Profitez-en, après celui là c'est fini

Publicité interactive (2009)

décembre 16th, 2017 Posted in brevets

En fouillant mes archives, je tombe sur quelques visuels d’un brevet tout droit sorti d’un épisode de la série Black Mirror, déposé le 23 octobre 2009 sous la référence US8246454 B2 par un dénommé Gary Zalewski pour Sony Computer Entertainment America Llc. Je n’avais pas pris le temps de les publier sur ce blog.

La convergence des médias (figure introductive du brevet), qui montre toutes les propositions interactives proposées à un unique embodiment — concept issu de la psychologie cognitive qui décrit (pour aller vite) le rapport entre les mouvements du corps, l’apprentissage et la manière de penser. C’est l’auteur du brevet qui utilise le mot embodiment.

Le principe est de profiter de la convergence entre télévision et consoles de jeux vidéo, puisque les consoles sont désormais de véritables media-centers, capables de lire des films DVDs et Bluray, mais aussi d’accéder à des contenus télévisuels diffusés en ligne. Enfin, il s’agit de tirer parti de la puissance de ces consoles, qui savent interpréter finement les images et les sons que leur envoient leur caméra et leur micro.
La proposition, ici, est de transformer les publicités en jeux interactifs, mais pas nécessairement en jeux amusants pour deux qui y jouent.

Sur ce schéma (figure 8), par exemple, le spectateur dérangé par la publicité peut accélérer la diffusion de cette dernière en jetant virtuellement un cornichon dans un hamburger. S’il ne le fait pas, il doit subir l’intégralité du spot.

Dans ce second schéma (figure 9), le spectateur dérangé par un spot doit se lever et dire le nom de la marque pour interrompre la séquence avant sa diffusion complète.

Les autres exemples proposent des cas d’interactions avec un programme audiovisuel, sans expliquer spécifiquement en quoi ils servent à des publicités, la chose est laissée à l’imagination des annonceurs, mais on suppose que des programmes peuvent être intentionnellement perturbés non plus par des séquences mais par des éléments visuels publicitaires avec lesquels les spectateurs seront sommés d’interagir.

On a longtemps redouté la fourberie de la publicité : publicité déguisée, images subliminales, contrôle de l’attention, pilotage du regard, et autres manipulations discrètes.
Mais ce genre de brevet me semble clairement assumer le caractère autoritaire, intrusif et déplaisant de la publicité, qui fonctionne ici sur le mode du chantage et de la prise de contrôle du spectateur-interacteur, lequel n’est plus un « utilisateur » mais un pantin dont non seulement les pensées mais jusqu’aux mouvements sont investis par la publicité.
L’interactivité, que l’on croit souvent destinée à offrir des libertés aux utilisateurs (et elle peut l’être) est ici un moyen autoritaire pour contraindre les gestes et les préoccupations de la personne. Quant au réseau Internet, formidable outil de savoir et de communication — d’émancipation, donc —, il devient le substrat une prison panoptique inversée où les personnes sont au centre de l’attention prédatrice de « services » divers.

La prison panoptique (Panopticon) imaginée par le philosophe Jeremy Bentham à la fin du XVIIIe siècle : le gardien a une vision de chaque cellule de la prison.

Huit ans après la publication de cette invention, je n’ai rien vu d’aussi abusif être effectivement produit et utilisé. J’ai vu des affichages interactifs dans l’espace urbain, dans des vitrines ou dans des boutiques qui invitaient les utilisateurs à faire volontairement les clowns devant un écran, je vois comme tout le monde des vidéos en ligne qui attendent un clic, une réponse à une question ou une décision de l’utilisateur pour se lancer, mais jusqu’ici rien d’aussi outrancier qu’une publicité qui réclame au spectateur d’engager sa voix et son corps entier pour écourter le calvaire du visionnage d’une publicité pour hamburgers. Bien entendu, Sony — et bien d’autres — ne dépose pas forcément des brevets pour les utiliser, il s’agit soit de se réserver la possibilité d’employer une technologie, soit d’empêcher les concurrents de le faire librement, soit les deux, mais force est de constater que les innombrables brevets de Gary M. Zalewski portent souvent sur la manière dont on peut intégrer des publicités à des contenus interactifs ou non, comme son brevet pour l’ajout de publicités à des jeux vidéo, qui fit scandale il y a onze ans, ou plus récemment ses brevets pour une technique destinée à déterminer automatiquement des zones libres dans les images pour y inclure des publicités (US20150304710 A1), ou pour une autre permettant d’augmenter le nombre de publicités imposées pour un même programme (US20160250549 A1). J’ai peur que l’avenir de la publicité interactive se prépare effectivement avec ce genre d’inventions de plus en plus brutales.

  1. 2 Responses to “Publicité interactive (2009)”

  2. By Bob la Loutre on Déc 16, 2017

    J’ai du mal à voir comment ce genre de brevet (ceux du début de l’article) pourrait être mis en place d’un point de vue technique. Certes, on a de plus en plus de gadgets divers qui nous observent mais ils n’interagissent pas entre eux de manière universelle (c’est même plutôt le contraire pour garder les utilisateurs captifs de telle ou telle marque). Pour concrétiser ce type de délire venu des rêves humides d’un marketeux quelconque, il faut un écosystème matériel et logiciel spécifique et il faudrait que Sony développe des technos pour des tas de périphériques, passe des accords avec de nombreux fabricants ; ce serait un gouffre financier investi dans un système probablement déjà obsolète au moment de sa disponibilité (parce qu’il y aura de nouveaux modèles de télés, de smartphones, d’assistants virtuels, de consoles ou que sais-je encore qui fonctionneront différemment et il faudra tout refaire, constamment tout adapter et mettre à jour). Tout ça pour au final avoir des fonctionnalités complètement accessoires pour les marques qui ne toucheront que les téléspectateurs équipés comme il faut. Ça tient de l’usine à gaz complètement impossible à mettre en pratique.

    « − Bonjour monsieur McDonald’s, nous avons une idée formidable à vous proposer pour resserrer les liens entre votre marque et vos client, à base de petits jeux interactifs. Les enfants vont adorer ça. Il y a juste une toute petite limitation : notre système ne fonctionne que pour les gens qui possèdent un téléviseur Sony sorti après 2016 et relié à une XBox avec un Kinect.
    − Un quoi ? »

  3. By Jean-no on Déc 16, 2017

    @Bob : là ça repose sur la seule caméra, il me semble, donc ça peut être facilement adapté à d’autres supports que la PlayStation. Ensuite tout dépend de l’évolution des devices, de l’homogénéité du parc. Mais il se peut tout à fait que demain Netflix n’accepte d’être diffusé sur certaines média box qu’à condition qu’elles remplissent un certain cahier des charges, qui permettra ce genre de choses. Pour l’instant c’est absurde, mais attendons de voir, un brevet ne s’adresse pas forcément au présent !

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