Profitez-en, après celui là c'est fini

Mes séquences de cinéma #1 : Top Hat

avril 3rd, 2010 Posted in Scènes choisies

Inspiré par la série Shots that changed my life, de Christian Fauré, j’aimerais explorer les séquences du cinéma qui ont marqué ma vie de spectateur.

Je n’aime pas Top Hat (Mark Sandrich, 1935). Le scénario est idiot, les situations sont cousues de fil blanc et les personnages plutôt fades. Sorti pendant la grande dépression, ce film enchantait les foules en faisant évoluer dans de somptueux décors vénitiens de carton-pâte des gens riches qui se séduisent et se chamaillent de palace en palace. Woody Allen a très bien raconté ça dans La Rose pourpre du Caire, où le héros d’un film de ce genre se trouvait projeté dans une Amérique réelle sordide et désespérée.
Je n’aime pas le film en lui-même mais je constate l’effet qu’il produit sur moi : chaque fois que je visionne la scène où Fred Astaire et Ginger Rogers dansent sur l’air de Cheek to cheek, ma respiration se bloque, mes yeux s’embuent et je me sens saisi par une bouffée d’émotion extrêmement puissante que je ne n’arrive pas à raisonner et que je peine même à comprendre.

Qu’est-ce qu’il se passe ? À quoi est-ce que je suis si sensible ici ? Est-ce que c’est la robe incroyable que porte Ginger Rogers, faite d’une multitude de plumes d’autruche qui suivent ses pas avec un délai gracieux et léger ? Ou tout bêtement les pas de danse aériens et l’accord des corps de deux danseurs exceptionnels issus d’une époque où la danse était tout sauf une démonstration d’athlétisme ? Est-ce que c’est la chanson, trainante et entrainante ? J’imagine qu’il y a un peu de tout ça.

En visionnant et en revisionnant la scène, je me rends compte qu’elle a quelque chose de foncièrement étrange, elle semble constamment ralentir ou accélérer — ce qui n’est pas le cas, le film se déroule de manière tout à fait habituelle. Une sorte de conflit visuel, dû à la grâce des danseurs comme aux mouvements de la robe, sépare ce que l’on voit à l’écran de l’expérience que chacun de nous a du poids des corps et du mouvement.
Je suppose que je peux donc comprendre le public de 1935 qui utilisait le cinéma pour vivre une expérience complètement extérieure à sa réalité.

Le fait que cette séquence appartienne à un film que je n’aime pas spécialement m’intéresse, j’y vois la preuve que l’on touche ici à une émotion ou une sensation qui est propre au cinéma.
La caméra se contente de suivre les danseurs, sans mise en scène élaborée. Il n’y a pas de dialogues, pas d’intensité dramatique dans le jeu des acteurs, pas de détails remarquables en arrière plan.
Ne restent que la musique et le mouvement.

  1. 4 Responses to “Mes séquences de cinéma #1 : Top Hat”

  2. By Christian Fauré on Avr 3, 2010

    Que du bonheur ! :-)

    Astaire est un squelette : sans la chair, çà ne peut que donner la sensation d’apesanteur, de flottement.

  3. By mrbbp on Avr 4, 2010

    Je crois que cette scène a été utilisée par un vidéaste qui travaille sur la boucle et le déphasage comme le faisait en 66-68 Steeve Reich avec la musique.
    Il se nomme Rafael Montanez Ortiz.
    Cette séquence revue par Ortiz… fait monter l’eau aux yeux. Je crois que la vidéo se nomme simplement « Ginger & Fred » et doit dater des années 80.
    Pour l’histoire RMO travaillait avec un « videodisc » qu’il programmait avec un AppleII…
    (merci docteur la science)

    Dans le même esprit: du même auteur (RMO), « kiss, kiss, kiss »
    et de Martin Arnold, « Alone. Life Wastes Andy Hardy » me met les larmes aux yeux aussi et à chaque visionnage, de façon aussi étonnante (je suis pourtant mauvais spectateur et plutôt blasé… :( )

  4. By Jean-no on Avr 4, 2010

    @mrbbp : j’ai trouvé la vidéo de Rafael Montanez Ortiz, ce n’est pas la même scène mais ce sont bien les mêmes danseurs. Le résultat fonctionne assez bien.

  5. By PCH on Avr 4, 2010

    je crois que ce qu’il y a de vraiment extraordinaire dans ce couple, c’est que la place de l’homme et celle de la femme sont tellement égales et tellement marquées (il est aussi féminin qu’elle est masculine et musclée, voyez) : on le voit particulièrement bien lorsqu’ils sautent au dessus de la barrière et où l’un soutient l’autre tandis que l’une soutient ensuite l’autre; tellement de féminité et de masculinité partagée, ces arrêts de tempo, ces glissages, c’est comme s’ils nous disaient comment faire pour s’aimer, se désirer et se comprendre peut-être bien sans mot. Juste merveilleux. Il y a aussi cette danse dans Swing Time qui montre aussi cette égalité/différence/complémentarité dans les places et les rôles (j’adore la toute fin où ils s’éclipsent comme si de rien n’était) : http://www.youtube.com/mxPgplMujzQ

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