Profitez-en, après celui là c'est fini

Kafka et l’ordinateur (Le Procès, 1962)

septembre 30th, 2012 Posted in Ordinateur au cinéma

Le Procès est un roman bien connu de Franz Kafka qui a inspiré quantité d’œuvres, dont un film d’Orson Welles avec Anthony Perkins dans le rôle de Joseph K, un homme aux prises avec une procédure judiciaire absurde. Le roman a été écrit pendant la première guerre mondiale mais n’a été publié qu’en 1925, un an après le décès de son auteur.
Le film, excellent au demeurant, date de 1962.

Dans son adaptation, Orson Welles résiste bien à la tentation d’une allusion pesante au nazisme ou au communisme. Il conserve assez fidèlement la plupart des éléments du roman mais prend tout de même quelques libertés. Entre autres, il introduit une dissertation sur l’ordinateur — objet qui, en 1962, est connu du public depuis un peu plus de dix ans et a déjà une grande importance pour l’industrie. Dans une scène, Joseph K vient de terminer son travail et discute avec son oncle qui le conseille sur le procès. En voyant l’ordinateur qui se trouve au dessus des bureaux, l’oncle propose à Joseph de demander à « l’engin électronique qui répond aux questions » (c’est la figure courante à l’époque de l’ordinateur « oracle ») de quel crime il est accusé.

L’oncle de Joseph appelle aussi la machine « cerveau ». Lorsque son neveu parle de la machine au féminin, l’avertit, pour rire : « si c’est une femme, méfie-t-en », avant de conclure qu’il serait idiot d’espérer être tiré d’affaire par une « machine à calculer » et que « finalement, ces appareils électroniques ne servent pas à grand chose ». Il est dit au passage que les personnes qui s’occupent de l’ordinateur en parlent avec affection, respect, peut-être même amour et terreur. En quelques phrases, l’engin a donc droit à une succession de qualités : cerveau, oracle, femme, simple calculatrice, appareil électronique. Quand à ceux qui s’y intéressent, ils connaissent eux aussi des sentiments variés : affection, amour, respect, terreur.

Une séquence supplémentaire de six minutes, coupée au montage, se déroule aussi face à l’ordinateur. L’extrait a été conservé mais sans le son. On y voit Joseph K, dans les bureaux, de nuit, qui discute avec une informaticienne interprétée par l’actrice grecque Katina Paxinou1. Dans une interview2, Orson Welles a expliqué que ça aurait dû être la meilleure scène du film, mais que ça ne l’a pas été et qu’il a par conséquent préféré la supprimer à la veille de la première. On sait que dans cette scène, l’informaticienne demandait à l’ordinateur de quoi Joseph K était accusé, question à laquelle la machine répondait que le crime que K est le plus susceptible de commettre est le suicide.

Welles a expliqué que le sujet de cette scène était le libre-arbitre, qu’il oppose à la machine, pour qui des paramètres donnés aboutissent toujours au même résultat. L’ordinateur est donc moins ici une métaphore de la procédure administrative aliénante dont K est victime qu’une allégorie des prédestinations contre lesquelles il faut lutter.

  1. Dans le film, tous les rôles féminins notables sont confiés à des actrices venues de pays non-anglophones: Romy Schneider, Jeanne Moreau, Elsa Martinelli, Madeleine Robinson, Suzanne Flon,… []
  2. Interview par Huw Wheldon, BBC, 1962 []
  1. 2 Responses to “Kafka et l’ordinateur (Le Procès, 1962)”

  2. By Benoît on Sep 30, 2012

    La scène eût quand même changé tout le (non)-sens du film. Sa suppression n’a vraiment rien d’anodin puisque autant dans le livre que dans le film le motif d’accusation est inconnu, et c’est bien plus la fabrication de la culpabilité et son ressenti qui sont au cœur de l’œuvre.

    « Ils sont trop heureux, ils ne peuvent être coupables ! »
    Loaisel de Tréogate, La Comtesse d’Alibre

  3. By JA on Oct 1, 2012

    bel article
    il faut visiter à Prague le musée Franz KAFKA, passionnant
    A bientôt
    JA

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