L’éducation par la négative

Ma fille cadette, bonne élève, souffre en préparant un oral en espagnol pour le lendemain. Elle doit disserter sur les questions d’échanges culturels et de territoire, en s’inspirant des documents vus en classe, et en choisissant une problématique particulière.
J’essaie de discuter pour l’aider à débloquer son problème, mais à chacune de mes suggestions, elle m’explique « on n’a pas le droit ». Pas le droit de tout axer sur un document ou une œuvre, qui servirait de prétexte. Pas le droit de ne pas faire de plan. Pas le droit de faire un pas de côté, pas le droit de parler d’un film qu’on est seul à connaître, pas le droit de parler trop longuement des documents vus en classe, pas le droit de ne pas en parler, pas le droit, pas le droit, pas le droit. Juste l’obligation que le résultat ne soit pas trop « bateau », pas trop plat.

Que ce soit la consigne ou que ça soit la manière dont ma fille comprend cette consigne, il me semble qu’on est au cœur mêmes des pires travers de l’éducation nationale française, qui pose des contraintes en cascade, des injonctions négatives et réclame dans le même temps, et de manière pour le moins contradictoire,  de l’originalité et de l’indépendance. La mère de ma fille, elle aussi habituée à être bonne élève, a buté sur le même problème en devenant, de manière éphémère1, professeure des écoles : si j’ai bien compris, chaque enseignant doit construire ses cours en autonomie, mais en connaissant le programme, les consignes, les directives, autant dans les contenus que dans la méthode pédagogique, et en dépensant une énergie considérable à « montrer patte-blanche » lors des inspections, ce n’est pas tant de bien faire, qui est demandé, que de rendre compte qu’on a suivi les règles…

Si on ajoute à ça la tendance de l’école française à faire reposer les évaluations sur le principe du piège (on cherche ce que vous ne savez pas, ce que vous n’avez pas compris, ce que vous avez mal fait), et avec l’idée que rien ne sera jamais assez bien, cette institution peut difficilement être autre chose que le royaume des double-contraintes2 et du stress, au sens d’Henri Laborit, c’est à dire une situation psychologique qui advient lorsque l’on veut répondre à un problème mais qu’aucune action n’est envisageable. On est alors prostré, et on ne peut survivre que par l’agressivité ou la fuite.

  1. Nathalie a préparé le concours de professeur des écoles tout l’an passé, et l’a passé avec succès, et même, bien classée. Mais après trois mois de stage, et malgré le plaisir qu’elle avait à aller à l’université la moitié du temps, elle a craqué et abandonné ce métier. J’espère qu’elle prendra le temps de raconter cette expérience. []
  2. Lire l’article de Wikipédia sur le sujet. []

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