Profitez-en, après celui là c'est fini

L’ordinateur comme outil

mars 11th, 2010 Posted in Brève, médiatisation

Hier 10 mars, le quotidien Libération a publié une pleine page d’interview de votre serviteur au sujet des jeunes et de l’ordinateur. Je suppose que ça sera accessible en ligne pour les non-abonnés dès demain, mais j’en ai déposé une version pdf sur ce serveur (cliquez sur l’image ou sur ce lien pour y accéder).
Cette interview faisait suite à un de mes articles sur ce blog, La génération post-micro, article dans lequel je prenais prétexte de la publication d’une étude belge pour faire connaître mon sentiment (hautement subjectif) au sujet du rapport entre les adolescents et les très jeunes adultes actuels et l’ordinateur. Selon moi, les « digital natives » (ceux qui sont nés dans un bain numérique — consoles, ordinateurs, téléphone mobile) sont moins compétents face à un ordinateur que l’on pourrait l’imaginer a priori. Leur usage change et accompagne la mutation de l’ordinateur qui devient un média et non plus un outil. C’est une évolution que j’ai cru remarquer très récemment dans les divers lieux où j’enseigne ou au travers de témoignages divers. J’avais eu l’occasion d’en reparler lors du débat consacré à l’éducation aux nouvelles technologies de la revue Regards sur le numérique.
Ceci étant dit, il est évident que je ne suis pas sociologue ou anthropologue et mes observations n’engagent que moi.
Après avoir lu l’article de Libé (qui est conforme à la version que l’on m’a soumise avant publication), je me rends compte que j’ai un ton un peu péremptoire et que je m’autorise des généralisations que je ne pense même pas. Le lecteur devra donc de lui-même saupoudrer le texte des « peut-être », des « sans doute » et des « d’après moi » qui lui font défaut.
Pour finir, le journal me prête un titre imaginaire en faisant de moi un maître de conférences à l’Université Paris 8 et à l’école d’art du Havre depuis 1996. En réalité, si j’enseigne bien depuis 1996, je ne suis pas maître de conférences mais maître de conférences associé (c’est à dire professionnel recruté par l’université pour une durée déterminée), et ce depuis 2001 seulement. Quant à l’école d’art du Havre, j’y suis professeur, emploi qui n’a rien en commun avec le titre universitaire homonyme. Enfin, il est écrit que je suis « expert en technologies » mais je ne pense pas que la formule (un peu vague au demeurant) me décrive très bien.
J’avais insisté sur ces questions de titres et de postes avec Astrid Girardeau, qui m’a interviewé, mais l’article final a été rédigé sans elle, puisqu’elle ne travaille plus pour Libération. L’introduction, notamment, n’est pas conforme à celle qu’Astrid avait rédigée.
Dernier détail : l’article affirme que j’ai quarante deux ans. Je suis presque sûr que c’est de ma faute car je ne sais jamais exactement mon âge. En fait j’ai un an de moins.
Il était important que je rectifie / précise ces points.

  1. 45 Responses to “L’ordinateur comme outil”

  2. By Wood on Mar 11, 2010

    J’imagine l’horreur, dans les années 1920, des pionniers de l’automobile, ceux qui se souvenaient d’une époque où pour avoir une automobile il fallait l’avoir construite soi-même, face à tous ces jeunes qui se contentaient d’en acheter une toute faite, et qui ne savaient même pas faire une vidange eux-même. Et qui ne voulaient même pas savoir ce qui se passait sous le capot.

    Bon en fait je n’y connait rien en histoire de l’industrie auto, mais j’aime bien imaginer que ça s’est passé comme ça.

  3. By Bishop on Mar 11, 2010

    C’est une question délicate, je suis mal placé pour la voir car je me place sur une des générations charnières (Windows 3.1 est sorti quand j’avais 7 ans et déjà un ordinateur)… mais il me semble comprendre le sentiment. IL y a un certain « état de fait » pour les plus jeunes qui ne les poussent pas forcément à chercher ce qui se trame dans leur ordinateur.

    Il y a peut-être aussi une complexification de l’objet qui se cache derrière des interfaces de plus en plus performantes qui n’incite pas à aller plus loin.

  4. By Gunthert on Mar 11, 2010

    Tu ne les fais pas ;-)

  5. By Jean-no on Mar 11, 2010

    @Wood : je pense qu’il y a deux sortes de pionniers de l’automobile (mais on doit pouvoir dire pareil de l’ordinateur) : ceux qui se faisaient conduire, qui n’étaient sans doute pas mécaniciens,… Et puis tous ces ingénieurs (parfois autodidactes) qui cherchaient à battre des records de vitesse etc., les ancêtres des constructeurs automobiles et en même temps ceux des pilotes de formule 1. Enfin je pense qu’on peut dire les choses comme ça (et pareil pour l’aviation, la photo, le cinéma…).

    @Bishop : oui il y a une couche opaque entre la machine et l’utilisateur, ce qui simplifie l’accès au service mais rend la machine incompréhensible.

    @Gunthert : je n’étais pas chez moi quand l’iconographe a appelé en catastrophe pour avoir une photo… Du coup elle a trouvé un très très vieux photomaton qui traînait sur le web ;-) (enfin si tu parles de cette photo parce que si tu parles du cliché en couleurs, là ce n’est pas moi)

  6. By Tom Roud on Mar 11, 2010

    C’est marrant, ton fichier s’appelle « digital_naives » (à la place de « digital_natives » j’imagine). Lapsus ? ;)

  7. By Tom Roud on Mar 11, 2010

    Ah non, trop nul le Tom, il aurait mieux fait de lire l’article d’abord …

  8. By Tom Roud on Mar 11, 2010

    Sinon, sans vouloir spammer avec un 3ième commentaire, je ne sais pas si je suis le seul dans ce cas, mais je suis victime d’une dichotomie : je suis clairement passif pour le jeu, et du coup je fais ça sur des machines « fermées » (consoles, voir iPhone), par contre l’ordinateur, c’est clairement pour le boulot, la création, la programmation, et donc la bidouille, bref je suis beaucoup plus actif. Je n’imagine que très difficilement jouer sur mon ordi (de façon régulière en tous cas), j’aurais l’impression de « gâcher » mon outil de travail.

  9. By Neovov on Mar 11, 2010

    C’est assez déprimant quand même… À croire que la magie a disparue…

  10. By ben on Mar 11, 2010

    JNL4EVER !

  11. By Jean-no on Mar 11, 2010

    @Tom ma devise est : « never lapsus, never surrender ! »
    @Neovov : chaque génération trouve ses grandes aventures et le web, notamment, en invente une par jour, alors je ne m’inquiète pas énormément pour la jeunesse qui vient.

  12. By memo on Mar 11, 2010

    Je suis aussi dans la quarantaine et j’ai repris une année aux Beaux art de Bruxelles l’année dernière, soit 20 ans après mon dernier passage dans une école d’art.
    Ce que j’ai constaté surtout (à part une inculture préoccupante pour des élèves en 5ième année d’étude supérieure), c’est, comme tu le dis très justement :
    « Ils n’ont pas forcément conscience de l’histoire récente de l’informatique et d’internet et que les choses n’ont pas toujours existé. Et ça ne les intéresse pas »
    Et ça ne les intéresse pas !
    A rapprocher de, un peu plus loin : »Quand on leur raconte comment ça se passe en Chine, ils ne se sentent pas vraiment concernés »
    Ni concernés donc…ni intéressés par le monde qui les entoure.
    Tu peux laisser traîner un Libé, personne ne viendra te le faucher ni même le lire !!
    Des bons petits élèves obeissants près à recracher du copié-collé de wikipédia à la demande sans aucun scrupule.
    Naïfs et sans curiosité, à mon avis…

  13. By Jean-no on Mar 11, 2010

    @memo : J’ai l’impression que c’est une génération qui exprime peu ses préoccupations politiques, mais ça ne signifie pas qu’ils n’en aient pas, je suis souvent surpris de découvrir que des jeunes gens que je connais sous un certain jour dans les conditions scolaires s’avèrent assez engagés ou concernés lorsque je les revois sur Facebook : peut-être sont-ce les lieux de l’expression, de l’activisme qui ont changé. J’ai peur que les préoccupations politiques ou sociales soient devenues quelque chose d’intime (et l’intimité, elle s’exprime sur Facebook, pas dans l’espace public :-)) et que l’engagement soit devenu suspect.

    On verra ce qui en ressort mais je ne suis pas complètement inquiet.

    Mon côté « vieux con râleur » s’exprime plus facilement sur deux points : 1) les pantalons dont la ceinture se porte au niveau des genoux (mais comment qu’ils font pour marcher bon sang ? et ce slip qui dépasse ! Ahlala y’a plus de saison je vous dis) et 2) les beuveries jusqu’au coma (rarissimes en école d’art mais malheureusement très à la mode dans d’autres filières).

  14. By Nathalie on Mar 11, 2010

    La photo qui illustre l’article de Libé me déplait, avec son genre banque d’image à deux balles, son gamin qui n’a pas plus de 13 ans tandis que l’article évoque une génération un peu plus avancée en age et son ambiance « Internet, c’est l’angoisse »… J’imagine très bien la même photo recyclée sur des sujets racoleurs de type « ados accros à l’ordinateur », « ados confrontés au porno sur Internet », « ados mass-murderer en herbe à force de s’abrutir avec des jeux violents », « ados racolés par des pédophiles sur Facebook », etc.

  15. By Jean-no on Mar 11, 2010

    @Nathalie : « Ado blasé par ses conversations avec des prédateurs sexuels sur chatroulette »,…

  16. By erwan on Mar 11, 2010

    La version publiée sur Ecrans.fr sera corrigée. Avec même une photo de toi un peu plus récente ! :)

  17. By Jean-no on Mar 11, 2010

    @Erwan : Super :-)

  18. By elifsu on Mar 11, 2010

    C’est marrant je pensais comme Wood que ça devait être pareil, et donc pas très étonnant dans d’autres domaines, mais j’en trouvais pas.

    Donc je pense comme lui, que ça a dû être un peu pareil pour la voiture. La 1ere génération qui voit arriver les machines doivent un peu plus savoir bidouiller (ça marche pas nickel, c’est nouveau et excitant, etc), que ceux qui sont nés, sans se demander comment ça marche.

    Sans parler du fait qu’au moment/près de l’invention, pas exclu de penser que de les gens sont exposés à de la vulgarisation, alors que depuis que je suis petite, je n’ai pas souvent croisé d’explication de comment marchent les voitures, les téléphones, la télé, le frigo, la radio, les avions, car ça parait tellement pas « in », technologique, branché…comme si tout le monde savait comment ça marche. (Mon pari personnel est que je ne suis pas la seule à ne pas savoir, mais peut-être la seule à me poser cette question si peu interessante en cette fin de 20e siècle/début du 21e).

    Et comme pour l’informatique, ceux qui voient arriver des nouveautés dans leur vie déjà adulte, en seront a priori moins familier. Comme mon grand-père (né en 1898) et la voiture. N’a pas passé son permis à 18 ans (la question ne se posait pas), et après, ben c’était trop tard (les guerres, la nécessité de travailler et nourrir une famille, etc).

  19. By Jean-no on Mar 11, 2010

    Ce qui me donne toujours le vertige c’est de voir que les enfants de la génération Y ne se rappellent pas de l’époque de l’URSS, de l’apartheid, et de l’époque où Internet et le téléphone portable n’étaient pas des choses normales.
    À mon avis, la génération Z sera celle qui ne se rappellera pas du monde tel qu’il était avant l’époque où on n’était pas allergique à tout, où on n’avait pas des cancers chroniques à soigner pendant toute sa vie et où le virus né des OGM qui transforme en Zombie Vampire restait moins répandu que le rhume.
    (enfin peut-être)

  20. By Paul on Mar 11, 2010

    Il me semble que les jeunes ne voit plus l’ordi comme outil pour une autre raison.
    Il percoive l’outil internet comme moyen d’accès à internet. Et encore, les mini pc, pocket pc, portables ordi, ordi portables pas forcément confortables leur conviennent parfaitement.
    Il s’agit d’accéder soit à un téléphone avec des appels en simultané, soit des séries ou contenus multimédias ou bien un espace de jeu en réseau dans la plupart des cas.
    C’est une attitude très passives dans les premiers cas, et très précise de l’ordinateur dans le dernier cas.
    Le problème vient de la. La mauvaise orthographe vient au début du sms qu il est plus simple d abréger pour transmettre l’information. ET de la généralisation de son utilisation.
    Quand au facebook et l’engagement des jeunes, ils peuvent se sentir impliqué ou touché par un sujet, mais adhérer a un groupe facebook ne demande que quelques clics et n’impose pas d’être présent par la suite. On soutien. C’est plus un soutien moral mais sans plus mais il trouve ça déja énorme.
    Donc à voir ce que ca donnera plus tard.

  21. By Bobby on Mar 11, 2010

    Enseignant à l’ESAD (école spécialisée en design graphique) en CV (vidéo/multimédia) et chargé de cours à Paris8 (vidéo et perf.), je suis sans cesse entrain de réclamer de l’audace et des prises de risques à mes étudiants. Savoir jouer avec ses lacunes (techniques), les contourner, s’en amuser, les détourner, sont des choses que très peu savent faire, ou très peu possèdent le recul pour s’y employer plutôt que chouiner sur des aides et enseignements techniques que l’école ne pourra pas leur fournir (à tort ? oui et non).
    Sans faire le vieux combattant du haut de ma trentaine d’années, j’ai le souvenir qu’à l’ENSAD dans les années 2000, on n’attendait pas après les profs ou les assistants (Michel ;)) pour faire : on faisait, on bricolait, on tentait, on contournait et ceux qui me connaissent savent bien que je n’ai qu’un trèèèèèèèès lointain profil de programmeur !
    L’intention primait, peu importe les moyens pour y arriver. J’avais l’impression d’avancer, d’explorer, de découvrir une terre vierge : le multimédia, l’interactivité; les outils étaient des usines à gaz (director :D) où il y avait toujours un moyen d’arriver plus ou moins à l’effet désiré, en bricolant.
    Et souvent on faisait des trucs plus marrants surtout. « Les jeunes ne savent plus se marrer » (ou alors des blagues copiées/collées du web) et dans le contexte actuel, c’est lourd.
    Je suis convaincu que l’audace, la prise de risque, l’essai (l’échec) sont plus valorisant et plus valorisés à la sortie d’une école d’arts (appliqués) pour trouver un emploi, qu’un bon travail d’un bon petit soldat.
    Après, les bons « exécutants/techniciens » sont aussi précieux et utiles, je ne dis pas qu’il faut former uniquement des créateurs azimutés. Mais une répartition équilibrée serait déjà un plus.
    N.B : il y a bien sûr des bémols à apporter à chacune de mes quotes, mais le lecteur sait.

  22. By Oelita on Mar 11, 2010

    Je suis une quadra, j’ai été fascinée par l’arrivée de l’informatique quand j’étais ado puis jeune adulte, dont j’ai fait mon métier et mon loisir. J’ai 3 ados de 14 à 19 ans… et je fais le même genre de constat que ces professeurs : ils utilisent l’ordi et internet, ça oui ! tout le temps en ligne : pour jouer, pour communiquer (sur msn ou facebook), pour s’amuser (youtube)… mais alors savoir ce qu’est l’explorateur Windows et un fichier, utiliser un traitement de texte, une imprimante ou créer un PDF, c’est le grand vide. Je ne parle même pas de l’idée saugrenue de développer ou de créer des blogs avec des outils open-source… même pour celui en terminale S, même avec des parents ingénieurs et qui créent des sites depuis 10 ans ! Ca ne leur vient tout simplement pas à l’esprit.
    Je ne dis pas que c’est un mal ou un bien, c’est juste que ça m’a étonnée, parce qu’on compare avec nous à leur âge. Mais on ne peut pas comparer, en fait. La génération Y n’est pas technophile dans le sens « j’ouvre la machine pour voir comment ça marche », elle l’est dans le sens gadgetophile, et avide de nouveaux usages. Mais pas de la technique qui les permettent.

  23. By Jean-no on Mar 11, 2010

    @Bobby : quelle Ésad si ce n’est pas indiscret ? J’ai enseigné à celle d’Amiens, ma fille est étudiante à celle de Strasbourg et il y a Reims aussi – je crois que c’est tout.

  24. By Bobby on Mar 11, 2010

    @Jean-No.
    Amiens ! (je t’avais envoyé un scan pour le métier de « progammeur » issu du magazine 20ans.)
    Désolé, les pseudos ça devient une seconde nature voire une question de survie ;)

  25. By Jean-no on Mar 11, 2010

    Ah ben, évidemment, Bobby, je pouvais pas deviner. Justement je pensais que ça aurait pu être toi (Esad, P8, Ensad…) si ce n’est ton pseudo… rhhhh.
    Je pense toujours à diffuser ton scan, à l’occasion.

  26. By Appollo on Mar 11, 2010

    Dans les années 80, il fallait apprendre le Basic, c’était long et chiant. Dans les années 90, quand j’utilisais mon ordi, il y avait toujours un truc qui clochait, et toujours un bon copain qui jargonnait, pour me sauver des plantages divers et variés. Toutes ces années, je n’attendais qu’une chose : que l’ordi fonctionne comme la lumière, qu’on appuie sur un bouton et hop, fiat lux ! C’est presque le cas aujourd’hui, et je m’en réjouis.
    Je comprends la nostalgie des pionniers, mais bon sang, toutes ces années ont été aussi celles des « spécialistes en informatique » qui, certes, venaient donner un coup de main aux copains, mais toujours avec ce petit air de commisération de celui-qui-sait, qui était assez irritante.
    J’envie presque la nouvelle génération de ne pas avoir connu cette espèce d’aristocratie des informaticiens qui, au début du Net en France, constituait une caste assez pénible (ceux qui « bannaient » sur IRC, repéraient les adresses IP, faisaient tout un tas de choses que je ne savais pas faire).

  27. By Jean-no on Mar 11, 2010

    Pour que ça marche comme la lumière, il faut encore plus de technique en fait. La différence c’est qu’on ne le voit pas et que ça a vocation à devenir inaccessible pour l’amateur – voir la position caricaturale de Nintendo ou d’Apple qui propriétarisent à l’excès et qui font que rien ne peut se faire sans eux sur leurs plate-formes : programmes mais aussi contenus.
    Je comprends le soulagement ceci dit.

  28. By Astharoth on Mar 12, 2010

    il me semble que sur ce sujet, il faut esquiver les cliches habituels : d’un coté la posture consistant à dire « de mon temps c’était mieux et maintenant c’est la décadence », et de l’autre celle de dire « tout se vaut, chaque génération vaut la précédente etc ».
    La réalité me semble etre entre les deux : meme si chacun a tendance a voir midi a sa porte et penser que sa façon de faire est la mieux, il reste tout aussi vrai, si on regarde l’histoire sur la longue durée, qu’il y a quand meme bien des hauts des bas.

    Il me semble que notre période est plutôt un « bas », d’abrutissement généralisé, grace notamment à la puissance des médias, tel que cela avait été annoncé par les Guy Debord et autres, d’une part, et par un mouvement de balancier vers le « tout pragmatique », qui a conduit a un mépris généralisé envers tout ce qui est culture, réflexion, théorie, etc.
    On ne fait plus d’études pour le plaisir du savoir, mais comme instrument pour trouver du travail (ce qu’on comprendre par ailleurs, évidemment, surtout en ce moment, mais disons que le curseur d’équilibrage est a fond d’un seul coté, bien au delà de ce qui serait nécessaire)

    De mon expérience professionnelle de consultant aussi bien que de mon expérience d’enseignant dans des écoles d’ingénieurs cotées, je constate avec effroi que d’une année sur l’autre, autant dire a vue d’œil, il y a une vraie dégradation : un manque de culture de plus en plus grand, une incapacité a comprendre correctement dix lignes de texte écrit, de rester concentré sur un powerpoint plus de dix minutes, etc…
    Le leitmotiv des jeunes génération, en majorité, est « a quoi ca sert ? » A quoi ca sert de lire des livres, a quoi ca sert d’apprendre l’histoire, la philo, etc…

    On pourrait se dire que nous sommes dans une phase de mutation, qui passe d’une culture de l’écrit à une culture de l’image. La culture de l’écrit avait sa propre pesanteur, ses excès, etc, qu’il est bon de secouer. Mais pour autant, une culture de l’image serait tout autant exigeante, et lire une image n’est pas plus « facile » que lire un texte. Or il ne me semble pas que ce soit le cas : l’image séduit plutôt parce qu’elle semble moins fatigante, moins « prise de tête ».

    Tout au contraire, je constate de plus en plus fréquemment, les cas d’étudiants, d’ingénieurs etc, qui « théorise » (si on peut dire ainsi), que « l’ignorance c’est bien », sur le thème « c’est la vraie vie, c’est concret, c’est naturel » etc… chose qui ne m’avait pas semblé exister dans ma propre génération, pour laquelle le « savoir » avait un certain prestige (avec pour les coup tous les excès dans l’autre sens)
    Naturellement, cela n’excluait pas les Poujade et autres anti-intellectualistes, bien sûr, mais ce poison n’avait pas atteint un tel niveau de diffusion.

    C’est dans un tel contexte que, logiquement, va me semble-t-il s’inscrire le rapport à l’ordinateur, qui comme tout autre objet, n’est qu’un outil de consommation de l’immédiateté. Je pense que cette question n’est pas particulière, elle « fait système », et s’inscrit dans une logique de fond où la « réflexion », le « savoir », « l’audace créative » ne sont plus des valeurs sociales. Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, qu’il n’y ait pas de « noyaux de résistance » pour le dire ainsi, mais je parle des « valeurs » mise en avant par tout le discours social, celui-là même qui, comme on s’en souvient, à défini la télé comme de la « mise à disposition de temps de cerveau disponible » pour les commerçants.

    Bien sûr, la tentation est grande de comparer avec le passé : avec l’histoire de la voiture notamment… Mais si la comparaison est utile, il faut l’approfondir, et comparaison n’est pas raison.
    En effet, que gagne-t-on ou perds-t-on à ne pas connaitre les détails d’une technologie ?
    Qu’est-ce que je perds à ne rien connaître à la mécanique ? A part que cela me coûte plus cher de faire faire une vidange par un garagiste que de la faire moi-même, cela ne m’empêche pas d’utiliser ma voiture au maximum de ses possibilités : aller partout où je veux aller. A part la pure curiosité intellectuelle, ça ce ne me prive pas de ne pas savoir comment fonctionne msn : je peux communiquer avec mes amis et mes proches tout aussi bien.

    Mais ici, il s’agit d’autre chose : ne pas savoir / comprendre ce qu’est un ordinateur, ce qu’est internet.. c’est se priver de l’essentiel. N’utiliser cet outil que pour chatter, c’est rejeter le fait que le net est un extraordinaire (pour combien de temps encore ?) outil de savoir, sans même parler d’un outil de liberté politique, ce qui serait un autre sujet.

    Ce n’est pas, à mon avis, une question de génération ou de « vieux croutons », que de dire que se servir des œuvres de Shakespeare pour caler un meuble au lieu de les lire, est un vrai gaspillage, pour le dire ainsi. Il y a eu, au 20e siècle, une certaine époque dans un certain pays, ou il y eu un tel renoncement, et ceux qui ne pensent pas encore que « l’histoire ne sert à rien », savent quelle a été la suite…

    J’ai l’impression que l »humanité » (pour utiliser un tel mot un peu grandiloquent) à découvert un outil (ie : les médias, le net, l’informatique, etc…) qu’elle ne maîtrise pas encore, et qui, comme toujours avec toutes les avancées technologiques ou autres, commence surtout par être mal utilisé : l’informatique devient flicage généralisé, les médias, télé en tête, outil d’abrutissement systématique, et ainsi de suite.

    Pour autant, je reste assez confiant et optimiste. A mon sens, nous ne sommes que dans un mouvement de balancier comme l’histoire ne fait qu’en compter : le culte de l’argent-roi, de l’immédiateté, de la superficialité, etc… n’auront qu’un temps, avant que le balancier ne reparte dans l’autre sens (avec probablement les excès inverses, on peut le craindre).

    En tant que « connaisseur de l’informatique », (sans aller jusqu’à parler de geek au sens plein »), il y a, me semble-t-il, deux postures sociales possibles : soit on apparaît comme un geek, un old-school, voire même un donneur de leçon, auquel cas on passe auprès des jeunes générations pour un « vieux con chiant »…. soit on met en place une certaine mise en scène autour de la maîtrise de cet outil, un certain mystère, et où on présente l’ordi comme une sorte d’objet « magique » et mystèrieux qui permet des choses « époustouflantes ». On est un peu « faux-jeton » (ou un grand communiquant, si on préfère), mais ça marche bien mieux, car c’est aussi une constante sociologique que plus on « glorifie l’ignorance », plus on est sensible au « mystique ». A l’expérience, ça marche plutôt bien, et c’est moins fatiguant que de tenter de « faire entendre raison aux petits cons », comme les vieux croutons de mon âge peuvent être tenté de le faire.

    Bref, y a juste qu’a attendre, comme toujours… soit on aura perdu une occasion formidable avec cet outil, soit la prochaine génération va à son tour se rebeller contre les jeunes actuels (qui seront à leur tour devenus des vieux cons, donc…), et redécouvrir cet outil fabuleux, se l’approprier et en faire des belles choses.

    Je pense qu’on ne peut pas y faire grand chose, à part gérer le présent : lorsque j’enseigne, j’utilise des mots simples, des images à la place de textes, et je ne fais pas d’hypothèses sur la culture générale de mes étudiants ingénieurs, tout en restant ouvert si, par miracle, sait-on jamais…

  29. By Astharoth on Mar 12, 2010

    @appolo

    Je comprends évidemment l’irritation qu’on peut avoir contre l’arrogance de « ceux qui savent ». Mais pour être tout à fait juste, il faut aussi mettre en regard l’arrogance de « ceux qui ne veulent pas savoir », qui, je crois, n’est pas mieux, et peut-être bien que l’une se nourrit de l’autre et réciproquement.

    Je veux parler des gens qui ont « codé en dur » sur le bout leur langues des phrases comme « c’est prise de tête », « à quoi ça sert ? », « c’est intello » etc.. qui veulent que tout leur soit servi sur un plateau sans faire le moindre effort (intellectuel en particulier), et qui pousse l’horreur jusqu’à mépriser « ceux qui savent ».

    De fait, j’ai eu moi aussi à « dépanner des amis ou membre de la famille », et autant ça se passe bien et c’est agréable quand la personne est curieuse et intéressée, autant ça devient vite pénible quand on a affaire à quelqu’un qui donne l’impression que tout lui est du, est qui refuse d’écouter quand on essaie de lui expliquer pourquoi il faut faire des sauvegardes des données, installer un antivirus ou ne pas laisser sécher son imprimante à jet d’encre. Au bout d’un moment, on finit par lui dire « je t’ai dit ce qu’il fallait faire plusieurs fois, tu n’en n’a pas tenu compte, maintenant tu te demm…. »

    Alors, certes, il y a des cons dans chaque catégories, mais autant commencer, je crois, par balayer devant celle à laquelle on appartient.

    Mon expérience d’enseignant en 3eme cycle m’a appris une chose : pour communiquer il faut être deux. Celui qui explique se doit d’être le plus clair possible, mais celui qui écoute se doit de vouloir vraiment chercher à comprendre ce qui est dit.
    Or, en l’espèce, d’ailleurs, j’ai bien peur d’avoir à faire avec mes étudiants à une « génération zapping », qui attends qu’on les gave avec du sirop, comme à a la télé.

  30. By Sourie on Mar 12, 2010

    Bonjour,

    Enseignant-chercheur en école d’ingénieur en informatique et électronique, je fais le même constat : seule une minorité de mes étudiants s’intéresse à comprendre « comment cela marche » et tente de bidouiller. Pour la majorité d’entre eux, pas de questionnement ou alors ils imaginent un fonctionnement qui est fort loin de la réalité… Ce n’est pas bien grave, être ingénieur aujourd’hui, dans l’informatique, c’est souvent être un technicien qui applique ce que lui demande son chef… D’ailleurs, c’est ce que demande les entreprises (les entreprises sont trés contente de nos étudiants, cela me surprend toujours !) : pas de frondeur, pas de personne remettant en question le système, juste des gens qui font leur boulot sans poser de question.

    Mais les effets à moyen terme risquent d’être fort dangereux car, à terme, cela entraine des difficultés (pour ces entreprises) à innover et imaginer des produits nouveaux (ce ne sont pas les moutons qui sont créatifs)… Maintenant, il y a des millions d’indous, de chinois,… qui sont prêt à le faire…

  31. By DS on Mar 12, 2010

    Ce qui me gène un peu, c’est la tendance au jugement de valeur : je ne suis pas sur que cette facette du problème de la maitrise d’une techno soit au final réellement la question. Pour reprendre l’exemple automobile (c’est tentant), on pourrait en gros donner les profils suivants, qui ont pu exister à des époques différentes (ce sont des profils vagues, mon but n’est pas de faire une analyse sociologique de l’automobile :-) ) les pionniers étaient sans doute fascinés par ces techniques qui leur permettaient de se déplacer tout seul; des utilisateurs ont apprécié la liberté de pouvoir se déplacer où ils le voulaient; des utilisateurs ont apprécié avoir des véhicules de plus en plus puissants ou de plus en plus ‘capables’, d’autres ont apprécié leur voiture pour l’image qu’elle renvoyait aux autres, etc. Nous serions bien incapable de dire si l’une de ces mentalités, ou si le monde actuel ‘utilise correctement’ (pour autant que cela veuille dire quelque chose) l’automobile, ou si le monde actuel a eu raison de transformer sa vision de l’automobile (ou plutôt, de laisser changer inconsciemment sa vision).
    Je crois que de la même façon, les débats quand aux changements dans l’approche de l’outil informatique ne devraient pas dériver vers le jugement de valeur.

    Par contre, ce qui m’énerve profondément, ce n’est pas le fossé entre générations, mais celui entre techniciens et RH d’une même époque: les RH ont un peu trop tendance à embaucher en tant qu’informaticien des ingénieurs de toutes formations, sous prétexte qu’ils « savent programmer » puisqu’ils ont appris les bases de la syntaxe d’un langage. Mais c’est un peu hors sujet.

  32. By Jean-no on Mar 12, 2010

    @DS: dans mon idée, pas de jugement de valeur mais une inquiétude : l’ordinateur personnel est une machine universelle qui offre à chacun une indépendance incroyable dans le travail. En devenant avant tout un outil de loisir où les applications sont amenées à être distantes et opaques (des gens – de toutes générations du reste – confondent ordinateur, OS et applications, ne savent pas qu’il existe une différence entre Google et Internet, ou très confusément…). Le résultat de cette évolution serait donc une perte d’autonomie dans un environnement numérique pourtant plus présent que jamais.

  33. By elifsu on Mar 12, 2010

    C’est marrant (ou tragique), « être ingénieur aujourd’hui, dans l’informatique, c’est souvent être un technicien qui applique ce que lui demande son chef… « , eh bien dans la recherche scientifique aussi. Y a plein de gens qui s’en sortent très bien avec cette attitude de « mouton » non inventif, du DEA à la thèse, puis au poste titulaire (fonctionnaire à vie!!). C’est même rare les situations où l’on demande au jeune chercheur d’être inventif et de se poser des questions (sur ce qu’on lui a appris, sur ce qu’on lui demande de faire, sur la façon dont les choses sont généralement faites, sur l’histoire le contemporain de sa discipline, etc).

    En fait, c’est pas marrant du tout je trouve.

  34. By Astharoth on Mar 12, 2010

    @DS et @Jean-no

    Je crois que, quand on parle de « jugement de valeur », il faut être très méfiant.

    Méfiant parce que c’est cela fait partie des « clichés qui font consensus » socialement : un jugement de valeur, « c’est mal », et donc, cela a tendance a clore la conversation dans le consentement général.

    De fait, nous savons tous que nous sommes dans une époque qui valorise le relativisme, le « tout se vaut », le « chacun son opinion » etc… ce qui est par nature le contraire même de la science, de toute démarche de réflexion etc…

    La encore, l’on passe d’un extrême à l’autre : de tout juger à ne rien juger, des certitudes idéologiques de la guerre froide au n’importequoitisme du néoliberalisme (se placer dans la longue durée historique est toujours riche d’enseignements…).

    Je veux donc en venir au fait que, comme souvent, la vérité est entre les deux : il y a des fois, ou IL FAUT porter un jugement de valeur. Si l’on me permet de forcer le trait, dire par exemple que le racisme c’est mal, c’est une chose nécessaire, indispensable : on ne peut pas se contenter de dire que c’est une opinion, un jugement de valeur, etc…

    En l’occurrence, donc, faire le constat que un outil, ici l’ordinateur, capable de faire de la création d’image, de son, de mise en page, de recherche d’info et plein d’autres etc… ne sert plus qu’a faire du msn (ce qui semble bien être le cas, si on additionne les expériences des uns et des autres..), n’est pas une chose condamnable. Et dire que « c’est mal », parce que, plus qu’un simple gaspillage de possibilités que d’autres auraient en leur temps bien aimé avoir, cela représente / témoigne d’un considérable rétrécissement de l’univers mental des jeunes générations (bac + 5 compris), c’est une chose nécessaire.

    Si l’on me permet d’élargir le point de vue, il ne faut jamais oublier que « l’on vote avec ce que l’on sait », et qu’il ne s’est jamais vu dans l’histoire qu’un peuple ignorant et superficiel se soit donné des dirigeants avisés.

    Pour revenir au si tentant exemple de l’automobile, il est sans doute exact qu’il y a eu, et qu’il y a toujours, différents profils d’utilisateurs. Aujourd’hui, l’écrasante majorité reste celle de gens qui utilisent la voiture comme outil. Et notre mode de vie fait que l’usage de la voiture fait partie du « décors » minimal, ou quasiment, de sorte que dans nombre de cas, utiliser la voiture n’est pas un « plus », c’est plutôt de ne pas l’utiliser qui est un handicap social majeur (idem pour le téléphone, etc…).

    Ce dont l’auteur de l’article parle, c’est de ce que précisément ce n’est pas le cas avec l’ordinateur : celui-ci n’est qu’extrêmement sous-utilisé (à quand l’ordi utilisé comme presse papier ?), et que cela a des conséquences graves.

    Pour appeler les choses par leurs noms, ce dont il s’agit ici est de ce dont même les gouvernements ont pris conscience (c’est dire…) : l’illettrisme numérique.
    Dans notre société très profondément informatisée, ne pas savoir « utiliser » ou « comprendre » un ordi, c’est tout à fait exactement comme ne pas savoir lire et écrire. On trouve encore des gens qui affirment mordicus (si si, j’en est rencontré !) que ne pas savoir lire/écrire, « c’est bien », mais la réalité est que c’est un considérable handicap social, une limitation de l’univers mental (tant à l’échelle individuelle que sociale), etc…

    Et donc, en l’espèce, même si il faut être très prudent en général avant de formuler un « jugement de valeur », il y a des cas comme ici il faut au contraire avoir le courage d’appeler un chat un chat.

  35. By Astharoth on Mar 12, 2010

    @elifsu

    Je ne puis que confirmer votre propos, qui correspond en tous point à ma propre expérience.

    Je pense qu’il faut bien prendre conscience du fait que être ingénieur, docteur, chercheur… n’a plus le sens que cela avait il y a un siècle. Aujourd’hui, c’est socialement équivalent à « artisan », voire OS (il est d’ailleurs piquant de se rappeler que, tout au long du moyen age, la durée de formation des « artisans », pour les appeler ainsi, était plus ou moins équivalent à celle d’un chercheur ou ingénieur actuel…et c’est encore un peu le cas dans les survivances telles que les compagnonnages)
    Certes, on capitalise encore sur l’image prestigieuse, mais dans les faits, il en va tout autrement.

    Aujourd’hui, on forme les ingénieurs en informatique comme une ressources jetable, à faible durée de vie (il est généralement considéré qu’on ne peut être informaticien que jusqu’à 35 ans, selon les cabinets de placement..). Il suffit de voir les programmes d’enseignement pour constater qu’il n’y a que peu ou pas du tout de formation « théorique », méthodologique etc… dont personne ne ressent d’ailleurs l’intérêt, et toute la place est faite à l’apprentissage de technologies concrètes (et donc forcément très vite obsolètes) qui permettent à l’ingénieur d’être immédiatement utile et opérationnel dès sa sortie d’école.

    La encore, je ressens cela comme la mode du temps, fasciné par le « pragmatique », c’est à dire l’immédiat, le court terme, le concret, et j’ai l’espoir que le balancier finira par repartir dans l’autre sens, une fois que les dégâts ne pourront plus être cachés.

    Cela me fait penser à tous ces gens qui « refusent » d’entendre (même si on leur explique le plus clairement du monde !) qu’il faut faire des backups de leurs données de leur ordi (« faut pas être parano », « j’ai jamais eu de pb jusqu’à présent », etc…), et qui ne comprennent que le jour où ils ont un plantage et ont tout perdu. C’est la nature humaine…

  36. By Jean-no on Mar 12, 2010

    @ Astharoth : je pense que c’est justement parce que tout ne se vaut pas qu’on ne peut pas faire de jugements de valeur au sens des bons et mauvais points qu’on distribue.
    Il est évident que les rêves changent, que deux générations différentes ne peuvent pas avoir la même histoire, le même parcours…
    Et en même temps, comme tu dis (et comme je n’arriverais jamais à me retenir de dire), ça ne signifie pas que tous les changements doivent être considérés comme positifs.

  37. By Astharoth on Mar 12, 2010

    @Jean-no

    Il me semble qu’en l’espèce, il s’agit simplement d’une question de choix des mots, car je pense que l’on est d’accord sur le fond.

    Pour moi, dire que « ça ne signifie pas que tous les changements doivent être considérés comme positifs », dès l’instant où précisément l’on exprime et formule ce constat, eh bien l’on fait ce que beaucoup de personnes considéreront immanquablement comme un « jugement de valeur ». Dès que l’on affirme quelque chose sur le réel (et tout particulièrement s’il s’agit d’un réel social, bien sûr), l’air du temps fera que ce sera perçu comme un « jugement de valeur », donc forcément négatif.

    Ce qui me gène, dans notre époque relativiste, c’est toutes les connotations autour de ce concept de « jugement de valeur », comme précisément vous le mentionnez avec l’expression « au sens des bons et mauvais points qu’on distribue ». Ces connotations m’apparaissent comme une sorte de « terrorisme intellectuel », si vous me permettez cette expression un peu forte, Il m’apparait que l’argument de « jugement de valeur » est des nos jours utilisé par la plupart des gens avant tout comme un « truc » rhétorique plus que tout autre chose pour disqualifier un argumentaire plutôt que de contre argumenter.

    Pour moi, donc, un « jugement de valeur » est tout à fait licite et honnête intellectuellement parlant, dès lors qu’une telle affirmation est argumentée et ouverte à la controverse, conforme en cela à une bonne vieille démarche scientifique.

    Ce qui conduit, naturellement, à ne faire que rarement de tels « jugements de valeurs », et de façon très mesurées.

    Loin de moi l’idée de légitimer ces gens qui passent leur temps à « juger », mais, comme on dit en droit, « l’abus n’exclut pas l’usage », et il me semble que la saine modestie de jugement ne doit pas aller jusqu’à l’absurde de l’absence de toute capacité de jugement.

    C’est pourquoi je ne rejetterais pas le principe, en soi, de jugement de valeur, mais seulement et uniquement son abus.

    Ainsi, s’il est évident que, comme vous le dites, « les rêves changent, que deux générations différentes ne peuvent pas avoir la même histoire, le même parcours… » et que cela doit induire une forme de modestie et de prudence méthodologique, il n’en reste pas moi, que, à l’opposé, il n’y a pas de « providence divine » qui fasse que, (pardon d’aller vite…), toute génération « se vaut ». Je crois que l’histoire du 20e siècle, pardon d’y revenir, nous montre amplement qu’une génération qui se donne corps et âmes à un tyran monstrueux, n’est pas tout à fait, objectivement, comparable à une génération qui se bat pour la liberté. (je sais que j’écris à la hache en disant cela, mais vous comprendrez ce que je veux dire).

    Je crois donc, pour reprendre ce que j’ai commencé à dire au tout début de mes contributions, qu’il faut éviter deux écueils aussi redoutables l’un que l’autre : juger trop légèrement et ne pas juger du tout, croire que « tout était mieux de mon temps » et croire que « chaque époque se vaut ». Mon opinion est plutôt que la vérité se situe entre les deux : juger (y compris « de valeur »), mais avec prudence et raison.

    Pour ma part, j’ai d’ailleurs toujours pensé que prendre le maximum de recul, c’est à dire en particulier voir les choses sur la longue durée historique (ie: cette même « histoire » qu’on a voulu supprimer de l’enseignement scolaire puisqu’elle ne « sert à rien »…) est un bon antidote contre le relativisme de notre époque.

    Mais, donc, à part l’usage du syntagme et du concept de « jugement de valeur », je pense que nous sommes du même avis sur le fond, me semble t il.

    Ouala

  38. By Jean-no on Mar 12, 2010

    Je pense aussi que nous sommes d’accord sur le fond.
    Sauf sur l’idée que l’époque est relativiste : je pense qu’elle l’est en surface mais qu’il s’agit plutôt d’une lâcheté vis-à-vis du débat. On doit faire semblant que tout se vaut mais en même temps chacun a son avis, c’est juste la confrontation qui est évitée. Enfin je crois.

  39. By Astharoth on Mar 12, 2010

    @Jean-no

    Il est des plus humains, évidemment, que chacun voie midi à sa porte, et donne plus de prix à sa propre opinion qu’à celle des autres. Les psychologues évolutionnistes nous disent même que cela serait un avantage évolutif.

    Ceci étant donc posé, c’est précisément la définition même du relativisme social, que « on doit faire semblant que tout se vaut », que « c’est […] la confrontation qui est évitée », et que, en effet, il s’agisse de « une lâcheté vis-à-vis du débat ».

    Le relativisme, c’est, de fait, précisément le fait que l’air du temps n’accepte plus le jugement, qui n’est plus « socialement acceptable ». C’est le fait qu’il ne soit plus possible, dans le débat, dans l’analyse, dans l’acte même de recherche (au sens scientifique ou philosophique du terme), qu’il soit discrédité et dévalorisé par principe, à priori. Le fait qu’il introduise une sorte de paralysie de la pensée, qui est, et je suis d’accord avec vous sur ce point, une grave forme de lâcheté, au final.

  40. By Jean-no on Mar 13, 2010

    Une émission intéressante à écouter sur le sujet des Digital Natives : Les digital natives existent-ils ? / Place de la toile, France Culture

  41. By DS on Mar 13, 2010

    @Astharoth
    Pour être précis, je suis pas un adepte d’un « « truc » rhétorique » qui permettrait d’éviter les débats; je me méfie du jugement de valeur parce que juger implique des points de repères précis. Or, l’évolution d’une société et sa capacité d’exploitation d’une technique (ici, une génération de consommateurs qui ne réalise pas que l’outil informatique permet d’être actifs dans leur société et de l’influencer), c’est une prédiction que je ne tenterais pas, parce qu’il me semble que ce genre de choses dépasse le commun des mortels. L’informatique a été adoptée par l’ensemble des gens, qui l’utilisent maintenent passivement, sans réfléchir à ce qu’elle est vraiment, à ce qu’ils pourraient lui apporter. Est ce que cela rendra le monde meilleur ou pire, je serais infichu de le dire (et c’est différent de « faire semblant que tout se vaut »). De manière plus générale, nous voulons peut être, dans cette ère scientifique, tout analyser, comprendre et juger, sans chercher nos limites de compréhension.

  42. By Astharoth on Mar 13, 2010

    @DS

    Vous dites : « je suis pas un adepte d’un « « truc » rhétorique » qui permettrait d’éviter les débats »
    Je ne me permettrais pas d’affirmer une telle chose à votre sujet.

    Mais le fait est que c’est le cas pour une majorité de personnes, car il est de fait que c’est une posture « valorisée » par l’air du temps. Si vous énoncez cette position dans un diner entre amis ou que sais-je, vous sentez bien que vous aurez une approbation diffuse. C’est une expérience aisée à faire. Même chose si vous annoncez être « pragmatique », « concret », etc… Si par contre vous annoncez être « théoricien », ne jurer que par l’abstrait… vous passerez plutôt pour un asocial léger, au mieux.

    Vous dites : « je me méfie du jugement de valeur parce que juger implique des points de repères précis. »
    Précisément : toute réflexion, toute proposition, se doit d’être prudente, argumentée, ouverte à la controverse. Il faut se méfier de tout jugement quel qu’il soit, qui ne remplirait pas ces conditions de « honnêteté intellectuelle ».
    Le point est, justement, de ne pas confondre les choses : le « jugement de valeur » (pour continuer à l’appeler ainsi) n’est pas en soi illégitime, pas plus que les « jugements qui ne sont pas de valeur ». Le critère de légitimité est de savoir si c’est une affirmation arbitraire ou si c’est quelque chose d’argumenté.
    Bref, la question n’est pas que quelque chose soit un jugement de valeur ou pas, mais la solidité du jugement.
    Ce qui est très dommageable, c’est l »idéologie consistant à condamner, par principe, le jugement de valeur en soi, et c’est cela que je critique.

    Vous dites : « Est ce que cela rendra le monde meilleur ou pire, je serais infichu de le dire »
    Si par là vous dites que la question est difficile, j’en serais d’accord avec vous. Mais si vous dites qu’il ne faut pas s’en préoccuper (à cause sans doute de sa difficulté), alors je ne vous suivrais pas. Si il se trouvait qu’il y a quelque chose en cours qui serait en train de rendre notre monde pire qu’il n’est, alors il est de la plus haute importance de s’en préoccuper et de faire quelque chose, au lieu d’attendre que le monde se dégrade ! Ce serait comme dire que la recherche contre le cancer est difficile et que l’homme de la rue (vous ou moi) est incapable de trouver LA solution en se concentrant dix minutes, alors, eh bien, on ne fait pas de recherche du tout.
    On voit aisément que ce n’est pas tenable.
    Aussi, dire que l’illettrisme numérique est un problème social, est une affirmation légitime. Peut-être ce problème sera compensé par autre chose de positif, peut-être même que ce problème n’en n’est pas un et que l’on se trompe à le dire ainsi. Mais en tout cas, c’est une chose qui est tout à fait légitime de poser en ces termes, et d’y réfléchir et travailler dessus, études scientifiques comprises. S’il s’avérait que le problème est bien réel et que l’on ne fasse rien de concret pour y remédier, juste parce qu’on s’est interdit de poser un « jugement de valeur », là pour le coup se serait criminel, me semble-t-il.

    Vous dites : « De manière plus générale, nous voulons peut être, dans cette ère scientifique, tout analyser, comprendre et juger, sans chercher nos limites de compréhension. »
    Et alors ?
    Tout d’abord, que savons-nous de nos limites de compréhension, avant même que nous les testions ? Rien, sauf des à priori arbitraires, issus de considérations idéologiques, religieuses etc… Il y a, d’une certaine manière, une idéologie du « vouloir ne pas savoir » qui est une chose que je déplore, et qui est elle aussi dans l’air du temps.
    A une époque où nombre de gamins ont pour rêve dominant de passer à la télé, de devenir footballeur couvert d’argent, et autres modèles de ce genre, et si rarement d’être un grand savant ou un grand écrivain, on ne sera pas le dernier, lorsque la maladie touchera un de nos proches, a implorer le ciel qu’un de ces « intellos » dont on se moquait tant, ait quand même inventé le remède qui guérit. Nous sommes dans un société individualiste, égoïste et court-termiste, mais en cas de problème, on est les premier à demander assistance. Et de la même façon, on ne « veut pas savoir » et on méprise grandement ceux qui le voudraient, mais on espère quand même secrètement que, quelque part, il y ait quelqu’un qui sache, le moment venu.

    Maintenant, si vous me dites que nombres de conneries sont fait avec la science, c’est une toute autre question ! La, c’est le sens moral, la sagesse, l’intelligence des auteurs qu’il faut interroger, et pas la science ou la volonté de savoir par elle même. La connaissance est à double tranchant, mais c’est celui qui la manie qui est responsable, pas l’outil. Ce serait bien trop commode que de dire « c’est pas moi qui ait fracassé la tête de la victime, monsieur le juge, c’est le marteau ! »

    J’en arrive à ceci : le problème des digital naives, est très largement lié, me semble-t-il, à notre époque tiédasse, dans laquelle on nous donne en modèle une immense résignation : ne pas savoir, ne pas dire, ne pas chercher, ne pas faire d’effort… en l’espèce, « je suis un djeun, j’ai au bout des doigts un outil fabuleux, l’ordi, mais je cherche surtout pas ce que je pourrais en faire, je me contente de faire comme mes condisciples autour de moi, juste du tchat, sans la moindre démarche personnelle, la moindre curiosité, la moindre initiative. » (aux exceptions près, évidemment..)
    Même un jeune chat a plus d’inventivité avec un objet qu’on lui donne, que un grand nombre d’étudiants que j’ai pu rencontrer avec leur ordi.

    Mais convient il de se masquer les yeux afin d’être politiquement correct ?

  43. By DC on Mar 15, 2010

    Lire « Le bluff technologique » de Jacques Ellul.

  44. By maeva on Mar 15, 2010

    Je vais peut être me faire lapider mais je prends le risque :)

    Je me demande si , entre autre, l’évolution ressentie par Jean-no n’est pas aussi due par ce que j’appelle le syndrome mac : quand j’étais ado, pour s’acheter un ordi on le faisait pièce par pièce sur LDLC, du coup obligé de savoir ce qu’on trouve dans une tour !
    Avec la très grosse croissance des ordis portables et la philosophie mac (on s’en moque de savoir comment ça marche, on veut avoir un bel objet, qui fonctionne bien, et qui soit ergonomique) j’ai l’impression que les gens ont désappris ce genre de choses.

    Du coup, les plus jeunes verraient peut être leur ordinateur comme un objet d’un seul tenant, et par conséquent seraient moins intéressés par la bidouille, que ce soit physiquement sur leur bécanne ou bien virtuellement en se mettant à la prog.

    mais vous êtes peut être partis beaucoup plus loin dans le débat entre temps ;)

  45. By Jean-no on Mar 15, 2010

    @Maeva : je suis certain que c’est lié, mais je remarque surtout un glissement de l’outil vers le média. Il y a quinze ans un ordinateur servait à faire des choses. Aujourd’hui, c’est une fenêtre sur le monde et sur les autres mais beaucoup moins un outil. À mon époque (1982), c’était encore autre chose : l’ordinateur personnel ne servait carrément à rien d’autre qu’à faire de l’ordinateur personnel… En y réfléchissant c’est un passe temps un peu oiseux ;-)
    Bien sûr les trois usages coexistent : pour certains l’ordinateur est une passion en soi (certains passent leur vie à modifier leur machine, l’optimiser…) pour beaucoup de gens, l’ordinateur reste un outil – par exemple mes étudiants, quel que soit leur background et leurs connaissances de base, sont rapidement forcés d’apprendre les bases du fonctionnement des machines puisque ça devient leur outil de travail -, et pour tous, c’est aussi devenu un média.

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  2. Mar 12, 2010: « Beaucoup de bruit pour rien  « solution de continuité

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