Ma pire radio, avec l’affreux Lorànt Deutsch et le gentil Cali

J’étais chaud. J’étais prêt.
J’avais passé les deux mois précédents à écumer les studios de radio et les plateaux de télévision, j’avais fait Ce soir ou jamais, j’avais été l’invité des cinq dernières minutes du Journal d’Élise Lucet, j’étais passé au Grand Journal, sur France 24, iTélé, Histoire, LCI, RFI, Europe 1, Radio Notre-Dame, partout ! Au début de la tournée médiatique de promotion de mes Fins du monde de l’antiquité à nos jours, je bredouillais, je réfléchissais quand on me parlait, je faisais des manières pour qu’on ne me maquille pas (« j’ai la peau sensible »). À la fin, j’étais tellement rôdé que même à la radio, j’attendais qu’on vienne me maquiller — ce qui n’arrivait pas, bien que les radios soient désormais filmées —, j’étais en forme, j’étais à l’aise.
Une émission n’arrêtait pas d’être reportée, et je pensais même ne jamais y passer, malgré son nom : On va tous y passer. Cette émission était animée par Frédéric Lopez sur France Inter. Une émission très importante, me disait l’attachée de presse de mon éditeur. Mon frère, qui écoute la radio, m’avait dit que le principe était de faire dialoguer un rigolo (un acteur, un humoriste) et quelqu’un de chiant. J’étais le chiant.
J’ai finalement été invité le 17 janvier 2013. Le direct se tenait dans un auditorium, en public. À mon arrivé, on m’a prévenu que ce serait une émission un peu spéciale : l’animateur Frédéric Lopez était remplacé par le chanteur Cali. Je ne connaissais ni l’animateur, ni le chanteur.
En revanche, je connaissais l’autre invité, puisqu’il s’agissait de l’affreux Lorànt Deutsch. J’ai dit à la personne qui m’avait accueilli (réalisateur ou producteur de l’émission ?) que je comptais bien asticoter l’auteur de Métronome à propos de son rapport passéiste à l’histoire de France, et le type m’a répondu qu’il ne fallait pas hésiter, que c’était une excellente idée.
Dans la loge, j’ai attendu en silence avec le groupe qui allait jouer en live, lorsque le monstre est entré. Survolté, il a salué tout le monde et s’est lancé dans une grande discussion (dont il était plus ou moins l’unique intervenant) pour savoir quels aliments il fallait manger pour être sûr que son enfant à naître soit un garçon, enfin quelque chose comme ça — impossible de dire s’il plaisantait, badinait, ou croyait réellement à la possible existence d’un aliment qui décide du sexe d’un enfant à venir. Impossible de dire aussi s’il imitait quelqu’un qui vient de prendre un rail de cocaïne, s’il était effectivement dans cette situation, ou s’il était juste naturellement mais anormalement excité.
Mentalement, j’ai pris la résolution de me défendre, et même, ce que je n’avais jamais essayé jusqu’ici sur un plateau, de vanner.

lorant_deutsch

Les quatre-vingt dix minutes qui ont suivi ont été parmi les plus longues de mon existence. L’animateur suppléant Cali m’avait pourtant accueilli gentiment en commençant son émission en me disant dans un cri du cœur incongru et avec des yeux bleus et doux qu’il me trouvait beau.

cali

J’ai vite compris le principe de l’émission : devant un public de personnes âgées apparemment abonnées au lieu depuis que la maison de la radio a été construite, des chroniqueurs font à tour de rôle des sketchs humoristiques pour chambrer leurs invités et peut-être un peu parler de l’actualité, je ne sais plus trop. Au fil de l’émission, j’ai remarqué que la présence de Lorànt Deutsch excitait beaucoup les chroniqueurs, puisqu’ils ne parlaient qu’à lui et que de lui. Apparemment plutôt indolent, le chanteur Cali s’est vite retrouvé dépassé par son équipe comme par son invité célèbre, et n’a pas pu faire grand chose pour que son invité non-célèbre — moi, donc — ait droit à une petite place sur le plateau. J’ai tenté un ou deux traits d’humour quand j’en ai eu l’occasion, mais ils étaient si peu attendus de ma part (puisque j’étais censé être l’invité ennuyeux) qu’ils n’ont pas été compris. Question de rythme, aussi, peut-être, je n’étais pas dedans, je courrais derrière. L’affreux Lorànt Deutsch n’arrêtait pas de couper la parole à tout le monde, et notamment à moi. En fait, ses interruptions ressemblaient à un bruit de basse-cour, sans grand sens. Il venait défendre une bande dessinée consacrée à l’histoire de France, mais je ne suis pas sûr qu’il ait eu grand chose à en dire, mon méchant moi s’est même demandé s’il l’avait lue. L’émission finie, des gens sont allés lui faire signer des autographes, et je suis resté seul dans mon coin. Le chanteur Cali m’a serré la main et dit un mot gentil que je n’étais plus en état d’entendre et je suis parti, penaud : je n’avais jamais participé à une émission radiophonique si longue, et je n’avais jamais aussi peu réussi à ouvrir la bouche.
Quelques jours plus tard, dans un salon du livre terriblement piteux lui aussi, dont je parlerai une autre fois, j’ai parlé de l’émission à plusieurs voisins de dédicace qui se sont avérés l’avoir entendu et avoir bien ri : apparemment, Deutsch avait été drôle et spirituel, et quant à l’autre invité, le pauvre garsAh c’était toi ?… Ah. Ah ben dis donc, ça a pas dû être marrant, hein. J’ai senti d’autres regards apitoyés chez ceux qui avaient écouté l’émission.

Deux mois plus tard, j’ai participé à une émission exactement aussi longue, sur Radio Libertaire, à l’invitation d’Adrien Genoudet, avec William Blanc, Étienne Rouillon, Patrick Peccate et Exomène. Deutsch a du avoir les oreilles qui sifflent, car William Blanc est un des trois auteurs du livre Les historiens de garde, qui vient tout juste d’être édité au format poche, et qui est sous-titré de Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national. Dix euros seulement.
Ce soir-là, en grignotant des chips, on a parlé bande dessinée et histoire dans une ambiance détendue, entre gens qui ont envie d’échanger vraiment.
Mais avec un émetteur qui a une portée de trente mètres.
On ne peut pas tout avoir.

Une réflexion sur « Ma pire radio, avec l’affreux Lorànt Deutsch et le gentil Cali »

  1. Mais qui est lorant deutsch…
    Il va falloir que je me renseigne..
    J’aime bien l’idée du roman national… récit nécessaire pour mettre tout le monde d’accord…dans égard pour les faits..

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