Profitez-en, après celui là c'est fini

Littératures graphiques contemporaines #12.5 : Natache Sicaud

mars 23rd, 2023 Posted in Bande dessinée, Conférences | No Comments »

Vendredi 31 mars 2023, le cycle de conférences Littératures graphiques contemporaines accueillera Natacha Sicaud.

Formée à l’école des Beaux-Arts d’Angoulême puis à l’école des Arts décoratifs de Strasbourg, Natacha Sicaud participe au tournant des années 2000 à des projets éditoriaux marquants : Comix 2000, Coconino World, ou encore les éditions Café Creed. Depuis elle a publié des bandes dessinées et illustré des livres jeunesse.

La rencontre aura lieu le vendredi 31 février à 15 heures à l’Université Paris 8, dans la salle A-1-175.
Cette rencontre est en priorité destinée aux étudiants inscrits, mais est ouverte au public extérieur dans la limite des places disponibles.
Connaissant les aléas (transports, blocages) liés à l’actualité, n’hésitez pas à vous référer à cette page pour vérifier le lieu de l’intervention.

Littératures graphiques contemporaines #12.4 : Béhé

mars 13th, 2023 Posted in Bande dessinée, Conférences | 2 Comments »

Vendredi 17 mars 2023, le cycle de conférences Littératures graphiques contemporaines accueillera Joseph Griesmar, dit Béhé.

Béhé a été étudiant de l’atelier d’illustration de la haute école des arts du Rhin, à Strasbourg, où il enseigne à son tour depuis vingt-cinq ans. Il se fait connaître en 1989 avec la série d’anticipation Péché Mortel, co-scénarisée par Toff et publiée dans le journal Pilote, qui met en scène un futur où une maladie sexuellement transmissible provoque un retour à l’ordre moral sous la surveillance d’une milice ultra-conservatrice.
Auteur de deux douzaines d’albums ensuite, sa dernière œuvre est une imposante somme de vulgarisation des travaux de l’anthropologue Pascal Boyer, Et l’Homme créa les Dieux.

La rencontre aura lieu le vendredi 17 février à 15 heures, à la MSH Paris Nord, au 20 avenue George Sand, à La Plaine (Métro Front Populaire, ligne 12).
Du fait d’une capacité d’accueil limitée, cette quatrième séance de la douzième année du cycle de conférences est réservée aux étudiants inscrits au cours.

Quinze ans de blog

mars 8th, 2023 Posted in Le dernier des blogs ? | 5 Comments »

J’aime bien célébrer les anniversaires, alors voilà : le dernier blog a quinze ans aujourd’hui.

Je suis en train de lire un livre sur le phénomène de moiré.

J’ai nommé ce blog « le dernier blog » (parfois écrit « le dernier _des_ blogs ») un peu par boutade : j’avais l’impression que tout le monde avait son blog sauf moi, et de fait, quand j’ai commencé à poster, l’âge d’or du blog semblait terminé, beaucoup de gens délaissaient ces plate-formes au profit du « micro-blogging », avec notamment Facebook. Le blogging n’est pas mort, mais il se porte mal, car l’aspect conversationnel et social de cette pratique s’est déporté vers les réseaux dits sociaux : autrefois, chacun de mes posts suscitait des commentaires, mais aujourd’hui la conversation est éclatée, elle atterrit sur Twitter, sur Facebook, sur Reddit ou que sais-je.
Dommage, mais c’est l’ordre des choses, et ça n’est pas seulement dû à la concurrence des réseaux sociaux, c’est aussi la faute (invisible pour les utilisateurs) des moteurs de publication de spam qui bombardent les sections « commentaires » des blogs de messages publicitaires indésirables. Plus d’un blogueur, refusant de passer du temps à faire le tri, a définitivement condamné sa la section « commentaires » de son blog, et ceux qui ne s’y résolvent pas, comme moi, sont forcés de modérer, c’est à dire de n’accepter la publication des commentaires qu’après les avoir validés. La pratique du blog se perd, donc, dommage, car le blog indépendant échappe à la capacité de nuisance des réseaux sociaux : censure, contenu standardisé, publicité, mystérieux algorithmes de mise en avant des contenus, et autres formes d’aliénation.

J’ai lancé ce blog comme complément à mes enseignements, car j’ai l’esprit d’escalier, comme on dit, et il arrive souvent que ce ne soit qu’après les heures de cours que je pense à telle référence, ou que j’arrive à synthétiser mon propos. Mais de ce point de vue, ce fut plutôt un échec, ou du moins, les étudiants pour lesquels j’ai écrit mes premiers posts n’ont jamais vraiment utilisé mes billets comme prétexte à la conversation en cours. Du reste, j’ai moi-même rapidement écrit sur tout un tas de sujets non directement liés à mon activité d’enseignant. Je me suis mis, par exemple, à évoquer la représentation de l’informatique dans la fiction, ou mes observations sur les évolutions de nos vies numériques, transformant ce site en un espace de recherche. Et à ma grande surprise, c’est là que j’ai commencé à avoir un public. Sans dire que j’ai installé une ligne éditoriale, j’ai commencé à éprouver de la frustration face à tel ou tel sujet : trop politique ? trop anecdotique ? trop bizarre ? Pour cela, j’ai commencé à créer de nouveaux blogs : Castagne, mon blog politique ; Fatras, un blog qui accueille des anecdotes ou des souvenirs ; Fin du Monde, et La Mort, deux blogs qui ont accompagné des workshops à l’école d’art du Havre ; Légende familiale, qui est consacré à mes explorations généalogiques ; percevoir, qui est consacré aux mécanismes de perception ; etc. J’ai même des blogs cachés, que vous ne verrez pas et qui me servent à stocker des textes, des liens, des citations,…

Ce blog et les autres sont souvent à l’origine de mes aventures éditoriales, des articles que l’on m’a commandés, etc. (la liste ici)

En cherchant à me rappeler des articles qui ont fait un peu parler d’eux (ou dont on me reparle parfois), je recense La génération « post-micro » (décembre 2009), Misère de la super-héroïne au cinéma (mai 2012), Le mauvais goût et le blasphème dans le dessin d’actualité (février 2015), Les investissements de Franko Mislov (septembre 2012), Peut-on parler de soi sur Wikipédia ? (septembre 2021), ou encore mes articles consacrés aux gares, comme L’automate supprimé par défaut de productivité, La nouvelle Gare Saint-Lazare, La nouvelle gare Saint-Lazare, un an plus tard et Prison automate. Mais je ne sais même pas s’ils sont vraiment intéressants à lire, des années après leur rédaction. Chaque fois qu’on m’a suggéré d’éditer une compilation, même en pdf, je me suis dit que ce ne serait sans doute pas une bonne idée. Mais je sais que chaque billet m’a semblé très important sur le coup, assez important en tout cas pour que je prenne le temps de l’écrire. Ces textes m’aident me rappeler de ce que j’ai un jour vu, lu ou pensé, et rien que pour ça je suis content non seulement d’avoir écrit tous ces billets, mais aussi de continuer à le faire.

Bref, dussè-je être le dernier et unique lecteur du dernier des blogs, je compte bien fêter un jour ses vingt, ses trente ou ses quarante ans. Après on verra.

En 2023, le dessin sera électrique (1923)

mars 4th, 2023 Posted in Brève, Création automatisée, Vintage | No Comments »

Après mon billet sur la nouvelle Une petite merveille, voici un dessin de 1923 exhumé il y a quelques années par le site Paléofuture. L’auteur, Harold Tucker Webster (1885-1952) imaginait, pour le New York World1, qu’en 2023 les auteurs de bande dessinée pourraient se reposer, laissant deux machines œuvrer à leur place : une pour inventer des idées et l’autres pour dessiner.

Ce n’est pas la première fois qu’un artiste ou un écrivain surchargé rêve d’une machine qui travaillerait à sa place, mais on s’amusera de l’exactitude de la date de la prédiction, puisqu’en 2023, avec GPT-3, Midjourney, etc., la question n’a jamais été si actuelle et si débattue.

  1. Le New York World, lorsqu’il appartenait à Joseph Pulitzer, a eu une importance capitale sur la naissance de la bande dessinée étasunienne, avec son supplément dominical en couleurs où est né, notamment, Le Hogan’s Alley/Yellow Kid de R.F. Outcault. Pulitzer est aussi un des initiateurs de la syndication(le fait qu’un contenu éditorial soit produit par une agence et acheté par une multitude de journaux locaux) de comic-strips, et qui était en concurrence sur tous ces points avec Joseph Medill Patterson et Randolph Hearst. Une époque passionnante et fondatrice du rapport de la presse à la bande dessinée, et aussi fondatrice des enjeux du statut d’auteur dans le cadre d’un art de masse, avec des arbitrages juridiques importants (Katzenjammer kids, Yellow Kid). []

Littératures graphiques contemporaines #12.3 : Wandrille

février 20th, 2023 Posted in Bande dessinée, Conférences | No Comments »

Vendredi 24 février 2023, le cycle de conférences Littératures graphiques contemporaines accueillera Wandrille Leroy, dit Wandrille.

Alors même qu’il est encore étudiant à l’école nationale supérieure des arts décoratifs, Wandrille Leroy commence à publier sous le label « Pierre Papier ciseaux » des éditions à petit tirage dont il est l’auteur. Sorti de l’école il fonde avec Benoit Preteseille les éditions Warum, ou ils publieront plus de 250 livres, souvent de premiers livres d’auteur majeurs. En 2016, il gagne le fauve Patrimoine avec Vater und Sohn. En deux décennies il aura porté (et continue de porter) de nombreuses casquettes : éditeur, dessinateur, scénariste, traducteur, enseignant et même animateur de podcast.

La rencontre aura lieu le vendredi 24 février à 15 heures, en salle A-1-175. Cette seconde séance de la douzième année du cycle de conférences est ouverte au public extérieur, dans la mesure des places disponibles.

Une petite merveille (1958)

février 16th, 2023 Posted in Création automatisée, Lecture | No Comments »

(attention, je raconte l’histoire !)

Thing of Beauty, publié en septembre 1958 dans Galaxy Magazine et trois mois plus tard en français, sous le titre Une belle invention, dans Galaxie, est une nouvelle de Damon Knight1. Dans une seconde traduction française, elle a pris le titre Une petite merveille, que je garde pour cet article.

Gordon Fish, qui semble être un homme d’affaires douteux, reçoit un jour la livraison non sollicitée d’un tas de cartons encombrants. Il est mécontent de cette intrusion, mais les livreurs sont certains de l’adresse : « si vous n’en voulez pas, vous n’avez qu’à le renvoyer ». Les livreurs disparaissent sans que Fish ait signé quoi que ce soit. Les colis contiennent une machine incompréhensible, au nom inconnu, garnie de boutons écrits dans une langue dont Fish n’a jamais entendu parler.

En manipulant l’engin un peu n’importe comment, il obtient un résultat : la machine trace des dessins. Le premier dessin lui semble sans intérêt — il représente un homme en toge avec un taureau —, mais il ne connaît rien à l’art et il se demande si l’œuvre n’a pas une valeur mercantile. Il décide de le montrer à l’employé d’un snack qu’il fréquente, Dave, qui est caissier pour payer ses études en art. Ne voulant pas dévoiler la provenance du dessin, Fish prétend que celui-ci est dû à son neveu. L’étudiant est émerveillé, et explique qu’il a d’abord cru à un dessin de Picasso, dans sa période classique. Il ajoute qu’un dessinateur aussi extraordinaire pourrait concourir pour une commande de fresque dotée de dix mille dollars, mais qu’il faudrait pour cela mettre l’image en couleurs. Fish invente une histoire : son neveu vit dans le Wisconsin, il est blessé à la main, il ne peut pas s’occuper de couleurs. Mais Dave pourrait s’en charger à sa place ?

Illustration de Wally Wood, accompagnant la première publication de la nouvelle.

De retour chez lui, Fish presse les boutons de la machine, qui trace un nouveau dessin, mais il est un peu déçu : le dessin représente une filles avec des fleurs et une vache : cette machine ne saurait donc dessiner que ce genre de choses ? Il finit par comprendre que les dessins changent selon les boutons enfoncés : folk, djur, land, planta, byggnader, Arbete, Kärlek,… À force d’essais il comprend que ces mots signifient « personnes », « animaux », « paysage », « plantes », « immeubles », « travail », « amour »,…
Peu à peu, il lui semble être capable de maîtriser la machine et de savoir dans quel ordre presser les boutons pour obtenir, par exemple, des scènes historiques ou religieuses. Les dessins sont parfois très sages, parfois caricaturaux lorsque l’on presse un bouton nommé överdriva. Sans comprendre le manuel qui accompagne la machine, il continue d’essayer un peu tous les boutons, insistant même sur ceux qui ne semblent rien faire : utplana, torka, avsla. Il aimerait vendre le brevet de cette machine extraordinaire, mais sa tentative de le démonter ne lui apprend rien.
Il écrit au service de recherche de l’Encyclopaedia Britanica pour savoir s’ils connaissent la langue utilisée pour les commandes de la machine et s’il est possible de les lui traduire.

Le temps passe et contre toute attente, le dessin que Fish a soumis à un concours lui rapporte des milliers de dollars, à condition que Dave — à qui Fish raconte que son neveu souffre désormais d’un handicap qui l’empêche de dessiner, de se déplacer, et qu’il souffre d’une timidité maladie — exécute la fresque. Puisque cela semble plus commode ainsi, les deux hommes conviennent que Fish se fera passer pour l’artiste, et utilisera son nom, George Wilmington. Ses dessins obtiennent rapidement du succès, et une femme lui confie même sa nièce comme étudiante, en échange de milliers de dollars. Seulement il doit cacher à absolument tout le monde que son œuvre émane d’une machine à laquelle lui-même ne comprend rien. Il a bien tenté de démonter l’appareil pour en déposer le brevet, mais même en parvenant à en soulever le panneau de protection, il n’y a rien compris.
Lors d’une soirée, il rencontre un physicien à qui il demande s’il lui semble imaginable de créer une machine capable de dessiner. Ce dernier n’y croit pas tellement :

I assume you mean it would originate the drawings, not just put out what was programmed into it. Well, that would mean, in the first place, you’d have to have an incredibly big memory bank. Say if you wanted the machine to draw a horse, it would have to know what a horse looks like from every angle and in every position. Then it would have to select the best one for the purpose out of say ten or twenty billion — and then draw it in proportion with whatever else is in the drawing, and so on. Then for God sake if you wanted beauty too I suppose it would have to consider the relation of every part to every other part, on some kind of esthetic principle. (…) I guess we’ll be staying out of the art business for another century or two.

Tout se passe presque bien, mais la machine semble refuser de se répéter, elle agit comme si elle oubliait peu à peu des motifs. Pour la fresque qu’il devait réaliser, notamment, la machine n’a dessiné qu’un pied. Un pied que tout le monde juge magnifiquement exécuté, mais aussi un peu intriguant, et Fish s’avère incapable de répondre quand les médias l’interrogent sur la signification qu’il donne à cette image de pied.
Un second problème se présente : Mrs Prentice, la tante de son élève, est mécontente de son investissement, car Fish n’a fait à la jeune Norma que des remarques sans intérêt et, du reste, a cessé de venir voir son travail. Mis au défi de réaliser un dessin pour prouver qu’il est bien l’artiste qu’il prétend, Fish s’enferme avec sa machine. Tandis que celle-ci se contente de dessiner un nez et des formes géométriques, Fish découvre la réponse du service de recherche de l’Encyclopaedia Britannica : la langue était du suédois et les mots ont un sens.
Fish comprend qu’à chaque fois qu’il a fait tracer un dessin à la machine, il lui a aussi demander d’effacer le motif de sa mémoire.

Quatre ans après la rédaction de cette nouvelle, en 1962, A. Michael Noll, jeune ingénieur employé par les laboratoires Bell, publiait un mémo dans lequel il avançait que l’ordinateur pourrait être employé pour produire des images. Les créations que ce jeune ingénieur nommait modestement « patterns », rédigées en langage Fortran, posaient les bases de l’art génératif et du code créatif.

Adolescent, j’avais lu cette histoire comme une critique de l’abstraction, mais en la relisant, cette interprétation ne me semble pas évidente. Il est intéressant de se replonger dans ce récit, soixante-cinq ans après sa publication, alors même que Dall-e, Stable diffusion et Midjourney émerveillent le public et inquiète un nombre non-négligeable de créateurs visuels qui craignent à juste titre de voir leurs propres créations intégrées à des outils créés pour se passer d’eux2 ! On notera la pertinence de l’estimation faite par le scientifique qui compte en milliards le nombre d’images que devrait connaître la machine pour pouvoir produire des dessins originaux : c’est bel et bien en milliards que se comptent les images contenues dans les datasets tels que Laion, qui est utilisé par Stable Diffusion ou la future IA dessinatrice de Google, Imagen. En revanche il se trompe en supposant que les technologies se tiendront à l’écart du marché de l’art « pour encore un siècle ou deux ».
Notons pour l’anecdote que le tout premier « plotter » (traceur) commandé informatiquement a précisément été inventé en 1958 par Konrad Zuse, un pionnier allemand de l’informatique. Il s’agit du Graphomat Z64. Je ne saurais dire si Damon Knight en avait entendu parler mais il est probable que non, car cet appareil n’a commencé à se diffuser qu’au cours des années 1960.

  1. Damon Kninght (1922-2002), est notamment l’auteur de la célébrissime nouvelle To serve man (1951), qui avait été adaptée pour la série The Twilight Zone en 1962 et dont la trame est connue bien au delà du cercle des amateurs de science-fiction. On note que To serve man et Une petite merveille partagent une chute liée à un problème de traduction. []
  2. Les IAs de génération d’images ne sont pas qu’une menace pour les créateurs, elles peuvent être détournées, elles peuvent être des outils de création,… Mais les illustrateurs qui s’inquiètent n’ont pas forcément tort. J’ai évoqué la question en détail dans le troisième numéro du magazine Illuzine. []

La Grande Grammatisatrice automatique (1953)

février 14th, 2023 Posted in Création automatisée, Ordinateur célèbre, publication électronique, Vintage | No Comments »

(Attention, je raconte l’histoire !)

La Grande Grammatisatrice automatique est une nouvelle de Roald Dahl, parue en 1953 sous le titre The Great Automatic Grammatizator, dans le recueil Someone Like You et, en France, dans le recueil Bizarre! Bizarre!, publié en 1962.

Adolphe Knipe, jeune ingénieur de génie, créateur d’un super-calculateur, a pour rêve secret de devenir écrivain, mais il est désespéré de constater qu’aucune revue ne s’intéresse aux nouvelles qu’il envoie. Il conçoit alors un projet qui le vengera : une nouvelle machine dont le but n’est pas d’effectuer des calculs mais d’écrire des textes. Constatant que chaque revue a ses goûts, son style, qu’il existe des constantes dans tous les textes, et que la grammaire repose sur des règles immuables, il lui semble possible de mécaniser la littérature. Il essaie alors de convaincre son employeur, Bohlen, de financer la machine qui pourra rendre les écrivains inutiles, en saturant le monde éditorial de nouvelles vendues pour la moitié du tarif habituel.

Pourquoi ne pas considérer une œuvre littéraire comme une marchandise comme un article que l’on peut fabriquer, une chaise, un tapis, par exemple ? Pourvu que les commandes soient livrées à temps, qui s’inquiétera de l’origine de la marchandise ? Nous allons anéantir tous les auteurs en leur coupant l’herbe sous les pieds ! Nous accaparerons le marché de la nouvelle, monsieur !

Bohlen n’est pas tout à fait convaincu par le discours comptable de Knipe — il est d’abord surpris d’apprendre que les écrivains tirent des revenus de leur travail —, mais quand son employé lui fait miroiter la perspective de signer certains textes de son nom, il se rêve en littérateur respecté.
La machine est construite, et malgré quelques ratées au début, s’avère diablement efficace. En un rien de temps, Bohlen et Knipe fondent une agence littéraire qui propose à tous les éditeurs des textes signés de leurs noms mais aussi de ceux d’une quinzaine d’auteurs inventés. Enfin, ils parviennent à modifier l’engin pour produire des romans entiers. Ils peuvent alors proposer à des écrivains déjà célèbres de laisser la machine œuvrer à leur place, sous leur nom, contre une généreuse compensation financière, et avec l’assurance que leurs prochains romans seront meilleurs que s’ils les avaient écrits eux-mêmes.

J’ai demandé à l’IA Stable diffusion d’illustrer le prompt a machine wrote a novel.

Un peu comme le Literary Engine de l’Académie de Lagado imaginé deux siècles plus tôt par Jonathan Swift dans le troisième Voyage de Gulliver1, la Grande Grammatisatrice automatique est pour son auteur le prétexte à une réflexion moqueuse sur la valeur des textes. Swift imaginait une machine à produire les textes universitaires afin de dénoncer le manque d’intelligence et d’originalité dont été constitué selon lui la littérature académique. Roald Dahl, de son côté, parle de plusieurs choses à la fois : la littérature commerciale ; les écrivains qui répètent une formule ; la fragile intégrité des créateurs ; les difficultés matérielles éprouvées par les écrivains ; les aspects mercantiles de l’écriture ; la jalousie professionnelle ; la tentation de facilité ; et enfin, la dévaluation du travail par la mécanisation.
En 1953, Alan Turing (mort l’année suivante) avait déjà écrit son célèbre texte Computing Machinery and Intelligence, qui évoquait l’idée que les messages produits par un ordinateur puissent être pris pour des messages issus d’êtres humains, et la science-fiction commençait à s’emparer de l’idée de l’ordinateur pensant2. L’idée d’un générateur de textes littéraires se trouve déjà dans le 1984 de George Orwell (1949), avec le « Versificateur », un « genre de kaléidoscope spécial » utilisé par le Ministère de la Vérité pour produire des textes ineptes aptes à distraire le peuple3 — que Roald Dahl avait sans doute lu.

Le texte de Roald Dahl est vieux de soixante-dix ans, mais il trouve une certaine actualité au moment où les technologies de production de texte telles que GPT-3 semblent avoir franchi un cap et provoquent un véritable emballement médiatique autant que des inquiétudes, pas nécessairement infondées, chez de nombreux professionnels du texte — universitaires, journalistes ou traducteurs.

  1. Le texte de Swift date de 1735. Lire l’article Le générateur littéraire de l’Académie de Lagado. []
  2. Par exemple avec Un logic nommé Joe, de Murray Leinster, dès 1946. []
  3. « There was a whole chain of separate departments dealing with proletarian literature, music, drama, and entertainment generally. Here were produced rubbishy newspapers containing almost nothing except sport, crime and astrology, sensational five-cent novelettes, films oozing with sex, and sentimental songs which were composed entirely by mechanical means on a special kind of kaleidoscope known as a versificator ».
    George Orwell, Nineteen eighty four, 1949. []

Littératures graphiques contemporaines #12.2 : Pascal Valty

février 12th, 2023 Posted in Bande dessinée, Conférences | No Comments »

Vendredi 17 février 2023, le cycle de conférences Littératures graphiques contemporaines accueillera Pascal Valty.

Formé au design, Pascal Valty a d’abord mené une carrière de graphiste, de motion-designer, de scénographe et d’auteur multimédia. Il a notamment enseigné ces disciplines à l’école d’art et de design d’Amiens et à l’école nationale supérieure de création industrielle à Paris.
Plus récemment, il s’est engagé dans une activité d’auteur et d’éditeur de bande dessinée.

La rencontre aura lieu le vendredi 17 février à 15 heures, en salle A-1-175. Cette seconde séance de la douzième année du cycle de conférences est ouverte au public extérieur, dans la mesure des places disponibles.

Littératures graphiques contemporaines #12.1 : Hélène Bruller

février 4th, 2023 Posted in Bande dessinée, Conférences | No Comments »

Vendredi 10 février 2023, le cycle de conférences Littératures graphiques contemporaines accueillera Hélène Bruller.

Ancienne étudiante de l’école nationale supérieure des Arts décoratifs, Hélène Bruller est une scénariste et dessinatrice de bande dessinée. Son travail est en grande partie focalisé sur l’humour, parfois sous forme d’auto-fiction. Avec son dernier album, Les animaux dénaturés, adapté d’après le livre éponyme de son propre aïeul Vercors (Jean Bruller, dit) et en collaboration avec le dessinateur Joseph Falzon, elle s’autorise une version très libre et dynamique d’un roman philosophique qui explore la frontière entre l’humain et l’animal.

La rencontre aura lieu le vendredi 10 février à 15 heures, en salle A-1-175. Cette première séance de la douzième année du cycle de conférences est ouverte au public extérieur, dans la mesure des places disponibles.

<=280

février 1st, 2023 Posted in Lecture, Personnel, Processing | 4 Comments »

Ces dernières années, je me suis amusé à publier sur Twitter des programmes écrits en langage Processing, chaque fois accompagnés de l’image générée par l’exécution du code. L’idée de faire tenir dans deux-cent-quatre-vingt signes, ou moins, un code capable de produire une image parfois très complexe en apparence, est un défi qui m’a forcé à trouver toutes sortes d’astuces, et même à mieux comprendre certains des principes logiques ou mathématiques auxquels j’ai recours.
Quand j’ai eu une quarantaine, j’étais assez fier de la somme produite, et puis j’ai doublé, triplé, quadruplé le nombre… À présent, j’ai suffisamment de programmes pour me permettre d’en faire une sélection et pour en faire un livre. J’ai rencontré Tarek Issaoui, de RRose éditions, qui s’est tout de suite montré enthousiaste à l’idée d’une édition de deux-cent-quatre-vingt (forcément) programmes de deux-cent-quatre-vingt-signes (ou moins). RRose éditions est un éditeur d’art contemporain qui porte notamment un vif intérêt aux créations qui questionnent les outils et les processus numériques. On y trouve par exemple un roman que Grégory Chatonsky a écrit en collaboration avec une Intelligence artificielle ; un livre danalyses d’œuvres de Claude Closky rédigées par un mystérieux critique en ligne ; et même un livre d’images générées par des données, signé par Casey Reas, un des deux créateurs du langage Processing.

(photo : éditeur)

Plutôt que de mettre le livre en page à l’aide d’un logiciel dédié, j’ai créé sur mesure un logiciel capable de parcourir chaque sous-dossier et d’en extraire les programmes et les images afin de produire un livre en pdf mis en page de la manière souhaitée. La gestion des pdfs par Processing est un peu fruste (pas de traits de coupe, aucun moyen de renseigner la résolution), mais avec un peu de calcul et un peu d’aide de l’imprimeur, le résultat s’est révélé prêt à être imprimé. Le livre sort aujourd’hui.
Le hasard veut qu’en février 2023 le mois de la sortie du livre, Twitter s’apprête à connaître un changement radical : le nombre de signes dans un tweet va passer à quatre mille. Twitter ne sera plus le royaume de la pensée condensée, du bon mot efficace… Et ça n’aura plus vraiment de sens d’y publier des programmes informatiques ultra-courts. On ne pouvait sans doute pas trouver de moment plus approprié pour la sortie de ce livre.
L’objet est au format d’un roman, je le trouve très satisfaisant à tenir en main et à regarder. Sur la couverture, on voit une forme programmée, et sur la quatrième, ni code-barre, ni prix, ni biographie, ni aucune autre mention qui arrange les diffuseurs, on ne trouve que le programme qui a servi à réaliser l’image. Difficile de faire moins bavard.

On peut commander le livre sur le site de RRose éditions, et, si l’on ne veut pas payer les frais de port, on peut le trouver dans quelques points de vente, par exemple dans la librairie de la galerie Yvon Lambert et au Monte-en-l’air, à Paris, chez Hatch, galerie du livre et de l’image imprimée, au Havre, et enfin dans le fonds de Christophe Daviet-Thery, libraire atypique, sans point de vente.
Le prix est de treize euros. L’ouvrage, publié à trois-cent exemplaires, n’est pas destiné à connaître un nouveau tirage lorsque le stock sera épuisé. À bon entendeur, salut !

<=280
format : 12 x 19 cm, 284 pages
ISBN : 978-2-9586199-0-9
13 euros

(mise-à-jour du 19/02/2023 : le livre a été épuisé en huit jours !)