Profitez-en, après celui là c'est fini

Mes jeux (2) Doom

juillet 9th, 2010 Posted in Mes jeux

En 1992, j’avais épuisé tous mes recours et le service national, qui était obligatoire, semblait inévitable. J’étais jeune papa et étudiant aux Beaux-Arts à Paris. Mes « trois jours » s’étaient tellement bien passés que j’en étais revenu, malheureux comme une pierre, avec un papier sur lequel était clairement indiqué, à l’encre rouge, « APTE ». Je ne m’y voyais pas du tout. J’ai fini par décider de devenir objecteur de conscience, un statut mystérieux sur lequel l’administration ne donnait aucun renseignement. Pour avoir le privilège d’effectuer ce service « civil », il fallait faire partie des initiés, savoir qu’il fallait écrire une lettre dans laquelle était marqué « Je refuse de porter des armes pour motif de conscience » ou quelque chose comme ça. Une fois ce sésame dit, on gagnait le droit à travailler pour l’administration deux fois plus de temps (vingt mois) que ceux qui faisaient un service militaire — ce qui, pour la plupart, consistait à apprendre à faire son lit, à repasser sa chemise, à se faire engeuler et à jouer au flipper en fumant et en buvant des bières. Je n’étais pas dans une caserne, je rentrais chez moi le soir et j’étais payé mille huit cent francs par mois, soit un peu plus de deux-cent cinquante euros.
J’ai donc fait mon temps au ministère des affaires sociales et de la santé, sous l’autorité de Bernard Kouchner puis de Simone Veil. Mon métier était de réparer des ordinateurs et de livrer des écrans. J’y ai appris un peu de choses sur l’informatique et énormément de choses sur l’administration. Au passage, je me suis formé à la frappe rapide.
Quand je suis sorti, j’ai abandonné les Beaux-Arts et je me suis inscrit à la fac. En y réfléchissant, je pense que ces vingt mois de travaux forcés m’avaient convaincu que je ne serais pas artiste.

Dans mon bureau au ministère, je disposais d’un écran couleurs dix-sept pouces de marque Eizo (qui était et qui reste une marque d’écrans très haut de gamme), et ce n’était pas courant à l’époque : la plupart des écrans étaient au format quatorze pouces et le noir et blanc (ou noir et vert ou encore noir et orange) était encore courant, surtout sur PC. J’avais un ordinateur très puissant, muni d’un processeur i486. Personne n’en voudrait aujourd’hui, mais à l’époque, c’était ce qui se faisait de mieux. Je n’aurais pas pu m’en offrir un si j’en avais voulu.
Bref cette machine était suffisamment puissante pour que je puisse jouer à Doom, un jeu de tir subjectif en trois dimensions qui venait de sortir. Pendant les derniers mois de mon service, j’ai passé des journées entières à courir entre des fûts radioactifs dans des couloirs où il fallait tuer des ennemis fous furieux et armés jusqu’aux dents. Tout cela se passait dans une dimension démoniaque où semblaient couler des rivières de sang. En fait je n’ai jamais connu le détail du scénario de Doom mais l’ambiance se suffisait à elle-même et il m’est arrivé de connaître de véritables instants de terreur. De temps en temps le téléphone sonnait et il fallait que je parcoure les kilomètres de couloir du ministère pour découvrir qu’une secrétaire avait réussi à enfoncer trois disquettes (souples) dans un lecteur, les unes sur les autres.
Mes collègues étaient étonnés et un peu effrayés de me voir, moi qui avais refusé de faire un service militaire, passer mes journées à tirer sur tout ce qui bougeait, dans de spectaculaires giclées de sang, sur mon énorme écran.

  1. 8 Responses to “Mes jeux (2) Doom”

  2. By Wood on Juil 9, 2010

    Le scénario de Doom ? Ca se passe sur une lune de Mars, Phobos ou Deimos, je ne sais plus très bien (ou peut-être d’abord sur l’une puis ensuite sur l’autre ?) Ou un portail vers une dimension démonique s’est ouvert, et tu es le seul soldat à n’avoir pas été possédé par un démon. Je crois. Il y avait des pages de texte qui s’affichaient de temps en temps mais rares étaient ceux qui prenaient le temps de les lire.

    Les « FPS » n’ont pas eu de réel scénario avant « Half-Life ». Je me souviens de la révolution que ça a été : un shoot avec une histoire ! Il ne faut pas tirer sur tout le monde !

  3. By Wood on Juil 9, 2010

    Pour nos jeunes lecteurs, précisons que les objecteurs de conscience n’étaient pas obligé de travailler dans l’administration : de nombrauses associations en employaient également. En fait c’était à l’objecteur de se débrouiller pour trouver un poste, sous peine de s’en voir affecter un d’office, par exemple dans les Eaux et Forêts (à trimballer des troncs d’arbres, un vrai bagne à ce qu’on en disait)

    Il existait en fait une association des objecteurs de conscience qui pouvait donner des conseils sur la marche à suivre, et des listes d’associations proposant des emplois.

    Beaucoup d’associations qui ne pouvaient pas se payer des salariés à plein temps se sont trouvées bien démunies après la disparition du service national, à l’époque.

  4. By DS on Juil 10, 2010

    Je vais faire mon français râleur : ils utilisent des Eizo ? Surtout qu’en 92, des 17 pouces, ça devait déjà coûter un bras…

    Sinon, tu ne jouais pas avec tes collègues? Doom, c’est ma découverte du jeu en réseau, que du bonheur! :D

  5. By Jean-no on Juil 10, 2010

    @DS : cet écran là était utilisé, au moins. Parce que les dépenses con, dans ce ministère, j’en ai vu, j’en ai vu… Une fois j’ai livré un 17″ à la personne qui dirigeait toute l’informatique du ministère et des hôpitaux : on lui avait dit que le 17″ était à la mode, il le lui fallait… Mais cette personne n’avait aucun ordinateur auquel brancher l’écran : « Ah bon, il faut un ordinateur ? »
    Et j’ai vu des gâchis encore pires à vrai dire.

    Mes collègues ne jouaient pas du tout non, sauf au démineur.

  6. By Jean-no on Juil 10, 2010

    @Wood : les associations devaient être reconnues d’utilité publique je pense. Personnellement j’y suis allé un peu sans rien savoir. J’ai postulé à droite ou à gauche mais on m’a mis au ministère d’office. J’ai eu du bol : j’ai connu un mec qui a fait 20 mois comme standardiste du même ministère, et pour lui, pas question d’arriver en retard ou de partir en avance.

  7. By jyrille on Juil 12, 2010

    Aaah le service militaire… inoubliable, des anecdotes à la pelle, plus que ça même. Et comme dépense honteuse ? Par exemple, une énorme fuite d’eau qui partait de quelque part sous la route principale de ma fausse caserne. Un des lieutenant-colonels décide que ce doit être heu là. L’entrepreneur s’exécute avec un beau trou à 20000 FF. Ah non c’est pas là. Ici alors ? Vingt mille francs plus tard, il faut se rendre à l’évidence : toujours pas. La troisième fut la bonne.

  8. By jyrille on Juil 12, 2010

    Et j’ai beaucoup aimé la contradiction entre l’objection de conscience et les heures passées sur Doom :)

  9. By Eric on Juil 20, 2010

    Je me retrouve dans les deux sujets abordés, aussi bien dans l’objection de conscience qu’avec Doom, précurseur des shoot em up ;) Que de bons souvenirs…

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