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Art robotique à la cité des sciences et de l’industrie

avril 30th, 2014 Posted in Cimaises, Interactivité

art_robotiqueEn association avec Epidemic, une société spécialisée dans la production d’expositions d’art numérique poids-lourd (Granular Synthesis, Jeffrey Shaw, Jean-Michel Bruyère, Robert Lepage, Dumb Type), la Cité des sciences présente jusqu’au 4 janvier prochain une exposition intitulée Art Robotique, et sous-titrée Exposition monumentale. Il n’y a, de fait, que dix pièces à voir, de bonne tenue, et dont deux sont vraiment extraordinaires : Animaris, de Theo Jansen, et la Matrice liquide 3D de Christian Partos et Shiro Takatani.

Pour des raisons techniques, je n’aurai pas vu fonctionner complètement trois des pièces : Totemobile (Chico MacMurtie) ; Le chemin de Damastès (Jean-Michel Bruyère) et les Nonsense Machines de Maywa Denki. J’imagine que les trois ne peuvent être montrées sans la présence d’un opérateur, mais j’ai visité l’exposition hors des horaires normaux, il n’y avait donc pas le personnel adéquat.

J’ai la vague intuition que ça n’est pas forcément plus mal pour l’installation de Jean-Michel Bruyère, qui présentait vingt-et-un lits médicalisés placés sous autant de néons blafards, Les lits en question sont sonorisés, robotisés, et effectuent des danses synchronisées, si j’ai bien compris. Puisqu’ils ne fonctionnaient pas lors de ma visite, j’ai juste vu des lits d’hôpitaux vides, une vision au fond assez impressionnante et macabre en soi.

Chemin de Damastes

Le Chemin de Damastès, par Jean-Michel Bruyère. Le titre est un jeu de mots entre le chemin de Damas, qui se réfère à la conversion de Paul de Tarse au christianisme, et les manières de Procuste, dit Damastès, fils de Poséidon et Brigand qui adaptait ses hôtes au lit qu’il leur réservait : si le lit était trop long, Procuste étirait les jambes de ses invités, et s’il était trop court, il leur coupait. Procuste symbolise l’uniformité. L’œuvre date de 2008, donc elle ne se réfère pas à la situation en Syrie, mais elle l’aurait pu aussi.

Totemobile, de Chico MacMurtie, est une sculpture en forme de Citroën DS qui, deux ou trois fois par jour (deux fois les jours normaux, trois fois le week-end, pendant les vacances scolaires, et le mercredi), se reconfigure à la façon des jouets Transformers pour devenir un totem de dix-huit mètres de hauteur. Il paraît que c’est très impressionnant à voir, et aussi que c’est interminable : vingt minutes.

Totemobile

Totemobile (que je n’ai pas vu fonctionner, donc)

Les Nonsense Machines de Maywa Denki sont des propositions de dispositifs musicaux plus ou moins originaux. Les seuls qui fonctionnaient étaient les Otamatones, des instruments de musique en forme de croche, dont on chatouille la hampe et dont on presse l’ovale (censé rappeler un visage, avec des yeux et une bouche), pour produire des sons : on arrive un peu aux limites du kitsch nippon, qu’on croyait pourtant inatteignables.
Un objet m’intéressait toutefois dans cette série de mécaniques musicales : le Seamoon, une figure vaguement anthropoïde qui imite notre manière de produire les sons, avec poumons et cordes vocales, à la manière des têtes parlantes automates de l’Abbé Mical ou de Wolfgang Von Kempelen à la fin du XVIIIe siècle, ou de celles de Joseph Faber un demi-siècle plus tard. On n’est pas dans la primeur, avec cette œuvre, mais j’aurais bien aimé écouter le résultat — j’ignore si elle était défectueuse, inactive, ou si j’ai juste raté l’heure de son concert avec des marimbas en forme d’edelweiss. Eh oui, il y avait aussi des marimbas en forme d’edelweiss.

Nonsense Machines

Nonsense Machines, des variations (notamment en vidéo) sur la musique.

Falling light, par le collectif Troika (Eva Rucki, Conny Freyer et Sebastien Noël), est un dispositif à base de LEDs et de lentilles dont la proximité est réglée robotiquement et qui produit, au sol, de jolies gouttes de lumière dont les auras, parait-il, forment des arc-en-ciels. Malgré une recherche de discrétion dans les formes et les couleurs de la machine, sa présence est un peu envahissante, on ne pense pas tout de suite à regarder ce qui se passe au sol, on lève la tête vers le plafond, c’est à dire dans les coulisses. Mais ce n’est pas mal du tout, on est là dans l’art cinétique, et je suis bon client du genre.

Falling Light (Troika)

Falling Ligh, par le collectif Troika. Les cristaux qui diffractent la lumière ont été taillés tout spécialement par la maison tyrolienne Swarovski.

On se trouve toujours dans ce même registre de l’art cinétique avec Cosmic Birds, de Shun Ito, des sculptures assez jolies en elles-mêmes qui produisent par le mouvement des motifs de lumière et d’ombre. Un travail assez raffiné, mais pas de quoi bouleverser un siècle de sculpture cinétique.

Cosmic birds

Cosmic birds, par Shun Ito.

Le collectif Robotlab (Matthias Gommel, Martina Haitz et Jan Zappe) présente The Big Picture, où un robot industriel produit un énorme dessin. Les mêmes artistes sont spécialistes du genre, on se souviendra notamment d’une installation où un bras automate, en moine high-tech, recopiait jour et nuit une Bible en caractères gothiques.
Ce genre de démonstration peut sembler un peu vaine, mais elle peut aussi faire réfléchir aux questions de la virtuosité, de la créativité, de la copie et de l’originalité.

Big Picture

Big Picture, par le collectif Robotlab.

Le Project of Seeking for Coopération (sic) with Scientific Teams, de la jeune artiste chinoise Lu Yang, est une série de propositions d’installations numériques basées sur la science et parcourue par une bonne dose d’humour noir. Affirmant rechercher la collaboration d’équipes de recherche scientifique, elle présente sous forme d’infographie des projets tous plus affreux les uns que les autres : instruments de musique dans lesquels un être humain est enfermé dans un piano et chante sous l’effet de la douleur, chorégraphie de cuisses de grenouilles électrifiées, etc. Derrière ces variations technologiques du thème de l’orgue à chats (une invention qui remonte au XVIe siècle !) se cache peut-être une réflexion sur la brutalité dont peut parfois faire preuve la science dans ses expérimentations ou ses applications.

Scientific cooperation

Project of seeking for coopération with scientific teams, par Lu Yang

Toujours au chapitre des propositions utopiques de savants fous, on trouve The Experience of Fliehkraft, de Till Nowak, une série de vidéos d’attractions foraines qui, si elles existaient, seraient terriblement dangereuses. Pour la plupart, le film tourné caméra à l’épaule et la qualité des effets visuels font qu’on a autant de mal à croire à une supercherie qu’à un film documentaire. L’ensemble de ces vidéos est présenté dans un film amusant intitulé The Centrifuge Brain Project, où un dénommé Nick Laslowicz raconte les expériences de son laboratoire pour augmenter l’activité cérébrale à l’aide de machines de foire. Après un certain nombre d’accidents, son équipe, mise au ban de la communauté scientifique, se serait lancée dans des collaborations avec les parcs d’attraction. Minimisant les accidents provoqués par ses inventions, Laslowicz estime n’avoir fait aucune erreur. Pour lui, c’est la nature qui est l’erreur : « gravity is a mistake ». Drôle et bien fait, mais on peut visionner tout ça de manière plus confortable sur Internet, c’est d’ailleurs ce que j’ai fait après-coup pour bien comprendre ce travail.

Centrifuge Brain Project

Centrifuge Brain Project, de Till Nowak. À côté de ces schémas et des vidéos d’attractions foraines, on trouve une vidéo intitulée Unusual Incident: Windows Crossing the Street dans laquelle une façade d’immeuble se transforme en robot. Le savoir-faire de l’artiste est assez exceptionnel.

Les Animaris, de Theo Jansen, constituent un des deux beaux morceaux de l’exposition. Il s’agit de sculptures articulées, dont certaines sont mues par la seule force du vent, qui se déplacent à la manière d’une nouvelle espèce. Il existe d’innombrables vidéos de ces animaux mécaniques sur Internet, mais voir de visu et manipuler les bêtes (on en croise trois à la Cité des sciences, dont deux en mouvement) montre à quel point celles-ci sont bien conçues. Leur créateur a utilisé une méthode évolutionniste pour les mettre au point, en faisant tourner des simulations et en écartant celles qui fonctionnaient moins bien, jusqu’à ce que la forme la plus efficace s’impose d’elle-même. Plus que l’espèce animale « nouvellement découverte » que cherche à vendre le sympathique médiateur au public fasciné, les Animaris font réfléchir à ce qu’auraient pu être les moyens de transport dans un monde qui n’aurait jamais découvert la roue — ce qui m’a fait penser tout à la fois à certains films d’Hayao Miyazaki et au Chariot pointant vers le sud, l’incroyable boussole mécanique inventée en Chine il y a deux millénaires.

Animatis

Le grand Animatis, par Théo Jansen. La voile qui se trouve en haut pompe de l’air qui est ensuite stocké dans des bouteilles en plastique. Lorsque la pression atteint quatre bars, les « muscles » de l’animal se mettent en action et il marche (en crabe).

La pièce qui m’a le plus retenu, c’est la Matrice liquide 3D, un dispositif d’affichage à base d’eau et de lumière, qui présentait deux programmes, l’un par le suédois Christian Partos, et l’autre par le japonais Shiro Takatani, de Dumb Type.
Le plafond de la Matrice contient trente fois trente (neuf cent) trous dont chacun peut laisser couler de l’eau, à l’aide d’une valve pilotée électriquement. L’eau atterrit dans un bassin au fond duquel se trouvent des lampes stroboscopiques.
Le contrôle de l’eau et de la lumière permet à l’engin de réaliser, en fonction d’une séquence prévue par avance, des sculptures à base de gouttes d’eau qui sont parfois formidables. Le programme de Christian Partos est élégant et séduisant, il réalise des formes dans l’espace. Celui de Shira Takatani est à la fois plus fatiguant et plus impressionnant, il est la plupart du temps constitué d’un mur d’eau apparemment homogène qui, par la synchronisation précise entre la fréquence des jets d’eau et celle des flashs lumineux, nous fait croire à des gouttes en suspension dans l’air ou même à des gouttes qui remontent vers les trous d’où elles elles ont chu. La machine est assez hypnotique et rappelle la lampe Wanetlight M de Nodesign, ou bien sûr le Bit Fall, de Julius Popp, qui permet d’écrire un texte éphémère avec de l’eau projetée. On sort de la simple « Féerie des eaux » — ce fameux spectacle de jets d’eau que l’on peut voir au cinéma Le Grand Rex à la période des fêtes depuis soixante ans — pour une forme d’écran en 3D.

Matrice 3D

La Matrice liquide 3D. Je n’ai pas compris qui avait mis au point l’objet, assez extraordinaire en lui-même. Les programmes de Christian Partos et Shiro Takatani sont en tout cas très différents et sont bien plus que de simples démonstrations.

De l’art numérique à grand spectacle, donc, avec quelques travaux superbes, d’autres plus faibles, mais un ensemble malgré tout cohérent où l’on regrettera peut-être une proportion réduite d’œuvres réagissant interactivement au public. Le blabla qui accompagne l’exposition tente généralement de nous faire croire que ses auteurs croient que nous croyons que tout ce que nous voyons est « pour de vrai », qu’il existe une espèce animale faite de bambous PVC ; qu’une artiste chinoise est à la recherche d’équipes scientifiques pour produire d’horrifiques ballets de grenouilles étêtées ; qu’un laboratoire de Floride fait des expériences neurologiques à l’aide de machines de foire. Cette manière de faire passer la fiction pour des faits m’a toujours un peu horripilé dans le cadre de la Cité, où l’on semble si souvent croire qu’il faut traiter le spectateur comme un sauvage des îles des récits d’aventures du XIXe siècle, à qui l’on fait croire qu’un appareil photo capture les âmes ou qu’un briquet est une divinité. Enfin je vais cesser de râler, c’est un problème plus général aux musées scientifiques (Quai Branly, Grande galerie de l’évolution,…) qui, quelques soient leurs qualités, semblent penser, et peut-être ont-ils raison de le faire (quelle horreur), que le public ne s’intéressera aux objets scientifiques ou technologiques qu’au prix de la simplification, de l’esbroufe, de l’esthétisme, etc.

Animatis

Un troisième « Animatis » de Théo Jansen, installé dans le hall de la Cité des sciences, mais non activé.

Le très petit nombre de pièces montrées donne à chacune une certaine importance, mais a comme effet secondaire potentiellement problématique que lorsqu’une installation n’est pas active, on s’en rend douloureusement compte. Or la Cité des sciences est spécialiste des expositions qui durent très longtemps et où, mois après mois, apparaissent ici et là des petits cartons qui signalent qu’un dispositif est « temporairement hors service ». Un « temporairement » qui signifie généralement « jusqu’à la fin de l’exposition » — ce que j’ai vécu plusieurs fois en tant que visiteur autant qu’en tant qu’exposant.
Enfin c’est à voir, même si le tarif plein (douze euros) est un peu élevé. On trouve le catalogue en version numérique chez les amis de Art, Book, Magazine, qui en ont assuré la mise en page.

  1. 2 Responses to “Art robotique à la cité des sciences et de l’industrie”

  2. By Wood on Avr 30, 2014

    Il me semble que les dispositifs « temporairement hors service » sont un grand classique de tout ce qui est interactif dans les expositions. Il y a toujours un truc qui n’aura pas résisté au passage de centaines de visiteurs.

  3. By Jean-no on Avr 30, 2014

    @Wood : oui mais il y a aussi une dose d’indolence. Par contrat ils ont généralement le droit de demander aux prestataires de venir réparer les trucs mais ils n’en profitent pas. J’ai des souvenirs cuisants d’installations jamais vues par personne parce qu’il aurait fallu que je vienne y refaire un bête réglage, chose que je finissais par apprendre pas hasard des mois après…

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