Profitez-en, après celui là c'est fini

ArtGame weekend : bilan

juin 7th, 2010 Posted in Interactivité, logiciels

Je n’ai pas participé au ArtGame weekend qui a commencé vendredi, mais je suis tout de même venu assister à sa conclusion, en fin d’après-midi ce dimanche. Le défi était de répartir une sélection de projets de jeux sur appareils mobiles entre plusieurs équipes, puis d’en réaliser des prototypes fonctionnels en cinquante quatre heures. Au total, neuf projets ont été menés à leur terme, dont un a été réalisé dans des conditions un peu particulières.
Le principe de ces trois jours était de provoquer une rencontre entre créateurs (graphistes, musiciens, game designers, programmeurs,…) autour de la notion de « artgame » — notion disputée, d’ailleurs : un intervenant affirmait que, selon son jugement, tout jeu relève de la création artistique.

Les projets sélectionnés sont partis dans des directions diverses : réalité augmentée avec Augmented Reality Tag,  qui permet de dessiner (virtuellement) dans l’espace urbain ; Captation, transformation et interprétation sonore d’images avec Balade ; Réseaux sociaux avec Ice Breaker ; Jeu de plate-forme avec Type Rider, dont le terrain de jeu est composé de caractères typographiques ; Simulation comportementale avec La Colline Lover, sorte de Sims rudimentaire où l’intervention du joueur sur la destinée du couple se borne à maîtriser le défilement du temps et les aléas de la météo ; Simulation « génétique » avec Number 32, qui permet de faire évoluer des formes géométriques abstraites. Number 32 a été réalisé sans le concours d’aucun graphiste mais c’est sans doute (est-ce si paradoxal ?) le jeu le plus séduisant visuellement.

Triumph of the Word propose à celui qui le manipule de marquer le rythme d’un discours d’Adolf Hitler issu du film Le Triomphe de la volonté, de Leni Riefenstahl. Ce jeu à la façon de Guitar Hero pourrait être plus abouti visuellement à mon avis mais le concept est suffisamment perturbant pour avoir fait réagir le public et le jury, par des rires ou par des remarques, les uns s’étant demandé si une telle réalisation était bien légale, les autres cherchant une astuce à ajouter au jeu (un effet sur la voix du dictateur par exemple) pour que la position de l’artiste, une demoiselle nommée Chen Zou, soit aussi explicite que possible et pour s’assurer que des néo-nazis ne prendront pas plaisir à jouer à Triumph of the Word. J’ai trouvé cette réaction inquiète assez intéressante, car toute tentative d’assagir un tel jeu ne peut que lui faire perdre son caractère subversif, le banaliser, le lisser, chose qui me semblerait bien plus grave que d’apprendre que des néo-nazis s’excitent sur leur iPhone ou leur téléphone Android en pianotant au rythme d’un discours nazi prononcé il y a soixante-quinze ans. Je vois pour ma part dans ce jeu une grinçante démonstration du caractère potentiellement totalitaire de l’interactivité, qui loin d’offrir des possibilités d’action au manipulateur constitue souvent un moyen de maîtriser et de mécaniser ses gestes.

Le jeu le plus radical est sans doute Pod Killer,  par Arthur Schmitt, qu’aucune équipe n’a finalisé sur place mais qui a été réalisé à distance par un programmeur londonien — ce qui l’a disqualifié du concours. Ce jeu, qui tire parti de l’accéléromètre de l’iPhone, est d’une simplicité exemplaire : il s’agit de jeter son téléphone le plus haut possible, en suivant les instructions données par l’objet.
L’auteur a fait une démonstration prudente de son jeu au dessus de grands poufs destinés à amortir les effets d’une chute éventuelle. Un iPhone, c’est trop fragile et ça coûte trop cher pour être volontairement jeté en l’air de cette façon.

Le jeu qui a remporté le prix du ArtGame week end est Générations (game design : Arthur Schmitt et Brice Roy ; programmation : Kevin Lesur et André Berlemont ; Graphisme : Adrien Aybes-Gille ; design sonore : Franck Weber), un jeu de plate-forme dont la partie est destinée à s’étendre sur plusieurs décennies et qui est censé se transmettre d’une génération de joueurs à une autre. Je ne suis pas persuadé qu’un tel principe puisse, en l’état, dépasser le stade du concept (même si le jeu lui-même fonctionne bien, me souffle-ton), mais l’idée est poétique.
La formule ArtGame weekend est en tout cas un succès dont ses organisateurs peuvent se féliciter (notamment Julien Dorra, qui pose avec son tee-shirt de circonstance sur la photo ci-dessus), je suis impatient de voir ce que donneront les prochaines éditions.

  1. 16 Responses to “ArtGame weekend : bilan”

  2. By Geoffrey Dorne on Juin 7, 2010

    Excellent ce résumé :) j’aurais bien aimé y être !

  3. By Jean-no on Juin 7, 2010

    @Geoffrey : Il y aura un ArtGame Week end 2 :-)

  4. By Nathalie on Juin 7, 2010

    J’aimais bien l’idée du jeu à transmettre de génération en génération mais il faudrait qu’il puisse migrer et s’adapter aux évolutions technologiques. Pour le reste, l’intention de ce projet était intéressante mais là où je doute réellement qu’il puisse dépasser le simple concept, c’est dans sa capacité à susciter le désir de transmission. L’idée du ralentissement, qui frustrerait le jeu et ne le rendrait possible que sur une échelle temporelle de plus en plus longue ne me parait pas satisfaisante, d’autant qu’on dirait presque une grosse ficelle pour exploiter les difficultés à calculer le rendu du jeu. Il me semble qu’il faudrait que celui-ci soit vraiment sans fin, suffisamment passionnant et qu’on ai l’impression d’y mettre quelque chose de soi pour avoir l’envie de le transmettre, ce qui commence généralement par une forme de partage pour susciter l’envie de celui qui va hériter, d’assumer son héritage. Le seul jeu auquel j’ai pu jouer et qui pourrait m’inspirer ce genre de comportement, c’est Pokémon.

  5. By Jean-no on Juin 7, 2010

    Je crois que ce qui me fait tiquer dans le concept de Générations c’est que pour moi, un jeu contient sa dose d’apprentissage, qu’il y a toujours un moment où le jouer est débutant. Si l’on est en train de poursuivre la partie de son grand-père pour en transmettre le résultat à son petit-fils, où se situe cette part d’apprentissage ?

  6. By Wood on Juin 7, 2010

    Tiens, à propos de l’art dans les jeux vidéos, tu étais au courant de cette colonne du célèbre critique de cinéma Roger Ebert : « Videogames can never be art » ?

    Elle a évidemment suscité une avalanche de réactions plus ou moins sympathiques sur le web (dont celle de Penny Arcade, un peu simpliste)

    Cette chronique aura au moins eu le mérite de donner un sacré coup de pied dans la fourmilière…

  7. By Jean-no on Juin 7, 2010

    @Wood : j’avais lu la chronique de Roger Ebert. Même s’il utilise des exemples très divers et qu’il défend le cinéma (dont on se demandait s’il était bien de l’art il y a quelques années), il commet à mon avis une erreur classique, qui est de placer trop d’affect dans le mot « art » dès qu’on sort des catégories banales (et essentiellement visuelles) de la création – c’est à dire de ce qu’on nous a présenté comme art en même temps qu’on a appris ce que signifiait ce mot : la peinture, le dessin, la sculpture.
    Il existe des peintures affreuses dans les salons municipaux des beaux-arts auxquelles personne ne refuse le label « art », alors il est curieux d’utiliser des comparaisons qualitatives pour déterminer si le jeu vidéo est un art : certes, Gran Tourismo ne nous fera pas oublier Titien ou Kurosawa, mais bon, et alors ?
    Est-ce qu’il manque au jeu vidéo son chef d’oeuvre, sa Grande illusion, ses Ménines ? Peut-être, mais Roger Ebert peut difficilement en juger car le mode d’accès au jeu vidéo est différent du mode d’accès à la musique ou aux arts visuels. On ne peut pas juger un film en lisant son scénario ou en regardant l’affiche, on ne peut pas comprendre Bach sans l’écouter, etc. : le jeu prend son sens dans l’interactivité.

  8. By Zagu on Juin 7, 2010

    Bravo pour cet article. Pour info, il y a également le sound designer Franck Weber qui fait partie de l’équipe gagnante ;)

  9. By Jean-no on Juin 7, 2010

    @Zagu : je l’ajoute.

  10. By Tart2000 on Juin 7, 2010

    Bonjour,
    et merci pour cet article. J’ai moi-meme participe au week end. Serait-il possible de corriger l’ortographe de mon nom: Arthur Schmitt, ainsi que d’ajouter un lien vers mon site (tart2000.com), ou mon Twitter (@tart2000). Enfin, le nom du developpeur londonnien talentueux qui a developpe PodCrasher est Marek Bereza (@mazbox / http://www.mrkbrz.com).
    Merci d’avance,
    Arthur Schmitt

  11. By Jean-no on Juin 7, 2010

    @Tart2000 : désolé d’avoir écorché votre nom. J’ai fait un lien vers votre site dans l’article, quand au reste, il est dans votre commentaire, ce qui suffit je pense.

  12. By Ebe on Juin 8, 2010

    Ohhh, merci d’avoir ajouté un lien sur Icebreaker ! :)

    Je le redis ici : je trouve que cet article rend super bien compte de ce qu’il s’est passé.

  13. By Romain on Juin 8, 2010

    Complétement d’accord sur Triumph of the Word. Vouloir le rendre politiquement correct, c’était casser le côté artistique. Par ailleurs jouer avec les « icônes » permet aussi de casser leur pouvoir de fascination.

    Il aurait été intéressant de voir le détail des notes des jurys, non pas par membre du jury mais par critère d’évaluation (finition du projet, sens artistique, caractère ludique, etc.)

    Mon article sur le Art Game Weekend:
    http://blog.cibul.org/lancement-reussi-du-1er-art-game-week-end/

  14. By Kevin on Juin 8, 2010

    Je suis assez d’accord aussi en ce qui concerne Triumph of words qui avait vraiment ce truc de faire réagir tout le monde. Du coup, vraiment d’accord aussi sur le fait que le rendre politiquement correct enlève tout intérêt, tout choc, toute provocation. C’était d’ailleurs très étrange d’être en train de coder vers 2h du mat et d’entendre par moments ce son venu d’un autre contexte…

  15. By cosmografik on Juin 8, 2010

    Hello, je laisse ici un lien vers le projet TypoRider, il y a une démo jouable du niveau Helvetica sur http://cosmografik.fr/?p=1650
    Si tu as des remarques, idées ou autres, n’hésite pas :)

    Ps: c’est moi sur la première photo, avec la veste bleue :)

    cosmografik.fr

  16. By cosmografik on Juin 8, 2010

    merci pour le lien ;)

  17. By Wood on Juil 1, 2010

    Tiens, Roger Ebert a revu sa position : Okay, kids, play on my lawn

Postez un commentaire


Veuillez noter que l'auteur de ce blog s'autorise à modifier vos commentaires afin d'améliorer leur mise en forme (liens, orthographe) si cela est nécessaire.
En ajoutant un commentaire à cette page, vous acceptez implicitement que celui-ci soit diffusé non seulement ici-même mais aussi sous une autre forme, électronique ou imprimée par exemple.