Profitez-en, après celui là c'est fini

Par effraction

novembre 16th, 2009 Posted in Ordinateur au cinéma

par_effraction_dvdRéalisé par Anthony Minghella1 en 2005, Par effraction (Breaking and entering) m’a été vendu comme un film à l’image léchée, se déroulant à Londres et dont le héros est un Macintosh portable. Et c’est à peu près ça.

Will Francis (Jude Law) est un architecte chargé de réfléchir à l’urbanisme du quartier King’s Cross à Londres. Avec son collègue Sandy (Martin Freeman, qui interprète le personnage de Tim dans The Office), il a installé son agence dans une ancienne usine de King’s Cross, quartier célèbre pour ses trafics de drogue et son activité de prostitution. Dès le lendemain de la fête d’inauguration des locaux, il se demande s’il a bien choisi son lieu d’implantation car il doit constater un premier cambriolage, réalisé sans grands ménagements. Les ordinateurs, de beaux Macintosh, ont disparu, et parmi eux l’ordinateur portable de Will qui résume : « j’ai toute ma vie sur cet ordinateur ».
À peine une semaine plus tard, un second cambriolage a lieu selon le même mode opératoire : une personne est entrée par le toit, en brisant une verrière, puis a désactivé l’alarme. Il s’agit donc de quelqu’un qui connaît le code de l’alarme mais ne dispose pas des clés des locaux. Les femmes de ménage sont soupçonnées, ce qui contrarie Sandy qui a un petit béguin pour l’une d’elle, Erika. Au passage, Sandy explique à Erika que sur son ordinateur volé se trouve une photographie d’elle, qu’il a pris pour essayer son appareil photo, et lui explique qu’il est inquiet à l’idée qu’on puisse s’imaginer des choses, comme si une photographie était une preuve d’attachement sentimental… Ce qui s’avèrera finalement avoir été le cas.

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Excédés par la situation, Will et Sandy décident de passer leurs nuits dans une voiture, devant leur agence, pour prendre les coupables sur le fait. Une nuit, Will voit un jeune homme entrer par le toit de son agence. Il parvient à suivre ce dernier jusqu’à chez lui à son insu, et découvre avec surprise qu’il l’a déjà rencontré par hasard près d’un centre de sport, accompagné de sa mère. Le jeune homme, Miro, est un mineur en échec scolaire qui a quitté Sarajevo avec sa mère, musulmane, mais sans son père, serbe, pendant la guerre en Bosnie. Sa mère Amira (Juliette Binoche) gagne difficilement sa vie comme couturière. Sans lui dire ce qu’il sait et peut-être sans trop savoir ce qu’il veut, Will cherche à se lier à Amira en prétextant le besoin de réparer un vêtement. Amira et son fils vivent dans Alexandra Road estate, un quartier dense composé de terrasses créé dans les années 1970 par l’architecte Neave Brown.

Will est-il amoureux d’Amira ou fuit-il seulement sa situation familiale pénible ? Chez lui en effet, il se sent rejeté par son épouse, une suédoise mélancolique, et par sa belle-fille, qui souffre de problèmes psychologiques importants. Et Amira, est-elle amoureuse ou cherche-t-elle juste à faire chanter Will pour protéger son fils ?

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Il y a beaucoup de thèmes intéressants dans le film. Certains sont assez mal traités, comme tout ce qui est relatif à la maladie de la belle-fille de Will (dont le syndrome vaguement autistique n’est pas très vraisemblablement scénarisé et encore moins vraisemblablement interprété), et comme la question du déracinement, de l’immigration et de la différence culturelle. Juliette Binoche est plutôt bonne dans son rôle, ne serait-ce que parce qu’elle parvient à garder un sérieux apparent en articulant avec un gros accent dinarique des dialogues tels que (de mémoire) : « In my country, men don’t talk to women. They like to talk about politics but with women they don’t talk ! ».
Certains détails sont même excellents en théorie. Se rendre compte qu’on ne parvient pas à parler de la guerre et des cicatrices qu’on en a gardé au milieu d’un supermarché londonien ; ne pas savoir exactement si on fait quelque chose pour une raison égoïste et intéressée, par désespoir ou par amour (Will, son épouse Liv ou encore Amira ont tous trois de bonnes raisons de s’interroger sur leurs propres motivations).
La réalisation aplatit malheureusement un peu l’ensemble. Il y a quelques surprises intéressantes, comme l’absence de mutation finale des personnages qui permet d’éviter de justesse le registre du mélo sentimental.

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Quelques personnages sont très réussis, comme le policier qui traque Miro avec bienveillance et fatalisme, ou la prostituée Oana qui tient compagnie (en tout bien tout honneur) à Will lors de ses moments de surveillance : elle s’impose, parce qu’elle est contente de trouver une voiture où se réchauffer entre deux passes. Enfin, Miro, le fils d’Amira, a une certaine épaisseur et malgré (ou du fait de) son attitude taciturne, on n’a pas tellement de mal à suivre le fil de ses pensées.
D’autres personnages auraient peut-être pu être évités ou un peu améliorés, comme la belle-famille serbe d’Amira, des cambrioleurs sexistes au crâne rasé, tout droit sortis d’un polar de Guy Ritchie, l’humour en moins.
Ce film m’en a rappelé de nombreux autres, mais jamais à son avantage. J’ai pensé à Next of Kin (1984) d’Atom Egoyan, film dans lequel un jeune homme entre dans la vie d’immigrés arméniens dont il sait pour avoir visionné des bandes vidéo de thérapie familiale : en arrivant au Canada, cette famille avait confié son fils aux services sociaux, pour adoption, et le jeune homme décide de se faire passer pour cet enfant douloureusement abandonné par les siens.

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J’ai pensé aussi à Dirty pretty things (Stephen Frears, 2002) qui faisait d’une autre française, Audrey Tautou, une immigrée (turque, cette fois) à Londres et qui utilisait une métaphore monstrueuse — le trafic d’organes — pour traiter de la question de la solitude et de l’exploitation des déracinés.
Le réalisateur semble avoir à cœur de dépasser les poncifs (Amira joue du Bach sur un clavier en bois2 ; Liv et Will plaisantent au sujet des clichés à propos de la Suède) mais il s’y fourvoie malgré tout in fine : Liv est traitée contre la dépression (comme tous les suédois ?) avec un caisson à lumière solaire, et Amira n’a rien de la bourgeoise de Sarajevo (pianiste classique et femme d’architecte) qu’elle est censée incarner, avec son tablier de paysanne et son beau-frère mafieux. L’enquête sociologique et culturelle n’a pas été très bien menée et l’accessoiriste de plateau n’a vraisemblablement jamais vu un burek : celui du film ressemble à un nugget assez peu apêtissant.

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Le MacBook de Will est sans doute l’objet le plus important du récit. Le scénario donne en effet une grande importance aux données numériques : l’ordinateur volé, qui selon Will contient « toute sa vie » (photos et vidéos familiales notamment) aurait dû être purgé de son contenu par Miro mais ce dernier ne parvient pas à s’y résoudre. Lors du second cambriolage, il fait même une sorte de cadeau à Will : il laisse un CD-rom contenant une sauvegarde des photographies qui avaient disparu avec la machine. « Ils font preuve de compassion alors ? » se demande le policier chargé de l’enquête.
Miro ne se contente pas de ce geste élégant : il ne parviendra pas à supprimer les données de Will et c’est même finalement ce qui permettra de le confondre. Les images de la vie de famille de Will ne sont rien pour Miro et il ne s’attarde pas énormément à les regarder, mais il en comprend la valeur, qu’il juge apparemment bien plus importante que celle des luxueux ordinateur3 qu’il dérobe.

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Le thème le plus intéressant du film est sans doute celui de l’urbanisme. Aux architectes Will et Sandy qui sont animés par le souci sincère mais peut-être aussi légèrement condescendant d’améliorer l’existence d’un quartier (en s’y implantant et en le modifiant) s’opposent Miro et ses amis, qui pratiquent le Parkour, cet « art du déplacement » urbain qui est une autre manière de s’approprier la ville et d’en redessiner les couloirs, les accès, les flux. Les deux approches s’opposent, mais elles se rejoignent en ce sens que Miro comme Will voient la ville du dessus, le premier en sautant de toit en toit, et le second en la réduisant à l’état de maquette. Miro vit et survit, tandis que Will semble tout placer sur un plan abstrait et maîtrisé : il apporte des espaces verts encadrés dans le quartier qu’il aménage et il se vante de conduire un véhicule écologique mais il supporte difficilement l’unique élément naturel de son voisinage, un renard.

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Un autre motif revient souvent : celui de la prise de vues. Il y a la photo de la femme de ménage Erika que son patron Sandy conserve parce qu’il est amoureux (fonction vaudou) ; il y a les photographies et les vidéos de famille de Will, « toute sa vie », qui seront aussi pour Amira la preuve qu’il n’est pas entré dans sa vie par hasard ; il y a les photographies que l’amie d’Amira prend, à la demande de cette dernière, de Will et d’elle dans son lit, avec pour projet de faire chanter ce dernier ; enfin, c’est en utilisant son caméscope que Miro comprend que Will est venu chez lui.

Chaque plan, chaque détail de ce film un peu longuet semble avoir été intensément réfléchi, on a l’impression que tout compte : pourquoi le policier chausse-t-il ses lunettes pour expliquer que les mêmes actions n’ont pas les mêmes conséquences selon le milieu où l’on se trouve ? Pourquoi Liv recolle-t-elle une assiette brisée ? Pourquoi la prostituée Oana vole-t-elle la voiture de Will pour la rendre sans explications avec à l’intérieur la peau d’un renard mort ? Pourquoi Liv et Will (llivv – vvill ? Vivre/Vouloir) font-ils l’amour alors que Will est lourdement entouré du le parfum d’Oana ? Pourquoi un couple enlacé entre-t-il dans le champ quand Amira quitte Will qui vient de l’embrasser, etc. ?

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C’est le genre de film qui se prête à des analyses plutôt gratifiantes pour qui s’y emploie, tant il contient de détails signifiants, de métaphores, de parallèles ou d’oppositions, mais le résultat s’en trouve du coup un peu étouffant, puisqu’il n’y reste plus beaucoup de place pour la rêverie du spectateur ou son interprétation personnelle, si ce n’est peut-être dans cette dernière question : pourquoi Amira conseille-t-elle à Will d’ajouter du sucre dans son café cuit à la turque ? Pour avoir une idée pareille, on doute que le scénariste ait jamais goûté ce genre de café.

  1. Anthony Minghella, réalisateur brusquement décédé en 2008, a été couvert d’oscars pour son film Le Patient Anglais, déjà avec Juliette Binoche, est aussi l’auteur du Talentueux M.Ripley, d’après Patricia Highsmith, et de Retour à Cold Mountain, avec Jude Law.   []
  2. Détail emprunté à Bagdad Café ? []
  3. Le film pourraît être précédé du logo de la marque Apple tant il insiste sur cette marque. []

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