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Université piteuse

décembre 12th, 2014 Posted in Études, indices, Mauvaise humeur

Un modeste tumblr peut-il avoir un poids politique ? Le site Ruines d’Université, qui montre l’état d’insalubrité de nombreux bâtiments universitaires en France, rencontre un certain succès sur les réseaux sociaux et dans les médias. J’ignore si c’est lié, mais quelques heures après que le site du Monde ait signalé l’existence de ce blog, le président de la République annonçait son intention d’annuler la baisse de soixante-dix millions d’euros de budget des universités qui avait été programmée.

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Dans ma salle à Paris 8, il y a un trou, dû à un dégât-des-eaux. Il a fallu six bons mois pour en identifier la cause. Il semble que ce soit fait, mais dans le doute, on garde un seau pour récolter ce qui fuit. La plomberie est un des gros problèmes des bâtiments publics, à cause du système des marchés, m’a-t-on expliqué : ils forcent à choisir le prestataire le moins cher, mais on ne peut pas faire des économies sur tout, et certainement pas sur la plomberie.

Lorsqu’il était dans l’opposition, le parti socialiste demandait que l’autonomie des universités s’accompagne de « garanties financières », mais il semble qu’une fois au pouvoir ça ne le gène pas de voir les institutions académiques subir une situation d’indigence assez scandaleuse. Si les comptes de la plupart des universités sont dit-on, à présent assez stables (plusieurs ont frôlé la faillite), on ne peut pas dire que les établissements brillent par leur confort.

Au passage, et pour des raisons voisines, les écoles d’art « autonomisées » sont peu à peu lâchées par la puissance publique, qui continue d’affirmer sa tutelle sur la pédagogie et la recherche, mais se désengage financièrement, à tous les niveaux — État ou collectivités locales —, et semble attendre de voir quelles écoles survivront à la ruine des communes qui ont contracté des emprunts toxiques ou dont l’équipe municipale préfère financer un stade sportif en « partenariat public privé » plutôt que d’investir dans l’enseignement en art1.

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Paris 8, « université monde », affirme un calicot fripé dans un placard d’affichage à l’entrée de l’établissement.

Je me souviens la modernisation de l’Université de Saint-Denis, au milieu des années 1990 : création de deux passerelles au dessus de l’avenue de Stalingrad, voie à grande vitesse où, en moyenne, un étudiant trouvait la mort chaque année ; création d’une nouvelle bibliothèque, plus grande que celle du centre Pompidou ; construction de nouveaux bâtiments ; rénovation de l’ancien ; et enfin : arrivée du métro juste devant l’entrée de l’université, car autrefois, il fallait descendre à la station Saint-Denis Basilique puis prendre le bus.

Et pourquoi avait-on eu droit à toutes ces belles choses, à votre avis ? Pas vraiment pour le rayonnement académique de l’Université française, mais juste pour dissimuler un peu sa misère. L’évènement déclencheur des travaux a été la préparation de la coupe du monde de 1998, car il aurait été malvenu que la ville du « Stade de France » continue de recevoir ses quinze mille étudiants dans des bâtiments provisoires devenus bien exigus, installés en 1980 lors du déménagement de l’université depuis Vincennes.

footix

« Footix », la mascotte de la coupe du monde de 1998.

Faut-il espérer une nouvelle coupe du monde, ou des jeux Olympiques, pour imaginer une campagne de rénovation des universités françaises ?

  1. Cette année, l’école d’art de Perpignan cesse d’accueillir de nouveaux étudiants et renonce à emmener ceux qui y sont déjà inscrits jusqu’au DNSEP (Master 2). C’est la fin programmée d’une école qui existe depuis deux siècles. Pour médiatiser leur cas, les étudiants de l’école d’art de Perpignan se sont mis en vente sur Le bon coin et ebay. []
  1. 11 Responses to “Université piteuse”

  2. By FrB on Déc 13, 2014

    Une autre façon de voir les choses est de se dire que le football (et le sport en général) apporte les sponsorings privés qui permettent les rénovations, sponsoring que l’université refuse (à raison)…

    courage, l’Euro 2016 en France c’est l’année prochaine :)

  3. By Manuel on Déc 15, 2014

    Petite précision :

    – Non les marchés publics ne « forcent » pas à choisir nécessairement le moins disant. Les marchés publics, ce ne sont pas les tables de la loi. Des gens les édictent et d’autres les font appliquer. Si l’université souhaite un prestataire qui travaille de façon qualitative quitte à être un peu plus cher, libre à elle de fixer la notation du marché dans ce sens.

    Sinon, très belle photo de Footix :-).

    Ce tumblr est édifiant, mais gageons qu’il n’aura pas d’effet politique. Il a en revanche d’ores et déjà eu celui d’ancrer le monde universitaire dans les clichés où beaucoup de journalistes aiment le voir perdurer : c’est pauvre, c’est sale, c’est inefficient.

    Le bati et le confort des usagers, des enseignants sont aujourd’hui des questions stratégiques. Pour les universités elles-mêmes car ils sont sources de différenciation et pour les pouvoirs publics en général car, à moins d’être comme Montebourg et de croire mordicus à un come-back majeur de l’industrie française en France, la seule solution qu’il nous reste c’est de parier sur le savoir et l’innovation, de masse. Et sans les universités, la masse, ça va être compliqué.

  4. By Jean-no on Déc 15, 2014

    @Manuel : j’ai trouvé la photo de Footix sur un article de presse, à vrai dire.
    Les marchés ne forcent à rien, sauf à être compétent pour ce qui est de leur définition, et à éviter de croire à la possibilité d’un rapport de confiance, apparemment !

  5. By Menestrel on Déc 17, 2014

    Ce serait pas mal si les entreprises privées pouvaient apporter un peu d’argent.

  6. By Jean-no on Déc 18, 2014

    @Menestrel : Quel est leur intérêt à le faire ? Si les entreprises veulent décider de la formation, elles peuvent revenir à ce qu’elles faisaient autrefois de manière généralisée : assumer la formation de leurs employés. Il y a longtemps, la France a fait le choix de donner une éducation à un maximum de gens, choix qu’on peut sans doute discuter quoique, personnellement, je le soutienne, mais une fois qu’on y est, il faut l’assumer, y compris dans le détail !

  7. By Menestrel on Déc 18, 2014

     » Il faut assumer » Excuse-moi mais je croyais que c’était un billet d’humeur. Et que justement, il exprimait une difficulté à assumer.

    Qui d’ailleurs doit assumer? Tu ne précises pas. Les professeurs qui ont fait le choix de ne pas être ouverts aux entreprises? Les étudiants qui n’ont pas été sollicités? Les contribuables? … etc

    Il semblerait bien que les professeurs choisissent mais ne veulent pas assumer. Et demandent aux autres d’assumer cette rupture avec la société qu’ils sont les seuls à vouloir.

  8. By Jean-no on Déc 19, 2014

    @Menestrel : par « il faut assumer », je veux dire qu’il ne faut pas faire les choses à moitié, le choix d’avoir une université ouverte, démocratique, peu sélective, est très justifiable (après tout, tous les contribuables financent l’université, pourquoi leurs enfants seraient-ils triés ?), il est terrible de la laisser glisser comme ça.
    Les professeurs « ouverts à l’entreprise », mais ça veut dire quoi ? Dans certaines filières ils le sont naturellement, dans d’autres, on voit mal pourquoi ou comment : l’anthropologie n’est pas vraiment une filière qui peut intéresser l’entreprise. Est-ce que ça signifie qu’elle ne sert à rien ? Si l’université ne s’occupait que de ce qui intéresse l’entreprise, alors l’entreprise n’a pas besoin d’université, elle peut se charger de tout elle-même. Le jour où des entreprises auront besoin de philologues capables de comparer différentes époques de la langue sumérienne, on en reparle.
    Les enseignants enseignent, c’est ça, leur boulot. Ils ne sont pas en rupture avec la société, ils en font partie. Les écoles sont une partie du monde, au même titre que les entreprises.

  9. By Menestrel on Déc 19, 2014

    Etre dans le registre noir ou blanc est un peu facile comme mode argumentaire, tu ne penses pas? L’université prétend se vouloir ouverte sur le monde mais refuse un des piliers essentiel de l’homme: le travail et l’entreprise. C’est moins une ouverture qu’une fente de visée d’un blochaus.
    Dans certaines filières, ils ont la posture d’ouverture sur le monde. Seulement la posture! Ils n’assument aucune remise en cause pour assumer une évolution.
    Le jour ou les philologues iront en entreprise, ils connaitront les travailleurs! Leurs attentes, leurs vies.Et ils sauront écrire un livre qui évitera à des jeunes de partir en Syrie. Parce qu’on ne leur donne rien. Tant d’universitaires et si peu de spiritualité acceptée. Ce grand vide!
    Même chose pour les  » philosophes ». En entreprise ils sauraient à quoi peut servir un livre. Mais ces philosophes qui ne sont plus que des fonctionnaires de leur corporatisme ne sont plus dans le sens humain.

    Mais tu as raison: « les enseignants enseignent c’est leur boulot ». C’est ce que leur demande cette jeune ministre de l’ENA ( C’est quoi son nom déjà?). Tu as parfaitement défini cette occupation. L’enseignant enseigne. Point barre. C’est pas son rôle d’être un humaniste et de savoir pourquoi et pour qui il enseigne.

  10. By Jean-no on Déc 19, 2014

    @Menestrel : je ne suis pas sûr de déployer un argumentaire binaire. L’université n’est pas « ouverte sur le monde », elle est dedans, elle en fait partie, elle représente quelques années de la vie d’une majorité des français. Elle ne refuse pas le travail puisqu’on y travaille, et elle est d’ailleurs une entreprise, à sa manière, même si sa survie ne dépend, jusqu’ici, pas de contingences liées à des marchés d’offre et de demande. Est-ce que c’est un sanctuaire ? Je ne pense pas, mais c’est un endroit où il se passe des choses qui auraient plus de mal à exister ailleurs. Des tas de gens formés à des disciplines purement universitaires finissent par entrer dans des entreprises, il n’y trouvent pas de poste lié à leurs compétence mais peu importe (qui dit qu’on doive forcément faire ce pour quoi on a été formé ?). Pourquoi leur chercher une utilité directement utilitariste, liée à la dernière antienne du journal télé (éviter à des jeunes de partir en Syrie…). La spiritualité et l’humanisme de l’enseignement, je ne sais pas trop ce que ça signifie, enfin ce sont des termes trop vagues pour avoir un sens.
    Je ne sais pas de quelle ministre de l’ENA tu parles (une ministre qui a fait l’ENA ?). La ministre de tutelle de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, est âgée de soixante ans.

  11. By Menestrel on Déc 19, 2014

     » Directement utilitariste » Tu n’as pas la moindre idée des savoirs qu’il faut pour faire fonctionner une collectivité qu’on appelle entreprise!

    Le journal télévisé est aussi méprisé par les universitaires!

    Ne pas comprendre, l’ignorance, ne justifient pas la condescendance.

    PS: je te souhaite de trouver une aide, une obole, pour réparer ton plafond.

  12. By Jean-no on Déc 19, 2014

    @Menestrel : une entreprise n’est pas ce qu’on peut appeler une collectivité, je pense, et il n’y a pas qu’un modèle d’entreprise.
    Par « direct utilitariste », je veux dire que tu demandes à l’université de servir à quelque chose qui accommode d’autres sphères que l’université elle-même. L’université, idéalement, sert la connaissance. C’est déjà pas mal.
    Le journal télévisé est une ânerie anxiogène, très certainement, mais on aurait tort d’ignorer son pouvoir.
    Sinon, là où l’université a des progrès à faire en culture d’entreprise, c’est quand elle fait appel à des prestataires : marchés mal définis, confiance exagérée, manque de suivi… D’où tous ces problèmes de plomberie ensuite.

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