Profitez-en, après celui là c'est fini

Westworld

juin 3rd, 2009 Posted in Robot au cinéma

westworld_dvdEn mars 2009, la cinémathèque française a consacré un cycle rétrospectif exhaustif à Michael Crichton. Le maître du thriller technologique, décédé en novembre 2008, méritait bien qu’on se penche sur son œuvre. Malheureusement pour moi je n’ai été averti de cette programmation qu’après coup, en allant voir l’exposition consacrée à Jacques Tati. J’ai ainsi raté une projection de The Terminal man (1974), réalisé par Mike Hodges, un film méconnu et non édité en DVD à ce jour1, adapté du roman du même nom.

À l’inverse, Westworld (Mondwest, en français), sorti en 1973, est le film le plus célèbre qu’ait réalisé Michael Crichton. Comme scénariste, il est auteur d’œuvres sans doute encore plus célèbres comme Jurassic Park, Harcèlement, ou encore la série Urgences.
Lorsque j’étais à l’école primaire, Mondwest (j’aurai toujours du mal à l’appeler Westworld) était un film mythique. L’idée du parc à thème permettant de s’immerger dans une époque passée était extrèmement stimulante et le film avait par ailleurs une aura un peu sulfureuse de film archi-violent, à la limite du film d’horreur. Du reste, Westworld a été interdit aux moins de douze ans en France et au moins de seize ans dans de nombreux pays. Sans surprise, on constatera que la violence à l’écran, tout comme les séquences «chaudes», ont bien vieilli et sont à mon avis bien moins perturbantes pour un enfant d’aujourd’hui que la moindre série policière diffusée en prime-time.  

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Le récit se déroule dans un futur proche, où la robotique a suffisamment progressé pour que l’on puisse créer des androïdes mécaniques quasi-impossibles à distinguer de leurs modèles biologiques. Seules les mains de ces robots, moins perfectionnées, permettent de trahir leur nature. Le premier usage civil de ces robots est le peuplement d’un parc à thèmes géant situé dans un désert et baptisé Delos. On accède à Delos à l’aide d’un étrange avion. La journée dans ce parc coûte mille dollars (environ quatre mille dollars d’aujourd’hui) et l’endroit accueille exclusivement des adultes.

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Le parc promet à ses visiteurs de vivre une immersion totale dans une époque passée : la décadence de l’empire romain, le moyen-âge ou le far-west. Là, tout est permis et tout est possible, mais ce tout s’avère pour l’essentiel limité à deux activités : le meurtre et la sexualité.
Cette manière d’utiliser le passé historique pour y remiser le défoulement de certaines pulsions primaires est assez américain, et j’ai l’intuition que Michael Crichton n’y a pas recours de manière ingénue mais qu’il tient au contraire ici un discours moral implicite sur la pudibonderie et l’hypocrisie sociale, sur la culture factice et sur l’«entertainement».

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Le film commence par un petit reportage dans lequel un homme muni d’un micro accoste des touristes revenus du parc de Delos pour leur demander s’ils sont heureux de leur expérience. Ils ont du mal à cacher leur enthousiasme, notamment une femme entre deux âges tout juste revenue d’un séjour romain et qui en garde un sourire radieux.
Dans l’avion qui emmène quelques touristes, on fait connaissance avec cinq personnages récurrents du film : deux hommes d’affaire qui seront plus ou moins les héros du film et dont l’un est déjà venu à Delos, un couple un peu âgé et enfin un homme timide, un peu grassouillet qui porte des lunettes.

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Les deux hommes d’affaire et le timide décident d’effectuer leur séjour au far-west. Le couple d’âge mûr se sépare : monsieur part pour devenir le souverain d’un château du moyen-âge tandis que madame décide d’aller s’encanailler dans une villa romaine décadente — ici, on ne peut que faire travailler son imagination car la partie romaine du parc d’attraction n’est quasiment pas montrée dans le film. Tous les visiteurs sont conduits à l’attraction de leur choix en voiture à l’intérieur d’un souterrain. Au vestiaire, ils abandonnent leurs affaires et prennent l’habit et les accessoires qui correspondent à l’époque qu’ils ont choisie. 

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Au far-west, les deux hommes d’affaires John et Peter (interprétés par deux acteurs méconnus, James Brolin — père de Josh — et Richard Benjamin) s’installent dans une chambre qui, juge Peter, manque de confort. John lui explique que c’est justement le principe, ils vivent l’époque de la frontière comme s’ils y étaient. Pourtant les lieux sont bien propres, les vêtements sont repassés et l’inconfort semble tout relatif. En permanence ont lieu des duels, des attaques de banque ou des bagarres collectives.
Alors que Peter boit un verre d’un Whisky qu’il trouve infect, un cow-boy l’insulte. C’est le «gunslinger», un mot que Wikipédia traduit par «As de la gâchette». Le rôle est interprété par Yul Brynner, le Ramses des Dix commandements ou le Chris Adams des Sept mercennaires,2

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Peter provoque le gunslinger en duel et le tue. Pan ! Du sang gicle de partout et l’auteur du coup de feu a un petit doute : tout ça est si réaliste, et si ce n’était pas un robot ? John le rassure et lui demande même de lui tirer dessus afin de lui prouver que ces armes sont spéciales, elles contiennent un capteur qui les empêche de faire feu lorsque l’objet pointé a la température d’un corps humain.  Quand aux robots, ils ne feront jamais de mal à ceux qu’ils affrontent, ils sont là pour donner le frisson du danger mais ils perdent toujours les combats. Comme on le voit, les visiteurs de Delos, comme les organisateurs, ont une grande confiance dans le fonctionnement de toute cette technologie. Pour ma part, j’aurais beaucoup de mal à avoir confiance dans une arme dont la sécurité repose sur la détection de la température de l’objet qui est mis en joue. Mais ce n’est pas de ça qu’il faut se méfier à Westworld.

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Toutes les nuits, les robots défectueux ou ceux qui ont été tués dans des duels sont récupérés puis envoyés en réparation. Là, on règle la vision de tel robot, le pied de tel autre… Le film est parcouru de bout en bout de séquences représentant les coulisses de Delos. Avant de voir ces ateliers, le spectateur a pu admirer les consoles clignotantes façon tour de contrôle qui permettent aux employés du parc d’attraction de contrôler tout ce qui se passe : l’arrivée des avions, le comportement de tel ou tel robot et le lancement d’une séquence d’actions.
Les écrans diffusent en permanence des animations abstraites. C’est un intéressant exemple d’image dont le sens a changé au fil du temps, car pour tout spectateur d’aujourd’hui, ces animations seront identifiées comme des repose-écran. À l’époque, leur intérêt est exclusivement décoratif, il s’agit de montrer des ordinateurs en train de travailler. On me dira que ce n’est pas bien différent mais les tout premiers repose-écrans véritables datent de la fin des années 19703. Les images que l’on voit ici sont en fait des extraits de Matrix III, une oeuvre de John Whitney Jr, qui a collaboré avec Michael Crichton sur Westworld et Looker et dont le père, John Whitney Sr, est un pionner de l’imagerie informatique.

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Les dirigeants de Delos s’inquiètent un peu car certains dysfonctionnements des robots semblent de plus en plus fréquents. De plus, ces problèmes se répandent à la manière d’un virus : ils ont commencé dans un des trois parcs, puis se sont diffusés dans les autres… Un ingénieur explique que, eu égard à leur complexité, plus personne ne sait exactement dire comment fonctionnent les robots.
L’idée d’un virus informatique, puisque c’est de ça qu’il s’agit, fait partie des intuitions brillantes de Westworld, car le tout premier véritable virus n’est apparu qu’en 1981. Il a existé auparavant des programmes auto-réplicants et bagareurs mais ceux-ci, créés à des fins ludiques ou scientifiques par des chercheurs, n’étaient pas destinés à se diffuser d’ordinateur en ordinateur. La première évocation fictionnelle d’un virus serait donc cette invention de Michael Crichton, et non les «vers» informatiques imaginés par John Brunner dans l’excellent roman Sur l’onde de choc (The Shockwave rider), paru en 1975.

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Après son premier duel, Peter expérimente la seconde attraction de Delos : le sexe. En effet, des dizaines de gynoïdes s’offrent au premier cow-boy venu… Je passe sur la scène d’amour du film, elle est assez comique. Lorsque Peter, fourbu, s’endort sur l’épaule de la femme-robot qu’il a choisie, celle-ci regarde le plafond avec des yeux métaliques plutôt inquiétants. Au petit matin, le gunslinger est revenu, pour se battre contre John cette fois. Peter, à nouveau, le tue. Le shérif décide alors d’emprisonner le jeune homme, qui s’évade avec l’aide de son complice.
Alors qu’il se trouvent tous deux en fuite dans le désert, Peter et John sont attaqués par un crotale. Ce reptile est un robot mais pourtant il mord profondément John. Derrière leurs pupitres, les contrôleurs de Delos paniquent un peu : ce serpent n’aurait jamais du mordre. À peu près au même moment, dans Medieval World, une servante mécanique refuse ses faveurs au roi et le giffle, provoquant à nouveau l’inquiétude des contrôleurs.
Une femme refuse d’être traitée en objet sexuel et un serpent se met à mordre… plus rien ne fonctionne, quoi. 

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Les administrateurs de Delos ont compris que quelque chose de grave se passait, ils proposent de fermer l’endroit pendant un mois, pour maintenance, tout en laissant les touristes qui se trouvent déjà dans le parc terminer leur séjour. Ce n’est pas une très bonne idée car le problème s’accélère : au matin, Peter et John rencontrent le gunslinger pour la troisième fois. Alors que John s’apprète à tuer le robot, ce dernier tire le premier et tue son adversaire. À Medieval World, le roi est quand à lui transpercé par l’épée du chevalier noir. Les robots tuent sciemment le public du parc de Delos. Les contrôleurs tentent de priver les robots d’alimentation électrique, mais ça ne suffit pas. Pire, leur mannœuvre causera leur perte puisqu’ils se trouvent pris au piège dans leurs propres locaux, où ils s’asphyxient. 

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Peter, poursuivi par le gunslinger, rencontre un employé de Delos qui lui apprend que la panique est générale. Arrivé à cheval dans RomanWorld, où gisent les cadavres des visiteurs, Peter trouve l’entrée des souterrains de Delos. Il erre dans les couloirs à la recherche d’aide mais découvre que les employés du parc sont morts. Le gunslinger le poursuit toujours, et Peter a la présence d’esprit d’envoyer un jet d’acide au visage du robot, qui dès lors ne voit plus que dans le spectre infrarouge. Pour finir, Peter achève le robot tueur à l’aide d’une torche trouvée dans Medievalworld.

Peter croit avoir trouvé une survivante au drame, une femme attachée dans une prison médiévale… Il la détache et lui donne à boire, malgré ses protestations : court-circuit, étincelles, fumées, la dame était elle aussi un robot.
Apparaît subitement le cow-boy robot, calciné, qui tente une dernière fois de tuer Peter mais qui s’écroule lamentablement et voit son existence se terminer pour de bon au milieu d’un petit festival pyrotechnique.  Très série Z.

Quand le film se termine, on devine que Peter est sans doute la seule et unique personne qui aura survécu à cette inexplicable insurection d’androïdes. À bout de forces, il se repose sur les marches d’un escalier en se remémorant les publicités pour Delos.

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Comme toujours chez Crichton, le film contient des idées très stimulantes, et comme toujours il manque un souffle poétique qui entrainerait le spectateur ailleurs que dans un thriller technologique un peu plat. Michael Crichton, comme réalisateur, a expliqué lui-même qu’il se considérait en tant que metteur en scène comme l’anti-Scorsese, soit un cinéaste qui refuse les effets de signature et s’efface derrière les mécanismes du scénario et la force du récit4. Une telle déclaration d’intentions me semble souvent un peu naïve,  mais dans le cas de Crichton on est forcé de constater que le cinéma est invisible et s’efface complètement derrière le scénario. Je ne sais pas si c’est une qualité, je ne sais pas si c’est ce qu’on doit attendre du cinéma, et dans le cas de Westworld ça ne profite au fond qu’à Yul Brynner, qui crève l’écran, puisqu’il ose, lui, composer un véritable personnage. Ce n’est pas pour rien qu’il est mis en avant par les affiches ou que le film suivant, FutureWorld, lui consacre une longue séquence sans la moindre justification scénaristique. De fait, on ne s’intéresse au destin d’aucun autre personnage du film que ce robot exterminateur vicieux et cérébral.

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À ma grande surprise, ce qui n’a pas trop vieilli dans Westworld ce sont les effets spéciaux. Ils sont assez sobres et c’est finalement ce qui les sauve. Sobres mais assez peu astucieux, on ne se demande jamais : «comment ont-ils fait ça ?», mais on n’est pas non plus rebuté par des bizareries visuelles. La vision robotique en canevas de gros pixels est, je pense, une invention de Westworld. À l’image, on sent par ailleurs que Crichton prend un certain plaisir à montrer des pupitres lumineux clignotants et des dérouleurs de bandes d’ordinateurs.
Westworld est un film un peu ennuyeux à revoir, mais il a un tout de même un petit quelque chose, que je ne saurais décrire, qui fonctionne.

  1. mise à jour 2011 : The Terminal Man est à présent édité en DVD et je lui ai consacré un article. []
  2. Pour l’anecdote, Yul Brynner porte dans WestWorld le costume de son personnage Chris Adams dans Les Sept mercennaires. []
  3. Les tout premiers repose-écrans servaient à varier l’affichage des consoles de jeux Atari lorsqu’elles étaient inactives. Le mot quand à lui date de 1983. []
  4. cf. Olivier Père — hommage à Michael Crichton — cinémathèque française  []
  1. 11 Responses to “Westworld”

  2. By Shadow on Juin 3, 2009

    Effectivement, le traitement de l’image pour figurer la vision du Gunslinger était une première… Et mine de rien, cette pixellisation qui semble banale aujourd’hui serait la première utilisation de « computer graphics » (images générées par ordinateur, donc) au cinéma !
    ( voir notamment http://hem.passagen.se/des/hocg/hocg_1960.htm )

    D’ailleurs FutureWorld aura aussi cet aspect pionnier des effets spéciaux, avec la première représentation de parties du corps humain en images de synthèse au cinéma : tête, main (quelques captures ici : http://www.shadows.fr/3d/chronologie/heffron-futureworld ).

    Les mauvaises langues diront par contre qu’en remplaçant le Gunslinger par un T-Rex, Crichton a repompé son propre scénario pour écrire Jurassic Park quelques années plus tard…

  3. By Jean-no on Juin 4, 2009

    Il y a déjà des animations informatiques (en 3D) assez belles d’ailleurs, dans The Andromeda Strain (1971)… Toujours d’après Crichton !

  4. By Shadow on Juin 4, 2009

    Oups, je l’avais oublié… C’est d’autant plus impardonnable que je l’ai vu et que j’en parle aussi dans ma chronologie de la 3D !
    J’ai aussi vu le remake récent, qui est… à oublier.

  5. By Jean-no on Juin 4, 2009

    Pour ma part j’avais déjà oublié qu’il existait un remake ;-)

  6. By bobig on Juin 4, 2009

    le geek que je suis n’a pas oublié « mondwest » et je ne peux pas m’empêcher de penser que les mmorpg comme world of warcraft sont des westworld virtuels – ce qui est quand même rassurant je n’aimerai avoir yul brynner à mes trousses ^^

  7. By Antoine Bablin on Juin 5, 2009

    hey JN ! Tu nous fait un post sur l’homme qui valait 3 milliards ?

  8. By Jean-no on Juin 5, 2009

    Il va falloir y venir :-) Et sur Super Jaimie aussi. Il paraît que la nouvelle Super Jaimie n’est pas inintéressante.

  9. By Lhooqteam on Oct 8, 2009

    Un film terrible avec Yul B…. des petits airs de terminator et de SteeveAustin( l homme qui valait 3 milliards ) …
    J’adore …. mais j’ai moins accroché sur ça suite : Futurworld/Les rescapés du futur ..
    On le trouve à moins de 10 euros en dvd z2!!

  10. By fred on Déc 15, 2010

    et on ne parle jamais d’un livre ,
    est ce tiré d’un livre ??

  11. By Jean-no on Déc 15, 2010

    @fred : non, je crois qu’il a fait directement un film pour le coup, comme pour Looker et Runnaway.

  12. By fred on Déc 15, 2010

    donc on peut ajouter sur le blog : « sur une idee originale »,
    il existe un livre de poche du script.
    voila

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