Profitez-en, après celui là c'est fini

Enthiran

décembre 25th, 2014 Posted in Robot au cinéma

endhiran_dvdAvec la démocratisation des effets visuels informatiques, notamment, la science-fiction au cinéma n’est plus exclusivement anglo-saxonne, japonaise ou française1, on voit des réussites ou des curiosités en provenance d’Espagne (Ouvre les yeux, Eva, Automata), d’Israël (Le Congrès), de Suisse (Cargo), du Portugal (Collider), d’Italie (Nirvana), de Finlande (Iron Sky), de Suède (Kung Fury)… À présent, aussi, des pays dits « émergents » osent à leur tour produire de la science-fiction ambitieuse, et y amènent les thèmes qui les préoccupent : la guerre nord-sud pour le mexicain Sleep Dealer ; l’Apartheid dans le sud-africain District 9 ; les ressources écologiques avec le court-métrage kenyan Pumzi ou le film sud-africain Young Ones ; l’État autoritaire avec le film mexicain 2033. Beaucoup de ces pays ont une tradition importante de littérature spéculative, mais n’avaient jusqu’ici aucune production cinématographique ambitieuse dans le domaine. De tous ces pays « émergents », c’est l’Inde qui produit le plus de films de science-fiction — principalement dans le registre des super-héros, semble-t-il. L’Inde, premier cinéma du monde en nombre de tickets vendus et de films produits, a un marché très singulier, quasi-totalement imperméable au cinéma exogène, du fait de la multiplicité des langues parlées, de la censure, et surtout du fait des habitudes du grand public indien pour qui un film doit-être, à quelques rarissimes exceptions près, une comédie musicale de trois heures dont l’intrigue tourne autour de questions de mariage. Les mêmes raisons ont longtemps fait du cinéma indien un cinéma difficile à exporter, du moins dans les pays occidentaux.

enthiran_danse

Dans Enthiran, les parties musicales ne sont pas directement liées à l’intrigue et ressemblent à des clips insérés régulièrement au cours du film. Une de ces séquences se passe devant le Machu-Pichu, au Pérou, avec des dizaines de danseurs en costumes pré-colombiens, sans que l’on comprenne bien pourquoi.

Enthiran (S. Shankar 2010) est un film en langue tamoule (« Kollywood » et non « Bollywood », donc), dont le budget était, à sa sortie, un record absolu pour l’industrie cinématographique du pays2, et qui a aussi atteint des sommets en termes d’audience puisqu’il reste le second plus grand succès historique du cinéma indien.

Le docteur Vaseekaran (interprété par Rajinikanth, l’acteur le mieux payé d’Asie après Jackie Chan) est fiancé à Sana (la très belle Aishwarya Rai, sacrée Miss Monde en 1994 et très remarquée pour de nombreux films dont la version 2002 de Devdas), mais cette dernière lui reproche de consacrer trop de temps à son travail et envisage de rompre son engagement. Le grand œuvre de Vaseek, aidé de ses deux assistants incompétents, c’est son robot Chitti Babu, une machine humanoïde à qui il a donné sa propre apparence.
Vaseek a d’autres problèmes que les hésitations de sa fiancée : il cherche à attirer l’intérêt de son mentor, le docteur Bohra (Danny Denzongpa, acteur originaire d’une province indienne qui jouxte le Népal, le Bouthan et le Tibet), qui s’avérera surtout jaloux de son disciple et tentera de lui nuire puis de profiter de son invention.

enthiran_debut

Vaseek tente de convaincre le gouvernement indien que son robot peut lui être utile. Il faut dire que la machine possède des capacités hors normes : il lit un livre en quelques secondes, sans même l’ouvrir, il possède la force de cent hommes, et il peut agir comme un super-aimant pour désarmer un ennemi ou enlever son pantalon à un autre. Chitti fait la démonstration de ses talents en aidant Sana à tricher lors de son examen de médecine, puis en la sauvant d’une bande de brutes qui compte la violer dans un train pour la punir de les avoir forcés, un peu plus tôt, avec l’assistance musclée de Chitti, à baisser le son de leur chaîne hi-fi.On remarque que les agresseurs filment Sana avec leurs téléphones portables en même temps qu’ils la maintiennent et la déshabillent. Heureusement, malgré un petit suspense dû à un problème de batterie, Chitti punira les agresseurs de Sana comme ils le méritent.

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La jeune femme est alors convaincue de l’intérêt de la machine et du génie de son futur époux, avec qui elle se réconcilie.
Seulement on reproche à Vaseek d’avoir créé une machine incapable de discernement, à qui on pourrait, par exemple, ordonner d’assassiner son créateur. Vaseek a fait exprès de ne pas inscrire les trois lois de la robotique d’Asimov dans son programme, puisque ça le rendrait inutile en tant que robot militaire ou policier.

Vaseek pense pouvoir démontrer l’utilité de son sosie robotique à l’occasion d’un gigantesque incendie, où la machine sauve des gens pris au piège par les flammes. Il commet néanmoins une erreur impardonnable : il sauve une jeune femme qui était en train de prendre son bain. Ne comprenant pas pourquoi la jeune femme préfère mourir brûlée plutôt qu’apparaître nue en public3, Chitti babu a fourni la preuve de son incorrigible inhumanité : il ignore tout du sentiment d’honneur. Ce qui n’est pas le cas de la demoiselle qui décide de se jeter sous les roues d’un camion, lavant son honneur perdu par le sacrifice de sa vie.

enthiran_honneur

Un très étrange test de Turing, donc : ce qui fait qu’une intelligence artificielle mériterait d’être humaine, pour le scénariste, ce n’est pas la conscience de soi, l’humour, l’émotion, la poésie ou le désespoir, mais le fait de penser qu’il vaut mieux qu’une jeune fille soit morte plutôt que déshonorée par l’exposition de sa nudité.

Mortifié par ce fiasco, Vaseek décide d’apprendre les émotion humaines à sa créature, en lui donnant des livres à lire, en le rendant sensible à la beauté du miracle de la vie et à la tristesse du deuil. Chitti est alors prêt à accomplir un nouvel exploit : permettre un accouchement difficile, en recourant à une technique ancestrale consistant, si j’ai compris, à déboîter la hanche de la parturiente.

enthiran_humanite

C’est un succès ! Sana est si heureuse qu’elle se jette au cou de Chitti Babu et l’embrasse sur la joue. Chitti est comme paralysé d’émotion, seuls bougent ses cheveux, sur lesquels souffle un petit vent — ce qui arrivera chaque fois qu’il pensera à Sana à partir de ce moment. Car Chitti, trop humain, désormais, est amoureux et fera tout pour retrouver la sensation voluptueuse du baiser de Sana.

Suit une scène extrêmement drôle où Sana n’accepte d’embrasser à nouveau la joue de Chitti que si celui-ci retrouve le moustique qui l’a piquée et le contraint à venir s’excuser. Elle lui impose ce gage en étant certaine qu’il ne pourra réussir, mais Chitti court dans les rues de la ville à la poursuite du moustique et va même parlementer avec une nuée de moustiques aussi vantards que lâches et fourbes. Parmi les conditions qu’imposent les moustiques, il y a celle-ci : que les moustiques soient « déclarés oiseau national » de l’Inde. Heureusement, Chitti ne fait pas cette promesse, car plein de bon sens robotique, il rappelle aux moustiques qu’ils sont des insectes et non des oiseaux. Cette partie du film, assez fantaisiste, rappelle les exploits imposés aux héros de contes de fées.

enthiran_moustique

Vaseek présente Chitti à des militaires, expliquant qu’il veut en faire cadeau à l’armée indienne. Les militaires testent les connaissances du robot mais ce dernier explique qu’il ne pense qu’à Sana, en plaçant la tige d’une rose dans la goupille d’une grenade, osant cette métaphore : Sana est la fleur, Chitti est la grenade, sans Sana, Chitti n’est qu’une arme dangereuse.

C’est une humiliation de trop pour Vaseek, qui retourne à son laboratoire et, fou de rage, démembre son robot et l’abandonne, en pièces, dans une décharge. Chitty l’avait pourtant supplié de l’épargner, car il a désormais une raison de vivre : son amour pour Sana.
De son côté, le docteur Bohra a aussi des soucis : ses propres robots ne fonctionnent pas, les assistants de Vaseek, qu’il a débauchés, sont incapables de l’aider, et il a peur que des dealers, à qui il a promis de livrer un robot en état de marche, ne lui fassent payer cher son retard.

enthiran_chitti_mechant

Bohra se rend à la décharge et parvient à mettre la main sur les restes de Chitt. Il le répare, en ajoutant un programme de sa conception au logiciel du robot : il le rend méchant. Cette fois-ci, Chitti vient perturber la cérémonie de mariage de Vaseek et Sana. Il s’apprête à tuer froidement son créateur, mais la belle s’interpose courageusement. Il l’emmène avec lui, poursuivi par des centaines de policiers qu’il tue sans états d’âme.

Chitti est désormais capable de créer des copies de lui-même qui lui obéissent servilement. Le docteur Bohra est mort d’avoir tenté de l’en empêcher, dans un sursaut de lucidité.
Avec ses copies et sa princesse captive, Chitti se crée une place-forte dans un centre commercial. Personne ne semble pouvoir l’atteindre. Mais Vaseek dispose d’un atout : il a le même visage que Chitti, qu’il a créé à son image. En se faisant coiffer, vêtir, raser et maquiller comme Chitti, il peut aisément s’intégrer parmi les clones et aller demander à Sana de l’aider dans son plan. Elle le prend, tout naturellement, pour l’ennemi, et Vaseek est donc forcé de se scarifier le bras pour prouver qu’il est fait de chair : c’était donc bien lui.

enthiran_clones

Le plan est de détourner l’attention de Chitti pendant que la police s’active à priver le quartier d’électricité, dont Chitti et ses clones sont dépendants. Grâce à un automobiliste égaré dont il récupère la batterie, Chitti évite la panne. Très fâché, il comprend tout et démasque Vaseek parmi ses clones car ce dernier est le seul à ne pas savoir faire effectuer des rotations complètes à sa tête.
Les forces de l’ordre encerclent le centre commercial-forteresse de Chitty, la guerre est déclarée. Suivent alors les scènes qui ont fait le succès mondial de la bande-annonce, où Chitti et ses clones utilisent leur capacité à s’aimanter pour créer des structures offensives efficaces : boule, mur, tour, ou même cobra.
Chitti tue des centaines de personnes, jusqu’à ce que son créateur trouve le moyen de l’immobiliser avec un aimant, le temps de lui enlever le processeur rouge inséré par le méchant Bohra. Le cauchemar est terminé.

Considérant les dégâts causés par son invention — des milliers de morts —, le docteur Vaseekaran est condamné à mort. Heureusement, Chitti vient témoigner en sa faveur et produit une vidéo qui démontre la traîtrise de Bohra. Vaseek est acquitté, mais c’est Chitti qui doit être démantelé. Il accepte ce destin et s’étête lui-même. Des années plus tard, ce qui reste de lui se trouve dans un musée que les enfants visitent. Une écolière demande à haute voix pourquoi Chitti a été démantelé, et la tête de ce dernier répond : « Je m’étais mis à penser ».

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Comme la plupart des films populaires indiens, celui-ci peut être un peu déroutant pour ceux qui ignorent le genre, puisque les questions d’honneur ou les relations entre hommes et femmes sont traitées d’une manière assez éloignée des canons hollywoodiens. Ce qui m’a le plus frappé ici, outre l’histoire de la jeune femme déshonorée par sa nudité, ce sont les questions de distinctions ethniques et sociales, qui sont exposées sans ménagement : le fourbe ennemi a un physique népalais (les indiens du nord-est sont très mal vus dans le reste du pays), les agresseurs ont soit la peau très sombre, soit ils sont occidentaux. Les dealers sont occidentaux. Est-ce mieux que le traitement assez condescendant et paternaliste4 que les films français, par exemple, donnent souvent aux « minorités visibles » ? Difficile à dire, mais la différence saute aux yeux, même sans disposer de toutes les clés culturelles, ou peut-être justement parce que l’on n’en dispose pas et que l’on porte un regard extérieur.

Enthiran (aussi appelé Endhiran, ou Robo, ou encore Robot) est un objet hybride, qui louche ostensiblement sur les blockbusters américains sans abandonner sa culture d’origine, où l’on trouve quelques séquences extrêmement originales, perdues parmi les références thématiques ou visuelles à Frankenstein, Terminator, Robocop, Electric Dreams, I Robot ou Matrix. On ne peut pas dire que le scénario développe une réflexion particulièrement intéressante sur les promesses de la robotique, mais il faut sans doute avoir vu ce film.

  1. La France a produit une quantité très importante de films de science-fiction, de Méliès à 8th Wonderland en passant par Alphaville. J’aurais pu ajouter l’Allemagne, dont la production dans le domaine est loin d’être négligeable, ou certains pays de l’Est comme la Tchéquie ou la Pologne. En Asie, la Corée du sud et Hong Kong ont une production non-négligeable. []
  2. Le budget d’Enthiran est de vingt millions de dollars. Un record pour l’Inde, qui reste malgré tout modeste à côté des blockbusters américains bien sûr, mais aussi de films français tels que ceux de la série Astérix, qui ont chacun coûté le double, au minimum. []
  3. Le spectateur, lui, voit une image pixelisée : le cinéma indien est particulièrement chaste. []
  4. En marge d’une rencontre à la Bibliothèque nationale, récemment, l’excellente Marion Montaigne racontait comment les « minorités visibles » sont souvent traitées par les scénarios dans le dessin animé (milieu où elle a un temps travaillé) : il faut que les personnages concernés soient positifs, ne soient pas « en situation d’échec », mais il ne faut pas non plus qu’ils soient les personnages principaux du récit… Les personnages censément (censément, car ce ne sont pas des acteurs, mais des dessins) d’origine asiatique ou africaine sont donc abonnés aux rôles de faire-valoir sympathiques… []
  1. 3 Responses to “Enthiran”

  2. By Bishop on Déc 30, 2014

    Pour Iron Sky tu sais c’est pire c’est une coproduction australo-germano-finlandaise.

  3. By Jean-no on Déc 30, 2014

    @Bishop : oui j’ai simplifié :)

  4. By Denis on Jan 21, 2015

    Outre les références pré-citées et connues en Occident, il y a dans la bataille finale une référence évidente à Dragon Wars, film coréen. Évidente en Corée, bien sûr. Je suppose donc qu’il y a encore de nombreuses références qui nous échappent, pauvres Européens.

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