L’évolution de la situation, minute par minute

« — … Donc tout de suite sur place nous retrouvons notre envoyé spécial Jean-Claude Molineau. Donc Jean-Claude vous êtes sur place, vous vous trouvez précisément dans la rue où ça s’est passé, vous me confirmez que c’est bien ça ?

—  Oui Richard, je suis dans la rue où le suspect a été arrêté par la brigade d’intervention ce matin à l’aube et c’est la cinquième fois que nous sommes en duplex pour que je vous le répète.

—  D’accord, donc vous êtes à l’endroit exact où ça s’est passé. Qu’est-ce que vous voyez dans la rue, qu’est-ce qu’il se passe ?

—  Là, je ne vois pas grand chose car je regarde en direction de la caméra. Derrière la caméra il y a le cadreur et derrière le cadreur il y a un mur. La caméra pointe vers l’immeuble où tout s’est passé, vous devez en voir beaucoup plus que moi juste derrière mon épaule. Si je vous bouche le champ je peux aller prendre un café pour que vous puissiez bien regarder.

—  Et donc vous ne pouvez pas vous approcher plus ?

—  Si je m’approche vous verrez mon visage en trop gros plan, ça fera vraiment bizarre à l’écran, croyez-moi. Le cadreur préfère que je reste à cette distance, quand je m’approche trop il fait un petit moulinet avec la main pour me faire comprendre que je dois reculer.

—  D’accord, et est-ce que vous avez parlé aux riverains, est-ce que vous avez des détails sur le déroulement des opérations ?

—  Oui, j’ai parlé à un voisin, il habitait l’appartement d’à côté et les policiers l’ont réveillé à cinq heures pour mener l’opération en passant par sa fenêtre, ils lui ont dit de sortir de chez lui. Il m’a raconté qu’il avait eu très peur.

— Donc il ne peut pas encore regagner son appartement ?

— Son appartement est encore réquisitionné pour les besoins de l’enquête. Comme il est resté en pyjama, il a été placé sous une couverture de survie, même s’il ne fait pas vraiment très froid.

—  Est-ce qu’il se doutait de ce qui se passait dans l’appartement du dessus ? Il connaissait ses voisins ?

—   Il connaît certainement une partie de ses voisins mais sans doute pas tous car c’est un grand immeuble. Je ne lui ai pas demandé son avis à propos de l’appartement du dessus, je lui ai juste demandé s’il se doutait de ce qui se passait dans l’appartement d’à côté, où a eu lieu l’intervention. Il m’a répondu qu’il ne se se serait jamais douté, qu’il n’aurait jamais cru.

—  Donc c’est un quartier calme, habituellement ?

—  Oui c’est un quartier très tranquille, il ne se passe jamais rien et d’ailleurs tous les riverains avec qui j’ai parlé m’ont dit que ça n’était jamais arrivé avant, qu’ils ne se seraient jamais douté, et donc, qu’ils étaient très surpris.

—  Bien, merci Jean-Claude, nous serons en duplex toutes les demi-heures pour connaître l’évolution de la situation au fur et à mesure, merci Jean-Claude. »

Fiche métier : Assistant parlementaire fictif

Nature du travail

Des tâches aussi variées que floues

L’Assistant parlementaire fictif n’est pas astreint à des tâches précises et doit, lorsqu’on l’interroge sur le sujet, savoir rester évasif et n’évoquer que des faits invérifiables, tels que l’assistance au tri des courriers importants, la relecture de discours, le visionnage d’émissions télévisées, l’accompagnement au restaurant ou le soutien moral.

Invérifiabilité

Faire régulièrement acte de présence à des événements officiels est important, quand bien même les témoins ne se rappelleraient avoir vu l’assistant parlementaire fictif que collé au buffet. Cela lui permettra, en cas d’enquête, de laisser entendre qu’il était, avec une discrétion qui confine à la modestie, en train de travailler : « tout en mangeant des olives, j’écoutais les conversations, je prenais le pouls de l’opinion ».

Compétences

Savoir faire preuve d’organisation

L’Assistant parlementaire fictif doit disposer d’un Relevé d’Identité Bancaire, qui permettra à son employeur de lui faire parvenir ses salaires. Si l’assistant parlementaire fictif doit rétrocéder une partie des sommes perçues au parlementaire, il devra tenir une double-comptabilité.

Ne pas avoir le goût du travail en équipe

« Pour vivre fictif, vivons caché », telle pourrait être la devise de l’Assistant parlementaire fictif. En effet, avoir des collègues non-fictifs peut causer des désagréments divers, tels que la jalousie et la rancœur : « pourquoi cette personne que l’on n’a jamais vu travailler est-elle payée dix fois plus que moi qui suis sur le pont cinquante heures par semaine ? ».

Faire partie de la France qui se lêve tôt

En cas d’enquête, les perquisitions peuvent commencer à 6:00 du matin. Savoir régler son réveil est donc une compétence indispensable à la profession d’assistant parlementaire fictif.

Entretenir des rapports distants avec la presse

On dit souvent que les journalistes sont les laquais du grand capital et les auxiliaires du pouvoir, mais il ne faut pas se fier à cette vision idyllique, certains se montrent au contraire soupçonneux et entêtés. Il ne faut donc pas leur parler, ni laisser leur parler toute personne parmi vos proches qui serait susceptible de les informer.

Lieux d’exercice

Un métier sédentaire

Le télétravail est à la mode : pour un assistant parlementaire fictif, nul besoin de se rendre à l’Assemblée, dans une permanence ou dans quelque autre lieu. On exercera cette profession depuis chez soi.

Le plus souvent en pyjama

En travaillent à domicile, on évite les frais de déplacement, mais aussi les frais de représentation : nul besoin de s’offrir des costumes ou des tailleurs, on peut rester en robe de chambre et en pantoufles toute la journée, quand bien même on serait censé exercer son activité d’assistant au parlement européen.

Accès au métier

Niveau d’études et cooptation

Le niveau d’études pour accéder au statut d’Assistant parlementaire fictif est variable. Ce sont avant tout les relations, et notamment les relations familiales, qui entrent en ligne de compte.

Salaire

Salaire du débutant

Les revenus d’un assistant parlementaire fictif sont très variables. Autrefois, ils pouvaient atteindre l’intégralité de l’enveloppe financière allouée au parlementaire (soit 9561 euros mensuels à l’Assemblée nationale ou 7593 euros au Sénat), y compris pour des membres de sa famille. Malheureusement, les lois sur la transparence de la vie politique imposent désormais de déclarer l’identité des bénéficiaires de ces salaires, leqquels ne peuvent excéder, pour les conjoints ou les enfants du parlementaire, 4700 euros à l’Assemblée et 2516 euros au Sénat. Par ailleurs, si le parlementaire doit avoir des assistants non-fictifs, il faudra qu’il pense à céder à ceux-ci une part symbolique du pécule.

Niveau supérieur : Strasbourg et Bruxelles

C’est comme député européen que l’on se fait allouer le plus de fric pour rémunérer ses assistants parlementaires : 21 379 euros mensuels. Autant dire qu’avec une telle somme, il y a moyen d’arroser largement sa famille mais aussi ses amis ou des gens employés à d’autres tâches que celles pour lesquelles elles palpent. Les rémunérations des assistants vont de 500 euros mensuels, pour les véritables assistants parlementaires, à plusieurs milliers, pour les gens à qui on souhaite vraiment faire plaisir.
Il n’est pas nécessaire d’adhérer au projet de l’Union Européenne pour être député européen, on peut même faire une carrière de député européen en proposant un programme anti-européen, mais il est important de rester discret car c’est pas des rigolos.

Savoir rédiger des lettres de menaces destinées à être adressées à des journalistes ou des juges peut être une compétence utile au métier d’assistant parlementaire fictif. Être capable d’effectuer une sélection parmi les images de type « clip art » pour illustrer ces courriers et améliorer leur impact visuel est un « plus » appréciable.

Évolution de carrière

La médaille du travail

Comme dans toute autre profession salariée, les assistants parlementaires fictifs peuvent solliciter le ministère du travail pour se voir décerner la médaille d’honneur du travail. Pour figurer dans la promotion du 1er janvier, il faut déposer son dossier en préfecture avant le 15 octobre. Pour figurer dans la promotion du 14 juillet, il faut le faire avant le 1er mai. Il existe plusieurs médailles : argent (20 ans d’ancienneté), vermeil (30 ans), or (35 ans) et grande médaille d’or (40 ans). Bien que ça ne soit pas une obligation pour lui, l’employeur peut profiter de cette occasion pour gratifier le salarié d’une prime bien méritée.

Un métier en péril

Juges rouges, fouille-merdes des médias, inflation du nombre de lois liées à la transparence politique, condamnations, déontologie, bonnes pratiques… tout ceci donne une piètre réputation à la profession d’assistant parlementaire fictif et décourage les vocations. Il ne suffit plus d’affirmer avoir une moralité sans faille ou de traiter de populistes ceux qui signalent les magouilles, le monde est en mutation et il faut en tenir compte.
Les parlementaires, qui rappelons-le, font les lois, devront à l’avenir mettre au point de nouveaux dispositifs pour détourner les fonds publics, faute de quoi l’élite de la nation se détournera de la vie publique et risque peu à peu de perdre le goût de l’exercice du pouvoir.

François Fictif

Journal de François Fillon

Le 6 avril
Le réveil de Penelope sonne à 6h30, car elle veut être bien coiffée au moment de la prochaine perquisition — qui arrivera certainement puisque tant qu’aucune preuve d’emploi effectif n’aura été trouvée, il faudra que les enquêteurs cherchent, et ils vont chercher longtemps. Je n’ose lui apprendre que la vraie heure légale est 6h00, elle serait fichue de me lever une heure plus tôt. Je me vengerai, j’ai noté toutes les heures et tous les noms. Un peu plus tard, à France Inter, Vanhoenacker et Meurice me chambrent. Pourquoi je vais à ces trucs ? Je me vengerai, j’ai noté toutes les heures, tous les noms. Fin d’après-midi à Strasbourg : un gars vêtu d’un tee-shirt « Jeunes avec Fillon » s’approche de moi. Il n’a pas l’air très jeune mais je n’ai pas le temps de m’inquiéter, il me gueule un truc et me projette un paquet de farine sur la figure. Je voulais être blanchi, et voilà que je me retrouve à ressembler à Tony Montana à la fin de Scarface. Mes yeux sont protégés par mes sourcils et j’improvise une vanne : « J’espère qu’elle est française, cette farine ! ». Fair-play et chauvin à la fois, les Français aiment le fair-play et ils sont chauvins. Je suis fair-play, mais je me vengerai, j’ai noté toutes les heures et tous les noms. J’allume BFM, mais trop tard pour écouter Ruth Elkrief dire du bien de moi. Ça me fait toujours un bien fou.

Penelope a armé son réveil. Dehors, j’entends le cri d’une chouette effraie, j’ai l’impression de l’entendre dire « rends l’argent ! ».
Demain sera un autre jour.

Deuxième mariage

Nous étions déjà une famille, alors à quoi bon demander au maire et au curé de nous le prouver ? Pour notre fille et sans doute pour plusieurs situations de la vie que nous n’avions pas encore rencontrées (les impôts, par exemple), nous savions que ce serait plus confortable. Lorsque ma sœur a décidé de sacrifier à ce rite, nous avons eu la drôle d’idée de nous incruster dans la fête et de nous marier en même temps qu’elle, ce qui permettait de mutualiser cérémonie, invités — puisque nous en avions beaucoup en commun — et restaurant. Après tout, c’était l’occasion d’une belle fête. Chaque couple s’était légalement marié dans sa mairie quelques semaines plus tôt, et nous sommes retrouvés le 2 avril 1992, il y a vingt-cinq ans aujourd’hui, pour un grand mariage.
Je ne me souviens plus de tout, je me souviens que Nathalie avait acheté sa robe chez Tati ; je me souviens que j’ai porté ce jour-là un costume pour la première et la dernière fois (prêté par Georges, notre témoin, dont c’était la tenue de concert), et je me souviens qu’en me voyant un peu habillé, une amie de mes parents a dit à ma mère, avec une franchise un peu grossière : « ah mais il est beau, ton fils, en fait ! » ; je me souviens de ma fille, assise avec mes parents, qui nous appelait dans l’église ; je me souviens qu’on avait lu un passage du Cantique des Cantiques ; je me souviens qu’on était intimidés et émus.
Il faisait très beau, comme aujourd’hui.

(photos : Stéphane Simonet)

La suite a été le moment le plus plaisant de toute la journée : un vin d’honneur dans le jardin de la maison familiale, arrosé de rouge et de blanc pétillant du Bugey. Nous nous sommes retrouvés pris dans une espèce de farandole d’amis qui voulaient chacun nous parler un peu, nous toucher. Je n’avais jamais vu certains d’entre eux jusqu’à ce jour, et il y en a que je n’ai jamais revus depuis. C’est cet après-midi là que le parrain de mon frère m’a conseillé de venir voir ce qu’il se passait à l’université Paris 8, où il enseignait et qui, me disait-il, était taillée pour accueillir des profils un peu atypiques tels que le mien. La soirée s’est passée au moulin d’Orgemont, sur la butte voisine de la nôtre. Ce lieu que les meuniers louaient pour des fêtes depuis la Renaissance est définitivement devenu un restaurant au milieu du XIXe siècle. Au centre de la grande salle, il y a un immense carrousel en bois datant de la fin de la Belle-époque. Je ne me souviens pas du menu mais je me rappelle avoir bien mangé. Nous avons pu consacrer plus de temps à chaque invité, et tout particulièrement à ceux de notre âge.

La nuit, fourbus, nous sommes rentrés nous coucher dans notre petit appartement. Là, Nathalie a découvert avec effroi que son épiderme avait radicalement changé de texture et ressemblait à la peau d’un crocodile. Ce n’était qu’une réaction allergique au satin de la robe premier prix, mais cette impressionnante manifestation physique nous a rappelé ces contes de fées où l’un des époux se métamorphose en une créature monstrueuse après la noce. Le lendemain, heureusement, le problème avait disparu.