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[Parution] L’Intelligence artificielle

mars 3rd, 2016 Posted in Bande dessinée, IA, Personnel

marion_montaigne_jean-noel_lafargue_intelligence_artificielle_180pxDemain sortent enfin les quatre premiers livres de La Petite Bédéthèque des Savoirs, la toute nouvelle collection « nonfiction » des éditions du Lombard. Il y a Les Requins, par Bernard Séret et Julien Solé ; Le Heavy-metal, par Jacques de Pierpont et Hervé Bourhis ; L’Univers, par Hubert Reeves et Daniel Casanave. Et enfin, L’Intelligence artificielle, premier numéro de la collection, signé par Marion Montaigne et Jean-Noël Lafargue, c’est à dire moi-même.

La collection intéresse beaucoup les médias, et notamment la presse écrite, qui y a consacré de nombreux articles bien avant la sortie officielle des premiers albums. Quand on veut la décrire rapidement, on la compare aux collections Que Sais-je? et Gallimard Découvertes, mais le concept est encore différent, puisqu’il s’agit de bande dessinée : un.e scientifique et un.e auteur.e de bande dessinée se voient associés par le directeur de collection, David Vandermeulen, et l’éditrice, Nathalie Van Campenhoudt. Connus du grand public ou non, les auteurs « scientifiques » et les auteurs de bande dessinée sont sélectionnés avec soin, en fonction de leurs qualités et en pariant sur la rencontre de leurs centres d’intérêt. Quatre nouveaux albums sortiront tous les trois mois, des titres sont d’ores et déjà signés jusqu’à l’été 2018.

De gauche à droite : Nathalie Van Campenhout, Marion Montaigne, Daniel Goossens.

Séance de travail au café Le Père Tranquille avec de gauche à droite : Nathalie Van Campenhoudt, Marion Montaigne, Daniel Goossens.

Pour raconter les choses rapidement, L’Intelligence artificielle a failli avoir un troisième auteur : l’immense Daniel Goossens, à la fois humoriste hors-pair, consacré grand prix de la ville d’Angoulême en 1997, et enseignant-chercheur en Intelligence artificielle à l’Université Paris 8 depuis le milieu des années 1970. Daniel a accompagné le projet avec une distance bienveillante, nous disant régulièrement qu’il ne voulait pas s’y engager vraiment, pour des raisons qui touchent, je pense (à lui de le dire) à sa position singulière : ce n’est pas pour rien qu’il a soigneusement évité, quarante ans durant, de relier ses deux métiers, bien que ceux-ci me semblent, à l’évidence, être les deux faces d’une même pièce1. Le jour où il produira une bande dessinée sur l’Intelligence artificielle, s’il s’y essaie jamais, Daniel ne pourra sans doute en être que le seul et unique auteur. Enfin, se posait un autre vrai problème : comment organiser la collaboration de deux auteurs aux personnalités si affirmées ? Le dessin se serait-il fait à quatre mains ? Est-ce que chacun aurait pu se charger d’une partie ? L’envie que la chose se fasse ne pouvait suffire à régler tous les problèmes posés en pratique.
Daniel n’a rien signé, donc, mais il nous a régulièrement offert le plaisir de sa conversation et a écrit un texte très éclairant sur la question du sens commun, qui a été directement utilisé pour le livre.

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À l’Institut des systèmes intelligents et de Robotique, à Paris

Outre Daniel Goossens, nous sommes allés à la rencontre d’autres spécialistes. Tout d’abord Jean-Louis Dessalles, de Télécom ParisTech (que nous a présenté son étudiant Antoine Saillenfest — à présent docteur), enseignant-chercheur aux nombreuses préoccupations dans le domaine du langage et des sciences cognitives, notamment. Rencontre absolument passionnante. Je ne sais plus comment il l’avait formulé exactement, mais j’ai été frappé par une réflexion de Jean-Louis Dessalles qui nous a dit en substance qu’il ne voyait pas ce qui pouvait exister de plus passionnant et de plus crucial que de comprendre comment fonctionne notre propre intelligence.

Ensuite, nous nous sommes rendus à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (ISIR), à l’université Marie et Pierre Curie, que Marion connaissait déjà et où nous avons été reçus par Stéphane Doncieux, Jean-Baptiste Mouret et Nicolas Bredèche, qui ont une approche tangible et pragmatique de l’Intelligence artificielle, puisqu’ils forcent des automates physiques à trouver des solutions « intelligentes » aux problèmes qui leur sont posés. C’est le cas de l’hexapode qui a permis à leur laboratoire de se retrouver en couverture de la prestigieuse revue Nature, deux jours avant notre entretien2. J’espère que notre compagnie a été plaisante, car l’entretien a duré plusieurs heures et a porté sur d’innombrables sujets : les différentes écoles de l’Intelligence artificielle, la qualité des films de fiction qui traitent du sujet, etc.
Quelques mois plus tard, l’équipe a accepté que nous revenions la visiter, accompagnés cette fois d’une équipe de tournage.

Marion expérimente la "vallée dérangeante"

Marion expérimente la « vallée de l’étrange » (ou « vallée dérangeante ») en présence de Kouka, une gynoïde construite par le roboticien japonais Hiroshi Ishiguro, que l’on pouvait voir exposée au Palais de Tokyo l’an dernier.

Si j’ai été embauché pour cette aventure, ce n’est pas en qualité de chercheur en intelligence artificielle, puisque je ne le suis pas, mais pour l’intérêt que je porte à l’imaginaire qui entoure l’informatique, et tout particulièrement dans le cas des fictions. Ce livre a donc été pour moi l’occasion d’effectuer une enquête, et non celle de dispenser un savoir académique installé.
Puisque je suis par ailleurs programmeur, Marion m’a demandé de lui expliquer comment on s’adressait à un ordinateur, ce que j’ai fait avec le langage Processing, évidemment, et je dois dire que je reste assez admiratif de la rapidité avec laquelle elle a assimilé les notions que je lui ai présentées. Marion aime beaucoup comprendre, on le voit dans son œuvre, et ça explique assez bien pourquoi elle est à ce point appréciée des scientifiques, sur leur propre terrain, sans avoir reçu une formation scientifique elle-même. En dehors des cours de programmation, je dirais que ma place dans ce projet a d’abord consisté à rassembler de la documentation, à beaucoup discuter, et, soyons humble, à ne pas entraver l’artiste.

Nous avons assez rapidement décidé de construire l’ouvrage comme une fiction, avec un personnage principal venu du futur qui découvre l’état de l’art en matière d’Intelligence artificielle au début du XXIe siècle, c’est à dire aujourd’hui. Cette histoire de voyage temporel est un clin d’œil à la série Terminator, il y en a d’autres. Le but de telles évocations est de rappeler qu’à côté de la discipline scientifique nommée Intelligence artificielle, qui n’existe que depuis soixante ans, existe un très riche imaginaire.

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Une intelligence artificielle telle que l’on sait en créer aujourd’hui ne dispose pas du « sens commun », c’est à dire de tout ce que nous savons sans l’avoir appris, et qui ne nous demande aucun effort de réflexion. L’album parle du sens commun, et force au passage le lecteur à y recourir ! En effet, il aura coulé beaucoup d’eau sous les ponts avant qu’un logiciel d’analyse de texte parvienne à faire la part de l’information et de l’absurde dans un récit où un robot perruqué venu du futur discute de Google avec un chercheur en slip qui vient d’être chassé de chez lui par sa compagne qui le juge trop peu attentionné à son égard.

On me demande souvent comment a été initiée notre collaboration, qui a trouvé qui, et comment a été partagé le travail. Dans le cadre de la plupart (sinon de la totalité) des autres livres de la collection, illustrateur et scénariste ne se connaissent pas en personne, c’est l’éditeur qui a supposé que leur collaboration serait fructueuse, et qui a décidé de provoquer leur rencontre. Le scénariste produit un texte que l’illustrateur adapte en dessins. Mettre en relation autant de personnalités fortes doit faire des étincelles, je suis curieux de ce que racontera le directeur de collection après quelques années à arranger des mariages entre personnes d’univers si différents, mais à ma connaissance, aucun projet n’a été compromis pour cause d’incompatibilité d’humeur pour l’instant. Il faut dire que Nathalie Van Campenhoudt  et David Vandermeulen suivent les projets de manière très attentive, et conversent régulièrement avec les auteurs pour vérifier que tout se passe au mieux.
Dans le cas de Marion et de moi-même, les choses sont un peu particulières puisque nous nous connaissions déjà un peu : les présentations n’étaient plus à faire. Mais ce n’est ni elle ni moi qui avons eu l’idée de la collaboration, l’initiative émane cette fois aussi de l’éditeur. En tant que simple lecteur, j’ai une grande admiration pour le travail de Marion, que je trouve excellent en tout : un dessin expressif et efficace, un sens du scénario, du gag, et un vrai plaisir à faire de la vulgarisation scientifique3. Un plaisir sans nuages, donc, d’autant que Marion a, en sus de toutes ses qualités professionnelles, une personnalité des plus avenantes.

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Cinquante-six pages de bande dessinée (complétées par des conseils de lecture et une préface du directeur de collection), c’est bien entendu trop court pour faire le tour d’un sujet aussi vaste, aussi mouvant et aussi délicat à traiter4, mais si nous n’en faisons pas le tour, nous espérons donner au lecteur un bon aperçu des enjeux et de l’histoire du domaine. Nous évitons le name-dropping et nous n’entrons pas dans les détails techniques, ce qui eût sans doute été inutilement laborieux, mais aussi un peu hors de notre portée — je suis personnellement loin d’avoir le niveau en mathématiques pour expliquer et comprendre les chaînes de Markov, les probabilités bayésiennes ou encore le théorème de Kolmogorov.

On nous a demandé à quel âge était destiné ce livre. Comme la plupart des livres de la Petite Bédéthèque des savoirs parus et à paraître, celui-ci s’adresse plutôt aux adultes, non qu’il contienne des détails « réservés à un public adulte », mais que peu d’enfants se passionnent pour le fonctionnement de leurs propres capacités cognitives : ils sont suffisamment occupés à les utiliser, après tout. Je connais néanmoins une jeune fille de onze ans qui a lu cet album de bout en bout avec plaisir5, ne s’attardant pas sur les concepts trop éloignés de ses préoccupations, mais savourant le reste.

L’Intelligence artificielle, par Marion Montaigne et Jean-Noël Lafargue, éditions du Lombard, collection « La petite Bédéthèque des Savoirs ».
Parution le 4 mars 2016. ISBN 9782803636389
10 euros. Eh oui, vous avez bien lu, dix euros, seulement. Je n’ai pas envie d’avoir l’air d’un camelot, mais j’attire votre attention sur le fait que dix euros est une toute petite somme. En plus, les livres sont conçus et façonnés avec un soin rare. En vente partout.

  1. Peut-être est-ce que le Daniel Goossens théoricien de l’intelligence et le Daniel Goossens praticien de la bande dessinée sont distincts à la manière de la physique relativiste et de la physique quantique : une même réalité de départ, mais deux approches que la théorie ne parvient pas à concilier. []
  2. Ce robot, qui cherche à aller d’un point à un autre, invente des solutions pour se déplacer dans la bonne direction même si on a endommagé une de ses pattes. []
  3. Au point qu’il me semble évident que l’existence même de projets tels que Sociorama (Casterman) et la Petite bédéthèque des savoirs a été inspirée, entre autres, par la réussite (artistique, critique, publique) des quatre tomes de Tu Mourras moins bête et de l’album Riche pourquoi pas toi ? []
  4. Ce n’est sans doute pas par hasard qu’il n’existe aucun numéro de la collection Que Sais-je? qui soit consacré à l’Intelligence artificielle. La plupart des ouvrages publiés sur le sujet sont focalisés sur des branches précises de la discipline : ce n’est pas un sujet facile à aborder dans sa totalité. []
  5. Certains titres de la collection, tels Les requins, constituent à mon avis d’excellents cadeaux pour enfants. On imagine en revanche que L’histoire de la prostitution, par Laurent de Sutter et Agnès Maupré, à paraître dans un an, sera un peu moins « tous publics ». []
  1. One Response to “[Parution] L’Intelligence artificielle

  2. By Mais où va le web on Mar 15, 2016

    En tout cas le résultat est réussi, j’ai savouré cette petite bande-dessinée. Déjà familier des grands concepts qui reviennent sur le sujet, je dois dire que j’ai quand même appris deux-trois trucs…

    Au passage, le bouquin est beau, le grain agréable et c’est un plaisir de le voir trôner sur les étagères de ma bibliothèque.

    Encore bravo pour votre travail.

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