De la production de textes universitaires
octobre 17th, 2010 Posted in Après-cours, Lecture, MémoiresLe lendemain de la publication de mon billet consacré à un antique livre des frères Bogdanoff, on a appris par Marianne le contenu d’un rapport interne du CNRS destiné à évaluer les thèses des ex-animateurs de l’émission Temps X. En 1999, Grischka Bogdanoff a soutenu une thèse en mathématiques intitulée Fluctuations quantiques de la signature de la métrique à l’échelle de Planck et son frère Igor a soutenu en 2002 une thèse en physique théorique intitulée État topologique de l’espace-temps à l’échelle zéro. L’un et l’autre, bien qu’ils l’aient nié, n’auraient reçu leurs titres de docteurs qu’avec injonction de revoir leurs textes et avec la mention « honorable », ce qui dans le système universitaire français peut être traduit par « très médiocre » et qui équivaut à empêcher le titulaire du doctorat de prétendre occuper la moindre fonction universitaire. Dès qu’il a été su que les frères Bogdanoff avaient soutenu leurs thèses, ils ont été qualifiés d’escrocs ou de charlatans, d’autant qu’ils se sont appuyés sur leurs titres universitaires pour vendre leurs livres Avant le Big Bang (2004) et Le visage de Dieu (sorti en mai dernier). C’est probablement l’important succès en librairie du Visage de Dieu qui leur a valu de voir le rapport « confidentiel » du CNRS refaire surface après tant d’années. On comprend que leurs théories hérissent le poil de nombreux scientifiques, puisqu’ils utilisent avec légèreté la science la plus inaccessible au profane pour donner du crédit à un déisme assez fumeux. Du moins est-ce que l’on pense, car ceux qui ont un avis sur le livre n’ont pas nécéssairement lu autre chose que son titre — et ceux qui l’ont acheté se sont arrêtés trois pages plus loin, dit-on.
Le rapport du CNRS n’est pas très charitable : Incohérences, confusion, charabia, camouflage, méconnaissance ou mécompréhension de notions élémentaires de mathématiques ou de physique, un travail de niveau DEA, voire de Maîtrise, mais, ajoutent les rapporteurs, « très mal écrit ». Je suppose que ces critiques sont méritées mais je serais bien incapable d’en juger, du haut de mon niveau « troisième » en mathématiques. Les auteurs, révoltés par l’existence du rapport, ont déclaré avec grandiloquence : « On découvre ainsi qu’il existe dans les couloirs obscurs du CNRS une sorte de ‘Stasi’ scientifique, faite d’agents secrets destinés à abattre tel ou tel chercheur ». Là, ils se trompent car le principe même de l’enseignement supérieur est la validation par les pairs et il est plus que normal de vérifier si des thèses ont été obtenues par complaisance.
Difficile pourtant de donner complètement tort aux jumeaux maudits lorsqu’ils résument : « on veut nous flinguer ».
Car tout de même, le rapport, qui n’est pas une procédure courante, s’attaque simultanément à deux thèses différentes, issues de disciplines différentes, soutenues à quatre ans d’intervalle par deux personnes différentes. N’aurait-il pas été logique d’individualiser les questions ? Bien sûr, on sait que les frères Bogdanoff travaillent ensemble et eux-mêmes présentent leurs thèses comme les deux faces d’une même pièce. Mais justement, « on sait ». On sait beaucoup trop de choses en fait, le tout-Paris a ri ou s’est offusqué du contenu de ces mémoires que personne, bien évidemment, n’a lu. L’affaire était jugée avant le procès public, peut-être tout simplement parce que l’enseignement supérieur ne veut pas s’associer à l’image de deux personnalités trop en vue, un peu ridicules (on les revoit encore combinaisons argentées dans leur vaisseau spatial de télévision), au physique de plus en plus étrange (entre le botox et, si l’on en croit la rumeur, des symptômes d’acromégalie ou d’un dérèglement dû à une utilisation d’hormone de croissance…), et qui tiennent si désespérément et si peu humblement à faire croire qu’ils ont résolu toutes les énigmes de l’univers1.
Le rapport (ou en tout cas la version fournie par Marianne) n’évoque absolument pas la responsabilité des directeurs de recherches ou des jury qui ont accepté la soutenance des deux thèses. Leurs noms, mêmes, ne sont pas mentionnés. Pourtant c’est aussi ça la validation par les pairs : le diplôme engage ceux qui le remettent autant que ceux qui le reçoivent.
J’ai l’impression que c’est moins la qualité scientifique des mémoires qui pèse dans cette affaire que le fait de protéger l’institution de ceux qui la ridiculisent de manière trop voyante. Car on ne peut pas dire qu’il y ait une même promptitude à dégainer lorsque des doctorats sont remis pour des mémoires intégralement copiés sur d’autres2. Au moins, les frères Bogdanoff ne semblent pas avoir été jugés plagiaires.
Cette histoire résonne avec ma pratique à l’université puisque je sors de quelques semaines passées à juger des mémoires de Master — diplôme qui ouvre la possibilité d’entamer une thèse de doctorat. Je dois dire que cette session, comme les précédentes, m’a un peu déprimé car si, comme toujours, il y a eu quelques mémoires dignes d’intérêt, une large majorité d’entre eux était constituée de grossiers copier-collers issus de Wikipédia ou d’autres sites web. Une année je suis tombé par exemple sur le mémoire d’une étudiante asiatique au français franchement approximatif qui n’a pas eu peur d’écrire quelque chose du genre : « Pour analyser ce texte, nous avons choisi de nous baser sur la traduction qu’en a fait Marie de Bonaparte car malgré quelques passages quelque peu datés, il nous a semblé que sa définition de l’Unheimliche est celle qui approche le mieux la vision que Freud avait de ce concept presque impossible à traduire en français ». Enfin quelque chose comme ça, je recompose la phrase de mémoire mais l’essentiel y est : une étudiante qui parle mal français prétend pouvoir faire de la philologie ou de la linguistique en comparant les différentes traductions en français d’un texte allemand. On atteint ici un sommet de ridicule, parce que cela se voit. Mais la même phrase aurait pu être écrite par un étudiant totalement francophone et aurait été la marque d’une même imposture : l’étudiant prétend avoir l’autorité suffisante pour émettre un avis sur les différentes traductions d’un texte allemand… Ce qui signifierait un travail conséquent de lecture et de comparaison, tout de même, et ceux qui effectuent réellement un tel travail ont tendance, je pense à le « rentabiliser » en lui consacrant un chapitre.
En fait si des étudiants écrivent ce genre d’âneries, c’est parce que ces âneries sont aussi présentes dans les essais qu’ils recopient, et il n’est pas rare qu’un « Freud scholar » des plus réputés se rende coupable du même genre de formules légères qui laissent penser qu’il a lu toutes les traductions d’un livre, alors qu’il ne fait que répéter lui-même ce qu’un de ses prédécesseurs a écrit avant lui. Du bluff, quoi. Et la question ne se limite bien évidemment pas à Freud : on se rappellera par exemple du livre de Sokal et Bricmont qui se gaussait des philosophes post-modernes coupables d’avoir laissé croire, avec la plus grande légèreté, qu’ils avaient parfaitement intégré la topologie, l’espace non-euclidien ou encore les démonstrations de Gödel3.
Ce qui me dérange dans le copier-coller, ce n’est tant pas la question morale que constitue le fait de s’approprier des textes qui ne sont pas les siens, c’est avant tout la question de la littérature : les mémoires de ce type sont illisibles et affligés d’un style imbuvable. Mélanger des clichés littéraires, des tons, des mots, sans se donner la peine de comprendre véritablement ce qu’on écrit, sans précision, sans finesse, ça me semble dramatique, j’y vois un appauvrissement terrible de l’écriture et, puisqu’à l’université l’écriture sert à structurer ses idées, un possible appauvrissement de la pensée — je dis « possible » car on ne réfléchit pas que par l’écriture, peut-être que les qualités des étudiants aux écrits médiocres doivent être cherchées dans d’autres productions, surtout en arts plastiques justement4.
J’ai senti chez de nombreux collègues, et depuis plusieurs années, une lassitude ou un certain embarras face aux mémoires médiocres. Les conditions font que les choses se passent comme ça mais personne n’en est satisfait. La réforme LMD fait qu’un étudiant peut facilement commencer un master 1, qui lui-même ouvre automatiquement la porte à un master 2. Enfin je résume la situation cavalièrement mais c’est l’effet qui est constaté. Le master 2, quant à lui, s’obtient non seulement par la qualité du mémoire ou de la soutenance, mais aussi par le cumul des notes obtenues dans divers cours. La manière dont les directions de mémoires sont distribuées et la manière dont les jurys sont constitués laisse par ailleurs peu de temps à chacun, beaucoup de directeurs de mémoires ne voient les textes qu’ils sont censés avoir dirigés qu’une fois qu’ils ont été déposés (donc bien trop tard), et les membres des jurys se voient quant à eux imposer de lire un grand nombre de mémoires en très peu de temps, jusqu’à plusieurs milliers de pages de texte en quelques jours. Comment est-ce que tout cela pourrait être vraiment bien fait ? Je passe sur les problèmes (très réels) des étudiants qui, si leur soutenance devait être reportée par exemple, peuvent perdre un titre de séjour s’ils sont étrangers, peuvent être forcés de repousser d’un an leur inscription en doctorat, etc. C’est horrible à dire aussi, mais laisser des étudiants quitter l’université avec un Master médiocre est aussi la manière le plus commode de se débarrasser d’eux (zut, je l’ai dit !). Et c’est ainsi qu’un étudiant peut obtenir une note de 17 pour un travail sérieux et impeccable tandis qu’un autre pourra, par le jeu des notes obtenues précédemment, partir avec un 14 pour un travail qui n’aurait jamais dû être présenté.
Est-ce que l’université vit une crise de l’écrit ? Est-ce général ? Comment est-ce que ça se passe ailleurs ? On dit que les élèves qui intègrent les grandes écoles d’administration, de commerce ou d’ingéniérie sont, depuis quelques années, à la limite de l’analphabétisme. Je n’ai pour ma part aucun moyen d’en juger.
Ce qui est ironique c’est que dans le même temps, les écoles supérieures d’art ont été forcées à se mettre à produire du texte : il faut monter des équipes de recherche, des revues, produire des ouvrages, etc.
L’an passé, mes étudiants en DNSEP des écoles d’art du Havre et de Rennes ont dû fournir un mémoire en rapport avec leur production plastique. Par exemple, une de mes étudiantes du Havre a produit un corpus très fourni sur le documentaire filmé, sujet sur lequel elle peut se vanter de tout savoir à présent. Un étudiant de Rennes s’est interrogé sur les mutations du livre, et là aussi, sa réflexion était de très bon niveau. Je pourrais citer plusieurs exemples, les mémoires médiocres constituaient plutôt l’exception.
En fait j’ai trouvé la qualité générale de ces mémoires d’étudiants en écoles d’art plutôt meilleure que celle des mémoires d’étudiants à l’université. Je vois trois différences importantes qui peuvent expliquer ce fait. La première, c’est que les enseignants en école d’art ont eu plus de temps à consacrer à chaque mémoire : les deux mémoires que j’ai mentionnés ont été lus, relus et discutés chacun par plusieurs enseignants. En école d’art, les étudiants sont bien plus suivis qu’à l’université. La seconde différence, c’est que les étudiants d’école d’art se connaissent et s’encouragent mutuellement, ils savent ce que leurs amis produisent. Ce n’est pas forcément le cas à l’université où les étudiants sont un peu dans leur coin, où beaucoup soutiennent des mémoires sans avoir jamais lu les mémoires d’autres étudiants ou sans avoir assisté à des soutenances. La troisième différence, enfin, c’est que les mémoires des étudiants en école d’art sont assez courts, il n’est pas question de se forcer à pondre cent cinquante pages mais juste d’en produire autant que l’on a besoin d’en produire, ni plus ni moins. À l’université, quel que soit le propos, les étudiants se font conseiller et presque imposer un format. Alors ils remplissent, et parfois ils remplissent avec beaucoup de choses qui ne sont intéressantes ni pour eux, ni pour leurs lecteurs. Ceci dit il y a de très bons mémoires parmi les plus fournis : au printemps dernier à l’université, j’ai eu à corriger un mémoire exceptionnel qui pesait presque aussi lourd qu’une thèse mais dont la rédaction était suffisamment inspirée pour être fluide et agréable à lire. Il s’agissait, pourtant, d’un texte écrit par une étudiante dont la langue maternelle n’était pas le français.
Cette année j’ai eu la surprise de lire mon nom parmi les possibles directeurs de Master 2 à l’université — je ne pensais pas en avoir le droit, n’ayant q’un poste de Maître de conférences « associé » à mi-temps, et j’ai toujours éconduit les étudiants qui me demandaient de les diriger —, je suppose que je vais donc m’acquitter de cette tâche. J’ai écrit le présent billet pour mes peut-être futurs masters, afin qu’ils réfléchissent bien au sujet : à quoi bon passer un an ou deux à rédiger un mémoire si celui-ci ne contient pas ses propres idées, sa propre écriture, sa propre voix, ses obsessions ? Passer du temps à étudier une problématique, une œuvre, un média, ça ne doit pas être une corvée, ça doit être une chance, un temps que l’on se donne pour chercher, pour apprendre, pour transmettre, pour approfondir véritablement un sujet d’étude, et puis bien sûr pour écrire. Un diplôme en arts plastiques n’a de valeur que s’il valide un vrai travail, ce n’est pas le genre de bout de papier avec lequel on épatera un éventuel employeur si l’on ne dispose pas de qualités véritables.
J’ai eu un professeur de dessin impitoyable, Claude Cussinet, honnête peintre figuratif, qui terrorisait les étudiants. Quand il trouvait un dessin nul (et c’était généralement ce qu’il avait à en dire) et qu’un de ses élèves protestait, il posait une question assez simple : « est-ce que vous l’auriez acheté, ce dessin ? Combien l’auriez-vous payé ? » Bien souvent, les étudiants ne trouvaient plus grand chose à répondre.
Eh bien c’est pareil pour un mémoire universitaire : est-ce que vous paieriez pour acheter le livre en librairie ? On doit écrire les textes que l’on aimerait voir exister, que l’on a plaisir à faire exister, pas ceux qu’on se sent forcés d’écrire et que l’on bâcle en espérant que le jury sera indulgent ou y retrouvera ses petits.
On doit écrire pour soi et pour les autres.
- Lire cet intéressant portrait des frères B. sur le site du Point. [↩]
- Voir le salutaire site Archéologie du copier-coller, par Jean-Noël Darde. [↩]
- Je suis pour ma part réservé sur la question des Impostures intellectuelles, car si je me méfie du mélange des disciplines, je me méfie aussi de leur cloisonnement, et je ne trouve pas idiot d’emprunter un concept, même en le comprenant de travers, pour en forger un autre. De plus, entendre Einstein parler de philosophie, Gödel de théologie, Pierre Gilles de Gennes de dessin ou Claude Allègre d’écologie me semble potentiellement plus embêtant que de savoir si Julia Kristeva ou Jacques Lacan ont écrit des bêtises en s’aventurant à chercher des métaphores dans les sciences exactes, d’autant qu’il me semble que la réponse est suffisamment évidente pour ne pas avoir besoin d’être dite. [↩]
- Sur ce qu’est la littérature, l’écriture, le style, il existe mille et un bons livres, à commencer par les bêtes dictionnaires de figures de rhétorique et de figures de style, ou encore les nombreux livres consacrés à la littérature de Roland Barthes. Mais si je devais n’en conseiller qu’un, peut-être parce qu’on le cite, je trouve, assez peu, ce serait Les fleurs de Tarbes, par Jean Paulhan. [↩]
19 Responses to “De la production de textes universitaires”
By Maxim on Oct 17, 2010
bonjour
texte passionnant.
Si je puis me permettre une remarque sur la forme, il serait peut etre bon, afin de confort de lecture, de sauter une ligne entre chaque paragraphes et de grossir le corps des caractères.
Sinon, merci à vous pour cette analyse
By Jean-no on Oct 17, 2010
@Maxim : en général j’utilise l’image pour faire respirer le texte mais cette fois j’ai manqué d’illustrations. Pour le corps du texte, je suis très partagé, j’ai fait beaucoup d’essais et aucun ne me convient, je compte refondre le graphisme de ce blog un jour, notamment pour changer un peu le rapport corps du texte / interligne. Enfin en attendant, vous avez raison, j’ai ajouté quelques sauts de ligne.
By xavier löwenthal on Oct 17, 2010
sur le style, je ne sais pas si le texte est encore disponible ailleurs qu’en pléiade, mais je recommande vivement « le style contre les idées », de céline. c’était aux éditions complexe. celui de paulhan que tu cites, je ne l’ai jamais lu. je m’en vais l’acquérir prestement.
les travaux de fin d’étude généralisés, c’est encore une des conséquences de bologne. donc les étudiants en art doivent s’y soumettre eux-aussi et on se demande où l’on va pouvoir trouver des professeurs d’art doctorés…
les mémoires d’art que j’ai pu parcourir en belgique étaient calamiteux pour la plupart.
les mémoires universitaires sont ennuyeux au possible pour la plupart, et les étudiants sont tétanisés à l’idée d’entamer l’écriture de ce qui n’est jamais qu’un exercice, qu’un travail un peu plus long que les autres. le respect de l’institution, à l’université, a des effets pénibles. toute une culture de l’intimidation.
By xavier löwenthal on Oct 17, 2010
quand un texte est trop petit sur internet, Maxim, tu fais ctrl+ et il grossit, grossit, grossit, autant que tu veux.
By Bishop on Oct 17, 2010
Je mettrais pas un copek sur mon mémoire de master 2 pourtant aucun copier coller et 4 mois de rédaction intensif (entre 4 et 8 h par jour 6 jours sur 7)… mais bon.
Sinon une amie en master 1 chez toi, si elle reste l’année prochaine je sais ce que je vais lui conseiller hihi.
By Jean-no on Oct 17, 2010
@Xavier : je note la référence pour Céline. Le Paulhan existe en poche, ça m’étonne vu le sujet.
@Bishop : je pense qu’un Master peut être mauvais, ça n’est pas grave, mais il faut que le boulot profite à celui qui le fait, c’est avec ça qu’on apprend à bosser.
By la fille en master on Oct 17, 2010
Justement en M1 cette année ton texte tombe à pic. J’aime bien la conclusion « écrire pour soi ». Je me pose beaucoup la question de la scientificité et de l’empirisme aussi (l’intuition) : on doit faire la synthèse du sujet qu’on aborde et angler le sujet avec un point de vue personnel (ce que tu nommes nos obsessions), une des difficultés est le partage entre prendre place parmi nos ainés (la science, nos pairs, le lexique et les concepts commun aux membres d’une discipline et au geste scientifique) et garder sa fraîcheur d’explorateur et de chercheur néophyte, trouver et exprimer sa voix. Là se focalise peut-être quelques unes des errances du débutant, assimiler du savoir, montrer qu’on l’a assimilé et donner un sens personnel à sa recherche, rester soi-même (c’est à dire écrire).
Merci pour tes conseils et avis.
J’adore ton blog sinon !
à +
By jefaispeuralafoule on Oct 18, 2010
Tout d’abord merci pour ce texte complet et circonstancié.
Concernant les Bogdanov, n’ayant pas lu leurs écrits, et n’ayant pas la prétention de maîtriser le sujet en question, je me garderai de commenter. Par contre, là où je réagis, c’est sur un aspect plus « people » (que je hais cet anglicisme!) de cette pseudo affaire. Concrètement, sont-ils des fumistes en quête d’une nouvelle chance médiatique, ou bien sont-ils vilipendés parce que, justement, ils ont pratiqués la vulgarisation scientifique et donnés une visibilité à la science fiction?
Dans les deux cas, nous avons donc à faire face à quelque chose de dangereux: s’ils ont écrit n’importe quoi, il n’est pas estimable de les attaquer sans démonter le tout par l’écrit. Un « c’est de la merde » à la J.P Coffe n’aide absolument pas à orienter les lectures des béotiens comme moi. De là, qui sera suffisamment estimé et compétent pour le faire? Je doute qu’un véritable expert reconnu prenne le temps d’aller se préoccuper d’un torchon. Neuf fois sur dix, l’expert se préoccupera d’orienter les gens vers de « véritables » références, et omettra naturellement de citer les mauvais livres.
De l’autre côté, si le livre est « acceptable » (je ne dis pas bon, eu égard à l’avis du CNRS), alors qu’en tirer? Qu’il soit mal écrit, admettons, mal soutenu, pourquoi pas, mais nombre de théories, si bonnes soient-elles, sont desservies par un manque chronique de synthèse dans l’écrit.
De ce fait, je suis perplexe: on déclare que l’édition n’a jamais été aussi intense (j’ai entendu une statistique fumeuse qui dit qu’en dix ans on a plus publié que durant deux millénaires, en volume de références s’entend), mais qualitativement parlant, cela semble aussi faire la place belle à des torchons, des ouvrages qui n’ont pas la moindre « valeur » (même si j’estime que tout écrit, même les plus lamentables, ont une valeur quelque part), et polluent donc le choix parmi de vraies références.
Enfin, n’étant pas capable d’analyser concrètement le livre des Bogdanov, je crois que je vais faire l’impasse. Dommage? Probablement. Logique? Certainement: quitte à porter un jugement de fond sur un sujet, autant le maîtriser. Comme l’a bien dit Desproges « La culture, c’est comme les parachutes, quand on n’en a pas, on s’écrase ».
By jefaispeuralafoule on Oct 18, 2010
@la fille en master:
C’est d’autant plus vrai qu’une compétence technique et une compétence didactique ne se rencontrent pas si souvent que cela dans une seule et même personne. Savoir enseigner, savoir expliquer, c’est autant un talent qu’une méthodologie, une rigueur tant intellectuelle que psychologique qu’il faut savoir gérer.
L’exemple du professeur de dessin dans le texte est typique: est-ce efficace d’être psychorigide? Dans certaines matières, c’est indispensable pour que certains points clés soient assimilés par les étudiants. Dans d’autres matières, il faut aussi savoir oeuvrer avec souplesse, simplement parce qu’au-delà de la méthode, il y a de l’imagination.
J’ai « enseigné » (peu de temps) de la programmation sur automates industriels, et rédigés des sujets d’examens pour le BAC pro associé. Très rapidement, je me suis rendu compte que tout écrit prête à interprétation, et savoir clarifier le texte, le rendre abordable, cela va bien plus loin que la seule compétence qu’on y met.
Et puis, les écrits peuvent exprimer une véritable passion. Ecrire pour soi, c’est souvent un exutoire, et le faire lire aux autres, c’est partager des opinions ou des sentiments. Quand on s’attaque à des thématiques techniques (au sens large du terme), on peut « goûter » le plaisir de l’auteur à disserter sur son sujet de prédilection… Au risque de se noyer dans le plaisir au détriment de la connaissance. L’équilibre me semble plus que précaire, non?
By Jean-no on Oct 18, 2010
@jefaispeuralafoule : je trouve le plaisir plus communicatif que le devoir :-)
J’ai déjà eu droit à des mémoires d’étudiants qui se voulaient des « délires », sans aucune intention de communiquer. Évidemment, ça n’est pas lisible ni intéressant, il y a un effort à faire, c’est pour ça que je finis par « pour soi et pour les autres », il faut trouver l’équilibre.
Pour le côté impitoyable de mon prof de dessin, il y a un aspect à considérer : les carrières d’artistes figuratifs, pour ceux qui veulent se mesurer à Rembrandt ou à Degas, sont très cruelles, il n’est pas possible de s’installer dans une certaine médiocrité, il n’y a pas vraiment de place pour les meilleurs, alors imagine pour les autres.
Je partageais ce niveau d’exigence à l’époque (j’allais sur mes vingt ans, l’âge de l’intransigeance), mais j’ai fini par découvrir que le dessin pouvait servir à bien d’autres choses qu’à devenir Rembrandt et qu’il était souvent contre-productif de réclamer l’excellence, au sens où il y a mille autres choses à faire avec le dessin que du Rembrandt.
By jefaispeuralafoule on Oct 18, 2010
Je confirme pleinement: ayant été « musicien » (dans mes études… dans une autre vie), je mangeais plusieurs heures d’histoire de la musique par semaine. Là, il s’agissait d’apprendre à analyser les périodes, les styles ainsi que les harmonies, choses qui nécessitent énormément de rigueur et de la concentration. Dans cette optique, je comprends pleinement la nécessité de rectitude de l’enseignement, d’autant plus que les ambiguités sont légion. Par contre, j’ai eu le « malheur » d’avoir eu certains professeurs qui dédaignaient l’art au profit de la technique. La technique, c’est la façon d’appréhender. L’art, c’est la façon de créer. Je ne sais pas trop comment décrire précisément cette réflexion, mais j’estime que certaines choses nécessitent une forme de « liberté » plutôt que la droiture sans esprit.
By Jean-no on Oct 18, 2010
L’idée courante est que l’art, la créativité, ne deviennent possible qu’une fois la technique totalement acquise. C’est vrai parfois, mais à la réflexion je me dis que ça ne l’est pas toujours et que beaucoup de gens fascinés par la technique finissent par s’y enfermer, plutôt comme des sportifs de haut niveau que comme des créateurs. Encore un difficile équilibre, car il est vrai aussi que sans moyens techniques, la création n’est pas possible.
Mon grand progrès personnel vis à vis de l’intransigeance de mes vingt ans, c’est d’avoir fini par accepter qu’il n’y avait pas qu’une seule voie.
By jefaispeuralafoule on Oct 18, 2010
Sans omettre la particularité de la technique, car nombre d’artistes inventent réellement de nouvelles choses, expérimentent, jusqu’à un point tel qu’on parle de « musique expérimentale » par exemple.
On peut se moquer ou rire de certains créateurs des 70’s qui jouaient avec les ancêtres des Korg et autres Yamaha (synthétiseurs), mais ils ont défrichés les routes qui mènent à la musique électronique. Dans cet esprit, la technique est une excellente chose à connaître (notamment en acoustique qui ne pardonne que peu de choses), tout comme la liberté de bidouiller, tester, évaluer le résultat.
On se souviendra de morceaux où le hasard a joué à plein: l’anecdote de la chaîne à maillons posée sur les cordes d’un piano pour obtenir une nouvelle sonorité (trou de mémoire pour le morceau en question!), ou encore celle du synthé à moitié bousillé lors de son transport qui a donné naissance à un tube en France (les lacs du Connemara)…
By jefaispeuralafoule on Oct 18, 2010
J’ai failli oublier un « exemple » typique de la problématique de l’imposture lors de l’écriture:
BHL!
Je cite (cf le lien sur wikipedia, mais également dans bien des articles de la « presse » web)
[i]En février 2010, à la sortie de son ouvrage De la guerre en philosophie, la référence à un philosophe fictif, Jean-Baptiste Botul (inventé par le journaliste du Canard Enchaîné Frédéric Pagès), pour appuyer ses critiques sur Emmanuel Kant provoque une vague de commentaires consternés et ironiques dans la presse, à la suite d’un article de la journaliste Aude Lancelin paru sur le site littéraire du Nouvel Observateur. Frédéric Pagès commente : « La vie sexuelle d’Emmanuel Kant raconte l’histoire farfelue d’une communauté d’Allemands de Königsberg (devenu Kaliningrad) ayant fui au Paraguay pour constituer une colonie strictement régie par la philosophie kantienne. Cela aurait dû l’alerter. Cela pose une question sur sa façon de travailler. » Bernard-Henri Levy reconnaît l’erreur et écrit « Chapeau pour ce Kant inventé mais plus vrai que nature et dont le portrait, qu’il soit donc signé Botul, Pagès ou Tartempion, me semble toujours aussi raccord avec mon idée d’un Kant […] tourmenté par des démons moins conceptuels qu’il y paraît. »Cet ouvrage a reçu le 30 juin 2010 le Prix Botul, Bernard-Henri Lévy ayant (bien qu’absent ce jour-là) accepté de faire partie du jury, condition nécessaire pour le recevoir.[/i]
Quant à savoir s’il s’agit d’une fraude à l’écriture, ou bien s’il a vraiment été dupé, je laisse la foule seule juge…
By la fille en master on Oct 19, 2010
en fait dans mon esprit « écrire pour soi » sous entend « et pour les autres », « je est un autre » n’est il pas ? plaisanterie mis à part, l’écriture est une part importante de l’élucidation et donc de la communication. On nous conseille d’ailleurs de rédiger au fur et à mesure de nos recherches et non pas d’accumuler des pistes sans rien en faire. Je crois que la plus grande difficulté est là, dépasser cette inhibition de l’écriture (entendue pas comme défouloire mais pour communiquer des faites et des idées), qui dans le cadre de l’université est problématique, d’où je parle et cie et en plus je suis jugée sur ma production. C’est un état d’esprit qu’il faut trouver, respecter des critères et apporter une réflexion personnelle qui prenne place dans un fond commun. Pas simple ! à suivre…
By Aska on Oct 24, 2010
Cet élargissement de la problématique à la question de « l’originalité » d’un travail académique est le bienvenu.
Je reste toutefois incrédule devant l’ampleur du phénomène, souvent présenté comme grandissant, du copier-coller en master2 et thèse.
J’imagine que la discipline en cause influe sur le phénomène. Par exemple, en Histoire, je ne vois pas où pourrait se nicher le plagiat « industriel » alors que chaque argument est soumis à l’obligation d’en sourcer les références.
Ce n’est pas pour rien que les notes infrapaginales ont acquis dans cette discipline la même importance (et symbolique) que le crissement de la fraise pour le dentiste …[A.Grafton]
Dès lors, comment plaquer un travail général ou une thèse trop ancienne sur des travaux qui demandent à la fois d’utiliser des sources inédites et de sourcer, paragraphe après paragraphe, les références secondaires ?
Les seuls cas scandaleux dont j’ai eu connaissance étaient des réemplois de travaux effectués à l’étranger (…mais combien sont assez bons linguistes pour traduire une thèse slovaque sur l’économie alsacienne au début du 19° siècle ?)
By Jean-no on Oct 24, 2010
@Aska : je suis certain que certaines disciplines se prêtent plus au plagiat que d’autres mais il serait intéressant de tenter une évaluation sérieuse d’un échantillon de mémoires de chaque année pour évaluer dans quelle mesure le sentiment d’une dégradation est fondé.
By Verret on Mai 2, 2022
Je trouve très amusant de critiquer la qualité des textes de doctorat sur le fond et la forme alors que l’auteur a écrit quand à au lieu de quant à !
Je lis également que « l’auteur s’autorise à modifier [nos] commentaires afin d’améliorer leur mise en forme (liens, orthographe) ». C’est bien le cordonnier le plus mal chaussé !
By Jean-no on Mai 2, 2022
@Verret : je commets plusieurs fautes de manière redondante, comme la confusion entre quand et quant, effectivement. Même si votre but n’est sans doute pas de m’aider à améliorer mon texte, je vous remercie de m’avoir signalé ces fautes, que j’ai corrigées. Je n’aime pas spécialement faire des fautes d’orthographe, néanmoins ce n’est pas ce que je critique, tout le monde en fait, mais bien entendu c’est pénible lorsque l’on arrive en dessous d’un seuil minimal d’intelligibilité. Si je m’autorise à modifier les commentaires qui posent des problèmes de lisibilité, c’est à vrai dire pour aider leurs éventuels lecteurs à en comprendre le propos plutôt que de s’arrêter sur la forme. Quelque part, je pense leur rendre plutôt service !
Bon, voilà. Et maintenant, sur le fond ?