Profitez-en, après celui là c'est fini

Faut-il faire taire l’insupportable ?

décembre 23rd, 2012 Posted in Interactivité

Philippe Buisson et Marc Coatanéa, deux cadres importants du parti socialiste réclament une censure de Twitter après l’apparition du « hashtag » #simonfilsestgay. Effectivement, associé à ce mot-clé, on a pu lire hier quelques réflexions homophobes assez pénibles.

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…Beaucoup de haine et d’insensibilité, là dedans, par exemple chez ce jeune homme qui semble envisager assez sereinement de devenir spectateur d’un rapport sexuel qui n’est consenti par aucune des parties. Ce tweet a été repris par Le Parisien, notamment, et a eu un gros succès : plus de 1000 « retweets ». Mais que signifient ces « retweets » ? Certainement pas une approbation, et vraisemblablement tout le contraire, une manière de dire « regardez ce que cet imbécile a écrit ». En fait, l’auteur du tweet a reçu tellement de commentaires négatifs qu’il a passé tout son temps à répondre à chacun qu’il s’agissait d’une simple plaisanterie, se défendant d’être homophobe et essayant d’amadouer tous ceux qui s’en sont pris à lui.

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Peu importe que ces rectifications soient sincères ou non, elles sont forcées de le devenir, c’est la magie de la pression sociale, cette histoire aboutit donc à une éducation. Les progrès de la condition des homosexuels ont été fulgurants : jusqu’à Mitterrand, l’homosexualité était plus ou moins pénalisée1 ; dix ans plus tard, elle était toujours considérée comme une maladie mentale par l’OMS ; encore dix ans plus tard, Charles Trenet ou Freddie Mercury mourraient sans jamais avoir osé assumer publiquement leur homosexualité. Cela ne fait même pas quinze ans que la loi française juge que refuser un emploi à quelqu’un du fait de son homosexualité constitue une discrimination. Et aujourd’hui, après le vote du PACS, on parle sérieusement de mariage pour tous et je suis sûr que beaucoup de propriétaires préfèrent louer un appartement à un couple homosexuel (de bons revenus, souvent2, et moins de risques de voir venir des enfants,…). Les choses sont allées vite, donc, et il est normal que ça soit trop rapide pour certains : il faut aider ceux-là à se faire au monde dans lequel ils vivent, pas leur dire qu’ils doivent en être exclus.

Revenons aux échanges sur Twitter. Très rapidement, des gens se sont mis à envoyer des messages contenant encore le hashtag #simonfilsestgai, mais cette fois dans une perspective plus ou moins inspirée par un refus de l’intolérance et de l’homophobie.

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Très rapidement, des hashtags concurrents, comme #Simonfilsesthomophobe ou #simonenfantesthomophobe fleurissent et suscitent quantité de messages généralement destinés à être drôles, souvent symétriques à ceux qu’a suscité le mot-clé précédent. De nouveaux hashtags douteux ont émergé, comme #simafillerameneunnoir, mais eux aussi ont été tournés en dérision, détournés, contrés, néutralisés.

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J’aurais du mal à produire des statistiques pour en faire la preuve, mais il me semble que la morale est sauve, la surveillance sociale fonctionne, et dans le bon sens : ceux qui ont sorti des horreurs se font faire les gros yeux et doivent tenter de regagner les faveurs du groupe à coup d’excuses telles que « je rigolais ». Je ne vois pas ce qu’une censure — la suppression de tweets et les poursuites judiciaires de leurs auteurs — apporterait de positif à un mécanisme qui fonctionne plutôt bien ici. Si on supprimait les quelques horreurs véritables qui ont été publiées, la réponse qui leur est faite deviendrait incompréhensible. Or ce qui compte ce n’est pas l’erreur, c’est la rectification, la réprimande, la rédemption. Et si l’on inquiétait les auteurs de messages douteux sur un plan judiciaire, ils ne pourraient plus s’en tirer en disant « je rigolais » mais seraient contraints à les assumer et à les revendiquer.

Il est très important de laisser dire pour que le droit d’expression le plus important reste garanti : celui de contredire, de rectifier, de discuter, d’argumenter, de raisonner. Twitter est un espace social, un espace de conversation où cette possibilité de contredire existe véritablement, contrairement au cas des médias de masse. Je pense donc qu’il n’y a pas lieu d’appliquer des sanctions ou de réclamer une censure.
Sauf si on cherche juste un prétexte pour confisquer aux individus le droit à s’exprimer, bien entendu.

  1. Avant Miterrand, l’homosexualité n’était pas interdite, mais pour des homosexuels, draguer, s’embrasser, etc., relevait presque toujours de l’attentat à la pudeur, et était qualifié de « contre-nature » par la loi. Par ailleurs, l’âge de la majorité sexuelle des homosexuels était celui de la majorité tout court, donc vingt-et-un ans jusqu’à Giscard, et dix-huit ensuite. C’est par exemple pour avoir couché avec un jeune homme de vingt ans que Charles Trénet a été jugé « pédophile » par le tribunal des braves gens, et cette réputation lui colle encore aujourd’hui. []
  2. Il semble que les homosexuels ont, dans le privé, des salaires inférieurs à ceux des hétérosexuels, mais il semble aussi que les couples homosexuels aient, en additionnant les deux revenus, un meilleur niveau de vie. Comme il circule beaucoup de chiffres dans tous les sens sur ce sujet, je ne peux pas trancher, mais le cliché existe, et c’est suffisant pour avoir un effet sur les choix des propriétaires de logements. []
  1. 18 Responses to “Faut-il faire taire l’insupportable ?”

  2. By ianux on Déc 23, 2012

    Ce qui est intéressant, c’est que, en se massifiant, Twitter permet en quelque sorte de prendre le pouls d’une nation. Où l’on découvre que la jeunesse française, à tout le moins une partie, est réactionnaire (en plus d’être fâchée avec l’orthographe).

    De plus, comme tu l’as montré, appeler à la censure d’un hashtag a priori ne sert à rien et dessert la liberté d’expression puisque le tweet associé peut aller dans un sens comme dans l’autre.

  3. By Wood on Déc 23, 2012

    Question que j’aimerais poser à un juriste : Twitter peut-il être tenu pour responsable des propos tenus par les utilisateurs ? Philippe Buisson, Marc Coatanea et Bertrand Delanoë ont l’air de le penser…

  4. By ianux on Déc 23, 2012

    @Wood Vu le caractère instantané de la communication, cela me parait difficile. Comme si on pouvait condamner une radio pour les propos répréhensibles tenus en direct par un invité (qui lui pourrait l’être).

  5. By Jean-no on Déc 23, 2012

    @ianux, @wood : Twitter est considéré comme hébergeur de ce contenu, je suppose, et à ce titre n’est pas responsable des propos tenus mais le devient lorsque les contenus signalés ne sont pas effacés.

  6. By Erwan on Déc 24, 2012

    « Twitter est un espace social, un espace de conversation où cette possibilité de contredire existe véritablement, contrairement au cas des médias de masse. »

    En tant qu’espace de conversation il me semble même pouvoir être bien plus confortable que l’échange de vive voix, pour certains en tout cas. Il peut être bien plus commode de ramener un imposant voyou à la raison depuis l’autre côté de la vitre de son écran que depuis le même trottoir que lui…

  7. By Jean-no on Déc 24, 2012

    @Erwan : c’est certain, et c’est un avantage, la plupart du temps, pour l’information et le raisonnement. Il existe des moyens de faire taire agressivement quelqu’un, cependant : le blocage, le signalement comme spam ou les actions en justice.

  8. By anonyme on Déc 24, 2012

    Tu écris « assumer son homosexualité » -> tant que des gens diront ça plutôt qu’ «accepter», il y aura du boulot !

  9. By Jean-no on Déc 24, 2012

    @anonyme : j’ai écrit « assumer publiquement son homosexualité ». On ne peut pas « accepter publiquement son homosexualité », et « assumer » n’est pas forcément « revendiquer » : revendiquer, ce serait être dans le combat (parfois nécessaire), tandis qu’assumer, c’est vivre une chose sans s’en cacher. Et je ne vois pas comment ça pourrait ne pas être bien.

  10. By bertrand on Déc 24, 2012

    @Jean-no
    « assumer » véhicule une connotation de pénalisante ; dans le français courant, on assume ses échecs pas ses succès !

  11. By Jean-no on Déc 24, 2012

    @bertrand : C’est certain, on n’assume pas les choses agréables, les choses agréables on se contente d’en jouir. Rendre son homosexualité publique n’est pas une chose évidente, c’est une source de souffrance pour de nombreux homosexuels, même si les choses changent. Le constater n’est pas le légitimer ou le justifier.

  12. By anonyme courageux on Déc 25, 2012

    Pour ma part je serais en faveur de sanctions fortes (judiciaires) pour montrer l’exemple. Trop de gens se sentent « en sécurité » derrière leur écran et il serait tant de montrer que le virtuel n’est qu’un leurre et que les actes sont répréhensibles IRL.

  13. By Jean-no on Déc 25, 2012

    @anonyme courageux : c’est assez facile, derrière son écran, de vouloir des sanctions judiciaires fortes pour les autres, sans trop se demander ce que ça signifie dans la pratique. Mais ne s’agit-il pas juste d’une envie de faire mal à celui qui, par ses mots, peut provoquer de la souffrance lui aussi ? En d’autres termes, de vengeance ? Pour moi des excuses valent bien mieux qu’une punition. On n’est pas dans un cas de figure simple où les « gentils » et les « méchants » sont faciles à désigner en fonction d’une morale universelle (le vol, le meurtre,… tout le monde sait que c’est mal, quoi). On est dans un moment critique de changement sociologique, anthropologique, où l’homosexualité, insulte de cour de récré, devient une manière de vivre respectable. Il faut que ceux qui n’y sont pas encore près soient accompagnés, éduqués, plutôt que repoussés et à leur tour ostracisés.

  14. By LCF on Déc 25, 2012

    De manière plus générale, anonyme courageux, on est dans le débat sur la censure. Donner aujourd’hui au gens qui aiment le Skub le droit de faire taire ceux qui les contredisent, c’est légitimer le droit des antis-Skub à faire de même quand ils auront pris le pouvoir; et entre-temps, on n’aura pas pris le temps de s’interroger, pour savoir si le Skub est bon ou pas.

  15. By DominiqueD. on Déc 27, 2012

    Un fait amusant est que le Free Speech garanti par la constitution US, et qui nous revient un peu par le biais des moyens de communication technologiques made in US et des us et coutumes associés, est vu, de l’autre coté de l’Atlantique, comme l’héritage du siècle des lumières européen. Alors qu’en Europe, malheureusement, nous avons oublié et mis de coté cet héritage, ce qui fait que régulièrement on entend parler de l’imposition d’une possible censure, comme si nos politiques se sentaient en position d’adultes toujours prêts à sermonner les citoyens-enfants qui décidément ne se comportent pas comme il faut. Comme l’écrivit Brecht, le gouvernement est toujours comme agité de la tentation, malheureusement, pour lui, toujours impossible, de « « J’apprends que le gouvernement estime que le peuple a « trahi la confiance du régime » et « devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités ». Dans ce cas, ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ».

  16. By b705525 on Jan 6, 2013

    La pression sociale comme moyen de contrôle… intéressant de défendre ce genre de régulation alors que c’est cela même qui pousse des personnes homosexuelles (et de façon plus générale, des personnes « différentes ») au suicide. La société normale, c’est maintenant.

  17. By Jean-no on Jan 6, 2013

    @b705525 : ce n’est pas un petit problème que vous soumettez là, mais je vois la société comme un fait difficile à ignorer, et néanmoins capable d’évoluer, contrairement à la loi qui grave des principes dans le marbre et les conserve parfois bien au delà de leur utilité réelle. De plus, la loi aussi peut faire partie de l’oppression, notamment dans le cas de l’homosexualité : savez-vous qu’il y a des pays où c’est puni de mort ? Je pense qu’il est important que les sociétés soient intelligentes, et que la loi serve d’abord à arbitrer ce qui ne peut pas l’être autrement. En théorie, par ailleurs, une loi est le produit du vœu de la société, par le biais de sa représentation législative. Tout est question d’équilibre, mais aussi de contexte, de cas particuliers,… Étant un partisan de la liberté et de l’intelligence, je préfère qu’un imbécile puisse être contredit et amené à réfléchir que censuré ou poursuivi par la loi, et je pense que Twitter est un excellent médium pour ce faire, car les gens se répondent et sont sur un pied d’égalité. Vous ne pourrez jamais empêcher les gens d’être bêtes, méchants, ou de penser autrement que vous. Les museler juridiquement ne sert pas forcément la cause de la bienveillance et du progrès. En revanche, leur apprendre qu’il existe un autre avis, si.

  18. By b705525 on Jan 6, 2013

    La société est un fait. Je suis d’accord avec vous. Dans les exemples que vous prenez, elle penche du « bon côté ». Il est arrivé, et il arrive qu’elle penche du mauvais. Je crois que la contrainte sociale fait partie du problème. Que veut dire la liberté si des messages de 140 signes peuvent vous contraindre à prétendre qu’il s’agissait d’une blague ? Il ne faut pas mélanger les choses. Ce n’est pas parce que le conformisme peut parfois arrêter la bêtise que c’est une bonne chose. Il faut combattre l’irrationnel tout comme il faut combattre le conformisme (sur ce point, lire JS Mill).

    Ceci étant vous avez peut-être raison. L’éthique pour les gens capables de réfléchir. La morale (laïque ?) pour les autres. C’est sans doute le plus efficace et ça n’empêche pas d’essayer de faire réfléchir tout le monde. Mais je pense qu’avec mon premier message vous comprenez que si vous perdez la bataille de l’intelligence alors que vous avez promu la morale au détriment de l’éthique : on est dans la merde.

  19. By Jean-no on Jan 6, 2013

    @b705525 : comme je vous disais, ce n’est pas une question que je prends à la légère, et je vous rappelle que la loi est souvent l’arme de guerre du conformisme. Ce que j’apprécie avec Twitter, c’est que les échanges se font entre des individus (même s’il peut y avoir des foules, ce sont bien des foules d’individus) qui ont tous le même droit à la parole. Habitués aux médias de masse qui, de facto, ne donnent la parole qu’à certains (pas forcément en fonction de leurs idées mais en fonction de leur possibilité d’accès à ces médias) et à la politique, qui repose chez nous sur la représentation de la plèbe par l’élite, les politiques ont beaucoup de mal à imaginer une voie qui repose sur le dialogue d’égal à égal (relatif, bien sûr, car encore faut-il maîtriser son expression) qui, ils le savent à mon avis confusément, va à l’encontre de leur gagne-pain.

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