Charité bien ordonnée commence par ma gueule

En Hongrie aujourd’hui, on vote pour savoir si oui ou non le pays doit se conformer aux décisions européennes relatives à l’accueil des réfugiés. Comme 80% de ses compatriotes, une dame à qui on a tendu le micro votera « non ». Elle résume ça devant la caméra en disant : « Je prie pour que le NON passe ».

Je me demande si elle prie pour Belzébuth ou pour Satan, mais j’imagine mal qu’elle prie Jésus, car même si je suis le premier à taper sur la religion en général et les christianismes en particulier, mais je dois admettre une chose : s’il y a un point sur lequel les Évangiles sont à la fois modernes, universelles, belles et en aucun cas ambiguës, c’est bien sur l’accueil que l’on doit faire au pauvre et à l’étranger1.

"Je prie pour que le NON passe"
« Je prie pour que le NON passe » (une hongroise, sur BFM, le 02/10/2016)

C’est le genre de choses qui apporte de l’eau au moulin de ceux qui (et j’en fais partie) pensent que les gens brandissent les belles idées que contient leur religion le font souvent non pour s’en inspirer, mais pour se dispenser d’avoir à le faire2, et qui utilisent moins leur religiosité comme outil d’édification morale que comme un moyen de se bâtir une estime de soi : puisque je suis adepte de la religion de l’amour, de la charité ou de la paix, je suis dispensé d’aimer, d’être charitable ou pacifique. On trouve le même mécanisme dans d’autres engagements politiques et sociaux qu’en religion, bien sûr.

  1. Et d’ailleurs, la Torah aussi, sans être exempte de xénophobie, rappelle qu’on est toujours l’étranger d’un autre : Tu ne contristeras [ne feras de peine] point l’étranger ni ne le molesteras; car vous-mêmes avez été étrangers en Egypte. (Exode 22:20). []
  2. C’est ce que tend à démontrer une étude récente qui montrait que les enfants d’athées étaient plus altruistes que les enfants de croyants.  []

10 réflexions au sujet de « Charité bien ordonnée commence par ma gueule »

  1. La conclusion de ton propos s’appuie sur un étude, évoquée par La Croix et tu renvoies vers cet article. Le sujet interpelle, mais sur les résultats de cette étude, je reste dubitatif pour plein de raisons.

    Mon sentiment instinctif, c’est que toute culture s’inscrit dans un système de valeurs, et que si la pratique religieuse (et la variable “religion déclarée”) se dissipe ou se renforce, en dehors de trucs de fous, le système de valeurs n’est affecté qu’à la marge, et beaucoup plus lentement que les pratiques et le sentiment d’appartenance à un religion. Exemple : mes deux parents étaient des cathos de gauche, plutôt militants ; je suis athée, mais mon système de valeurs est très peu différent du leur.

    Mais je reviens à l’étude. En dehors des biais repérés par l’article, je note :
    – enfants de six pays : Canada, Chine, Jordanie, Turquie, États-Unis et Afrique du Sud (l’étude devrait être prolongée dans 14 pays).
    – trois groupes : enfants sans religion, chrétiens et musulmans.
    – une note d’intention de l’auteur de l’étude : « Selon le Monde, ce chercheur franco-américain [Jean Decety] déplorerait qu’aux États-Unis, « il (soit) impossible à quiconque se déclarant non croyant d’espérer accéder à de hautes fonctions, notamment électives, “car il serait suspecté d’être immoral, voire amoral”. » »

    Ainsi, je trouve que :

    1. Ce type a raison de vouloir se battre pour que l’a-religiosité ne soit pas un frein dans les carrières, mais cette volonté de démontrer éveille une suspicion scientifique.

    2. Le choix des 6 pays et des 3 groupes surprend. On soupçonne vaguement qu’en Jordanie l’échantillon est musulman de manière homogène ; en Chine, on ne sait pas (la taoïsme, c’est quoi ? une religion ou une culture avec des incidences philosophiques et morales ? on soupçonne qu’on a pu le ranger dans le non-religion) ; quel(s) groupe(s) en Afrique du Sud ou en Turquie ? Christianisme et islam sont numériquement les deux 1res religions, mais l’hindouisme arrive pas loin derrière. Les pratiques tant du christianisme que de l’islam varient beaucoup. Comment fait-on la part des choses ?

    Avec les éléments dont je dispose, le doute l’emporte. Je dirais notamment que sur les deux expériences présentées, les différences culturelles l’emportent “probablement” sur les différences religieuses, et que je n’ai pas les éléments pour comprendre comment les biais sont corrigés. Par exemple : est-ce que chaque groupe national est assez bien équilibré selon les trois groupes du coté religieux, les autres variables socio-culturelles étant également prises en compte ?

    Je note enfin que Wikipédia en français consacre un long développement à « Lien entre religion et comportements sociaux, et reprend largement cette étude. » https://fr.wikipedia.org/wiki/Religion#Lien_entre_religion_et_comportements_sociaux Comme souvent avec Wikipédia, les auteurs sont multiples et successifs. Ainsi, l’étude de Chicago est-elle largement présentée, mais plus haut on lit :

    « L’Histoire ni la sociopsychologie ne montrent à ce jour de différences claires entre le comportement social, éthique, moral ou criminel de personnes ou groupes se disant religieux ou athées. »

    … ce qui correspond plus à mon sentiment. ;o)

    1. @Fouc P : une étude n’est jamais qu’une étude, on est d’accord. Et de plus, je connais des gens qui ont un engagement social et humain extraordinaire du fait même de leur engagement religieux. Mais dans la religion, il existe aussi des arrières-pensées identitaires, un outil pour constituer un groupe, s’inventer une estime de soi… et finir par croire que c’est la protection de Jésus qui fait qu’on a gagné le match amical contre l’équipe de la ville voisine. Eh bien mon pari est que cette attitude est nettement majoritaire.
      Par ailleurs il va sans dire que je ne donne pas de leçons de charité, je n’ai rien fait pour les réfugiés moi-même, mais je n’aurais pas l’idée d’en appeler à une divinité spécialisée dans l’altruisme pour que mon égoïsme l’emporte.

      1. En fait, le travers que tu désignes est lui-même décrit dans la tradition chrétienne et nommé « pharisianisme », avec une acception sans rapport avec les pharisiens historiques, puisque c’est juste une lecture des évangiles. Et chacun sait que le « pharisianisme » se porte bien, toutes époques confondues. Pour info : déf. Wikipédia

        Les pharisiens dans la culture chrétienne Modifier

        De nombreux auteurs, considérant le texte des évangiles comme le reflet fidèle d’une réalité historique, ont fait des pharisiens et du pharisaïsme des symboles d’hypocrisie et de formalisme excessifs dans le domaine religieux ainsi que de mépris pour les autres considérés comme inférieurs moralement.

        En littérature, le pharisaïsme en est venu à désigner la piété ostentatoire, le formalisme hypocrite chez un dévot ou un religieux, ainsi que l’attitude de celui qui, croyant incarner la perfection morale, porte des jugements sévères sur l’attitude ou le comportement d’autrui[46] à l’exemple du célèbre roman de François Mauriac, La Pharisienne paru en 1941.

    1. @Nikolavitch : eh oui, les Magyars, une tribu venue de l’Oural, chassée par les Petchénègues, qui s’est réfugiée en Hongrie en en grandremplaçant les slaves qui y vivaient jusqu’alors, il y a une petite douzaine de siècles…

  2. Le facteur religieux n’est vraisemblablement pas déterminant dans l’explication de l’hostilité à l’accueil de migrants dans les pays du « groupe de Visegrad », puisqu’on y trouve aussi bien la Pologne où le catholicisme est très puissant et la République tchèque qui est un pays européen parmi les plus déchristianisés.

    L’explication post-coloniale qu’on nous sert régulièrement pour expliquer l’islamophobie en France est aussi à côté de la plaque pour ces pays.

    1. @Elias : je ne dis pas que la religion rende égoïste, malgré l’étude que j’évoque, mais qu’on peut se réclamer d’une religion altruiste pour manifester son égoïsme, et ça montre en soi à quel point la Religion n’est pas un outil moral rationnel (contrairement à ceux qui pensent que la religion s’appuie sur du vent mais a au moins la qualité de constituer une moralité commune), elle sert d’autres buts.
      En revanche, sur le post-colonialisme, l’affirmation me semble bien légère !

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