Hamas ». Il y a une certaine poésie dans cette fable absurde d’une armée qui dirait à ses cibles de se pousser un peu pour qu’elle puisse bombarder l’endroit où ils ne seront plus. Mais ce n’est pas une forme de poésie très sympathique, car forcer les gens à se positionner vis à vis d’une absurdité, c’est aussi les forcer à choisir un camp en court-circuitant leurs capacités cognitives, en se situant par-delà la logique, en fonction de ce en quoi ils ont envie de croire pour rentabiliser leurs investissements affectifs4. C’est ce que font presque invariablement les religions, les partis politiques, les armées et les nationalismes5 : imposer à ceux qui s’y rallient d’abdiquer une part considérable de leur intelligence en échange de l’illusion de disposer de la force du nombre — illusion puisque si le nombre est puissant, c’est en supprimant la volonté propre de ceux qui le constituent. Autour de la question d’Israël, la chose se pose de manière assez terrifiante, lorsque quelqu’un qui a des attaches en Israël vous soutient que les Palestiniens qui meurent l’ont fait exprès pour se faire plaindre et qu’ils méritaient donc bien les bombes qu’ils ont reçues. Et on s’étouffe aussi lorsque la même personne vous explique que toute critique d’Israël est forcément antisémite, que ce soit consciemment ou pas6, et quand bien même on serait juif soi-même, ce qui constituerait alors au mieux une démonstration de haine de soi, et au pire, une trahison des siens.

à gauche, l'avocat Arno Klarsfeld  Photos Louis Witter / l"Obs"

À gauche, l’avocat Arno Klarsfeld, connu pour s’être brièvement engagé dans l’armée israélienne, comme garde-frontière, profite de l’événement pour exhiber ses pectoraux. À droite, une militante de la cause palestinienne
Photos Louis Witter / l »Obs »

Ces questions sont tristement banales, bien connues, chacun a son propre avis (ou en tout cas ses réflexes) à leur sujet, alors je me dis à présent que « Tel Aviv sur Seine » n’est pas une manifestation idiote qui aurait provoqué de l’hostilité en tentant maladroitement une opération de communication destinée au contraire à se faire apprécier. J’ai peur qu’elle n’ait un but bien plus cynique, qui semble avoir été en partie atteint : forcer les gens à se positionner, à être pro-Israël ou anti-Israël, et notamment à pousser encore un peu plus les Français juifs à croire qu’ils sont haïs dans le pays dont ils ont la nationalité, et à les convaincre qu’il faudra bien un jour qu’ils le quittent pour aller vivre en Israël, censément refuge pour tous les juifs du monde. Et en face, bien sûr, les pro-palestiniens se mobiliseront contre ce qu’ils jugeront être une provocation obscène, renforcés dans cette idée par les gens (nombreux ou alors bien médiatisés, je ne saurais dire) qui se rendent à Paris-plage pour manifester leur soutien non seulement à Tel Aviv sur Seine, mais à la politique israélienne actuelle en général.

Est-ce que ça a fonctionné sur toi, ami lecteur ? Est-ce que ton niveau de peur de l’avenir ou de détestation de ce qu’on te présente comme camp adverse a augmenté ? Est-ce que tu t’en moques ? À chacun de se poser ces questions à lui-même.

  1. Astroturf est en fait une marque américaine de pelouse artificielle. J’ignorais qu’il existait un mot pour désigner le phénomène. Effectivement, les moyens d’expression en ligne permettent de créer des effets de groupe qui s’avèrent factices, mais je ne suis pas certain que la méthodologie mise en œuvre par Nicolas Vanderbiest pour révéler et étudier le phénomène tienne vraiment la route. []
  2. Sauf pour… Israël, qui revendique Jérusalem comme sa capitale. []
  3. Manque de chance, la tragédie s’est déroulée à deux cent mètres d’un hôtel où séjournaient de nombreux journalistes dont beaucoup ont assisté à la scène et se sont même occupé des enfants blessés. Ils étaient trop impliqués, trop directement témoins pour accepter de croire, cette fois, que les enfants en question avaient été placés là exprès pour devenir des martyrs. []
  4. J’entends par là que choisir une position qui n’est pas celle du camp que l’on a choisi a un coût : risque de rupture au sein de la communauté à laquelle on s’identifie, ou, à titre plus individuel, disparition d’une partie des fondations de sa vision du monde. []
  5. Je ne suis pas naïf, je sais bien que les compromissions avec sa propre intelligence sont indispensables à la vie en société, et je constate en m’observant moi-même que la décision fonctionne souvent comme un interrupteur, et particulièrement dans les cas d’indécision. Pour rester intelligent et juste, il faudrait, à chaque instant s’en souvenir et résister aux automatismes culturels et affectifs. Mais la seule rétribution certaine de l’intelligence est la solitude, car chacun a besoin de s’assurer du soutien et de la fidélité de ceux qui l’entourent plutôt que de leur sens de la justice et de leur sagacité. []
  6. C’est commode, l’inconscient : comme Dieu on peut lui faire dire un peu ce qu’on veut, mais en plus, en faisant douter la personne de ses propres sentiments et intentions. []

6 réflexions sur « #telAvivSurSeine »

  1. Axonn

    « J’ai peur qu’elle n’ait un but bien plus cynique, qui semble avoir été en partie atteint : forcer les gens à se positionner, à être pro-Israël ou anti-Israël […]. »

    Réponse courte : non. Mais comme je t’aime bien, je développe pour pas laisser une réponse brutale.

    Je vais le faire en commentant des extraits choisis : « étrange article qui affirme que le battage médiatique autour de « Tel Aviv sur Seine » est artificiel et a été sciemment provoqué par un groupuscule d’utilisateurs de Twitter qui ont utilisé la technique dite « de l’Astroturfing » »
    Là-dessus, je suis d’accord. Une dizaine de milliers, c’est pas rien, et on ne peut assimiler les adhérents à des bots. La polémique a tout simplement été lancée par des militants dont les abonnés sont des militants. Twitter étant déjà vieux, les twittos se connaissent maintenant, et se sont regroupés par affinités (il y a une forte corrélation entre antisionisme et gauche radicale). Donc cela n’a rien d’une manipulation, sauf si on appelle manipulation toute mobilisation utilisant des partis politiques ou syndicats comme en étant aussi une (si on croit en la démocratie, on n’a pas le droit de rejeter l’avis d’une foule quand ça nous arrange en disant « ça compte pas ils sont manipulés »).

    Quant à la motivation de cet étrange article… simplement la fierté de prétendre être celui qui démonte une manipulation, alors qu’il n’y a qu’une action logique. Une peu le reproche que je vais te faire.

    « la mairie de Paris a eu l’idée incongrue de nouer un partenariat culturel avec une ville qui pour certains est une simple station balnéaire méditerranéenne, pour d’autres la ville moyen-orientale de la nightlife musicale, arty, gay-friendly, anti-Likoud, moderne,… et pour d’autres encore, la capitale d’Israël. »

    Personnellement, je ne vois pas trop pourquoi c’est au reste du monde de dire où se trouve la capitale d’Israël. Le gouvernement détesté ne siège pas à Tel-Aviv.

    Mais pour moi, le vraie raison de la manifestation se trouve ici : la gauche israélienne, se sentant assiégée (Bibi indéboulonable, la situation internationale qui semble lui donner raison…), se cherche des amis à l’étranger pour se redonner du courage, et aussi pour pouvoir dire aux électeurs « avec la gauche au pouvoir, nous aurions bien plus d’amis à l’international ». L’amitié Paris-Tel-Aviv est juste une alliance entre régions défendant des valeurs communes (celles de la gauche des grandes villes), indépendamment de la couleur du gouvernement du pays.

    C’est au contraire la protestation qui renforce le côté binaire : « nous sommes les Israéliens de gauche !
    – Vous êtes israéliens. Donc on vous déteste. »

    Logique de punition collective cohérente avec le fait que BDS ne veut pas d’une Israël moins dure envers ses voisins, mais ne veut pas d’Israël du tout. Mais à mon avis contre-productif : il faudrait des moyens TRÈS supérieurs pour contraindre Israël à cesser d’exister en tant qu’État Juif. Pour moi favoriser l’arrivée de la gauche au pouvoir serait plus utile. Parce que là, ce sont les DÉTRACTEURS de Tel-Aviv sur Seine qui confortent la vision binaire de Nétanyahou !

    « Je dois l’avouer, même si je sais que ce pays est bien d’autres choses que ça, ma catégorie mentale « plage + Israël » ne convoque pas des images de vacances, de baraques à falafels, de fête et de tolérance, mais juste le souvenir des quatre enfants morts il y a un an sur une plage de Gaza où ils jouaient. »

    Tout pays considère ses actes envers l’extérieur — surtout mauvais — comme une part mineure de ce qu’il est ! Un Néo-Zélandais définira peut-être la France comme testeur d’armes nucléaire assassin de militants pacifistes.

    Pour moi une initiative visant à limiter cela est toujours bonne à prendre.

    « Et on s’étouffe aussi lorsque la même personne vous explique que toute critique d’Israël est forcément antisémite, que ce soit consciemment ou pas »
    Même si je suis d’accord que les défenseurs d’Israël abusent de cette accusation, quelques remarques :
    – les antisionistes de gauche radicale ont souvent fait preuve d’indifférence face à l’antisémitisme de leurs alliés : pour eux comme c’est à cause d’Israël que l’antisémitisme ressurgit, ils n’ont pas à agir contre (je rappelle que c’est pour se protéger de l’antisémitisme des européens qu’Israël a été créée).
    – il ne suffit pas de se dire non-antisémite pour l’être. Celui qui dans un discours à charge Israël utilise les expressions « lobby pro-Israël » et « lobby Juif », qui exige que les Juifs de France se désolidarisent d’Israël, est antisémite. Je ratisse pas large : pour être vraiment safe vis-à-vis des Juifs, il faut, par exemple, s’assurer qu’une caricature sur Israël ne reprend pas des tropes antisémites (fréquent chez Plantu).
    – enfin, ne vous mêlez pas de débats publics si vous faire traiter de nazis par 3 twittos extrémistes vous effraie.

    Donc en conclusion, oui cet événement n’a fait que renforcer la polarisation en France sur la question d’Israël. Mais surtout à cause des protestations. Et je ne pense pas qu’ils aient mordu à un hameçon jeté dans ce but.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Axonn : sur Tel Aviv, apparemment, accepter Jérusalem comme capitale d’Israël est impossible pour certains, j’y suis pour rien, hein !
      Je suis d’accord sur le fait que, en soi, prendre Tel Aviv comme symbole de résistance à l’Israël de Netanyahu est recevable, et qu’il faut toujours rappeler qu’il existe en Israël une gauche, une extrême-gauche, et, à droite aussi sans doute, une multiplicité de visions de l’avenir du pays. Mais ma question, celle qui motive cet article, c’est de savoir si ce but noble pouvait être atteint, et, comme je pense que non, s’il n’était pas idiot (au mieux) et sciemment nocif (au pire) de lancer cette opération. Depuis des années, tout est fait pour polariser la question : il y a vingt ans je me souviens de militants pro-palestiniens qui disaient « je suis sioniste, au sens où je défends le droit d’Israël à exister », mais ça ne me semble pas un discours très fréquent. Et tu remarqueras qu’il n’y a pas que l’utragauche antisioniste plus ou moins trépanée qui est venu manifester à « Tel Aviv sur Seine », il y a aussi les gens qui défendent le sionisme au sens le plus négatif qu’a à présent ce terme.
      De mon côté, je me moque de l’événement en lui-même, mais pas de ce qu’il provoque ou ce à quoi il peut servir.

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  2. Noussa

    Pour ma part, non, l’évènement n’a pas pour but à forcer les gens de se positionner. Je ne suis pas très convaincue par l’idée d’une sorte de motivation occulte derrière le but affiché.

    Je pense que c’est bien plus grave que ça, en fait: que la mairie parisienne organise un « Tel Aviv sur Seine », avec peut-être même la sincère intention de n’y voir rien d’autre qu’un partenariat culturel avec une ville sympatoche quand on est né du bon côté du Mur de séparation, c’est de l’ignorance et/ou du mépris profond de ce qu’est un état d’apartheid et de colonisation. Réussir à dissocier Tel-Aviv et Israël, c’est avouer à demi-mot n’avoir rien appris depuis son propre passé colonial: les systèmes de colonies et de ségrégation raciste ne sont pas du fait d’une petite poignée ultra-extrêmiste (même très active), mais d’une majorité tiède coopérante qui faillit à voir des inconvénients à ces systèmes dont elle remporte directement ou indirectement les dividendes. Je pense qu’il y a une certains paresse intellectuelle à refuser de voir la place que prend Tel-Aviv dans le système global de soumission et d’exclusion des Palestiniens et à vouloir contribuer à normaliser son image. Quant à la gauche anti-Netanyahou que représenterait Tel-Aviv, rappelons juste la quasi-unanimité parmi les partis politiques israeliens sur l’attaque de Gaza… s’il y a des partisans de paix en Israel (et il y en a bcp, comme les groupes gauchistes B’Tselem!) c’est aller un peu vite en besogne que de dire que les autorités locales de Tel Aviv agissent particulièrement pour la paix…

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  3. Kim

    « Logique de punition collective cohérente avec le fait que BDS ne veut pas d’une Israël moins dure envers ses voisins, mais ne veut pas d’Israël du tout. Mais à mon avis contre-productif : il faudrait des moyens TRÈS supérieurs pour contraindre Israël à cesser d’exister en tant qu’État Juif. Pour moi favoriser l’arrivée de la gauche au pouvoir serait plus utile. Parce que là, ce sont les DÉTRACTEURS de Tel-Aviv sur Seine qui confortent la vision binaire de Nétanyahou ! »
    Quelle gauche au pouvoir ? Celle de Livni ? Celle des travaillistes ? Ils n’ont rien accompli de positif depuis des décennies. Les « gens de bonne volonté » ont toujours existé, qu’ils soient cubains, sud-africains, irakiens ou iraniens. Cela n’a jamais empêché de les punir collectivement quand nos Etats jugeaient leur représentation politique comme transgressant les demandes de la communauté internationale. L’appel au status quo, à la prière (peut-être que la gauche va passer au pouvoir, et peut-être que comme par magie elle fera autre chose que ce qu’elle a fait par le passé) me semble bien faible face à la situation des Palestiniens (enfin, on sait que toutes les urgences ne s’équivalent pas, quand on parle de politique étrangère). BDS n’a jamais appelé à la disparition d’Israël, une partie du mouvement est pour un Etat multi-ethnique, ce qui est peut-être discutable mais n’est pas un appel à jeter les Israéliens à la mer, tout de même. Répéter des mensonges ne fait que polluer le débat…

    « Celui qui dans un discours à charge Israël utilise les expressions « lobby pro-Israël » et « lobby Juif », qui exige que les Juifs de France se désolidarisent d’Israël, est antisémite. »
    Tout à fait d’accord avec la dernière partie de la phrase : l’appel à la désolidarisation, si fréquent depuis quelques années (de la part des propalestiniens, mais aussi de la part de la droite et de la gauche libérale face au terrorisme islamiste), est odieux. Il est autoritaire, désignant un bouc émissaire qu’on a désigné coupable d’avance – puisqu’on l’invite à se disculper – tout en prétendant qu’on le fait « pour son bien ». C’est malheureusement une des conséquences de l’ethnicisation des débats depuis bientôt quarante ans et particulièrement depuis le 11 septembre. Et votre affirmation qu’il serait tout aussi antisémite de parler de « lobby juif » que de « lobby pro-israélien » nous enfonce toujours dans la même logique : les lobbys pro-israéliens existent : l’AIPAC aux Etats-Unis, le CRIF en France (qui, lui aussi, fait s’équivaloir « représentation des juifs de France » et « défense de la droite dure israélienne »), ce sont des acteurs du jeu politique tout à fait officiel, exercant non pas une influence « cachée » ou « sournoise », comme le prétendent les antisémites, mais faisant du mieux qu’ils peuvent pour infléchir les politiques publiques dans le sens qui convient à leurs intérêts (comme le font les agriculteurs, les banquiers ou les notaires). Alors que l’expression « lobby juif », antisémite, désigne une cinquième colonne cachée qui corromprait nos gouvernements français, de l’extérieur, désignant par là l’ennemi dont il faut se débarrasser. Alors que le lobby pro-israélien ne se réduit pas du tout à des personnes de confession juive, mais regroupe aussi une partie de la gauche et de la droite française, les néoconservateurs américains, le gouvernement égyptien, etc. Je sais que le mot « lobby » est très connoté « extrême-droite », mais la réalité qu’il désigne n’est ni honteuse, ni fausse, ni illégale : ce sont des « groupes de pression » ou « d’influence » tout simplement, dont l’un des outils peut être (mais n’est pas forcément) l’argent.

    Tant que ne s’arrêtera pas ce confusionnisme général (juif = israélien, arabe = terroriste, sionisme = Nétanyahou), j’ai bien peur que vos gens de bonne volonté ne pourront rien faire pour stopper cet engrenage…

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    1. Axonn

      En fait je me suis planté : je voulais dire « Celui qui dans un discours à charge Israël utilise les expressions « lobby pro-Israël » et « lobby Juif » DE MANIÈRE INTERCHANGEABLE ». Je n’ai absolument rien contre ces groupes de pression. Simplement, ceux qui pensent que c’est équivalent sont au mieux des ignorants de l’engagement démocrate des Juifs américains.

      « BDS n’a jamais appelé à la disparition d’Israël, une partie du mouvement est pour un Etat multi-ethnique, ce qui est peut-être discutable mais n’est pas un appel à jeter les Israéliens à la mer, tout de même. »
      Cela signifie qu’Israël ne pourrait plus s’appeler comme ça, donc oui, j’appelle ça faire disparaître le pays. En prenant en compte le droit au retour, cela signifie aussi fait des actuels Juifs d’Israël une minorité dans un pays dominé par un groupe qui aura une forte rancune contre eux. Et pour le « jeter les Israéliens à la mer », pas si difficile que ça de trouver des antisionnistes appelant à expulser vers l’Europe tous les Israéliens.

      Que le continent historiquement le plus antisémite du monde appelle à retirer aux Juifs la souveraineté qu’ils ont dans leur seul sanctuaire, je comprends tout à fait que ça les fasse paniquer.

      Et je n’ai pas mentionné une seule fois le préjugé « arabe = terroriste », puisque je dis bien qu’historiquement, ce qu’il y a de plus danereux au monde pour les Juifs, ce sont les Européens.

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      1. Kim

        Tout à fait d’accord quand vous dites que le continent historiquement le plus antisémite ne peut pas décider unilatéralement du sort des Juifs. Et je vous suis quant à la prudence à avoir dans le combat pour la paix en Israël : la nébuleuse antisioniste est effectivement inquiétante : pour certains, un fond de vieil antisémitisme européen (les Soral & Cie), pour d’autres, seulement le ressentiment face à ce qu’ils perçoivent comme un « statut privilégié » des Juifs (Dieudonné, la Nation of Islam aux Etats-Unis, etc). Mais le BDS est avant tout un mouvement palestinien, et même s’il est très insulté par les médias en ce moment, Omar Barghouti est loin d’être un antisémite. C’est bien sûr aux Palestiniens et aux Israéliens de décider de la façon dont peut être mise en place une cohabitation viable, mais ce serait idéaliste de penser que les conditions pour qu’une telle négociation puisse se faire aujourd’hui, et que la communauté internationale n’aurait pas de rôle à jouer.
        Pour le droit du retour, c’est compliqué, mais une résolution de l’ONU a été votée en ce sens en 1948, ce n’est donc pas illogique que les Palestiniens l’exigent. Personnellement (mais je ne suis ni israélien ni Palestinien, donc ma parole ne vaut pas grand chose) ça me paraît effectivement difficile, mais je dirais qu’une des conditions pour que les Palestiniens lâchent cette demande serait que soit également annulé le « droit au retour » des Juifs du monde entier, qui peuvent devenir du jour au lendemain des citoyens israéliens, et dont l’afflux depuis trente ans (les Russes notamment) ne fait que repousser toujours plus loin la perspective de la paix.
        Sur la question du lobby, je suis d’accord, en ajoutant que les lobbies eux-mêmes ne sont pas uniformes (aux Etats-Unis, l’AIPAC est à droite alors que J-Street est plutôt « libéral ») et que les lobbys arabes, du Golfe, existent aussi. Et que le problème n’est pas qu’ils existent, mais plutôt que le système de financement politique aux Etats-Unis est extrêmement dérégulé, ce qui fait que l’AIPAC peut financer des campagnes électorales de sénateurs sans que personne n’y trouve rien à redire (j’avais beaucoup aimé cet article à ce sujet : http://www.newyorker.com/magazine/2014/09/01/friends-israel ).

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