Mes jeux (11) Gran Turismo, par Aurélien Bambagioni
juillet 12th, 2010 Posted in Invité, Mes jeux(Le dernier blog invite Aurélien Bambagioni pour la série Mes Jeux)
Note : Cet article a déjà été publié dans le numéro 1 du magazine Amusement, à présent introuvable.
Je me souviens encore de mon premier contact avec le nom Gran Turismo.
C’était en couverture dʼun PlayStation Magazine français en 1997. Une simple image et un titre accrocheur annonçant, en provenance dʼun studio japonais encore inconnu à lʼépoque, la première vraie simulation de pilotage jamais sortie sur console de jeu. Le mythe était lancé.
Deux générations de PlayStation plus tard, parsemés de trois autres volets de Gran Turismo, Polyphony Digital, le désormais fameux studio japonais, et son non moins vénérable big-boss Yamauchi Kazunori, le créateur de la série, nous refont le coup de GT4 sur PS2. Cette fois, ils nous proposent un GT5 Prologue sur PS3 pour nous faire patienter jusquʼà la sortie du Gran Turismo 5 annoncé pour 2009.
Mais là où GT4 Prologue, en 2003, n’était qu’une simple démo commerciale aux avants-goût de GT4, il parait que ce Prologue là offre bien plus. Et que de Prologue il nʼa plus que le nom.
Premier émoi
Tout commence évidemment comme un Gran Turismo avec sa cinématique dʼintroduction. Lissée et rythmée à la gloire de la fidèle reproduction mécanique. Presque sans fausses notes bien que, comme à chaque fois, le choix musical sonne toujours un peu mièvre. Pourquoi la musique associée aux voitures de courses serait-elle éternellemet liée aux accords guitares / batteries, ou bien chœurs / violons pour les ralentis ? Au vue des premières vidéos téléchargées au fil des mois sur internet, on espère que cette fois cette séquence, comme toujours mises en scène avec brio, ait été calculé avec le moteur du jeu “in game”. Malgré tout on en arrive assez vite à être blasé par la vidéo défilant sous nos yeux – les intros se suivent et se ressemblent dans la série – on ne reste éveillé que par quelques plans sublimes comme celui où le mont Fuji se dresse en majesté avec la piste au premier plan et surtout par ce flash final improbable : lʼarrière dʼune F1 avec un aileron rouge au fond dʼun stand. Plan de moins de trois secondes. Fondu au titre. Fin de lʼintro. Pupille en éclat. Une Formule Un ?! (Au moment de tester le jeu, le secret de la présence de ce type de véhicule nʼavait pas encore été révélé, jʼai donc
vraiment eu la surprise et je peux vous dire que ça fait son effet !)
Aspirations contemporaines
GT5 Prologue sʼouvre comme une fenêtre sur la ville. Vierge de caisse.
Comme des respirations tantôt urbaines ou buccoliques, la caméra se déplace dans des lieux plus réels les uns que les autres. Modélisation parfaite pour ces fonds dʼécran en 3D qui offrent un véritable diaporama touristique pour les pilotes que nous sommes comme autant de villes étapes à relier au volant de nos bolides. (Shorenin à Kyoto au Japon, ruines du château du Nurburg en Allemagne, Grand Canyon aux USA, etc).
Au premier plan apparait “ma page”. 35 000 crédits au compteur, menu iconographique sobre, tout en transparence, sʼinspirant du Dashboard de Mac OS X. Mon calendrier, mon horloge, un widget météo alternant un petit soleil ou un petit nuage depuis tous les circuits du monde et des points éclairés sur une carte du monde. On sent tout de suite la touche online. En quelques signes visuels, on sait que la PS3 nʼest plus fermée, que lʼesprit communautaire va enfin avoir sa place et que le fauteuil du passager ne va pas resté vide bien longtemps. En bas de lʼécran lʼessentiel de lʼinterface est masquée. Là encore, le Mac nʼest pas loin. Le menu apparait en sortant du bas de lʼécran dès que lʼon approche le curseur. Il sʼefface après quelques secondes dʼinactivité – il suffit dʼun rien, un nouveau fond à admirer par exemple. Là encore on sent très vite le côté RSS de lʼinterface avec une icône “actualités” et une “GT TV” promise à approvisionnements officiels et réguliers comme des reportages issus de la célèbre émission de la BBC, Top Gear mais aussi des contenus de la FIA. Dès quʼun nouveau programme sera disponible, un petit signe rouge apparaitra sur lʼicône TV. Pour les news, on parle de tous les résultats automobiles en temps réel en plus dʼinfos spécifiques au jeu. Suivent dans le menu, les icônes “en ligne” et “classement” quʼon imagine mondial…
Vient enfin le temps de sʼattaquer aux voitures et la règle du jeu est connu : direction le concessionnaire pour sʼacheter sa première voiture. Après avoir éguisé sa curiosité et ses yeux sur lʼensemble des voitures présentes (une bonne demi-heure) on se rabat inévitablement, comme à chaque fois dans un GT vers une petite citadine ou un petit coupé japonais. Toutefois la sensation que Gran Turismo est désormais bien plus quʼune vitrine indispensable à chaque constructeur est bien présente tant tout est agencé comme un véritable catalogue hi-tech et tant la modélisation de chaque véhicule est bluffante de réalisme. On sʼattarde. Avant de revenir au menu, on refait un dernier détour chez Ferrari pour y admirer une nouvelle fois la surprise du chef Kazunori : la F2007 de Kimi Räikkönen (et oui cʼétait donc vrai), championne du monde de Formule Un en titre. Et son prix : 2 000 000 crédits.
Je nʼai pas souvenir dʼavoir vu un prix si élévé dans un GT. Un premier indice de longétivité du jeu. La sensation de démo semble déjà loin et je me languis déjà de me retrouver en réseau avec 15 autres F1.
My other car is still a canapé
Retour en ville, cette fois la voiture est dans la place. Fière. Belle. Dans le quartier Shirakawa de Kyoto de nuit. Dans cette présentation, on se retrouve un peu comme dans le mode photo de GT4 mais sans interaction possible avec les caméras. Fondue enchainée entre les vues. On prend plaisir à admirer sa voiture autant que le décor.
Première indication pour commencer à piloter, il faut se rendre dans “évènements” où lʼon retrouve tout le système de jeu propre à la série : trois niveaux de défis répartis en plusieurs courses à gagner, de lʼargent à cumuler, des voitures spécifiques à acheter pour progresser. Finir tous les défis de la catégorie C pour accéder à la B et idem pour accéder à ceux de la catégorie A. En bonus, un niveau caché qui proposera des réglages supplémentaires pour vos voitures. A la fin de toutes ces courses, on parle dʼenvirons 15 heures de jeu, on aura pû acheter toutes les 71 voitures présentes dans le jeu. Pas mal pour une simple démo à 40 euros proposant, en plus, 12 tracés. Dʼautant quʼon parle de 80 voitures déjà modélisées et que je nʼoublie pas avoir vu Sony présent lʼan dernier aux 24 Heures du Mans avec le célèbre circuit de la Sarthe déjà modélisé en HD et jouable avec une Audi R8. Suivez mon regard. Et que serait Le Mans sans le Nurburgring Nordschleife ? Lʼidée de Sony par rapport à Prologue semble vraiment de faire patienter les joueurs jusquʼà GT5 en fournissant du contenu de façon régulière via le PlayStation Store. Rien nʼétant annoncé pour lʼinstant, on ne peux donc pas trop sʼavancer sur le modèle économique, mais on imagine mal Sony se mettre une nouvelle fois la communauté Gran Turismo à dos en proposant des voitures et des circuits payants, ou du moins dans un premier temps. (Les packs pour Motorstorm sont dʼun bon rapport qualité/prix et seraient un point de repère intéressants pour les joueurs).
La première course se déroule sur le High Speed Ring. Pour la première fois dans la série, lʼintérieur des stands est représenté, certes ce ne sont que des vues précalculées où évoluent mécaniciens et ingénieurs autour de votre voiture, mais dʼaprès le degré de réalisme de certains plans, il ne manque vraiment que lʼodeur pour se sentir au milieu du paddock. On démarre assez vite la course excité par tout ces détails, départ lancé. (On aura au préalable, dans les options, enlevé la musique pendant les phases de jeu – on ne pilote pas en écoutant de la musique ! on aura réglé la Dual Shock 3 ou le volant en boite manuelle, et placé les réglages sur “simulation”). Et là on rentre très vite dans le vif du sujet pour tout amateur de courses automobiles : on cherche tout de suite la vue intérieure, on passe son esprit en mode course, sa respiration en mode apnée et ses mains en mode crispé. La première épreuve est néanmoins suffisament simple et facile pour permettre de saisir les nouveautés graphiques du jeu : le rendu en temps réel de lʼéclairage sur le tableau de bord de la voiture est du jamais vu sur console.
Tout semble plus vrai que nature et chaque modélisation est fidèle et unique. On remarque par exemple parfaitement bien les différences entre les véhicules dʼune même marque. Lʼintérieur de la légendaire Ferrari F40 summun de la modernité et du luxe sportif il y a vingt ans nʼa dʼégal dans le spartiate que dans le tout numérique du tableau de bord de sa récente petite soeur, la F599 Fiorano sortie en 2006. Et que dire du volant de la F2007 ! La représentation des avants-bras et des mains a fait également un grand pas en avant. On nʼest plus vraiment dans le polygone rigide ni dans le mapping à plat mais dans un très bon mélange des deux, ce qui offre un compromis visuel agréable et procure à cette vue intérieure, dont le traitement sonore, lʼangle de vision et la hauteur sont parfaitement réglés, un confort et un plaisir de conduite rarement égalé à tel point quʼon ne cherche que très peu à changer de point de vue pour jouer. On est vraiment “dans” la voiture et on préfèrera admirer la beauté des environnements extérieurs et les centaines de milliers de polygones que composent un char au moment des replays.
En course, côté réalisation, malgré encore quelques traces persistantes dʼaliasing sur les voitures, lʼaffichage est fluide et profond. Lʼensemble est encore un peu vide mais lʼessentiel nʼest pas là. Lʼintelligence artificielle des
adversaires semble meilleure que dans les opus précédents. Dès le premier freinage la voiture devant moi est sortie de la route. Et à ma première embardée aucune voiture nʼest venue mʼemboutir par derrière comme on en
avait trop souvent lʼhabitude. Dʼailleurs à ce propos, la faute est désormais impardonnable : on ne sort plus du bac à graviers aussi facilement, la sensation dʼenlisement étant extrêmement bien rendu. Toujours pas de dégats, ni physiques ni visuels, que dʼaucuns ne manqueront pas de souligner. Mais le but en course auto nʼest-il pas de ne pas commettre lʼirréparable ? Je préfèrerais voir la météo en temps réelle sur les circuits que mon capot déformé. Dans mon esprit, comme sûrement dans celui des développeurs, offrir des dégats matériels ou des pannes inciterait à proposer la notion dʼabandon ou de réparation en course (possible ou pas) et toutes les frustrations qui en découle. Alors là oui, le dégat aurait tout son sens. Jʼen rêverais mais je comprends que cette orientation puisse être trop radicale pour beaucoup. (On parle toutefois dʼune mise-à-jour majeure vers lʼautomne via un patch en ligne qui apporterait la déformation visuelle sur les véhicules).
« Si tʼes pas premier, tʼes dernier » — Reese Bobby
Seize voitures par courses procure également beaucoup plus de rythme à ces dernières. Les bolides ne se suivent enfin plus au kilomètre et recoller à la voiture devant vous après une faute est vraiment délicat tant il faut attaquer et ne plus faire dʼerreurs pour revenir dans le peleton de tête. Et cette fois le verbe attaquer ne sʼécrit plus en pointiller : le patinage en sortie de virage et les vibrations en entrée de courbes sont bien présentes, rendant le freinage en ligne droite quasi-obligatoire sous peine de perdre immédiatement le contrôle de la voiture. Il faut dʼautant plus respecter les trajectoires et les rapports de boites. La rétivité et les retours dans le volant, même pour une petite cylindrée, sont frappants, les pertes dʼadhérences sont plus marquées, les sur-virage et les sous-virage plus présents et les rapports de masses sont toujours aussi bien retranscrits. Le plaisir de piloter est encore plus présent, toujours aussi mais aussi plus vigoureux. Que ce soit au volant dʼune petite voiture ou bien dʼune grosse sportive, la recherche de la performance, que ce soit en course ou bien en mode contre la montre, est un véritable plaisir. Sortir du virage Spoon à Suzuka au volant de la F2007 et partir en toupie dans un vacarme stridant parce quʼune demie-roue à mordu sur le vibreur est unique, tout comme affronter le mur quʼest le premier virage de la piste de Daytona dans son deuxième tour lancé, en plein draft avec la voiture qui vous précède (et de quelle manière, le phénomène dʼaspiration est tellement bien rendu dans ce jeu) sans freiner, sous peine de taper très fort.
Behind the wheel
Lʼessence même de Gran Turismo (et cʼest peut-être en ce point la plus grande réussite de la série en cours de Polyphony Digital tant le travail dans ce sens est remarquable et sans cesse en progrès) est bien celle de nous faire comprendre toutes les nuances du pilotage et de ce que peut être le métier de pilote : celui de tourner, encore et encore, pendant des heures, jours après jours, pour aller chercher soit son adversaire le plus proche soit le tour chronomètré parfait. Jʼai compris tout cela en prenant pour la première fois le volant dʼune petite monoplace sur circuit il y a trois ans : dès mon premier tour de piste, je savais que dans le tour suivant je freinerai encore plus tard dans ce virage-là et que je négocierai cette courbe-ci un rapport audessus.
Dans les Gran Turismo, cʼest la même chose. En amateur éclairé de course automobile et en bon collectionneur de voiture de sport, Yamauchi Kazunori nous offre sûrement lʼopportunité de goûter à cet état dʼesprit là : être obsédé, au-delà de la raison, par le bitume qui sʼouvre à nous, comme peuvent lʼêtre les pilotes de courses professionnels. Un peu comme si, nous aussi, nous en faisions notre propre gloire. Simplement. Naturellement.
Écologiquement. Et sans risque.
Longtemps, je me suis couché de bonne heure pour avoir cherché à regagner le meilleur temps perdu lors la nuit précédente.
Je pense que cʼest reparti pour un tour.