Deuxième mariage

Nous étions déjà une famille, alors à quoi bon demander au maire et au curé de nous le prouver ? Pour notre fille et sans doute pour plusieurs situations de la vie que nous n’avions pas encore rencontrées (les impôts, par exemple), nous savions que ce serait plus confortable. Lorsque ma sœur a décidé de sacrifier à ce rite, nous avons eu la drôle d’idée de nous incruster dans la fête et de nous marier en même temps qu’elle, ce qui permettait de mutualiser cérémonie, invités — puisque nous en avions beaucoup en commun — et restaurant. Après tout, c’était l’occasion d’une belle fête. Chaque couple s’était légalement marié dans sa mairie quelques semaines plus tôt, et nous sommes retrouvés le 2 avril 1992, il y a vingt-cinq ans aujourd’hui, pour un grand mariage.
Je ne me souviens plus de tout, je me souviens que Nathalie avait acheté sa robe chez Tati ; je me souviens que j’ai porté ce jour-là un costume pour la première et la dernière fois (prêté par Georges, notre témoin, dont c’était la tenue de concert), et je me souviens qu’en me voyant un peu habillé, une amie de mes parents a dit à ma mère, avec une franchise un peu grossière : « ah mais il est beau, ton fils, en fait ! » ; je me souviens de ma fille, assise avec mes parents, qui nous appelait dans l’église ; je me souviens qu’on avait lu un passage du Cantique des Cantiques ; je me souviens qu’on était intimidés et émus.
Il faisait très beau, comme aujourd’hui.

(photos : Stéphane Simonet)

La suite a été le moment le plus plaisant de toute la journée : un vin d’honneur dans le jardin de la maison familiale, arrosé de rouge et de blanc pétillant du Bugey. Nous nous sommes retrouvés pris dans une espèce de farandole d’amis qui voulaient chacun nous parler un peu, nous toucher. Je n’avais jamais vu certains d’entre eux jusqu’à ce jour, et il y en a que je n’ai jamais revus depuis. C’est cet après-midi là que le parrain de mon frère m’a conseillé de venir voir ce qu’il se passait à l’université Paris 8, où il enseignait et qui, me disait-il, était taillée pour accueillir des profils un peu atypiques tels que le mien. La soirée s’est passée au moulin d’Orgemont, sur la butte voisine de la nôtre. Ce lieu que les meuniers louaient pour des fêtes depuis la Renaissance est définitivement devenu un restaurant au milieu du XIXe siècle. Au centre de la grande salle, il y a un immense carrousel en bois datant de la fin de la Belle-époque. Je ne me souviens pas du menu mais je me rappelle avoir bien mangé. Nous avons pu consacrer plus de temps à chaque invité, et tout particulièrement à ceux de notre âge.

La nuit, fourbus, nous sommes rentrés nous coucher dans notre petit appartement. Là, Nathalie a découvert avec effroi que son épiderme avait radicalement changé de texture et ressemblait à la peau d’un crocodile. Ce n’était qu’une réaction allergique au satin de la robe premier prix, mais cette impressionnante manifestation physique nous a rappelé ces contes de fées où l’un des époux se métamorphose en une créature monstrueuse après la noce. Le lendemain, heureusement, le problème avait disparu.

2 réflexions au sujet de « Deuxième mariage »

    1. @Rose : oui ! Par contre nous venons d’apprendre avec surprise grâce à ce post et à la meilleure mémoire de ma mère que ce mariage n’a pas eu lieu le 2 avril mais le 11 ! 😀

Répondre à Jean-no Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *