Alain Finkielkraut et les gilets jaunes

Des gilets jaunes auront réussi à me faire prendre position en faveur d’Alain Finkielkraut. Super.
Comme je m’en plaignais, quelqu’un a cherché à me consoler en interprétant mes motivations :
« tu ne prends pas position pour Finkielkraut mais contre l’antisémitisme ».
Mais en fait, je dois le confesser, ce n’est pas tout à fait exact, et c’est en vérité autant pour Finkie en tant que personne que je manifeste mon soutien, que par répulsion pour l’antisémitisme. Comme tout le monde, je suis facilement irrité par Alain Finkielkraut et son passéisme réactionnaire, mais je dois lui reconnaître cette vertu : lui il ne se cache pas dans le nombre, il est plutôt du genre à s’exposer, et même à accepter le débat — car même si le dispositif est souvent biaisé1, il invite bel et bien des gens avec qui il est en désaccord dans son émission, et même si lui-même n’en tirer jamais durablement de conclusion, il arrive que ses joutes verbales se retournent contre lui.

Même si je pense qu’il a tort en à peu près tout (mais cela ne le rend pas inutile : une montre arrêtée donne l’heure juste deux fois par jour), il n’est pas malhonnête. Il est d’ailleurs le premier à avoir fait remarquer que les gilets jaunes qui l’ont invectivé et dont les images tournent n’étaient pas forcément en majorité, que d’autres au contraire lui ont parlé aimablement et que certains l’ont même invité à se joindre à eux. Même s’il y a parfois une pointe de masochisme dans sa manière de s’exposer, c’est un masochisme que je comprends plutôt, que je trouve presque touchant. Entre une foule et un individu, je n’ai pas besoin de réfléchir longtemps, en fait.

  1. La méthode d’Alain Finkielkraut est souvent d’inviter un « pour », un « contre » et de se poser en modérateur… Mais en modérateur qui a généralement clairement choisi son camp, ce qui au lieu de donner un « pour », un « contre » et un « neutre » donne plutôt un débat good-cop bad-cop à deux contre un. []

2 réflexions sur « Alain Finkielkraut et les gilets jaunes »

  1. Enzo33

    Salut Jean-No,

    C’est toujours un plaisir de te lire, mais pour une fois je ne te rejoins pas tout à fait.

    Alain Finkielkraut est bien plus qu’un philosophe réactionnaire et polémiste pour plateaux télé. Il est auteur de nombreuses violences dites « symboliques » qui ont largement contribué à envenimer ce qui fait lieu de débat en France. Et j’ai beaucoup de mal à imaginer que ce soit par masochisme qu’il s’est invité au banquet des Gilets jaunes. Sa venue à Nuit debout avait eu pour effet de braquer l’opinion publique contre le mouvement (ils s’en sont pris à un philosophe Juif qui bien entendu n’était venu que pour les écouter, ils étaient donc violents et antisémites), et l’incident avec les Gilets jaunes est en train de prendre la même tournure.

    On ne peut répandre sempiternellement des messages de haine dans la société française, et ensuite feindre la surprise quand on reçoit les retours de cette haine. Si Finkielkraut avait écrit des livres sur la précarité sanitaire des sans-papiers qui vivent autour du périphérique de Paris, il aurait reçu un tout autre accueil.

    En me lisant, tu penseras peut-être que je cautionne la violence. Ce n’est pas le cas. Par contre, je voudrais mettre en relief cette violence avec la violence symbolique dont nos récents gouvernements se sont rendus coupables, aidés par leurs tueurs à moto médiatiques.

    Quand un cadre d’Air France se fait arracher sa chemise par des salariés en colère, c’est un retournement par l’image du sens de l’événement, justement parce que nous avons les images d’une partie de l’événement mais pas du reste. Jean-No, franchement, est-ce que tu préfères rentrer chez toi et annoncer à ta famille que tu as perdu ta chemise, ou ton boulot ? Si tu hésites encore sur la réponse, je te rappelle qu’à ce moment-là 2900 personnes ont perdu leur job, et une seule a perdu sa chemise. Mais aucune caméra n’est venue filmer la détresse de 2900 personnes qui sont rentrées chez elles pour annoncer la grande nouvelle. En montrant le cadre qui a perdu sa chemise, l’image légitime un plan social en ne le questionnant pas, d’ailleurs il n’en a été question que sous l’angle de la chemise arrachée. Ca c’est de la violence symbolique, d’un niveau inouï. Le message est parfaitement clair : souffrez, mais en silence s’il vous plait, vos cris nous dérangent.

    L’antisémitisme des Gilets jaunes…

    Finkie ne ménage pas ses efforts pour faire passer pour de l’antisémitisme pur et simple les réticences légitimes que son personnage public suscite. Je ne ferai pas à M. Finkielkraut le cadeau d’écouter le récit – héroïque, à n’en pas douter – de son immersion dans ce bas peuple insubordonné badigeonné de jaune.

    En revanche, je suis tombé par hasard sur l’une des premières vidéos filmant des Gilets jaunes « antisémites », qui nous expliquaient doctement que les chambres à gaz ne sont qu’un détail de l’histoire (ou qu’elles n’ont pas existé, je te laisse rayer les mentions inutiles). L’extrait n’est pas filmé avec un portable, tout laisse à penser que ce sont les caméras de France Télévisions qui ont capté ce moment magique. Un minimum de mise en scène a donc été nécessaire pour que cet extrait existe. Je me mets à la place de l’un de ces types, s’il s’est laissé filmer en train de tenir de tels propos, il est évidemment antisémite, mais il est surtout complètement con. Et comme les caméras de France Télévisions se sont rendues coupables d’un certain nombre de bidonnages purs et simples depuis de nombreuses années, j’ai beaucoup de mal à croire à ce que je vois. Soit ils ont vraiment bien cherché pour trouver de tels abrutis (et ça prend du temps), soit ils ont fait leur petit montage dans leur coin, avec des personnes qui ne sont pas antisémites mais qui avaient bien envie de décrédibiliser les Gilets jaunes ; ça n’a pas coûté un euro, vu qu’un gilet jaune est censé équiper chaque véhicule. Et il faut reconnaître que c’est efficace. Je note simplement que si les caméras de France Télévisions s’étaient penchées sur l’antisémitisme supposé des manifs de Charlie en janvier 2015, ils auraient pu le trouver. A titre personnel, ce jour-là, je me suis retrouvé à côté de gens qui expliquaient que le lobby juif était derrière l’attentat de l’hyper cacher. Les caméras n’ont pas capté ces instants, parce qu’elles ne cherchaient pas à capter cette sensibilité des manifs de Charlie. Elles ont plutôt cherché des Arabes, musulmans si possible, les pauvres ils sont plus faciles à repérer que les antisémites. Et elles ont réussi à faire croire qu’ils étaient nombreux ce jour-là, et que c’était la France entière qui était dans la rue, ce que des études sociologiques sur les manifs de Charlie ont toutes démenti catégoriquement. Et si les caméras captent des Gilets jaunes antisémites, c’est parce qu’il en existe, et c’est aussi parce qu’elles en cherchent. Point.

    Du reste, je ne doute pas que les Gilets jaunes contiennent de véritables antisémites, comme semblent en témoigner certaines pancartes. Des antisémites, j’en ai dans ma famille, ils sont drôles et attachants, mais quand ils m’expliquent que le lobby juif est derrière la panthéonisation de Simone Weil, j’ai quelques difficultés à rester à table. Ils ont tous été de bons communistes, ils le sont restés d’une certaine manière : je les ai vus l’été dernier, début juillet, à la fin de la Coupe du monde. Les Croates étaient des Oustachis quand ils affrontaient la Russie en quarts, puis ils sont redevenus des prolétaires quand ils ont affronté l’Angleterre et la France.

    Tout ceci nous amènerait à des développements longs et incertains, je veux juste te dire que l’antisémitisme de gauche, je connais. Et c’est laid. Franchement laid.

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  2. Jean-no Auteur de l’article

    Finkie aime bien faire le kéké, mais il faut reconnaître cette fois que la manif passait chez lui !
    On dit beaucoup que Finlielkraut promeut la haine, mais je ne sais pas dans quelle mesure c’est juste. Il a de super casseroles, il est vrai, comme quand il a expliqué qu’il y avait trop de noirs dans l’équipe de France ou quand il a relativisé le viol pédophile commis par Polanski. Mais quand il garde son calme, que les enjeux ne sont pas trop affectifs, il est capable d’une certaine honnêteté intellectuelle, et il n’est pas toujours où on l’attend – son émission récente sur les gilets jaunes, justement, était plutôt bienveillante m’a-t-on dit. Et cette fois-ci, c’est lui-même qui dit qu’il ne faut pas utiliser cet incident pour condamner les gilets jaunes dans leur ensemble, et qu’il n’a pas, lui, entendu crier « sale juif ». Je ne suis jamais d’accord avec Finkielkraut, mais dans le registre « essayiste médiatique » il me semble moins malhonnête que d’autres. Et notamment au sujet de l’instrumentalisation politique de l’antisémitisme – deux phénomènes (l’antisémitisme et son exploitation politicienne) qui me semblent malheureusement s’entretenir dans un cercle vicieux qui va coûter cher à beaucoup de monde.

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