La main, le dessin

Charb est mort hier matin, mais depuis, pourtant, si je vois passer un de ses dessins, je ne peux pas croire qu’il n’y en aura plus jamais d’autre. Et autant avec tous ses collègues assassinés. Le dessin redonne toute sa vie à la main qui l’a tracé, à l’esprit qui l’a pensé, à l’humeur qui l’a motivé. Parce que le dessin, c’est le souvenir d’un geste, d’une personnalité, d’un regard sur le monde, de quelque chose de vivant. Le dessin est magique, son auteur ne meurt jamais vraiment, quand bien même on aurait oublié son nom pour toujours. Tous les arts sont magiques pour cette même raison, bien sûr : le temps de la lecture ou de l’écoute, un texte ou une mélodie font exister celui ou celle qui les a créés, mais le dessin, c’est encore autre chose, même un gribouillis, une rature (l’écriture manuscrite est aussi du dessin, après tout), ont ce pouvoir magique de témoigner que quelqu’un a été vivant.

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Bien sûr, ce n’est pas une si grande consolation.

« Je suis Charlie »

J’ai passé l’après-midi la tête vide, incapable de travailler vraiment (j’étais en cours, pourtant), regardant défiler sur Twitter, Facebook et Google news les nouvelles, les morts, pas confirmés, confirmés. Charb d’abord, puis Cabu, puis Wolinski, puis Tignous. Et plus tard encore, Honoré et Onc’Bernard. Et les autres, qu’on ne connait pas.
Sentiment d’irréalité : Cabu et Wolinski ! J’ai appris à lire dans le recueil 1975 d’Hara Kiri Hebdo. J’ai lu le Grand Duduche, et plus grand, Paulette. Je voyais Cabu dessiner le long nez de Dorothée tous les mercredis dans RécréA2. J’ai lu la Grosse Bertha, où est « né » Charb, qui était d’ailleurs pion dans le lycée de mon frère. J’ai été abonné à Charlie Hebdo. Même si je ne lisais plus Charlie qu’en vacances, épisodiquement, j’ai une histoire avec ces gens. Je ne suis pas le seul :

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Alors moi qui hais pourtant les manifestations, qui crains l’imbécilité de la foule, je suis allé place de la République, ce soir, et je l’ai fait sans douter une seconde de ce que j’y trouverais : des gens tristes, consternés, calmes, amicaux, qui veulent juste se tenir ensemble pour dire qu’ils sont nombreux face aux fascistes de tout poil qui rêvent de guerre civile.

En faisant un massacre dans les locaux de Charlie, ces gens, quels qu’ils soient, ont montré leur faiblesse : ils craignent qu’on rie d’eux, car ils sont ridicules. Ils demandent jour après jour qu’on respecte leurs divinités, leurs emblèmes, leurs drapeaux, leurs mythologies, leurs légendes idiotes, parce qu’ils s’abritent derrière ces gri-gris pour se faire croire à leur propre importance.
Continuons de les railler.

Le bouche à oreille

En décembre, j’ai fait passer un examen à mes première années au Havre. Un examen très détendu, pour lequel ils avaient le choix entre deux dates différentes. Et voilà qu’une m’écrit ce matin « je n’ai pas encore passé l’examen mais je ne peux pas venir aujourd’hui, qu’est-ce que je fais ? ». En creusant, elle m’apprend que d’autres étudiants « n’ont pas encore passé l’examen ».
Parfois, je dois avoir l’air trop détendu. Mais avec les premières années, c’est dangereux : ils sont encore un peu des lycéens, et donc pas encore capables de se prendre en charge. Et ça, avec moi, c’est dangereux : je suis encore un collégien, et donc pas du tout capable de prendre en charge qui que ce soit à sa place.

De manière générale, je suis toujours épaté par le bouche-à-oreille des étudiants, lesquels, au lieu de poser les questions directement aux enseignants, discutent entre eux jusqu’à ce qu’un consensus se dégage pour savoir si le prof est là, s’il y a rendu tel jour, si le sujet était bien ceci ou cela, etc. J’ai toujours l’impression d’avoir affaire à une forme d’intelligence autonome, créée par le groupe mais indépendante de celui-ci et qui finit toujours par penser que le prof a dit qu’il ne serait pas là ce jour-là et qu’on est donc dispensé de se lever.

Promenade littéraire

Suite de l’article précédent. Je suis allé voir ce que racontait le banc « promenade littéraire » qui se trouve face à la Bibliothèque Universitaire (et au parking).

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Le panneau présente Maylis de Kerangal, native du Havre, et contient un extrait de dix lignes d’un de ses textes, plus ou moins lié au lieu. On peut voir aussi un plan de la ville qui indique la localisation les autres bancs littéraires.

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Parmi les autres auteurs, on note Queneau (natif de la ville), Quignard (né dans la région), Sarte (qui y a enseigné) et Simone de Beauvoir (qui a failli épouser le précédent pour être affectée au Havre elle aussi, mais qui a finalement enseigné à Rouen), et autres écrivains ayant décrit Le Havre.

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Et puis bien sûr, il y a plein de logos (je vais me faire des amis). Je vois sur le site Internet que l’initiatrice du projet (qui, me souffle-t-on, n’a pas décidé de l’agencement, fort peu adapté à la lecture), est férue de littérature et de bancs, et donc sans aucun doute animée des meilleures intentions du monde. Mais pour ma part, je vois surtout ici la version « culturelle » du banc anti-SDF et je doute fort que personne, dans la chaîne de décision qui a abouti à cette forme, n’y ait pensé.

Littérature contre confort

Vu au Havre, ce banc dont la structure métallique contient la locution « promenade littéraire » ainsi qu’un pupitre sur lequel se trouve un texte. Je ne l’ai pas lu, j’ignore s’il parle du rapport qu’entretenaient Bernardin de Saint Pierre ou Raymond Queneau (les régionaux de l’étape) au parking qui se trouve en face1, ou s’il parle de Maupassant et de Flaubert, les écrivains emblématiques de la Haute-Normandie, il faut que j’aille y jeter un œil.

Notons qu’il n’est pas très pratique de lire un document qui se trouve à côté de soi et dont on ne peut pas changer l’angle d’orientation.

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Les moines avaient des théories sur l’inconfort de la posture du corps et la concentration du lecteur : si l’on souffre, on ne s’assoupit pas.

Ce pupitre central a sans doute surtout comme raison d’être d’empêcher que trois personnes se tiennent sur le même banc et bien sûr, d’interdire à celui qui voudrait le faire, pour se délasser ou pour ne pas dormir à même le sol, de s’allonger.

 

  1. Je suis un peu de mauvaise foi : le banc fait face à un parking, mais aussi à la bibliothèque universitaire. []

Les excuses

Qu’est-ce que j’ai pris en rentrant à la maison hier !

Alors à présent il faut que je m’excuse, donc. En effet, en quittant Twitter sur un mouvement d’humeur et à la suite d’une discussion houleuse, j’ai écrit ce qui était parti pour constituer mes trois derniers tweets :

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Le premier de ces trois tweets attribuait mon départ impulsif à mes amis de longue date Squintar et de très longue date Le_Woodman ainsi qu’à AlbertineP (que je n’ai en revanche jamais rencontré mais que je connais aussi sur Twitter depuis longtemps), et ce sur le ton « Vous êtes contents ? Vous avez eu ce que vous voulez ? » que toute personne qui a eu des frères et/ou sœurs, je pense, reconnaîtra. Ensuite, au fil des articles, je me suis calmé et j’ai fini par dire que j’étais parti non pas à cause d’untel ou de tel autre, mais à la suite d’un ras-le-bol plus général, plus profond, plus ancien. Lequel, finalement, ne m’a pas empêché de faire renaître mon compte Twitter de ses cendres virtuelles hier.

Alors bon, d’accord, je suis désolé d’avoir causé de la peine avec ces mots, même s’ils ont été évidemment prononcés dans ce but sur le coup, et je suis désolé s’ils ont attiré de l’hostilité à ceux qu’ils pointaient du doigt. Mais c’est comme ça, c’est avec les gens qu’on aime que l’on peut se déchirer, non ? Les autres, on s’en fiche un peu. Je suis très sincèrement désolé surtout d’avoir rendu public un e-mail à Squintar au moment même où je le lui envoyais en privé, car c’était complètement inapproprié et inélégant, quelles qu’aient été mes intentions en le faisant.

Vieux cours en ligne

Grâce à Archive.org, je retrouve avec plaisir un site que j’ai créé avec Nathalie en 1998, c’est à dire il y a seize-dix-sept ans, qui était intitulé La page de l’image numérique et des scanners. Il a été hébergé sur Mygale, Multimania, Altern et le serveur Arpla, à l’Université Paris 8. L’archive conservée ne contient pas toutes les images, car certaines se trouvaient sur un autre serveur que les pages HTML : à l’époque, l’espace disponible sur les serveurs était compté et il fallait trouver des astuces.

Au départ, ce site était un comparatif de scanners : les internautes étaient incités à nous envoyer des scans de timbres ordinaires, qui permettaient de comparer la précision optique mais aussi la qualité des rouges, qui différaient à l’époque beaucoup d’un scanner à un autre. Le protocole n’était pas très scientifique mais le résultat n’était pas dénué de sens pour autant.

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Peu a peu, le projet a évolué et est devenu un véritable cours : comment fonctionnent les scanners ? Qu’est-ce que la résolution ? Le pixel ? Comment travaille-t-on les niveaux d’une image numérique ? L’interface du site, dessinée au pixel près, s’inspirait de celle du logiciel Photoshop.

Ce site a eu du succès, en son temps. Un grand éditeur informatique, Eyrolles, m’a même contacté avec pour projet d’en tirer un livre, mais j’ai oublié de me rendre au rendez-vous que l’on m’avait donné et, trop embarrassé (et quelque peu irresponsable), j’ai aggravé mon cas en n’osant jamais recontacter la personne qui m’avait attendu en vain, pas même pour lui demander de m’excuser.

Les Poppys

Cette semaine, en guise de carte de vœux, Sncf-voyages fait chanter des tweets en rapport avec le voyage par la chorale des petits chanteurs d’Asnières. On aurait pu imaginer une version plus pêchue avec les tweets qui sont envoyés accompagnés de mots-clés comme #retardSNCF ou #greveSNCF, parions que des parodies viendront assez rapidement.
À l’image, les gamins sont habillés et peignés à la mode des années 1950, ou plutôt, d’années 1950 fantasmées, rendues propres et colorées, dans la veine de l’adaptation au cinéma du « Petit Nicolas » de Goscinny et Sempé — Sempé qui, m’a-t-on dit, considère avec déplaisir cette transposition qui range du côté de la nostalgie une œuvre qui voulait juste parler du quotidien et de l’enfance.

À propos de nostalgie, quand j’étais gamin, la chorale des petits chanteurs d’Asnières s’appelait Les Poppys :

poppys

Dans la veine « pop » de l’époque, où le christianisme n’était pas associé au nationalisme identitaire ou à la manif dite « pour tous », mais souvent au rêve d’un Jésus plus ou moins hippie, progressiste et tolérant, ils chantaient sur la guerre, la paix, le racismel’écologie, l’éducation sexuelle, mais aussi sur des sujets sans potentiel politique particulier. La musique, inspirée notamment de la comédie musicale « Hair » (dont les Poppys ont repris le titre Let the sunshine in), mais aussi des Temptations, était contemporaine et énergique. Et c’était bien.