En kiosque cette semaine

Je sais ce qu’on peut me dire : de quoi je me mêle ?

Comment ça s’est passé ? Est-ce qu’il a découvert en même temps que nous sa tronche en plan rapproché sur la couverture, ou est-ce qu’il a eu son mot à dire, est-ce qu’il s’est assis autour d’une table avec des représentants de sa maison de disques pour choisir la meilleure photo ? Tout est possible, avec la presse. La seule chose certaine, c’est que la dernière fois qu’il a fait la couverture du magazine, visage en très gros plan, sourire timide et yeux de cocker malicieux, les ventes avaient battu des records, et on peut légitimement supposer que si la direction du journal a imposé cette image contre l’avis des journalistes de sa rédaction et au risque de provoquer un vrai malaise chez ces derniers, c’est en pensant aux ventes à venir.
Sur la photo de 2013, le gars semblait dire : « on a passé de bons moments, tu te rappelles ? Je peux revenir ? Je vais beaucoup mieux, tu sais ». Celle de 2017, prise comme une suite, semble dire « je suis fatigué, maintenant, ouvre cette porte, j’ai compris la leçon ! ».  Pathétique.
En 2021 est-ce qu’il se montrera en colère, un peu menaçant, avec l’air de dire que la plaisanterie a suffisamment duré ?
Geste d’humeur, acte manqué ou buzz orchestré, un employé du magazine a tweeté la couverture de la semaine en primeur, en y ajoutant une phrase que le chanteur n’a pas dite mais que la photographie semble signifier : « Dans toute cette affaire, la vraie victime, c’est moi… ». Le tweet, officiellement posté par accident, a été supprimé presqu’aussitôt.

Pas envie de voir sa tronche

La justice est passée, la peine est purgée. On dit que le gars « a payé sa dette », mais la bonne formule devrait être qu’il est « en règle administrativement ». Grand bien lui fasse. À présent, il doit gagner le pardon des autres. Mon fond chrétien — il faut bien que ça serve à quelque chose — me pousse à souscrire à la mythologie de la rédemption, mais sortir un disque pour donner aux Anglais des leçons à deux sous sur le Brexit, ça semble plutôt indécent et décalé qu’autre chose. Pour l’instant et pour longtemps, peut-être pour toujours, rien de ce que le chanteur pourra chanter ou dire ne me sera supportable. Pourtant je comprends bien qu’il n’a pas tellement le choix, il est chansonnier, c’est son métier, son talent, il doit avoir du mal à imaginer quoi faire d’autre. Si on me demande mon avis, je proposerais qu’il devienne pompiste en Alaska ou gardien de phare sur l’île Clipperton. Ou au moins, tant qu’à rester musicien, qu’il passe en coulisses, qu’il évite d’exposer son visage ou sa personne. Il pourrait par exemple écrire pour Michel Sardou, qui fait peut-être des chansons de con de droite sexiste mais qui au moins n’a pas la fin de l’existence de quelqu’un sur la conscience. Mais ça ne se passera pas, Sardou ayant eu la sagesse, lui, de prendre sa retraite.
Je n’éprouve pas de haine envers l’assassin de Marie Trintignant — quoique, en spectateur, j’aimais beaucoup cette dernière, sa voix grave, son œil un peu éteint, au point de redouter de revoir des films où elle apparaît —, je n’aurais aucune légitimité à éprouver un tel sentiment, mais les tentatives de come-back du chanteur provoquent chez moi une puissante et irrépressible bouffée d’irritation, parce que son envie de faire comme si tout était derrière lui me laisse la désagréable impression qu’il a été le premier à se pardonner, à s’absoudre, à vouloir effacer le passé, alors qu’il aurait dû être le dernier à le faire.

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