Talons

Je ne m’étais jamais demandé à quoi servaient les talons avant que mon prof de morphologie, Jean-François Debord, projette une diapositive d’une photographie prise par un de ses prédécesseur au début du XXe siècle. La photographie montrait une jeune femme, une australienne, si je me souviens bien, pieds nus et en bottines. La jeune femme avait la beauté d’avant la grande guerre, aux formes nettement plantureuses, et cela rendait le contraste entre les deux clichés plus fort encore. Mais sur une jeune femme svelte, comme Sylvia, qui a eu la gentillesse de m’envoyer ces photos (photographe : Gilles), l’effet est le même :

On voit tout de suite que le corps change complètement de forme. Les jambes se tendent et se galbent, les fesses remontent, le dos et le ventre se creusent, la cage thoracique part en arrière, faisant pointer les seins vers le haut. Cela ne se voit pas sur la photo, mais le port de tête change aussi et devient plus altier.
En dehors du maintien, on remarque que tous les caractères féminins sont exacerbés : taille, poitrine, hanches, fesses. J’ai tenté de le montrer par le dessin. Le résultat est approximatif mais on voit que les directions du corps sont modifiées et provoquent une attitude de séduction, de tension musculaire et de dynamisme, le corps est plus élancé et plus « sthénique » :

Le talon n’est donc pas qu’un simple élément de costume, il est un caractère sexuel tertiaire qui met en valeur et exagère les caractères sexuels féminins. Le prix à payer est élevé : risques de chutes, inconfort du pied — inconfort au point que certaines femmes se font injecter de disgracieux coussinets de silicone dans les pieds pour que ces derniers s’adaptent aux mieux aux souliers à talons vertigineux, on appelle ça le « loub job », en référence au chausseur Louboutin.
Pour compléter ce genre d’analyse, on pourrait regarder ce que donne le corps en mouvement, sur des talons, et ce que ça modifie à la démarche, et comparer différentes tailles de talons et différent types de souliers.
Il est intéressant de voir que le soulier, sans parler de la hauteur du talon, est souvent dessiné pour rappeler et donc pour souligner le galbe et la tension qu’il donne au corps entier.

(On m’a promis d’autres photographies, je les publierai plus tard. Lectrices, n’hésitez pas à m’en envoyer à jnlafargue chez gmail point com)

Le gonflement des lèvres

La bouche des femmes gonfle, dégonfle et se teinte en fonction du taux d’œstrogènes secrété par leur organisme. C’est ce qui explique que les lèvres se rident, s’affinent et se décolorent fortement après la ménopause. Les lèvres constituent donc un caractère sexuel secondaire qui indique le degré de fertilité de leur propriétaire, degré qui culmine logiquement au moment de l’ovulation et retombe à une valeur très basse autour du début des règles ou en cas d’utilisation d’une pilule contraceptive.
Pas difficile de comprendre qu’un maquillage rouge « gonflant » de la bouche  sert à exagérer ce caractère sexuel, tout comme le font les procédés de chirurgie esthétique : implants de fibre gore-tex ou collagènes, injections d’acide hyaluronique, etc.

(ci-dessus : photographies empruntées à une clinique de chirurgie esthétique et montrant l’état de la bouche avant et après intervention. Ci-dessous : la fiancée et la mère de « Giusepe » dans l’émission « Qui veut épouser mon fils »)

En toute logique, les travestis et les personnes transsexuelles recourent au même artifice et se dotent de bouches qui crient « je suis fertile ! » (ci-dessous, des travestis et des femmes trans1 trouvés grâce à ces mots-clés sur Google Image)

Il est assez émouvant et en même temps amusant de constater que le besoin de séduire, d’aimer et d’être aimé, est loin de s’arrêter à la logique de la reproduction, et qu’il est possible, pour arriver à ses fins sentimentales, de recourir à une certaine imposture (avec la complicité assumée de la personne séduite, en général), de simuler une fertilité biologique fallacieuse ou obsolète.
On peut se demander, par contre, quel est le rôle et l’effet des maquillages des lèvres qui ne sont pas rouges, mais rose pâle, bleu, vert ou blanc, par exemple. Purement décoratif ? Je n’ai pas d’hypothèse.

  1. Une femme trans est une femme qui, à sa naissance, a été assignée homme, et qui effectue ou a effectué une transition male-to-female par une ou plusieurs de ces étapes : vêtement, prise d’hormones, opérations chirurgicales, changement d’état-civil. []

Dimorphisme de la peau

Derrière le bronzage, derrière le phénotype (peau « noire », peau « blanche », peau « tannée »,…), derrière les pathologies (anémie, couperose, acné, ictère, albinisme, problèmes vasculaires), la couleur de la peau humaine est un caractère sexuel secondaire1. Cela signifie qu’un homme et une femme de même origine (un frère et une sœur par exemple) n’ont pas la même couleur (ni le même grain, d’ailleurs) de peau. Curieusement, les scientifiques n’ont sérieusement étudié ce dimorphisme pourtant flagrant que de manière assez récente. Les artistes, eux, l’on toujours représenté, parfois en l’accentuant de manière caricaturale, depuis les fresques de Pompéi jusques aux peintures de Klimt ou de Schiele. Chez certains peintres, la peau de l’homme tire plus vers le rouge, chez d’autres, vers une couleur caramel, ou vers du gris, et celle de la femme, vers un rose pâle, vers du jaune, du vert ou même, vers un blanc d’albâtre.

Je ne suis pas qualifié pour disserter sur le détail du phénomène biologique2, mais si mes souvenirs sont exacts les œstrogènes (hormones produites en grande quantité par les femmes et en bien plus petite quantité par les hommes) et la testostérone (hormone produite en bien plus grande quantité par les hommes que par les femmes) ont une influence sur l’apparence de la peau, et non seulement sur sa teinte, mais aussi sur sa « réflectance », c’est à dire sur la manière dont la lumière est absorbée/diffusée, ainsi que sur sa qualité et sans doute aussi son odeur (mais là j’invente !). De plus, le sang des hommes contient en moyenne plus d’hémoglobine que celui des femmes.

La couleur de la peau, déterminée sexuellement (les garçons ont plus de mélanocytes au mm²) évolue selon l’âge : les adolescents (filles et garçons) sont de plus en plus pâles à mesure qu’ils approchent de la vingtaine. La peau des hommes a ensuite tendance à foncer, tandis qu’elle reste pâle chez les femmes (bien que la pâleur soit moins forte à mesure que leur âge s’éloigne de vingt ans), particulièrement sur les bras, jusqu’à la ménopause, âge à partir duquel les couleurs de peau des hommes et des femmes tendent à se rejoindre à nouveau.

dimorphisme_melanine

Reste que la peau plus rouge et plus foncée peut être considérée comme un indicateur de virilité et la peau plus blanche (en fait plus verte) comme un indicateur de jeunesse et de féminité. Cela vaut autant pour des septentrionaux d’origine, roux à la peau naturellement très peu pigmentée, que pour des africains originaires de pays situés sous le Sahara, à la peau très foncée (car contenant des mélanosomes jusque dans les couches supérieures de la peau), et même si cela se perçoit de manière moins évidente sur la peau d’une éthiopienne que sur celle d’une écossaise, c’est aussi vrai pour l’une que pour l’autre.


Il faudrait faire une étude sérieuse pour le prouver pense que si de nombreuses femmes « noires » blanchissent leur peau à coup de produits dangereux qui inhibent la mélanine ou grâce à un travail de retouche-photo, c’est peut-être bien moins à cause d’un racisme émanant des photographes ou de leurs commanditaires ou à cause des complexes nés de cette situation et de l’histoire coloniale et post-coloniale que pour chercher à accentuer une apparence juvénile (ci-dessus, l’actrice et chanteuse Beyoncé).
Dans le même ordre d’idée, je pense que si Michael Jackson a ressenti le besoin de « blanchir » sa peau (photo de droite), c’était, sans forcément en avoir conscience, pour obtenir une figure féminine, adolescente, dénuée de testostérone. On remarquera que ce n’est pas l’option retenue par les sculpteurs du musée de cire de Madame Tussaud qui donnent à Michael Jackson une peau d’homme « blanc » (photo du centre) et restaure par ce fait une virilité apparente que, au risque de faire de la psychologie de bazar, le « roi de la pop » fuyait de toutes ses forces.

En Asie comme dans les pays Européens, la pâleur (toujours relative) de la peau des femmes a souvent été une valeur très prisée. J’ai déjà lu ici et là certains avancer que ça avait un rapport avec le travail : être pâle, c’est faire partie des oisifs, qui ne voient pas souvent le soleil, tandis que les gens qui travaillent aux champs ont, eux, une peau bronzée. Cette explication « aristocratique » est certainement en partie exacte, mais n’est pour le coup pas réservée aux femmes : dans les cours des XVII et XVIIIe siècle, les hommes poudraient parfois leur visage comme des geishas. On notera qu’à partir du début du XXe siècle, les oisifs ne sont plus ceux qui se cachent du soleil, mais ceux qui prennent des vacances, qui vont skier à Saint-Moritz ou à Gstaad et qui vont prendre des bains de mer à Biarritz, à Belle-Îsle ou à Antibes,… C’est à dire les gens qui bronzent.

J’ai pris au hasard la scène des échecs dans L’Affaire Thomas Crown (1968). On y voit assez clairement la différence entre les carnations de Faye Dunaway et de Steve McQueen : elle a la peau assez blanche — et plus encore la peau des bras, moins exposée au soleil, ce que je n’ai pas pris en compte, ne pouvant pas comparer avec les bras de McQueen —, tandis que son partenaire a une peau plus rougeâtre, plus foncée et même, ayant l’apparence d’être plus contrastée.
J’ai isolé les visages (hors cheveux, yeux et bouches) et j’ai réalisé un petit programme pour recenser les valeurs colorées présentes sur la peau de l’un et de l’autre acteur. La même gradation est présentée brute, puis en mettant isolant les valeurs rouges-magenta, puis en niveaux de gris. Chaque fois, la bande supérieure correspond à la peau de Faye Dunaway et celle du bas, à Steve McQueen. L’intérêt de ce choix d’acteurs est que Steve McQueen et Faye Dunaway sont tous deux blonds, descendants d’européens du nord, le dimorphisme ne résulte donc pas (ou pas trop) d’une variation locale, contrairement au cas de la plupart des couples hitchcockiens, par exemple.

On me fera remarquer que le plan est tourné en champ/contre-champ et que les deux acteurs ne sont pas soumis au même éclairage, ce qui fausse évidemment tout. Cependant la même observation peut être faite dans les conditions d’éclairage les plus variées. Il faudrait aussi cantonner l’observation à des zones diverses du corps : une joue, un front, un avant bras, n’ont absolument pas la même couleur (des peintres comme Courbet ou plus récemment Lucian Freud ont observé la variation des couleurs de la peau avec une minutie extrême). Je ne peux pas nier non plus qu’un photogramme extrait de film est d’une fidélité douteuse vis à vis de la réalité représentée.
Et même, on remarque très fréquemment que le chef-opérateur ou le metteur en scène s’arrangent pour que la différence des carnations soit accentuée par l’éclairage ou la mise-en-scène : la femme prend volontiers la lumière et l’homme reste dans l’ombre.

Le dimorphisme réel est donc souvent accentué par l’intervention des artistes.
Il est aussi accentué par le maquillage, qui augmente les contrastes sur le visage.

C’est ce qu’a cherché à prouver Richard Russell, du département de psychologie de Harvard avec l’image qui suit. Il s’agit d’un même visage androgyne (créé par le mélange d’un certain nombre de visages d’hommes et de femmes) et dénué d’indications sexuelles extérieures (cheveux, vêtements), représenté deux fois, mais avec un léger traitement informatique : l’image est plus contrastée à gauche qu’à droite. Or il est évident pour tout observateur que l’image de droite représente un homme et celle de gauche une femme. Autant que la couleur (l’image est ici désaturée, donc nous ne sommes pas influencés par le degré de rougeur), le contraste des traits du visage influence notre jugement quand au sexe apparent de la personne.

Pour Richard Russell, cela implique que le maquillage féminin habituel (accentuation de la bouche, du contour des yeux, des sourcils) sert à exagérer un caractère sexuel secondaire3.
Mon professeur de morphologie, Jean-François Debord, qualifiait le maquillage, les bijoux, les vêtements, de « caractères sexuels tertiaires », c’est à dire d’objets ou de comportements servant à mettre l’accent sur un caractère sexuel secondaire. Il paraît que cette notion est tombée en désuétude mais il me semble qu’elle reste utile.

On peut réfléchir au passage à l’attirance que les jeunes gens, et notamment les jeunes filles, éprouvent souvent pour la figure du vampire. Ou à certains masques, aux maquillages de certains chanteurs (à gauche : Klaus Nomi et Robert Smith) ou de certains personnages (Pierrot, le clown blanc,…), qui sont tous censés évoquer la pâleur anémique ou cadavérique, ou encore le caractère aristocratique « ancien régime » évoqué plus haut, mais aussi l’épiderme féminin.

Je n’ai pas la compétence scientifique qui m’autoriserait à pousser cet article très loin, mais il me semble qu’il y a matière à observation et à réflexion.

  1. Les caractères sexuels secondaires sont les détails physiques qui, sans avoir de rapport direct avec les fonctions de reproduction, sont caractéristiques d’un sexe plus que de l’autre — par exemple la graisse péri-ombilicale chez les femmes, les flancs gras (« poignées d’amour ») des hommes, etc.  []
  2. Pour être précis j’ai lu une longue étude scientifique canadienne qui faisait le point sur le sujet il y a des années, et qui faisait même l’historique de la question du point de vue des physiologistes et expliquait entre autres qu’on ne s’est soucié de ce dimorphisme qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle, mais je ne la retrouve pas bien que j’aie retrouvé de nombreux textes en rapport. Ami scientifique du dimanche ou du lundi, n’hésite pas à proposer des références sur le sujet en commentaire. []
  3. Richard Russel, A sex difference in facial contrast and its exaggeration by cosmetics, Perception #38, 2009.  Why Cosmetics Work dans The Science of social vision, éd. Oxford University Press, 2010.  []

Maquillage et compétence

Une étude commandée par la multinationale Procter & Gamble, spécialisée dans les produits d’hygiène notamment, établit que le maquillage influe sur la perception de l’intelligence et de la compétence. Quatre maquillages ont été testés : sans maquillage, un maquillage « naturel », un maquillage « professionnel » et enfin un maquillage « glamour » et ostentatoire.

Des photos neutres (sans expression particulière, éclairage constant, cadrage serré pour ne montrer ni la coiffure ni les vêtements) de vingt-cinq femmes différentes âgées de 25 à 50 ans ont été soumises à un échantillon de 280 adultes, dont 90 hommes, qui ont regardé chaque photographie pendant une durée d’un quart de seconde, pour un premier groupe, et pour une durée indéfinie pour un second groupe. Les personnes auxquelles ont été montrées les images devaient placer arbitrairement un curseur censé évaluer quatre qualités : l’attractivité, la sympathie, la loyauté/fiabilité et la compétence. Dans chaque cas, le maquillage léger ou professionnel semble faire paraître les femmes plus compétentes et plus fiables, mais le maquillage « glamour », tout en inspirant la compétence, fait perdre la sensation de fiabilité. L’étude émane d’un groupe de chercheurs en psychaiatrie, médecine, biostatistique et informatique de centres de recherches de Boston, et a été publiée le 3 octobre 2011.
On peut prendre connaissance de la méthodologie complète et des tableaux de résultats sur le site Plosone.