Pushy

(Je décroche. Aucun son, c’est le petit blanc qui annonce qu’on est appelé par un call-center, ce que me confirme le léger accent du Maghreb de la femme qui me parle)

« — Monsieur Lafargue ?
— C’est ça. Mais je crois que je ne vais pas être intéressé.
— Vous croyez… vous croyez ce que vous voulez, mais monsieur Lafargue vous êtes intéressé !
— Je ne pense pas
— Je m’appelle… de la société… et j’ai de très bonnes nouvelles pour l’optimisation de votre contrat électricité
— Je vous confirme que je ne suis pas intéressé !
— Mais si, vous êtres intéressé ! Êtes-vous locataire ou bien propriétaire de votre logement ?
— Écoutez, je ne vais pas vous répondre.
— Ah ha ! Vous êtes propriétaire de votre logement, et c’est pour ÇA que vous êtes intéressé !
— Bon je raccroche.
— Répondez juste à cette question et ensuite c’est fini, est-ce que vous êtres propr… »

(shlong ! fait le combiné)

Fibre sans mobile

La fibre arrive dans ma rue. Enfin.
Mon actuel fournisseur d’accès m’avait démarché il y a quelques semaines dans des termes suspects et incohérents, dans le but, je suppose, de m’obliger à m’engager pour un an avant que la concurrence puisse me démarcher à son tour. J’étais intéressé, mais le commercial qui m’avait appelé semblait trop pressé pour être honnête.
Fait rédhibitoire, j’étais assuré de perdre mon numéro de ligne fixe.

Et puis ce matin, un conseiller Orange (concurrent, donc) est passé chez nous pour expliquer longuement l’offre qu’il pouvait proposer. Il a aussi laissé un papier avec son numéro de mobile dans la boite-aux-lettres, au cas où on perdrait le papier qu’il nous avait remis en mains propres. Et il en avait aussi glissé un dans une fente de la porte d’entrée. Un peu plus tard, une femme du service technique a appelé, elle aussi pour nous convaincre que c’était le bon jour pour s’équiper. Enfin, un troisième gars a lui aussi téléphoné, toujours pour la même raison et toujours avec le même employeur, ou presque : il a commencé par parler d’Orange, mais au fil de la conversation il s’est révélé appeler pour le compte de Sosh, la filiale discount d’Orange — ce qui expliquait une curieuse différence de prix et, ai-je compris ensuite, une différence de service.

 » — Quel est votre modèle de box actuel ?
— Je n’ai pas de box. J’utilise un simple modem ADSL.
— Ah. Mais vous n’avez pas Internet alors ? Pourtant vous m’avez donné votre adresse e-mail, plus tôt.
— J’ai Internet, j’ai Internet ! Je n’ai pas de « box » mais j’ai bien Internet. Enfin c’est pareil, une « box », c’est un modem, hein. Laissez tomber.
[soupçonneux] Mais vous recevez vos e-mails ?
— Ben oui, évidemment !
— Vous êtes sûr ?
— Mais oui ! »

J’imagine le gars qui, à la cantine, racontera a ses collègues qu’il a eu au téléphone un vieux sénile qui croit aller sur Internet sans box.

« — Vous recevrez une Livebox 4 alors, c’est le tout dernier modèle.
— Mais avec Sosh c’est pareil, non ?
— Oui mais là vous vous engagez un an. Avec Sosh vous pouvez résilier à tout moment.
— Et c’est moins cher.
— Oui, c’est moins cher.
— Mais quelle est la différence, alors ?
— La différence c’est que le débit est moins important
— Ah bon, eh bien je veux le meilleur débit, hein. »

Quand j’ai dit que je préférais payer plus cher pour un meilleur service, le conseiller a changé de casquette et est devenu un conseiller Orange.
Sans tout ce démarchage, j’avais en fait déjà choisi Orange, car même s’ils sont un peu chers, eux seuls me promettent que je conserverais mon numéro de téléphone. Quand on n’a pas de téléphone mobile, c’est quelque chose d’important.
C’est là qu’arrive le gag.

« — Bon, eh bien si vous me garantissez que je conserve mon numéro de téléphone fixe, je suis intéressé.
— Très bien, alors il faut que vous choisissiez un créneau horaire pour qu’un technicien vienne vous installer la fibre. Ça peut être jeudi 26 ou samedi 28.
— Euh bon, samedi 28 alors.
— Nous allons maintenant choisir votre point de retrait pour récupérer votre Box
[pourquoi diable est-ce que le technicien ne peut pas l’amener lui-même ?]
— Oulah, déjà ?
— « Ambonbons ».
— Hein ?
— « Sommeil et santé ».
— Excusez-moi je ne comprends pas bien…
— « Esso »… « O Pneu »… « Picard »… « Pressing de la gare »…
— Ah… D’accord, ce sont les points de retrait… Bon, eh bien Pressing de la gare, je vois où c’est.
— Bien. Maintenant, il me faudrait votre numéro de téléphone mobile…
— Je n’ai pas de téléphone mobile !
— …pour que le technicien puisse vous prévenir s’il y a un changement.
— Eh bien ils n’ont qu’à m’appeler sur le fixe, ou bien il suffit qu’il n’y ait pas de changement. Moi je serais là !
— Il va me falloir un numéro de téléphone mobile, alors.
— Mais je vous dit que je n’en ai pas, pas du tout. Aucun.
— Il me faut votre numéro de téléphone mobile afin de vous prévenir par SMS de toutes les étapes de l’expédition de votre box.
— Je n’ai pas de téléphone.
— Alors celui de votre fille [tiens, comment il sait que j’ai une fille ?].
— Ma fille part à Naples, ça n’a aucun intérêt qu’elle reçoive à Naples des SMS qui lui parlent de l’expédition d’un colis chez moi.
— Il me faut un numéro de portable pour pouvoir finaliser votre dossier.
— Je n’ai pas de moyen…
— N’importe quel numéro. Celui de quelqu’un que vous connaissez.
— Mais c’est absurde ! »

« — Garçon s’il vous plait je voudrais un café crème. Avec deux croissants
— je m’excuse monsieur nous n’avons plus du tout de croissants
— ah ben ça fait rien alors je vais prendre autre chose […] vous avez qu’à me donner un café nature, alors. Un café nature avec deux croissants
— je me suis peut être mal exprimé, je vous dis que nous n’avons plus du tout de croissants
— Là ça change tout, s’il n’y en a plus, forcément, je peux pas en avoir. Je vais prendre autre chose. Je vais prendre n’importe quoi. Du lait. Vous avez du lait ? Donnez-moi une tasse de lait. Avec deux croissants. « 

« — Je suis d’accord mais il faut que vous me communiquiez votre numéro de téléphone mobile s’il vous plait afin que je puisse finaliser votre dossier et afin de vous tenir au courant de l’avancement de votre dossier.
— Eh bien je ne sais pas, envoyez-moi des mails. Ou appelez-moi sur mon fixe. Mais je n’ai pas de téléphone.
— C’est très inhabituel de ne pas avoir de téléphone.
— Eh oui, il paraît.
— Il me faut votre numéro de téléphone mobile afin de finaliser votre dossier et de vous tenir au courant de l’arrivée de votre commande.
— Mais je vous dis que je ne peux pas vous donner un tel numéro ! »

[Nathalie, qui se trouvait à côté, a alors pris le téléphone et dit un peu plus énergiquement que moi que nous n’avions pas de téléphone mobile. Le conseiller a alors appelé sa supérieure qui a pu débloquer la situation. Elle m’a annoncé qu’elle m’envoyait un mail « récapitulatif ».

« — Vous avez bien reçu le mail ?
— Euh, attendez, attendez voir, non, pas encore.
— C’est très important, dès que vous le recevez il faut valider.
— Vous pouvez peut-être raccrocher, je verrai ça à tête reposée. Ah, voilà le mail, il arrive, je regarde, je clique… Oh… Euh… Apparemment je viens d’accepter un contrat ! « 


« — Oui, c’est votre accord, l’installation va pouvoir être mise en route. Je vous souhaite une bonne journée. »

J’ai légèrement l’impression de m’être fait forcer la main, presser par des gens qui ont sans doute plus besoin de moi que je n’ai besoin d’eux, mais avec un peu de chances, j’aurai la fibre dans quinze jours.

On va vous rappeler !

(le téléphone sonne)
« — Bonjour monsieur je m’appelle Stéphane, du service de nettoyage des vitres, est-ce que vous nettoyez vous-mêmes vos vitres ?
— Oui, je vous remercie mais je ne suis pas intéressé, je vous souhaite une bonne journée. »
(je raccroche)
(le téléphone sonne à nouveau presque aussitôt)
« — Bonjour monsieur…
— Vous m’avez déjà appelé !
— Oui, vous m’avez raccroché au nez !
—Tout à fait, et je recommence car je ne suis pas intéressé.
(élevant un peu la voix, sur un ton d’avertissement que j’ai senti presque menaçant) On va vous rappeler ! »
(je raccroche)
(j’attends)
(rien pour l’instant)