Pinocchio par Winshluss
décembre 1st, 2008 Posted in Bande dessinéeUn peu de bande dessinée pour décompresser et pour oublier, provisoirement, les variables dans Processing.
L’an dernier, la scénariste-dessinatrice-autobiographe Marjane Satrapi était sur toutes les chaînes de télévision à chaque grand rendez-vous du cinéma. Cannes, les Césars et surtout les Oscars ont nommé et, pour les deux premiers, couronné de prix prestigieux le long-métrage Persépolis. C’était mérité, le film est réussi, et s’il est réussi, s’il est vif, drôle et cruel, c’est sans doute en grande partie grâce au talent du presque-quarantenaire maigrichon en smoking qui se cachait derrière ses lunettes, sa barbe, et derrière Marjane Satrapi, à chacune de ses apparitions médiatiques.
Pour les présentateurs de télévision, ce jeune homme se nomme Vincent paronnaud et il est réalisateur de dessins animés. Mais pour les amateurs de bande dessinée, il s’appelle Winshluss et il est sans doute l’auteur le plus décapant de sa génération. J’ai pour ma part découvert Winshluss dans les magazines Jade et Ferraille il y a une dizaine d’années et je ne rate pas une de ses (assez rares) publications depuis. Winshluss collabore fréquemment avec Cizo (que le public connaît pour ses publicités très graphiques pour le service téléphonique 118 000), le plus « graphiste » des auteurs de bande dessinée ou le plus « auteur de bande dessinée » des graphistes. À eux deux, ils ont notamment publié l’album Monsieur ferraille. On leur doit bien plus puiqu’ils ont organisé des expositions (Supermarché Ferraille, Monsieur Ferraille), réalisé des dessins animés, fabriqué des objets divers, et, toujours dans cette logique, ils ont transformé le sympathique journal Ferraille en une publication chic et punk. C’est dans les tout derniers numéros de Ferraille qu’a commencé la publication de Pinocchio (ici mis en couleurs par Cizo justement), interrompue par la disparition du magazine.
Ceux qui ont crié au génie subversif en voyant Shrek, le monstre en 3D de Dreamworks, flatuler et éructer et massacrant joyeusement les contes de fées, constateront que nous passons un cran au dessus en voyant le destin que Winshluss offre à Blanche-Neige et à ses sept nains, à Pinocchio et à Gepetto bien entendu, à l’harmoniciste aveugle Wonder, ainsi qu’à mille et un autres personnages.
La marque de fabrique de Winshluss est une forme de confusion maîtrisée. Les époques, les clichés, et même les graphismes se télescopent. Disney (notamment le Disney un peu féroce des premières années) ou les frères Fleischer rencontrent l’endoctrinement fasciste, la perversion sexuelle, les désastres écologiques, les savants apprentis sorciers, la drogue, le suicide, la corruption, les marchands d’armes et les exploiteurs d’enfants. Généralement, il suffit de quelques cases muettes pour convoquer tel ou tel moment historique, tel grand drame, tel roman moral (un peu de Dickens par exemple), tel archétype, etc. On saute constament d’un registre à un autre, d’un personnage à un autre, d’un genre littéraire à un autre. Les existences sont résumées en quelques cases, les motivations des personnages sont à peu près aussi mécaniques que leurs destins.
Utiliser Pinocchio était on ne peut plus logique, car l’ouvrage d’origine (vaguement évoqué), autant que ses nombreuses adaptations (celui de Disney, avec le cricket-conscience, jusqu’au A.I. de Spielberg), est constament à la limite du sordide.
Le personnage de Pinocchio (ici, un robot à vocation militaire), est plutôt passif, voire impassible, il ne lui arrive jamais rien qu’il ait décidé. Le récit est totalement muet en dehors des pages qui concernent Jiminy Cafard, unique personnage auquel le lecteur peut s’identifier, portrait pathétique de velléitaire qui se rêve écrivain et qui est forcé d’habiter dans la tête de Pinocchio depuis qu’on a coupé ses allocations chômage.
Je ne vais pas vous raconter le livre, faites-le vous offrir pour noël. Vous ne le regretterez pas, d’autant que l’ouvrage est d’une beauté extraordinaire. Sa couverture, notamment, est extrèmement soignée, à la manière de la reliure « Ferraille illustré » sortie il y a quelques années chez le même éditeur — les Requins Marteaux.
Et aux enfants, on offrira la série Wizz et Buzz (parue dans Picsou Magazine), de Winshluss et Cizo.
6 Responses to “Pinocchio par Winshluss”
By lapinferoce on Déc 2, 2008
Je l’ai commandé pour Thomas. La couverture est sublime, et la fabrication aussi belle que d’habitude chez les Requins Marteaux.
By Jean-no on Déc 2, 2008
Avec toi, je connais maintenant quatre filles qui ont acheté Pinocchio pour leur gars. C’est effectivement un meilleur cadeau qu’une cravate.
By olpi on Déc 8, 2008
je pense que Winshluss est l’auteur le plus surestimé de sa génération. Un auteur patchwork pas franchement inspiré.
Un pincée de Vuillemin, un pincée de Blutch, une couverture à la Chris Ware… Le tout dans une resucée d’humour fanzine soutenu par un graphisme relativement maîtrisé.
L’esprit parodico-retro-trash des BD de Winshluss, nous fait regretté « champagne et gâteaux secs » du talentueux Pirus.
http://www.bdoubliees.com/metalhurlant/couvertures/mh117.jpg
By Jean-no on Déc 8, 2008
Winshluss prend à droite et à gauche, c’est certain, mais il ne maquille pas spécialement ses traces d’autant que c’est justement sur le recyclage, le mélange, ou pour prendre un terme à la mode, le « mash-up » que repose pour partie son oeuvre. Ce que j’aime chez lui, outre le fait qu’il a beaucoup de talent, c’est qu’il va justement au delà du côté un peu vain qu’a Vuillemin ou qu’avait, par exemple, le « Rose Profond » de Dionnet et Pirus. Car cette bd était visuellement réussie et partait d’une idée qui se voulait un peu « iconoclaste ». Mais dès la cinquième page on s’ennuie, parce que le livre se résume à une idée. Le Pinnochio de Winshluss m’a tenu sans problème pendant deux cent pages, c’est mon critère.
By Franz on Déc 20, 2008
Bonjour,
Je pense plutôt que Winshluss est un auteur sous estimé et confidentiel. Son talent crève les yeux. Tout ce que vous avez dit est juste. Votre critique est d’autant plus intéressante qu’elle est une des rares sur le web a être suffisamment étoffée pour retenir l’attention. Je crois aussi qu’il faudrait ajouter la multiplicité des récits qui se superposent et s’intercalent dans le Pinocchio de Winshluss. Cela relève de la haute voltige car la narration reste limpide et passionnante. L’auteur sait aussi passer à la moulinette tous les maux de notre époque. C’est en cela aussi que Winshluss est un grand auteur. Il a su magistralement réactiver et moderniser le mythe de Pinocchio sans que cela nuise à l’original.
By Maxrun on Mar 4, 2009
Winshluss agit comme un perfomer. Avec une couverture sublime et en mulitpliant les référence et les clins d’oeil à chaque page; il oublie finalement l’essentiel : procurer des émotions. Cette version de Pinocchio m’a un peu deçu, j’avoue que je me suis même ennuyer et que j’ai du me forcer pour aller au bout des 200 pages…
Cependant, Winshluss a beaucoup de talent et fait preuve de beaucoup d’originalité dans sa narration. De là à gagner Angoulème…