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Ordinateur et cinéma sur Place de la toile (after)

mai 18th, 2013 Posted in médiatisation, Ordinateur au cinéma

Quarante-cinq minutes, c’est toujours un peu court, quand on a plein de choses à raconter. L’émission Place de la Toile de toute à l’heure est donc un peu frustrante si cherche à recenser tout ce qui ne s’y est pas dit et tous les films dont il n’a pas été question. Mais c’est la règle du jeu : on a plus de matière que de temps.

disclosure

Michael Douglas en train de chercher à récupérer des fichiers dans un espace virtuel, dans le film « Disclosure » (Harcèlement), en 1994.

Si on avait eu plus d’espace pour ça, j’aurais aimé rebondir sur la remarque d’Emmanuel Burdeau, qui disait que l’ordinateur servait parfois à réactiver d’anciennes formes du cinéma, notamment muet, comme les inter-titres. Et effectivement, je suis frappé de la manière dont certains scénarios basés sur des correspondances épistolaires ne (re-)deviennent « filmogéniques » que grâce à l’intervention de l’ordinateur comme accessoire du scénario. Les exemples qui me viennent spontanément sont You got m@ail (1998), de Nora Ephron (remake « high-tech » du Shop around the corner de Lubitsch) et Harcèlement (1994) d’après Michael Crichton (où l’e-mail a une importance scénaristique énorme). Dans un esprit comparable, on peut parler aussi des ordinateurs « de bord » (Alien, Ulysse 31, Sunshine, Barbarella, Flight of the navigator, Blake’s 7,…) que la science-fiction utilise pour expliciter des événements particulièrement difficiles à figurer à l’écran.
J’aurais pu parler des spécialistes de la création d’interfaces de cinéma, comme Mark Coleran, ou pourquoi pas, rappeler Les Sous-doués, par Claude Zidi, qui parle d’informatique éducative d’une manière assez grinçante.

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De gauche à droite : Alexis Blanchet, Thibault Henneton et Xavier de la Porte.

Même si je ne me sens pas complètement prêt à synthétiser la question, j’aurais bien voulu parler aussi des grandes époques de l’utilisation de l’ordinateur comme élément central du scénario, car j’en distingue : la fin des années 1950, avec Planète Interdite, mais surtout Desk Set et The Invisible Boy, qui l’un rationnellement et l’autre irrationnellement, présentent l’ordinateur comme une menace ; la deuxième moitié des années 1960, avec 2001: l’Odyssée de l’espace, The Forbin Project, et d’autres ordinateurs chargés de prendre des décisions à la place d’une humanité qui ne semble plus capable de le faire elle-même ; les années 1980, avec des films sans doute isolés, mais marquants, comme TronWargames, Live and let die et The Last Starfighter ; la première moitié des années 1990, et notamment l’année 1995, avec l’arrivée des thèmes cyberpunks (Le Cobaye 2, Johnny Mnemonic, VirtuosityGhost in the shell) et du réseau (The Net, Hackers, HarcèlementSneakers) dans les scénarios ; Le passage du millénaire a aussi été une période riche en films marquants dans le domaine : Matrix, eXistenZ, Swordfish,…

Le film Hackers, sur lequel je n'ai toujours pas fait d'article...

Le film « Hackers », sur lequel je n’ai toujours pas fait d’article…

Pour conclure l’émission, Xavier de la Porte m’a posé une question qui m’a pris un peu de court : de quel film méconnu je conseillerais le visionnage ? J’ai finalement proposé Antitrust, film que je n’ai pas encore chroniqué ici et que je trouve intéressant à beaucoup d’égards. Bien sûr, choisir un unique film est impossible, alors après réflexion, voici une sélection de quinze films que je recommande, classés par date.

Quinze films plus ou moins méconnus mettant en scène l’ordinateur

Desk Set (1957), par Walter Lang, avec Spencer Tracy et Katharine Hepburn.

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Bunny Watson dirige le service de documentation d’un grand quotidien. L’ingénieur Richard Sumner vient y installer un ordinateur. Toutes les employées du service ont peur pour leur emploi et sont persuadées que la machine est destinée à les remplacer. Sumner, qui tombe amoureux de Bunny Watson, devra dépenser beaucoup d’énergie pour convaincre tout le monde que l’ordinateur n’est pas une menace, d’autant qu’un autre ordinateur, à l’étage du dessous, émet des fiches de paie roses, synonymes de licenciement.
Le thème du remplacement de l’homme par la « machine à penser » était tout nouveau lorsque Desk Set a été monté comme pièce de théâtre, puis adapté au cinéma. La société IBM, qui souhaitait répondre par avance à ces angoisses a été partie-prenante dans la production du film.

Colossus : The Forbin Project (1970), par Joseph Sargent, avec Eric Braeden.

colossus

Charles Forbin est un grand scientifique qui a mis au point le moyen ultime pour empêcher les États-Unis d’être menacés par l’URSS : le super-ordinateur Colossus, enterré dans une montagne, totalement autonome, qui répondra à la moindre agression par la destruction du pays rival. À peine branché, Colossus entre en contact avec son homologue soviétique, Guardian. Les deux machines fusionnent et décident de prendre en mains la destinée humaine de manière despotique.

Dark Star (1974), par John Carpenter, sur un scénario de Dan O’Bannon.

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L’équipage du vaisseau Dark Star parcourt le Cosmos pour détruire les planètes qui risquent d’être dangereuses. Personne ne se rase, on fume, on s’ennuie. L’ordinateur de bord s’appelle « mother » et un passager extra-terrestre sème la terreur… C’est la trame du film Alien, dont Dan O’Bannon écrira le scénario quelques années plus tard, sauf qu’ici, la créature indésirable ressemble à un ballon de plage géant… Pour une fois, la parodie précède le film parodié.
Un des moments marquants du film est celui où l’équipage doit utiliser la phénoménologie pour convaincre une bombe « intelligente » de se retenir d’exploser.

Rollerball (1975), de Norman Jewison, avec James Caan.

Dans un futur proche, les gouvernements ont disparu au profit de corporations qui dirigent le monde technocratiquement et offrent à tous la sécurité et une certaine prospérité. Le peuple est abruti par le spectacle d’un jeu ultra-violent, le Rollerball. Il n’existe plus qu’une bibliothèque, dans le monde, qui ne contient plus de livres mais juste un ordinateur dépressif nommé Zéro.

Looker (1981), par Michael Crichton, avec Albert Finney, James Coburn, Susan Dey, Leigh Taylor-Young et Dorian Harewood.

looker

Un chirurgien esthétique que l’on soupçonne d’être lié à la mort de ses patientes, des top-models, découvre un procédé informatique mis au point pour manipuler optimalement le spectateur à qui l’on montre des publicités et destiné à faire élire un homme politique peu recommandable. Ce n’est pas le film le plus célèbre de Michael Crichton, sorte de Jules Verne du XXe siècle à qui l’on doit (comme romancier et/ou réalisateur et/ou scénariste) The Andromeda StrainThe Terminal ManWestworldJurassic ParkRunnawayHarcèlementSphereTwister ou encore la série Urgences.

Electric Dreams (1984), par Steve Barron, avec Lenny Von Dohlen et Virginia Madsen.

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Un architecte renverse par mégarde du champagne sur le clavier de son ordinateur, qui devient conscient. Mélomane, la machine s’éprend d’une violoncelliste qui habite l’appartement voisin et avec qui, sans qu’elle la voie, elle communique en produisant à son tour des mélodies. Le propriétaire de l’ordinateur est forcé de faire semblant d’être l’auteur des improvisations musicales, ce qui rapproche le film du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Mais l’ordinateur finit par devenir jaloux et tente de tuer son propriétaire.
Concentré de l’esthétique des années 1980, ce film est réalisé par l’auteur de clips de Michael Jackson, de Toto ou de A-ha, et contient des chansons de Human League, Culture Club, Heaven 17, Philip Oakey ou encore Giorgio Moroder.

Une créature de rêve (1985), par John Hughes, avec Anthony Michael Hall, Kelly LeBrock et Ilan Mitchell-Smith.

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Dans ce « teenage movie », Gary et Wyatt fabriquent la femme idéale à l’aide d’un ordinateur. Celle-ci prend vie et les aide à perdre leurs complexes. Au delà de l’apparente sottise du prétexte fantastique, ce film, réalisé par l’auteur de Breakfast Club et La Folle journée de Ferris Bueller, parle assez bien des adolescents et du nécessaire besoin qu’ils ont d’oser entrer dans la vie réelle.
Pour l’anecdote, on voit Robert Downey Junior, dans le rôle d’un garçon rival des héros du film. En France, ce film est nettement moins connu que la série qui en est dérivée, Code Lisa.

Nirvana (1997), de Gabriele Salvatores, avec Christophe Lambert et Diego Abatantuono.

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Cas sans doute unique de film cyberpunk italien, Nirvana raconte l’histoire d’un personnage de jeu vidéo, Solo, qui devient conscient de son état et qui supplie son créateur de l’effacer, car il ne supporte plus de revivre encore et encore les mêmes choses.

23 (1998), par Hans-Christian Schmid, avec August Diehl.

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Ce film allemand raconte l’histoire vraie du hacker Karl Koch, paranoïaque, passionné de théorie du complot et coupable d’avoir vendu des informations confidentielles au KGB avant la chute du mur. On l’a retrouvé dans une forêt, brûlé à l’essence, en 1989. La police a conclu au suicide. La véracité historique du film a été contestée par la famille de Karl Koch.

Thomas est amoureux (2000), de Pierre-Paul Renders, avec Benoît Verhaert, Aylin Yay, Magali Pinglaut, Micheline Hardy et Frédéric Topart.

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Thomas, agoraphobe, est en contact visiophonique avec sa mère possessive et son psychiatre. Ce dernier l’inscrit dans des services de rencontre, et le jeune homme tombe amoureux de deux de ses correspondantes, une prostituée médicale et une jeune femme très « new age ». Il aimerait sortir de chez lui mais sa maladie l’en empêche.
Tourné en vue subjective (on ne voit jamais Thomas, mais seulement ce qu’il voit sur son écran), ce film d’auteur mérite d’être vu.

Antitrust (2001), de Peter Howitt, avec Ryan Phillippe, Rachael Leigh Cook, Claire Forlani et Tim Robbins.

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Gary Winston (Tim Robbins) est un personnage charismatique qui dirige une société informatique à vocation hégémonique. Milo (Ryan Phillippe), le héros du film, est un jeune programmeur idéaliste qui déteste tout ce que représente Winston mais qui finit par se laisser séduire par l’offre d’embauche de ce personnage qui le fascine irrésistiblement. Le film parle de programmation, de logiciel libre et de logiciel propriétaire. Il me semble assez unique dans son genre.

Code 46 (2003), de Michael Winterbottom, avec Tim Robbins et Samantha Morton.

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Ce film d’auteur mélancolique est un peu la version réussie du très populaire (mais à mon avis un peu surestimé) Bienvenue à Gattaca, et constitue une illustration convaincante de la société de contrôle prophétisée par Gilles Deleuze. Ici, les gens vivent dans une dictature molle, où leur existence est tracée à chaque instant mais où l’envie de rébellion est absente, ou bien n’existe qu’à l’état d’ébauche. Le héros, qui mène une enquête sur un trafic de faux-papiers, tente de protéger celle qu’il croit coupable.

Sleep Dealer (2008), par Alex Riviera, avec Luis Fernando Peña, Leonor Varela, Jacob Vargas.

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Dans ce film cyberpunk tiers-mondiste, les travailleurs mexicains aux États-Unis n’ont pas besoin de passer la frontière, ils travaillent dans des sweat shops numériques d’où ils pilotent des robots domestiques, des robots de chantier, sans savoir où se trouvent ceux-ci. Un des personnages importants du film, Ramirez, est un américain d’origine mexicaine qui pilote des drones depuis les États-Unis pour empêcher des mexicains d’accéder à l’eau, confisquée par des sociétés américaines.

The cat, the Reverend and the Slave (2009), film documentaire d’Alain della Negra et Kaori Kinoshita.

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Film d’artiste, The Cat, the Reverend and the Slave va à la rencontre de gens qui inventent leur vie, sur Second Life, dans le monde des Furries ou à Burning Man.
Les mêmes auteurs ont réalisé un excellent court-métrage sur les Sims, Neighborhood, que l’on trouve en bonus au DVD de The Cat, the Reverend and the Slave.

8th Wonderland (2010), par Nicolas Alberny et Jean Mach.

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Des citoyens de divers pays du monde créent une république utopique sur Internet et s’entendent pour faire des farces, à la manière des Yes Men, dans le but de dénoncer des scandales écologiques ou autres. Mais peu à peu ils se prennent au jeu et envisagent des actions terroristes. Sorti dans une indifférence certaine, ce film préfigure le printemps arabe et le mouvement « occupy ».

  1. 5 Responses to “Ordinateur et cinéma sur Place de la toile (after)”

  2. By Sébastien 80 on Mai 19, 2013

    On peut pas citer Electric dreams et une creature de reve sans citer pour moi le vrai film d’ordinateur : War games

  3. By Jean-no on Mai 19, 2013

    @Sébastien 80 : Wargames est une référence, mais l’objet de la liste était de citer des films plutôt oubliés. Wargames est cité en intro de l’article et je lui ai même consacré un article sur ce blog.

  4. By sandrine on Mai 19, 2013

    C’était très intéressant en tout cas. Merci pour les conseils de films.
    Vous devriez tellement enregistrer un podcast sur le sujet (par exemple avec les gens de Bazingcast – http://bazingcast.com/ – ce qui laisserait tout le temps qu’il faut pour développer le sujet)

  5. By Kart on Juin 17, 2013

    8th Wonderland est introuvable en VO sous-titré. Vous avez une idée d’où le trouver?

  6. By Jean-no on Juin 17, 2013

    @Kart : ben, on le trouve neuf chez Amazon pour moins de cinq euros en DVD…

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