Profitez-en, après celui là c'est fini

Bohemian Rhapsody

septembre 15th, 2010 Posted in archétype

Une vieille intuition personnelle (que bien d’autres que moi ont sans doute eue, j’ai chaque fois l’affreuse sensation de réinventer l’eau tiède lorsque j’en parle), est que de nombreux sujets — notamment des groupes humains : nations, ethnies, corps professionnels, etc. —, ont deux existences concurrentes, une existence réelle, constituée d’une multitude de faits, et une existence fictionnelle, constituée d’une multitude de récits, que, à la suite de Thierry Smolderen1, j’appelle la narratosphère.
Mon hypothèse est que la fiction n’est pas une simple représentation des faits qu’elle évoque, mais que ces deux mondes, ces deux bulles, évoluent en s’influençant mutuellement.

On dit souvent que c’est l’autobiographie (romancée) de François Vidocq qui a provoqué la naissance du roman policier au début du XIXe siècle, donc c’est le souci de rendre compte d’une réalité qui a fait naître le roman policier. Mais rapidement, notamment avec les aventures du Chevalier Dupin par Edgar Poe, le genre a conquis une certaine indépendance vis à vis de son sujet, et chaque histoire policière répond plus à l’ensemble des histoires policières préexistantes (notamment dans leur rapport au schéma mystère-enquête-résolution) qu’à la réalité du métier de policier.

On se doute par exemple, comme le dit avec humour la talentueuse Marion Montaigne, que la journée quotidienne d’un médecin-légiste actuel n’a quasiment rien de commun avec celle des « Experts » qui démasquent à la télévision des criminels sous le soleil de Miami. Pourtant, des millions de gens sont capables de suivre chaque semaine, et sans s’indigner2, la série Les Experts: Miami. Dans le même temps, des milliers de jeunes gens décident chaque année de s’engager dans la police sur la foi de ce que leur ont appris les séries télévisées qu’ils ont suivies, et leur pratique du métier sera sans doute influencée par cet imaginaire de fiction — ou par la déception née du décalage qui sépare la fiction de la réalité. De leur côté, les auteurs de fiction font régulièrement preuve d’une ambition de ce que l’on nomme rapidement le « réalisme », c’est à dire qu’ils cherchent à construire une représentation qui soit fidèle à son modèle. Puisque la fiction obéit à ses propres règles (être suffisamment intéressante pour qu’on ait envie de la suivre, déjà), la « réalisme » n’investit que très superficiellement les œuvres, en mettant l’accent sur des points de détail qui passionnent le public à un moment donné.

Un bon exemple de la naïveté du « réalisme » des fictions est le dessin animé Le Prince d’Égypte (1998), adaptation du récit biblique de l’Exode produit par le studio Dreamworks et pour lequel ont été mis à contribution des historiens, des théologiens, des anthropologues et des archéologues. Mais ces spécialistes (au nombre de six cents, dit-on) ne semblent avoir été consultés que dans le but de trancher un débat américano-américain, celui de la couleur de la peau des pharaons égyptiens : étaient-ils « noirs », comme l’affirment certains tenants de la « black supremacy »3, « blancs », comme dans la peinture orientaliste du XIXe siècle et dans les péplums classiques qui en sont la continuation ?…

À aucun moment le film n’entend se pencher sérieusement sur l’histoire et l’archéologie antiques, qui pourtant font débat. En effet, malgré le récit Biblique, l’esclavage n’existait a priori pas en Égypte et les constructeurs des pyramides étaient des hommes libres. Quant à l’Exode, certains archéologues contemporains se demandent4, devant l’absence de traces, s’il ne faudrait pas y voir qu’un épisode mythologique et a priori fantaisiste, sans parler du destin aussi improbable de Moïse qui n’est mentionné dans aucune chronique égyptienne.
Ce n’est pas sur ce genre de sujet, ni sur l’évaluation de la vraisemblabilité des miracles divers et des plaies divines que Le Prince d’Égypte se veut « réaliste ». On m’aura compris je pense : la quête de « réalisme », même très sincère, est un moyen de convaincre et de se convaincre plutôt qu’une authentique quête de vérité. Parfois, c’est même un moyen faussement objectif qui sert à glisser des éléments putassiers dans une fiction, dans le but de dédouaner le lecteur ou le spectateur de la culpabilité qu’il ressent face à ses propres penchants au voyeurisme ou à son attirance pour les détails sordides.

Revenons à nos gens dits « du voyage »

Je ne pourrais prétendre m’engager dans une étude méthodique exhaustive du traitement des Rroms dans la littérature, en peinture, dans la bande dessinée ou au cinéma, mais il me semble que le sujet mérite d’être ne serait-ce qu’effleuré, et c’était le but de ce billet avant que je ne me lance dans l’introduction bavarde qui précède.
J’espère que l’on me pardonnera un article un peu brouillon.

Jan Griffier, « Famille de bohémiens devant un paysage de la vallée du Rhin » (1703) ; Vincent Van Gogh, « Les roulottes » (1888)

Hors toute actualité politique récente, mon intuition est que le rapport entre fiction et réalité est particulièrement intéressant dans le cas des Rroms. En effet, puisqu’ils vivent ou ont longtemps vécu dans l’instant5, dépouillés d’un récit collectif trop encombrant (mais ne manquant pas de contes merveilleux à se transmettre), les communautés nomades ont abandonné à des gens extérieurs à leurs communautés le soin de chercher à comprendre leur histoire et à l’écrire. Moins bienveillants, ce sont aussi des gens extérieurs qui ont construit leur réputation, entre soupçons divers (celui qui s’en va a toujours tort) et calomnies terribles (consommation de chair humaine et bien sûr, enlèvements d’enfants — une thématique que l’on retrouve encore après guerre, par exemple dans Le Club des cinq, d’Enid Blyton).
À propos des ennemis déclarés des Bohémiens, ou plutôt des « Égyptiens », comme on disait, on notera avec intérêt que les philosophes dits « des lumières » ne se sont pas montrés tendres : Voltaire parlait de « prophètes vagabonds et voleurs dont il faut évidemment combattre la superstition et les mœurs » ; l’Abbé Prévost a écrit des choses assez proches ; l’Encyclopédie, enfin, qualifie les égyptiens de voleurs et de pillards qui se griment le visage pour commettre leurs méfaits. Rousseau, souvent qualifié de « bohémien » au XIXe siècle, s’est montré bien plus concerné par la question, et certains y voient même une forme d’identification6.

Quand à l’aura de liberté, de malheur et de poésie qui entoure les Rroms, il me semble qu’elle émane autant des Rroms eux-mêmes (par les chansons surtout)7 que de non-Rroms, depuis La petite gitane, de Cervantès, jusqu’au Temps de Gitans d’Emir Kusturica en passant par les Bohémiens en Voyage de Baudelaire, l’Esmeralda de Victor Hugo, la Carmen de Mérimée,…
Plusieurs thèmes reviennent fréquemment : le rapport à la nature ; le rapport au malheur8 ; le rapport à l’art — musique et danse9 ; la liberté, bien entendu, vis à vis de toutes les autorités ; enfin, un thème très courant est celui du bonheur que l’on trouve dans le fait de ne pas demander grand chose10

Jeunes gitanes, par William-Adolphe Bouguereau (1879); Gitane, par Theodor Aman (1884) ; Gitane, par Nikolaj Alexandrowitsch Jaroschenko (1886) ; Esmeralda, par Gustave Brion (1877)

On sent à l’époque romantique un vif intérêt pour les questions de séduction, comme le montre la description que Mérimée fait de Carmen dans la nouvelle éponyme :
Ma bohémienne ne pouvait prétendre à tant de perfections. Sa peau, d’ailleurs parfaitement unie, approchait fort de la teinte du cuivre. Ses yeux étaient obliques, mais admirablement fendus; ses lèvres un peu fortes, mais bien dessinées et laissant voir des dents plus blanches que les amandes sans leur peau. Ses cheveux, peut-être un peu gros, étaient noirs, à reflets bleus comme l’aile d’un corbeau, longs et luisants. Pour ne pas vous fatiguer d’une description trop prolixe, je vous dirai en somme qu’à chaque défaut elle réunissait une qualité qui ressortait peut-être plus fortement par le contraste. C’était une beauté étrange et sauvage, une figure qui étonnait d’abord, mais qu’on ne pouvait oublier. Ses yeux surtout avaient une expression à la fois voluptueuse et farouche que je n’ai trouvée depuis à aucun regard humain. Œil de bohémien, œil de loup, c’est un dicton espagnol qui dénote une bonne observation. Si vous n’avez pas le temps d’aller au Jardin des plantes pour étudier le regard d’un loup, considérez votre chat quand il guette un moineau.

Bref, l’exotisme des bohémiennes semble presque aussi attirant ici, aussi sulfureux que celui des femmes d’orient.
Bien qu’il ne les juge généralement pas très belles, Mérimée semble impressionné par l’apparent affranchissement des gitanes vis à vis des conventions sociales, notamment en matière de séduction :
Dans quelques grandes villes d’Andalousie, certaines jeunes filles, un peu plus agréables que les autres, prennent plus de soin de leur personne. Celles-là vont danser pour de l’argent, des danses qui ressemblent fort à celles que l’on interdit dans nos bals publics du carnaval.

La méfiance

Je ne sais pas de quand date la réputation de « voleurs d’enfants » des gitans, mais elle semble devenir un poncif des littératures populaires au XIXe siècle. On la voit illustrée avec un certain humour dans la première aventure de Bécassine :

L’enfance de Bécassine, par J.P. Pinchon (1913). Lorsque sa mère lui apprend qu’elle n’a plus de quoi la nourrir, la petite Bécassine décide de s’enfuir avec pour projet de se faire voler par des bohémiens. Elle rencontre le père Chevaudebois, qui lui explique qu’il ne peur rien pour elle, il a déjà assez de bouches à nourrir comme ça. Bécassine personnifie la simplicité provinciale (officiellement bretonne, elle porte un vêtement Picard,…).

Cet épisode est ironique puisque c’est Bécassine elle-même qui réclame d’être enlevée, sans succès. Plutôt que de courir les routes au grand air, elle deviendra donc domestique de madame la marquise de Grand Air.
Où est la liberté, où est la servitude ?

On retrouve une histoire d’enlèvement dans Le club des cinq et les gitans (Five fall into adventure, Enid Blyton, 1950), où les « famous five » deviennent ami de Jo, une petite gitane aussi garçon-manqué que Claude (George, en anglais), mais qui exécute de basses besognes pour le compte de son père, un truand dangereux qui a enlevé Claude dans le but d’obtenir un document en rançon.

club_des_cinq_gitans

À la fin de Le club des cinq et les gitans, le père de la gitane Jo est envoyé en prison. ce qui est égal à sa fille, qui sera ensuite envoyée par un policier quelque part (on ignore où) pour être éduquée : « Elle a sans doute quelques défauts, mais on l’éduquera bien et elle deviendra une gentille petite fille ». Dans ses éditions récentes, ce livre s’appelle Le club des cinq pris au piège.

À ma connaissance, au XXe siècle le thème de l’enlèvement d’enfant a fini par disparaître des fictions destinées aux enfants, et la suspicion porte surtout sur le chapardage.

Spirou et Fantasio : Il y a un sorcier à Champignac – André Franquin, éd. Dupuis 1951. Le bohémien qui vient d’arriver dans le village de Champignac est très mal accueilli par le maire du village et aussitôt soupçonné d’être responsable d’une série de faits mystérieux…

L’hostilité et les soupçons aboutissent assez rapidement en explosion de violence populaire.

Les faits mystérieux étaient en fait dus au respectable comte de Champignac. Le maire veut sermonner son administré mais, dès qu’il se trouve en sa présence, redevient son vassal. Champignac serait-il la version belge du Guépard de Lampedusa ? Le bohémien est lavé de tout soupçons et Spirou lui promet d’intercéder en sa faveur auprès des habitants de Champignac. L’histoire ne dit pas s’il a eu envie d’y rester, après avoir été roué de coups, traité de sorcier et de voleur.

Dans la bande dessinée belge d’après-guerre, le thème qui me frappe est celui de la méfiance populaire, de la mauvaise réputation. Spirou ou Tintin, qui luttent contre les injustices, défendent les Romanichels qui se trouvent aux prises avec l’autorité (le maire, la police) et avec les préjugés des « braves gens ». Mais le scénario, dans les deux cas, nous a d’abord fait croire qu’il y avait lieu de se méfier : dans Il y a un sorcier à Champignac, on voit le Tzigane sortir en pleine nuit du domaine du comte, un lièvre étrangement grand sur l’épaule. Dans Les bijoux de la Castafiore, les Romanichels ont quitté Moulinsart juste avant la découverte de la disparition d’une émeraude de grande valeur.

Les héros se sont donc montrés parfaits, mais le lecteur a été conduit à se montrer soupçonneux.

Frédéri le guardian « Sur la piste des Carpathes » – Labois/Rigot, éd. Fleurus 1954. Frédéri est un « guardian » camarguais, une sorte de cow-boy français. Il insiste régulièrement sur le fait que ses bonnes actions sont dictées par sa foi religieuse. Ici, il se réjouit de savoir que les gitans qu’il a rencontré sont catholiques.

Frédéri constate que les gitanes n’ont pas volé leur réputation de grandes danseuses.

L’épilogue est savoureux : un bohémien fait arrêter l’intrigant Rodolph, un « gadjo » voleur de chevaux qui est accusé je cite de « Séjour clandestin sans passeport, violences, délit de fuite et rébellion à agents de l’autorité ». On s’amusera en pensant que cet album est aujourd’hui publié par les éditions du Triomphe, qui ont racheté le fonds de la maison Fleurus et dont on doit pouvoir qualifier sans exagérer la ligne politique de « vieille droite nationaliste catholique ».

La bande dessinée Sur la piste des Carpathes, publiée en France, ne traite pas de la réputation des Tziganes, mais la couverture peut faire croire au lecteur que ceux-ci ont quelque chose à se reprocher. En effet, au milieu d’un ensemble de roulottes, on voit le vertueux Frédéri, à cheval, saisir un Tzigane par le col. Le récit, un peu tiré par les cheveux, raconte l’enlèvement d’Ulysse Galoubet, un ami du père de Frédéri, que l’on veut faire passer pour un violoniste virtuose dont il est le sosie.

Les cases suivantes sont extraites de la série Bob et Bobette, par Willy Vandersteen, auteur extraordinaire que l’on peut comparer au japonais Osamu Tezuka par l’étendue de son œuvre et par l’humanisme qui la parcourt — même si l’on vient d’apprendre tout récemment que, durant l’occupation de la Belgique, le « Brueghel de la bande dessinée » a commis quelques caricatures antisémites dont il ne s’est jamais vanté par la suite.

Bob et Bobette : Le Cygne noir – Willy Vandersteen, éd. Érasme 1960. « Le Cygne noir » est une jeune femme qui sera élue reine des gitans si elle se marie. Ses deux frères sont des musiciens fainéants et orgueilleux… Le style foutraque et l’immoralité sympathique et bon-enfant qui caractérisent les œuvres de Vandersteen font du « Cygne noir » une histoire curieusement proche du « Chat noir chat blanc » d’Emir Kusturica (enfin je doute que beaucoup de gens me suivent sur cette comparaison audacieuse).

Grand classique, quelques cases extraites des Bijoux de la Castafiore, qui est sans doute l’album le plus atypique qu’ait réalisé Hergé puisque l’aventure, si l’on peut parler d’aventure, est circonscrite à un périmètre géographique plutôt limité, et que le lecteur est baladé de fausse piste en fausse piste, jusqu’à découvrir qu’il n’y avait rien à découvrir, ou en tout cas aucun méchant à envoyer sous les verrous.

On en verra un peu plus sur le site de Christian Fauré dont l’article m’a donné envie de publier le présent billet.

Tintin : « Les bijoux de la Castafiore », éd. Casterman 1963. Face aux conditions de vie des tziganes, le capitaine Haddock propose généreusement que les roulottes soient installées sur son terrain.

Deux cases assez étonnantes : Tintin se montre ici contemplatif et sensible, ce qui ne lui arrive pas souvent.

Le fait de voyager rend les romanichels suspects.

L’enquête est résolue : les vols étaient commis par une pie. La conclusion des Dupond est superbe : « C’est bien notre chance ! Pour une fois que nous tenions des coupables, il faut qu’ils s’arrangent pour être innocents ! »

Les scouts de « La patrouille des Castors » n’ont aucun doute sur l’honnêteté des gitans qui passent sur les terres de Monsieur Monicelli, propriétaire d’un ranch en Camargue. En revanche, le malhonnête Gomez, « guardian » du ranch, se sert de la mauvaise réputation des nomades pour aider des investisseurs américains à racheter à bas prix le domaine de son employeur, qui abrite un gisement de gaz naturel.

La patrouille des Castors : « Menace en Camargue », Charlier/Mitacq, 1965.

Un incendie criminel ? Pas de problème pour la police : « Tous les gitans campant aux environs vont être interpellés ». Ce qui n’empêche pas les boy-scouts de conseiller au petit Chico d’avoir confiance en… leur capacité à prouver l’innocence de sa famille.

L’album Alerte en Camargue contient en introduction une intéressante prémonition de l’erreur judiciaire qui parcourt récit : une femme, qui passait la tête hors du train pour prendre l’air reçoit en pleine face un fromage malodorant jeté par les scouts depuis un autre compartiment. Persuadée d’avoir trouvé le coupable, la dame s’en prend à un voyageur qu’elle traite de tous les noms, et notamment de « Romanichel ».

J’ignore si c’est conscient, mais le récit des Bijoux de la Castafiore, par Hergé, cité plus haut, a directement inspiré une autre histoire, Pero le gitan est arrêté, par Huescar et Ollivier, dans la série Les vélodétectives :

Les vélodétectives : « Pero, le gitan est arrêté », par Huescar et Ollivier, dans Pif Gadget #645 (1981). Les vélodétectives volent au secours de leur ami Pero, injustement accusé d’un vol de pièces d’or et d’argenterie.

Comme dans « Les bijoux de la Castafiore », le coupable s’avère être une simple pie. C’est le dernier épisode de cette série très éphémère.

Pour finir, un étonnant petit texte de Gustave Flaubert. Avec cent-quarante ans d’avance, l’auteur du Dictionnaire des idées reçues semble se moquer de nos politiques, à moins que ce soient nos politiques qui aient cent-quarante ans de retard :

Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j’en vois et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons.
Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols, et j’ai entendu de jolis mots à la prud’homme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre.
C’est la haine que l’on porte au bédouin, à l’hérétique, au philosophe, au solitaire, au poète, et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère. Il est vrai que beaucoup de choses m’exaspèrent. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton.

Lettre de Gustave Flaubert à George Sand.
[Croisset, vers le 15 juin 1867].

(Illustrations : ©Fleurus/éditions du triomphe ; ©Marion Montaigne ; ©Dreamworks ; @Gautier-Languereau ; ©Dupuis ; ©Érasme ; ©Moulinsart/Hergé/Casterman ; les peintures sont dans le domaine public ; @Vaillant)

  1. Thierry Smolderen est auteur de la bande dessinée de science-fiction Gipsy, puisque l’on parle de tziganes… []
  2. Par la magie du Willing suspension of disbelief. []
  3. Le pasteur Louis Farrakhan a par exemple déclaré en 1995 que Napoléon avait fait tirer au canon sur le nez du grand Sphinx de Gizeh afin de dissimuler sa négrtitude : « White folk to try to rewrite history and write us out. White supremacy caused Napoleon to blow the nose off of the Sphinx because it reminded you too much of the Black man’s majesty ». []
  4. Lire à ce sujet : La Bible dévoilée, par Israel Finkelstein et Neil Asher Silberman, éd. Folio (Histoire). []
  5.  Occupés du présent, et peu de l’avenir / La nature prend soin de nous entretenir ; écrivait Nicolas de Grandval dans Cartouche ou le vice puni, 1725. []
  6. Rousseau et la Bohémienne à marier dans le théâtre comique du XVIIIe siècle – Jacques Berchtold, dans Le Mythe des Bohémiens dans la littérature et les arts en Europe. éd L’Harmattan, 2008.  []
  7. On ne perdra pas son temps en lisant un joli texte d’Alexandre Romanès : Les corbeaux sont les gitans du ciel. []
  8. Jacques Callot, qui avait rallié une troupe de bohémiens pour se rendre en Italie, avait légendé sa gravure La marche des bohémiens (1624) : « Ces pauvres gens, plein de malaventures, ne portent rien que des choses futures ». []
  9.  Nous sommes, par notre art, maîtres de l’Univers ; Grandval, Cartouche ou le Vice puni.  []
  10.  Nous avons ce que nous voulons puisque nous nous contentons de ce que nous avons — Cervantès.  []
  1. 15 Responses to “Bohemian Rhapsody”

  2. By anne on Sep 15, 2010

    Merci Jean-No. Il fallait que quelqu’un l’ecrive, ce billet.
    Cette annee, c’est le 100eme anniversaire de la naissance de Django Reinhardt, un compatriote de Herge qui promenait sa roulotte et sa guitare dans les campements de la banlieue parisienne. Ce sont peut-etre ses « Nuages » qui rendaient Tintin contemplatif. Amertume.

  3. By cali rezo on Sep 15, 2010

    Merci pour cet article (:

  4. By Tabac on Sep 17, 2010

    Il y a les marques, aussi… la marque de cigarettes « Gitanes ». À moins que certains préfèrent des « Gauloises » ? ;-)

  5. By Jean-no on Sep 17, 2010

    Oui, très amusant que les deux clopes françaises aient été, comme ça, la Gauloise et la Gitane.

  6. By Bahia on Sep 18, 2010

    et bien moi je suis un peu ébahie par la qualité de la recherche (même si je ne doute pas de ton intelligence einh, ce n’est pas ça que je veux dire). Ce n’est quand même pas commun dans un blog ! C’est super intéressant !
    (Mais il est où le troll ? Surprenant qu’il ne t’est pas encore sauté dessus :))

  7. By pierre on Sep 18, 2010

    @bahia;

    Quand il raconte le travail des autres je n’ai rien à dire. Mais quand il prend des positions définitives « sociétales » de sa petite tour perso, c’est autre chose!

  8. By Jean-no on Sep 18, 2010

    @Bahia : j’ai publié un peu tôt, j’ai trouvé quelques autres choses entre temps, mais pas assez pour faire un second article. Bon, j’ai du bol, mon frère tient une boutique de bandes dessinées d’occasion à Paris, du coup j’ai accès en permanence à un sacré fonds.

  9. By Pashupati on Sep 18, 2010

    Pardon, mais :
    « Quant à l’Exode… » pas « Quand à l’Exode… » :o
    Oui, ça c’est un commentaire de trou du cul !

  10. By Jean-no on Sep 18, 2010

    @Pashupati : oups, effectivement ! C’est une de mes fautes courantes.

  11. By Debilibus on Sep 20, 2010

    Sur le thème des Roms dans la peinture et plus généralement les images, voir sur « Arrêt sur Images », et si vous êtes abonné, la chronique d’Alain Korkos du 28/08.
    http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3291

  12. By voleur de poule on Sep 23, 2010

    Liste non-exhaustive des principaux articles, dossiers parus sur les Tsiganes dans des magazines et journaux populaires

  13. By Jean-no on Sep 23, 2010

    @voleur de poule : merci !

  14. By Christian Fauré on Déc 11, 2012

    tiens, j’ai repensé à ce billet en visitant l’expo sur les Bohémiens au grand palais ;-)

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  2. Sep 15, 2010: Bohemian Rhapsody | Introducing Bobig
  3. Sep 16, 2010: Oublier Paris #17

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