Profitez-en, après celui là c'est fini

Vivian Maier

décembre 20th, 2013 Posted in Cimaises, Images

Je ne suis pas très doué pour analyser et a fortiori théoriser ce qui fait qu’une photographie est belle. Je dirais même que c’est la forme artistique qui est (pour moi, car je vois bien que d’autres sont moins embarrassés) la plus complexe à discuter. Pourtant je pense savoir dire quand un cliché ou une série de photos sont beaux. L’équation qui fait qu’une photographie fonctionne me donne toujours le vertige du fait de sa sophistication : préparation, patience, décision, technique, hasard, instant, sujet, regards, rencontre,… autant de paramètres fragiles qui aboutissent à nous faire partager la vision qu’une personne porte sur le monde.
C’est donc avec humilité, et sans vraiment parler des photographies elles-mêmes, que j’ai envie d’écrire sur une exposition visitée tout à l’heure.

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Le château de Tours, en partenariat avec le Jeu de Paume, présente la première exposition conséquente consacrée en France à Vivian Maier1, photographe amateur récemment découverte.

Le père de Vivian Maier était américain, d’origine autrichienne, et sa mère française. Le mariage n’a pas duré. Le frère de Vivian a été pris en charge par ses grands parents, et elle a suivi sa mère chez une amie de cette dernière, Jeanne Bertrand, une photographe française elle aussi, émigrée à New York où elle jouissait à l’époque d’une petite notoriété. On sait que Vivian a vécu en France entre six et douze ans, environ, avec les deux femmes, avant de revenir avec sa mère aux États-Unis.

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Vers l’âge de vingt-cinq ans, elle devient gouvernante, ce qui sera désormais son seul métier. Un métier qu’elle n’a, semble-t-il, pas vraiment choisi, qu’elle exerce avec soin mais sans chaleur, du moins selon ses employeurs, car les enfants dont elle s’est occupée, eux, ont gardé un grand souvenir de la manière dont elle leur faisait découvrir l’art ou la nature. Elle les prenait au sérieux, donc, ce qui se ressent dans ses photographies, où l’enfant est toujours une personne et non un objet d’attendrissement. Ce sont d’ailleurs trois frères dont elle a été la gouvernante et avec qui elle était restée en contact, John, Lane et Matthew Gensburg, qui lui ont permis d’échapper à l’extrême pauvreté qu’elle a subi avec l’âge, en lui fournissant un logement. Des années plus tard, ils la comparent à Mary Poppins.

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En 2007, survivant grâce à ll’aide sociale, n’ayant plus les moyens de payer le loyer du garde-meuble qui conservait ses archives, Vivian n’a pu empêcher la vente aux enchères son contenu : des cartons contenant 120 000 photographies, dont un grand nombre n’avait jamais été tirées ou simplement développées, faute d’argent.
L’acquéreur du lot, à la recherche de vieux clichés de Chicago, a été comblé en découvrant cette œuvre inconnue, vraisemblablement jamais montrée à quiconque, mais a été moins intéressé par les (semble-t-il nombreux) écrits de Vivian Maier, qui ont fini à la benne et sont perdus pour toujours. Parmi ses documents personnels, on a découvert des chèques de remboursement de trop-perçu des impôts, qu’elle n’avait jamais encaissés.

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En quelques années, Vivian Maier est devenue une photographe renommée, comparée à Diane Arbus, Lisette Modell ou Robert Frank, célèbres photographes de la rue américaine. Je n’ai pas l’impression qu’elle ait su que son œuvre avait été découverte et était conservée et exposée. En 2008, elle a fait une chute en glissant sur de la glace. Jamais vraiment remise, elle est morte l’année suivante, à l’âge de quatre-vingt trois ans.

Toute la vie de Vivian Maier semble avoir été vécue penchée sur le viseur de son Rolleiflex. On pense qu’elle n’a pas eu de vie affective, elle habitait chez ses employeurs et ne sortait que pour assouvir sa passion du cinéma et du théâtre, et bien entendu pour photographier. On dit qu’elle était socialiste, féministe, qu’elle avait des opinions tranchées et faisait preuve d’une franchise aux limites du manque de savoir-vivre. Elle portait souvent des vestes et des chaussures d’hommes.

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Outre ses photographies des rues (et des habitants, surtout) de New York ou Chicago, et des autres endroits où elle a voyagé, Vivian Maier faisait régulièrement des autoportraits plutôt expérimentaux (jeux de miroirs, ombres,…).
Elle a réalisé de nombreuses séquences filmées.

Vivian Maier n’a semble-t-il pas d’ayant-droits. Son oeuvre, c’est à dire toute sa vie, a été vendue quelques centaines de dollars à quelqu’un qui a jeté la partie qui ne l’intéressait pas et vendu le reste à un collectionneur plus avisé qui, depuis, promeut son œuvre2.

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C’est sans doute par le regard que Vivian Maier savait aimer les autres, et c’est sans doute ce qui rend ses images profondément émouvantes, quand bien même nous ignorerions tout de l’existence qu’elle a mené — ou plutôt, qu’elle n’a pas mené.

On voit à ses portraits de rue que Vivian Maier ne demandait pas souvent la permission avant d’appuyer sur le déclencheur, et on sent même chez elle un aplomb certain. Dans les couloirs de l’exposition, sans surprise, on nous avertit avec sévérité qu’il est formellement interdit de prendre des photographies.

  1. Vivian Maier (1926-2009), une photographe révélée, au Château de Tours, du 9 novembre 2013 au 1er juin 2014. Entrée libre. Il y a aussi une exposition à la galerie Les Douches, à Paris, qui se termine demain 21 décembre 2013. []
  2. Le plus important collectionneur de l’œuvre de Vivian Maier est un jeune agent immobilier, John Maloof, lui-même photographe et auteur d’un film documentaire, Finding Vivian Maier. J’imagine qu’il s’agit du film qui était projeté pendant l’exposition et qui m’a semblé très intéressant mais dont je n’ai pu voir qu’un petit quart d’heure. []
  1. 5 Responses to “Vivian Maier”

  2. By JaromilD on Déc 20, 2013

    Une précision : elle n’a pas utilisé que son Rolleiflex comme en témoignent certaines photos tout aussi réussies en format 24×36, notamment en couleurs http://www.vivianmaier.com/gallery/color-1/#slide-2

    Par contre je ne savais pas qu’elle avait laissé des écrits. Quel dommage que John Maloof n’ait pas été jusqu’au bout de cette entreprise de sauvetage…

    (d’un autre côté ce n’est pas donné à n’importe quel particulier de stocker 200 cartons chez lui)

  3. By Jean-no on Déc 20, 2013

    @JaromilD : elle a fini par s’acheter un Leica effectivement.
    Ce n’est pas John Maloof qui a jeté les écrits, mais (on le voit le regretter dans le film), le brocanteur qui a acquis les cartons.

  4. By Raphaël on Déc 21, 2013

    Touchante histoire. Travail intéressant. Merci de nous les révéler.

  5. By Loïc Ballarini on Jan 2, 2014

    Il y a eu un portfolio très intéressant dans un numéro récent de Réponses Photo. Par contre je ne crois pas qu’ils parlaient des écrits ni du premier acheteur de ses clichés (quel dommage! rien ne dit que ses écrits aient été bons, mais ç’aurait été mieux de le savoir…).
    Je crois me souvenir qu’ils indiquaient que Maloof avait découvert Maier (ou avait retrouvé sa trace) très peu de temps après sa mort, donc non, elle n’a pas eu connaissance de sa propre découverte — cela aide à construire un mythe d’artiste-amateur-géniale-morte-dans-la-misère, mais ne doit pas masquer que les photos sont, pour le peu que j’en ai vu, effectivement de grande qualité.

  6. By Olivier Paradis on Mar 19, 2022

    J’ai appris récemment d’un ami qui m’a parlé d’elle. Alors, je suis allé voir sur le Google et ça m’attire profondément chez elle. Je ne sais pas comment expliquer. Elle m’a fait un grand reflet de ses photos beaucoup touchant de ses œuvres et qui m’impressionne le plus, ce qu’elle est incroyable son histoire et Ses talents, qui me fascine encore sans lasse. Ses images me donnent plonger dans l’aventure intérieur de son époque surtout la photographie. Elle m’invite beaucoup de ses propres sensations et ses ressentir dans le monde photographie où elle traverse dans la rue. Elle exprime beaucoup à travers de son image avec son Rolleflex presque intouchable. Grand chapeau Vivian Maier!

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