Profitez-en, après celui là c'est fini

Dieu jaloux contre gène égoïste

avril 6th, 2008 Posted in Lecture, Sciences

Darwin caricaturéTrois évolutionnistes anglo-saxons ont accédé à une véritable notoriété populaire : Charles Darwin bien entendu, Sephen Jay Gould et enfin Richard Dawkins. Ce dernier est cependant moins célèbre en France qu’ailleurs : un de ses ouvrages les plus importants, The Extended Phénotype, n’a par exemple pas été traduit chez nous. Il est mon écrivain scientifique favori, à égalité peut-être avec le mathématicien Ivar Ekeland dont je commenterai les livres à l’occasion.
Depuis quelques années, par petites touches d’abord puis par des charges de plus en plus hargneuses, Dawkins s’attaque aux Dieux. Il a une très bonne raison de le faire : depuis la publication de l’Origine des espèces, les darwinistes sont la bête noire des religieux et on peut même constater une importante progression des dogmes anti-darwinistes dans certaines franges des principales religions monothéistes. Contrairement à une idée répandue, la religion n’est pas toujours fragilisée par la science, et donc pas toujours hostile à ses progrès : l’inquisition a bien immolé Giordano Bruno (pour de nombreuses raisons), mais on se rappellera l’enthousiasme du pape Pie XII pour le modèle théorique dit du « Big Bang » qui représentait selon lui rien moins qu’une preuve de l’exactitude du récit de la Genèse : Fiat Lux ! La vertigineuse accumulation de théories presque inaccessibles à l’entendement humain (fragilité des constantes physiques et de la réalité, multivers, physique quantique, espace courbe, etc.) sont même souvent présentées – surtout par des gens qui n’y comprennent strictement rien d’ailleurs – comme autant de faits mystiques. Certains n’hésitent pas au passage à prêter à des scientifiques comme Einstein (qui la refusait) une vision théiste de l’univers.
Il n’en va pas de même de la biologie qui trivialise l’existence, réfute la séparation de l’âme et du corps, de l’homme et de l’animal, et, mieux, parvient à expliquer comment, à partir de très peu de choses, la vie est parvenue à s’organiser et à se complexifier. On ne sait pas encore expliquer comment la vie est apparue (on n’a à ce jour pas réussi à reproduire ce processus), mais on peut sans problème faire le lien entre les micro-organismes les plus simples et des machines aussi sophistiquées que le sont nos propres organismes. Dawkins, avec sa théorie du « gène égoïste » (je recommande fortement la lecture du livre du même nom, qui existe en poche chez Odile Jacob), fait même partie des scientifiques qui ont eu les explications les plus convaincantes à ce sujet. Pour lui, la sélection naturelle ne se fait pas au niveau des espèces animales mais au niveau de chaque gènes ou association (pool) de gènes.

La théorie évolutionniste part du principe que tout ce qui existe est le fruit d’un processus progressif : s’il existe dans l’univers des objets apparemment aussi complexes que, au hasard, des bicyclettes, ce n’est pas parce que ces objets sont apparus magiquement ex machina, parce que des atomes ont été miraculeusement assemblés de manière à former cette bicyclette, comme un puzzle qui se mettrait dans le bon ordre après qu’on ait donné un coup de pied dans la boite. Non. Pour qu’une bicyclette existe il a fallu au contraire un enchaînement de conditions : l’existence d’un univers, l’existence de constantes physiques favorables à l’apparition d’une grande variété d’éléments atomiques dans une zone donnée de l’univers, l’existence de la vie dans cette zone, l’existence d’une forme de vie ayant évolué jusqu’à ressentir le besoin ou l’envie de faire exister la bicyclette afin de répondre aux contraintes de leur environement et ayant acquis les moyens techniques pour y parvenir.

Richard Dawkins - pour en finir avec dieuLe tout dernier ouvrage de Richard Dawkins, intitulé The God Delusion (en français, En finir avec Dieu), fait le point sur les réflexions du biologiste anglais, à la lumière notamment de ses débats avec les créationnistes américains. Ce sont apparemment les attentats du 11 septembre 2001 qui l’ont poussé à se lancer sérieusement dans la défense de l’athéisme : si tu ne t’occupes pas des religions, les religions s’occuperont de toi. Pour cette raison, il repousse assez brutalement le principe du « non-empiètement des magistères » (NOMA) théorisé par Stephen Jay Gould pour qui la science devait s’intéresser au « comment ? » et abandonner le « pourquoi ? » aux théologiens et aux philosophes. De manière assez convaincante, Dawkins va jusqu’à qualifier le principe du NOMA de « paix des lâches » et le compare rien moins qu’à l’attitude de Chamberlain et Daladier lors des accords de Munich, qui avaient abandonné une partie de l’Europe à Hitler, avec les conséquences que l’on sait.
Pour Dawkins, il n’y a pas de question que la science ne puisse étudier et les appels à manquer de curiosité (« laissez dieu aux théologiens ») relèvent pour lui de l’escroquerie intellectuelle. Il cite régulièrement Thomas Jefferson, à qui l’on doit cette pensée : « Les prêtres des différentes sectes religieuses […] redoutent les progrès des sciences comme les sorcières l’approche de l’aube, et voient d’un mauvais oeil ce présage funeste annonçant que vont être dévoilées les duperies qui les font vivre ».

D’une détermination sans faille, Dawkins ne concède pas un centimètre de terrain aux religieux ni même aux agnostiques. Il tord le cou à toutes les légendes (la morale n’existe pas sans religions ; les dictateurs sanglants étaient athées ; l’existence ou l’inexistence de Dieu sont également impossibles à prouver ; etc.), montre l’imbécilité fondamentale de nombreuses croyances, expose les raisons qui font exister la foi – qui selon lui exploite des faiblesses de l’esprit comme les virus exploitent les faiblesses de l’organisme -, et plaide avec brio (puisqu’il est un scientifique de tout premier plan) pour la science, c’est à dire la curiosité. Il annonce la couleur dès les premières pages : le livre est écrit pour qu’une personne qui l’ouvre en ayant la foi le referme en étant devenue athée.

Dawkins néglige à mon avis certains points, comme l’imperméabilité des croyants aux arguments rationnels (variante du willing suspension of disbelief qui permet l’existence des fictions) et même, je crois, l’indifférence de bon nombre à la question de l’existence véritable de Dieu. En effet, si l’existence d’une divinité omnipotente était établie, chacun se positionnerait pour ou contre, tenterait de se rebeller, de communiquer, de tirer avantage des propriétés de cette divinité, et la moitié du Pentagone se consacrerait à son observation et à son « containement » ! C’est en tout cas ce que l’on ferait face aux preuves d’existence d’une vie extra-terrestre intelligente. Dawkins minimise aussi l’importance de l’organisation sociale autour de mythes non-rationnels, peut-être parce qu’il est un des biologistes qui se sont le plus exprimés contre le mythe du souci de la « survie de l’espèce » qu’on prête abusivement à de nombreux animaux (il a expliqué il y a une trentaine d’années déjà qu’une fourmi qui dédie une existence sans descendance à la survie de la reine ou au pouponnage de ses larves travaille pourtant précisément pour la survie de ses gènes). Or s’il est vrai que l’homme est un animal comme les autres, il se distingue du reste du vivant par une propriété étonnante : sa propension au bavardage. Une partie énorme des rapports entre humains passe par le langage, à un niveau d’abstraction très élevé. Il est étonnant que Dawkins néglige la question sociologique car il est l’auteur du concept des mèmes, qui sont à la pensée ce que les gènes sont au vivant : des briques d’information susceptibles d’exister de manière immortelle (les gènes sont immortels, le saviez-vous ?), qui se répliquent, s’associent, se combinent ou se concurrencent dans un processus de sélection naturelle darwinien.
Les écrits de Mary Douglas (Comment pensent les institutions) peuvent sans doute apporter un complément de réponse à la question de l’utilité des religions. Cette sociologue (et d’autres sans doute) s’intéresse à la religion au sens le plus large (religion chinoise, république, etc.), en tant qu’outils de pérénisation des institutions basés sur des principes moraux rationnels mais aussi sur des vaches sacrées ou des tabous nettement moins rationnels. Enfin là j’extrapole sans doute un peu – je ne peux une fois encore que vous recommander cette lecture.

La traduction du titre du livre de Dawkins est assez significative du contexte français. Alors que l’ouvrage aurait pu s’appeler l’illusion de dieu, qui eut été la traduction littérale, il devient chez nous Pour en finir avec dieu. La France a été un pays pionnier de la lutte contre Dieu : les débats scientifiques et théologiques aux limites du blasphème (même quand leurs conclusions restaient superficiellement favorables à l’église, comme les preuves de Thomas d’Aquin1 ou le pari de Pascal), les libertins, les encyclopédistes des lumières, la révolution française, le régicide, la séparation de l’église et de l’état,… Nous n’en sommes donc apparemment plus à lutter contre l’idée de dieu, nous passons directement à ses funérailles (c’est peut-être pour ça qu’on dit « heureux comme Dieu en France » : ici, on le laisse non-exister tranquille).
Le manque de souci des français pour la religion transparaît dans la traduction elle-même, qui contient quelques perles. Ainsi l’anglais cult (secte) est traduit « culte » et le journal Watchtower (ici La tour de garde – organe principal des Témoins de Jéhovah) devient « la tour de guet ».

Richard Dawkins - Le gène égoïste J’ignore si l’ouvrage aura en France un impact comparable à celui qu’il a eu dans le monde anglo-saxon, où il a été diffusé à plusieurs millions d’exemplaires et a suscité des débats passionnés. Je ne sais même pas si ce livre est utile, car malgré le retour de vieux démons, malgré la progression des évangélistes et des islamistes, la France reste un des rares pays où l’athéisme est une opinion moins problématique et moins aliénante que la foi. Et c’est très bien comme ça.

Une piqure de rappel ne fait cependant jamais de mal (mais peut attendre la sortie du livre en édition de poche). La description du contexte américain par Dawkins fait froid dans le dos et il ne faut pas perdre de vue que la bigoterie états-unienne est relativement récente et en contradiction avec les principes des pères fondateurs du pays – ceci dit, les sectes (anabaptistes, mennonites, etc.) qui ont été chassées d’Europe ne sont pas pour rien dans la fondation des États-Unis, un pays finalement fort étrange et déséquilibré.
On pourra trouver la chose difficile à imaginer, mais le 12 septembre 2001, aux États-Unis, un athée inspirait plus de méfiance qu’un musulman. Et à présent, les athées restent la « communauté » la plus suspecte selon le jugement des rednecks, devant les catholiques, les homosexuels non-athées, les noirs non-athées, les scientologues, les juifs ou les musulmans – difficile de savoir s’il faut se réjouir d’une certaine ouverture d’esprit ou déplorer une entente commerciale entre des « boutiques » qui se partagent le marché de la crédulité.

Tant qu’à lire du Dawkins, le curieux gagnera à commencer par un essai purement scientifique et parfaitement brillant comme le gène égoïste plutôt que par ce pamphlet précis, implacable et distrayant mais qui étonnera sans doute peu ceux qui ont échappé à la foi.
Est-ce que je viens de pondre un long article pour dire que le livre est très bien mais que ce n’est pas la peine de le lire ? Humm… J’en ai peur.

  1. Thomas d’Aquin n’était pas français mais il a d’abord été un intellectuel parisien. Cependant ses voies pour prouver l’existence de Dieu n’ont pas été rédigées à Paris. []

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