Profitez-en, après celui là c'est fini

Paper Man (1971)

mars 6th, 2014 Posted in Hacker au cinéma, Ordinateur au cinéma, Programmeur au cinéma

paper_manPaper Man est un téléfilm américain a petit budget, mais qui m’intéresse car il annonce des thèmes tels que le piratage informatique et l’usurpation d’identité, qui nous sont plutôt familiers aujourd’hui mais qui étaient passablement inédits à l’époque. On entend même parler de fantôme qui hante un ordinateur — même si le dénouement nous fait comprendre qu’il s’agissait d’un coup monté.

J’aime bien l’annonce par CBS : « l’ordinateur le plus diabolique depuis HAL ». C’est une référence, bien sûr, à Hal 9000, l’ordinateur conscient de 2001 l’Odyssée de l’espace, sorti trois ans plus tôt. La figure de l’ordinateur assassin ou servant à assassiner n’est pas neuve à l’époque mais a effectivement sans doute été popularisée auprès du grand public avec 2001 (1968), l’épiside Killer de la série Chapeau Melon et bottes de cuir (1969) et le film Colossus: The Forbin Project (1970). Cette figure continuera d’être exploité avec succès dans les années suivantes, par exemple avec les romans L’Ordinateur des pompes funèbres (1972), et Demon Seed (1977), qui seront tous deux adaptés au cinéma.
On savourera les métaphores utilisées par différents protagonistes pour désigner l’ordinateur : « almighty brain » (cerveau tout-puissant) ou « big ugly the great brain » (son affreuse grandeur le grand cerveau ») : la machine devient un souverain, voire une divinité.

Paper Man a été diffusé sous le titre français L’Homme de papier, et utilisé comme prétexte pour un débat sur l’informatique dans l’émission Les dossiers de l’écran du 3 avril 19791.
On peut le visionner intégralement sur Youtube, dans sa version en anglais non sous-titré.

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Au début du récit, un dénommé Joel Fisher reçoit par hasard une carte de crédit adressée à une personne qui n’existe pas, Henry Norman. Avec trois amis étudiants à l’université, il décide de profiter de l’occasion pour monter un canular, ou plutôt une escroquerie, en utilisant les moyens de paiement de ce Henry Norman inexistant pour effectuer des achats. Puisqu’Henry Norman n’existe que par des documents administratifs, la petite bande crée un mannequin de papier pour le représenter, et lui donne le titre de « premier homme du XXIe siècle ». Assez rapidement, les quatre sont forcés de s’associer à un cinquième, Avery (Dean Stockwell, qui est le « Al » de la série Code Quantum), le meilleur informaticien du campus, affligé d’un tempérament mélancolique et introverti, qui, de prime abord, apprécie peu l’idée de participer à une action illégale, mais qui est séduit par la belle Karen (Stéfanie Powers, la « Jennifer Hart » de la série L’amour du risque), une diplômée en psychologie au brushing impeccable qui ne cesse de se vanter de ne rien comprendre aux ordinateurs. Avery intercepte et modifie les flux de données qui sont traités par l’ordinateur2 de l’université pour rendre plus crédible le personnage de Henry Norman, en lui créant un numéro de sécurité sociale, un permis de conduire, etc.

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Je remarque un rapport à la morale qui serait difficilement admis dans un film actuel : les héros des scénarios actuels commettent parfois des crimes ou des délits, mais toujours contraints et forcés, soumis à un chantage quelconque ou ayant une bonne raison de jouer un tour à un affreux escroc. Ici, aucune excuse : cinq jeunes gens trouvent assez naturel de voler une banque, sans se donner d’excuse particulière. Leur légèreté, cependant, va leur coûter cher.

Peu à peu, les cinq jeunes gens se rendent compte que l’existence de Henry Norman leur échappe et devient de moins en moins virtuelle : ce personnage « de papier » effectue des achats par lui-même, et de nouveaux documents qu’Avery n’a jamais forgés apparaissent, comme un acte de naissance. Et si c’était l’ordinateur lui-même qui avait fini par lui donner vie ? Joel, qui reçoit un traitement inadapté pour son diabète, à cause d’une information erronée fournie par un ordinateur, meurt.
Lisa, qui travaille sur l’apprentissage du langage par les ordinateurs, constate que la machine interprète mal ce qu’elle dicte et transforme tous les mots qu’elle dit en paroles macabres : « breath » est transcrit en « death »,…

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Elle se demande alors si l’ordinateur n’est pas hanté par Joel et, en s’enfuyant de son laboratoire, est sectionnée par un ascenseur bloqué entre deux étages dont elle tentait de s’extraire. Pour finir, Jerry, un étudiant en médecine farceur se fait électrocuter par un mannequin d’étude, au cours d’une séquence « uncanny valley » assez ridicule. Bref, trois des cinq jeunes gens sont morts, il ne reste plus que la belle Karen et le mélancolique Avery.

Du fait de son comportement introverti et de ses compétences, Avery est un temps soupçonné, mais le responsable des meurtres s’avérera être le discret Art Fletcher (James Olson), un technicien de l’université, méprisé par la plupart des membres de la petite bande. On ne comprend pas toujours bien comment il a commis ses meurtres (toujours à distance, par le truchement de l’ordinateur), ni pourquoi il a tenu à le faire avec des mises-en-scène qui rappellent l’humour macabre d’un Fantômas — et je parle ici du Fantômas des romans d’origine, pas de celui des films des années 1960. On apprendra finalement qu’Art Fletcher, dont le véritable nom est Claude Hennessy, est un ingénieur de génie recherché pour le meurtre de son ancien associé, qui se servait de l’identité d’Henry Norman pour retrouver une place dans une société technologique de premier plan : il fallait qu’il se débarrasse des jeunes gens qui savaient que Henry Norman n’existait pas.

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Alors qu’il était encore soupçonné par la police, Avery a réussi à faire déclarer Henry Norman mort. Lorsque des agents du FBI viennent le rencontrer pour comprendre comment il peut être à la fois vivant et mort, Art Fletcher panique et se jette du haut d’un immeuble.
Un petit clin d’œil fantastique, pour finir : alors qu’Avery s’était contenté de déclarer Henry Norman mort, la base de données du FBI spécifiait une défenestration, pour l’heure exacte où Art Fletcher s’est effectivement jeté par la fenêtre de son bureau, comme s’il l’avait prévu (ordinateur oracle) ou provoqué (ordinateur démiurge).

Le shérif termine sur une phrase énigmatique. Parlant des ordinateurs, il dit : « vous savez ce que je pense ? Dans peu de temps, ils n’auront plus besoin de vous, tout ce dont ils auront besoin, c’est d’un autre Henry Norman » (« You know what I think? Pretty soon, they’re not going to need you. All they’re going to need is another Henry Norman ».). En bref, un jour, les personnalités virtuelles prendront le pas sur d’autres, l’homme aura fini par devenir obsolète.

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Il y a beaucoup de naïveté dans ce petit téléfilm, et on ne peut pas dire qu’il soit très bien réalisé, mais l’idée de départ — un profil inventé que ses créateurs ne maîtrisent plus — n’est pas mauvaise et on imagine comment elle pourrait être exploitée à l’ère d’Internet. On retiendra une scène de poursuite dans un couloir, lorsque Lisa comprend qu’elle est traquée par quelque chose qu’elle ne voit pas : les néons s’éteignent peu à peu derrière elle et il faut qu’elle coure pour échapper à l’ombre.

  1. Le principe de l’émission état simple : un film était diffusé puis suivi d’un débat qui, généralement, ne portait pas sur le film, mais sur son thème politique, historique ou social. La musique de générique était dramatique, un peu angoissante, et mettait le spectateur dans une certaine ambiance.
    Je rêve de voir le débat qui a suivi la projection de ce film, mais il n’est malheureusement pas (encore ?) disponible sur le site de l’INA. []
  2. Les gros ordinateurs étaient souvent utilisés en « time-sharing », c’est à dire que leur capacité de traitement d’un seul ordinateur était louée et partagée par de nombreux utilisateurs. []
  1. One Response to “Paper Man (1971)”

  2. By ElZed on Mar 27, 2014

    Avec l’image de cette jeune femme coincée dans la porte d’ascenseur, vous venez enfin de mettre un nom sur ce téléfilm que j’avais vu étant tout gamin.
    Merci!

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