De l’anti-footisme

Je suis anti-football, je ne peux pas m’empêcher de manifester cette hostilité, comme si je ressentais le besoin irrépressible de me montrer désagréable envers ceux qui suivent les matchs avec fièvre, alors que je pourrais me contenter d’y être indifférent comme je suis indifférent à l’existence de bien d’autres passe-temps que je ne partage pas.
Mais c’est plus fort que moi.
Je n’en tire pas fierté, on ne saurait se sentir philosophiquement satisfait de réagir de manière automatique, à une pulsion « plus forte que soi ». Et puis je sais qu’au fond ce n’est pas très gentil de tenir constamment à faire savoir qu’on n’aime pas, voire qu’on méprise, les passions d’autrui. Et pire, en étant anti-football, je suis m’inscris moi-même dans un cliché, car même s’il semble minoritaire lorsqu’on allume le poste de télévision ou qu’on sort dans la rue un soir de match international, le discours anti-football est plutôt banal, et s’accompagne d’un ramassis de poncifs auxquels je ne souscris d’ailleurs pas forcément.

Je trouve assez suspect, par exemple, de faire remarquer que les footballeurs sont des millionnaires qui courent sur une pelouse pour distraire des pauvres. Car j’entends dans cette phrase si souvent proférée l’idée qu’il est illégitime pour un enfant de prolétaires de devenir riche, chose qu’on se garde de reprocher à toutes sortes de gens bien plus riches mais dont la fortune n’est parfois fondée que sur le talent d’être né dans le bon château.
Les footballeurs ne sont pas que des enfants de prolétaires, ils sont eux-mêmes les prolétaires ultimes, puisque l’unique chose qu’ils possèdent, c’est leur force de travail, c’est leur corps, et il suffit qu’ils prennent un mauvais coup au genou pour ne plus être grand chose dans leur domaine, comme feu mon beau-père Franko, un Croate, d’ailleurs, (enfin Yougoslave à l’époque) qui a joué en France et qui du jour au lendemain est passé du sport de haut-niveau à une existence de simple ouvrier .
J’ai cru comprendre que les choses se sont un peu améliorées depuis les années 1960, on ne traite plus les footballeurs professionnels comme des chevaux de galop que l’on abat lorsqu’ils se sont fait une entorse, on les prépare activement à leur vie d’après, on leur apprend à gérer leur argent, à investir, et on surveille leur santé. Et c’est très bien.
Le public est à mon avis conscient du statut prolétaire des footballeurs et c’est bien ce qui fait d’eux des héros populaires, et ce qui fait d’eux bien autre chose que des « millionnaires ».

Tous les français ne soutiennent pas l’équipe de France, mais ça peut être pour de bien mauvaises raisons, comme « Riposte laïque », site web facho qui se fait passer pour défenseur de la laïcité mais semble vivre dans l’obsession du phénotype des joueurs, nommant les tricolores « équipe d’Afrique de France » et soutenant d’office les Croates non pour leur talent mais parce qu’ils ont tous la peau claire.

Le sport lui-même

Le football est avant tout une culture, j’en donnerai une définition plus loin, mais c’est aussi un sport. Et un sport sans doute plaisant à pratique. Taper dans un ballon est une activité plaisante, et les jeux d’adresse (viser juste avec le ballon) aussi. J’imagine que la stratégie d’équipe constitue également une expérience intéressante à vivre — et c’est en tout cas une chose que les gens aiment regarder. Mais le football est aussi un sport interminable (le temps d’un film !), où les équipes passent leur temps à aller dans un sens, à revenir, à repartir, à re-revenir, et où il peut ne rien se passer pendant quatre-vingt dix minutes (sauf, souvent, au moment où on est aux toilettes). J’y vois aussi des grands dadais se rentrer dedans puis se mettre en position latérale de sécurité grimaçante pour faire croire à l’arbitre que c’est l’autre le méchant, puisqu’il mime moins bien la douleur. À présent que les matchs sont filmés en gros plan, les joueurs m’apparaissent comme des gens dont la première caractéristique est de passer leur temps à cracher par terre. Peut-être qu’ils crachaient tout aussi fréquemment avant, peut-être que courir dans tous les sens pousse à glavioter, mais ça n’en est pas moins dégoûtant et cela constitue un mauvais exemple. Depuis quelques années, dans les rues de Paris, et même parfois dans les rames de métro, je vois les ados et les jeunes adultes cracher facilement, bien plus facilement qu’il y a trente ans, ce qui me semble sale et peu hygiénique. Je peux me tromper mais je crois bien que le football y est pour quelque chose : à défaut de jouer comme Zidane, on peut porter son maillot, ses chaussures, et puis cracher.

Même un quotidien réputé pour sa distance tel que Le Monde semble gagné par la ferveur quasi religieuse qui entoure le football.

Le football, pour moi, c’est aussi de mauvais souvenirs d’école, mais je vais tenter de ne pas trop y penser, histoire de tenter de rester objectif.

La culture

Le football n’est pas seulement, voire pas vraiment un sport, un jeu, car il y a bien plus de spectateurs que de sportifs. Le football est une culture, c’est à dire un ensemble d’institutions, de lieux, de rites, d’objets et de références qui rassemblent une communauté de personnes. Et c’est, bien entendu aussi, une économie. Cette culture a deux faces. Le premier, c’est le plaisir du spectacle sportif, le plaisir de se rassembler pour participer ou assister à des exploits sportifs. Ça me semble positif et sympathique, pas de problème. Le second volet, la face sombre, c’est tout le reste : les supporteurs qui s’affrontent physiquement dans une furie patriotique (que la patrie soit le village, la ville ou le pays), et la joie parfois effrayante des supporters des équipes victorieuses. Il y a quelques jours, la France a remporté un match et j’ai vu des gamins au permis tout frais faire d’absurdes tours de mon pâté de maisons (alors que ma rue est censée être interdite à la circulation) en hurlant par leurs fenêtres, d’où dépassaient des drapeaux bleu-blanc-rouge. Ce drapeau n’est pas le drapeau de la Révolution française, qui était à l’origine rouge-blanc-bleu. En revanche c’est bien le drapeau qu’on a utilisé pour envoyer un million et demi d’hommes mourir dans les tranchées pendant la grande guerre, c’est le drapeau de l’Empire colonial français, le drapeau des guerres napoléoniennes ou de Vichy (légèrement modifié dans l’un et l’autre cas), enfin un drapeau qui a du sang sur les mains, si j’ose dire, et qui a finalement failli me tuer moi aussi la semaine passée, car les jeunes chauffards, rendus imprudents par leur joie, m’ont dangereusement frôlé.
Bien entendu, le football n’est pas la seule occasion qui existe pour voir des gens s’aviner et agir de manière inconsidérée dans l’espace public, mais c’est une des rares où une énorme quantité de gens fait ça exactement en même temps.
Vu de l’extérieur, entre les drapeaux, la marseillaise, les cris et la détestation de l’adversaire, le football ressemble beaucoup à la guerre. Peut-être que c’est une façon d’éviter la guerre, après tout, en s’en tenant au simulacre, mais ce n’est pas certain, ça ressemble parfois à un entraînement, à une répétition. Et on peut régulièrement vérifier que ce sport s’accommode sans problème de la dictature, quand il n’est pas un outil de manipulation des foules ou de propagande étatique ou géopolitique.
Il y a beaucoup de dégradations et de violences (et même des accidents mortels) en marge des matchs importants, mais même si les médias les recensent, je note que c’est avec une certaine indulgence, avec bien plus d’indulgence en tout cas qu’avec les débordements équivalents qui entourent des manifestations politiques. Un abribus cassé par des supporters relève du phénomène naturel tandis que si c’est en marge d’un cortège opposé à une loi récente, ça devient un objet de débat public : « les manifestations vont-elles trop loin ? ». On demandera à un leader syndical de condamner des violences mais je ne croie pas qu’on demande la même chose au président de la FIfa ou à l’entraîneur de l’équipe de France.

Un dessin du caricaturiste brésilien Latuff, triste personnage surtout célèbre pour avoir remporté le deuxième prix au « Concours international de caricatures sur l’Holocauste » organisé en 2006 par l’Iran en réponse aux caricatures de Mahomet. Le dessin ci-dessus me semble prouver que beaucoup investissent dans les compétitions sportives bien d’autres choses que du sport, et voient des implications historiques (la Croatie – comme la France du reste – a eu un gouvernement fasciste pendant la seconde guerre mondiale) là où il est peu probable que les sportifs eux-mêmes se sentent concernés par des histoires qui se sont déroulées un demi-siècle avant leur naissance..

La magie

Le Football me semble aussi constituer une opération chamanique, et c’est quelque chose d’un peu émouvant : des millions de gens semblent vraiment convainquis qu’une partie d’eux-mêmes est mystérieusement reliée aux onze personnes qui courent sur le terrain, et que la défaite de l’équipe est leur défaite, et surtout, que sa victoire est leur victoire. Ils disent « on a bien joué » comme s’ils avaient eux-mêmes usé leurs crampons. Là encore, quand on n’est pas capable de comprendre, ou plus exactement de ressentir cette magie, elle est bizarre et effrayante. Des gens sans lien les uns avec les autres, qui peut-être se détestent politiquement ou personnellement, constituent soudain une communauté non autour d’idées, de valeurs ou d’un sentiment affectueux quelconque, mais contre des personnes identifiées comme ‘l’adversaire », « l’ennemi », enfin « l’autre », celui dont la douleur est notre plaisir et inversement. La neurologie a malheureusement démontré que si nos circuits de la douleur s’activement lorsque nous voyons des gens auxquels nous nous identifions souffrir physiquement, la souffrance d’une personne « autre » nous est nettement plus indifférente, et lorsque cet autre est un adversaire (même sportif), ce sont nos circuits neuronaux du plaisir qui s’activent. Ce mécanisme, qui s’explique bien du point de vue de la survie de l’individu au sein du groupe, est le fondement naturel du racisme, mais il n’est pas forcément lié au phénotype : porter l’écharpe du club adverse vous transforme en « l’autre ».
Ce soir, après la victoire de la France, les églises ont sonné. Dieu est censé avoir choisi l’équipe « bleue » plutôt que l’équipe à damiers ?

L’enthousiasme de la victoire libère certains élans d’amour et délie les langues de gens qui, j’en fais le pari, sont en règle générale plutôt du genre à exprimer des pensées homophobes que le contraire…
Sur un sujet voisin, sur Twitter quelqu’un a compilé une impressionnante collection de témoignages d’agressions sexuelles subies en de la part de supporters que la victoire rend tout-permis.

En conclusion, il me pèse un peu d’être anti-football. Non parce que ça me place en minorité, certainement pas, car en bon anarchiste individualiste, être minoritaire est un sentiment qui m’est agréable, mais parce que je constate que je suis moi aussi un cliché en étant anti-foot, que j’appartiens aussi à un groupe, que je m’inscris peut-être même dans une forme de mépris de classe. J’écris « peut-être » car je ne pense pas que ce soit le caractère populaire du football qui me fasse fuir ce sport, c’est plutôt la forme que prend cette popularité. Quoi qu’il en soit, je crains de devoir admettre que je fais partie de ces pisse-froids qui semblent tirer un plaisir au fait de ne pas aimer ce que les autres aiment. Il en faut bien, non ?
Et comment faire autrement que de râler ? De l’extérieur, la frénésie qui entoure la balle-au-pied est passablement effrayante, et je me sens autant en décalage avec les sentiments que semblent expérimenter les supporters que je me sens éloigné d’une personne en train de vivre une crise  psychotique. Je ne traite personne de dément (étant minoritaire, c’est forcément moi le fou, du reste), entendons-nous bien, je dis juste que je n’arrive pas à partager ces sentiments, ces sensations, ces emballements. J’ai un peu essayé, à une époque, comme on se force à aimer la cigarette, la bière ou le café.
Pour la cigarette, la bière et le café ça a un peu trop bien fonctionné, mais pas pour le football.

Lire ailleurs ; Paris, 15 juillet 2018, 17h01-17h26, très intéressant texte du médiéviste Paul Bertrand, que l’observation de la frénésie footbalistique fait réfléchir aux moments du passé qui sont inaccessibles aux historiens. Par Daniel Schneidermann, Poutou, grincheux officiel du Mondial, dont j’extrairai cette phrase : « Car le supporteur de foot ne se contente pas de savourer la joie d’oublier le reste du monde (les licenciements, les réfugiés, etc.). Il a la joie partageuse, et susceptible. Ne pas partager sa joie est suspect. La moquer, c’est l’offenser, lui ».
Et puis sur le présent blog, deux articles qui ont plus de cinq ans mais où je dis plus ou moins les mêmes choses – plutôt mieux je crois : Pas grand chose à foot et Like a foule.
Nota : comme on me l’a fait remarquer ailleurs, mes propos concernent le football masculin.

10 réflexions sur « De l’anti-footisme »

  1. MathildeM

    Merci pour cet article !
    Personnellement, je me fiche du foot, jusqu’à ce qu’on me l’impose dans tous les aspects du quotidien (au travail, dans la rue, sur les réseaux sociaux, dans les journaux, dans le voisinage…)
    Sinon pour l’anecdote, la phrase « Peut-être que c’est une façon d’éviter la guerre, après tout, en s’en tenant au simulacre… » m’a rappelé qu’une vraie guerre avait effectivement éclaté suite au résultat d’un match entre le Honduras et le Salvador pour les éliminatoires de la coupe du monde de 1970. Evidemment, le match n’était pas la réelle cause, plutôt un catalyseur, mais je vous recommande l’article wikipédia si vous ne connaissez pas cette histoire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_Cent_Heures

    Répondre
  2. Lorey

    Bonsoir, je partage beaucoup de vos réflexions et un sentiment angoissant face à cette forme de totalitarisme sportif, un envahissement disproportionné de l’espace social et des médias. Beaucoup de bonnes intentions manifestées partout mais une angoisse face à ces nouvelles divinités qui perdent plus qu’elles ne montrent un but (sans mauvais jeu de mot !) qui vaille la peine. Quand aux cloches ne surinterprétez pas : il était 19h, heure de l’angélus du soir ;). Merci en tous cas d’exprimer ce que beaucoup ressentent.

    Répondre
  3. Chelpo

    Un article intéressant… mais qui m’a laissé un sentiment en demi-teinte.

    Je dois d’abord reconnaître avoir été tout à fait d’accord avec la première partie. Là-dessus, cher auteur qui que vous soyez, je vous rejoins entièrement.
    Mais ensuite… mais ensuite.

    La partie sur le drapeau m’a d’abord contrarié. Loin de moi l’idée de jouer au vieux réac (la raison m’en garde, je ne suis ni l’un ni l’autre), mais je trouve un peu facile de jouer les vierges effarouchées ; « ah oui mais le drapeau de la Révolution, le vrai, est rouge-blanc-bleu ; le bleu-blanc-rouge n’est que le vil étendard pourri et fascisant de Napoléon, de la colonisation, de Vichy et de la guerre de 14 ». Mettons de côté le fait que le drapeau vichyste portait la francisque (si on l’inclut, pourquoi ne pas inclure celui de la Yougoslavie ? il est aussi bleu-blanc-rouge), et que la colonisation a commencé bien avant l’usage du tricolore moderne — je voudrais simplement revenir sur l’exemple de la première guerre mondiale, qui fut, certes, une incroyable boucherie ; mais peut-on vraiment reprocher au gouvernement français d’avoir voulu défendre le pays qu’il avait à charge ? Jouer la carte du pacifisme n’aurait rien changé, et ce ne sont pas les Belges qui me contrediront.

    Par ailleurs, comparer le million et demie de morts dans les tranchées, la déportation de dizaine de milliers de citoyens français par le régime de Vichy, ou encore la conquête brutale de vastes parties du monde avec le fait de s’être fait presque renverser (« dangereusement frôlé » nous dit-on) par des post-ados dans leur voiturette, ça me choque. Au CP, on apprend à « ne pas comparer des pommes et des bananes » ; il serait de toute évidence bon d’apprendre aussi à ne pas comparer une guerre mondiale et un accident de la route (fût-il mortel).

    Une autre comparaison heureuse suit cette dernière de près : en effet, notre pays, avec son enthousiasme patriotique et ses slogans nationalistes, semblerait être « en guerre ». Voici une comparaison que, je n’en doute pas, les réfugiés syriens apprécieront tout particulièrement.
    Quant au fait que le sport se prête si bien aux régimes totalitaires, ce n’est pas une nouveauté — le camarade Staline n’en disait-il pas qu’il s’agissait de « la vitrine de la nation » ?

    Vient ensuite un passage sur les caricatures racistes, autre grand moment classieux et raffiné des compétitions sportives en tout genre. L’auteur nous dit en substance qu’il n’est pas sûr que les joueurs aient une quelconque idée des conflits qui ont précédé de plus de cinquante ans leur naissance. Je hausse alors un sourcil et m’égosille : référence nécessaire !…
    Ce pour deux raisons. La première, c’est que cela fait déjà longtemps que l’on pointe du doigt les compromissions extrême-droitières des supporters croates, qui sont parfois plus oustachis que spectateurs. Les footeux, aussi bête soient-ils, n’ont raisonnablement pu passer complètement à côté d’un sujet qui entâche l’image de leur pays depuis plusieurs années déjà. La seconde, c’est que les Balkans ont été, il y a vingt-cinq ans, le théâtre d’un épi-phénomène sobrement intitulé « guerre de Yougoslavie », lequel a déchiré le pays, ravivé des tensions qui étaient en latence depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et provoqué moult horreurs et massacres. Sachant à quel point la mémoire des guerres de Vendée (il y a 230 ans) est vivace dans le département éponyme, je me demande par quel miracle une guerre vieille de vingt-cinq ans (au plus) peut passer pour une vieillerie démodée.

    Quant au fait que la France ait eu un gouvernement fasciste pendant la guerre, ça me paraît être un fait de notoriété commune, dont le rappel sonne étrangement comme une tentative de dédouaner le régime oustachi de ses crimes.

    En ce qui concerne le paragraphe suivant, c’est plus anecdotique mais je pourrais très bien vous répondre que : « des gens sans lien les uns avec les autres, qui peut-être se détestent footbalistiquement ou personnellement, constituent soudain une communauté non autour d’idées, de valeurs ou d’un sentiment affectueux quelconque, mais contre des personnes identifiées comme ‘l’adversaire », « l’ennemi », enfin « l’autre », celui dont la douleur est notre plaisir et inversement. » En d’autres termes, des supporters de clubs rivaux se réjouissent ensemble de la victoire de leur candidat aux élections présidentielles. Mais je reconnais que la métaphore raciste marche mieux lorsqu’il s’agit de football.

    En conclusion (car il en faut bien une), continuez de critiquer autant que vous voulez les crachats, les salaires des footballeurs et l’engouement médiatique qui entoure cette coupe du monde, mais de grâce, ne racontez pas n’importe-quoi pour soutenir un message anti-nationaliste tant primaire que biaisé. Ou alors, si vous y tenez vraiment, allez le faire en Allemagne : vous verrez qu’ici, l’alchimie footballo-patriotique atteint un tout autre niveau qu’en France.

    Répondre
    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Chelpo : C’est un réflexe normal de considérer qu’un interlocuteur est dans le vrai lorsqu’il pense comme soi, et qu’il se trompe ou sue ses arguments sont biaisés et ignorants dès lors qu’il pense autrement. Je trouve un peu dérangeant que vous citiez mes phrases entre guillemets en y ajoutant des mots de votre crû ! J’imagine que le procédé consiste à interpréter ce que vous pensez que je pense, mais je trouve ça curieux et un peu dérangeant : je n’ai jamais dit que le drapeau français était un « vil étendard pourri et fascisant », juste que ce drapeau n’était pas porteur que de belles choses.

      Pour la guerre de 1914-1918, son déroulement est complexe et ses causes incompréhensibles, mais les rivalités entre empires sont sans doute ce qui a provoqué une série de déclarations de guerres qui ont abouti à un conflit dont personne n’avait anticipé l’ampleur.
      On ne peut pas refaire l’histoire, mais le nationalisme (pas seulement Français, évidemment) me semble être une cause majeure du conflit et de son étendue . Par ailleurs, l’armée française, qui a mis du temps à comprendre que la guerre avait changé, a sacrifié ses soldats de manière assez terrible. Je n’ai pas une grande affection pour le drapeau, donc, mais il n’est évidemment pas la cause de tout. Et qui que soit le déclencheur d’une guerre, chaque fois que les forces en présence se sentent concernées par une cause supérieure plus ou moins irationnelle (divinités, nation, idéologie), le nombre de morts est décuplé. Les guerres qui ne justifient pas l’avidité de ceux qui les déclenchent par de grandes causes ont des effets plus limités.

      Sur la conscience que les footballeurs ont des conflits du passé, je note que peu de Français savent situer la Croatie sur une carte et il est rarissime qu’ils aient une idée de l’histoire de ce pays. Bien entendu, si le match avait opposé Croatie et Serbie, il est absolument certain que pour les joueurs non plus il ne se serait pas agi que de sport. Mais la France et la Croatie ? Je connais un peu les Balkans, mon épouse possède une maison et des oliviers sur une île dalmate.
      Sur le régime de Vichy, je ne dis pas qu’il dédouanne les Oustachis, un crime plus un crime n’ont jamais fait autre chose que deux crimes, je dis juste que le dessinateur semble ignorer que la France et la Croatie partagent l’indignité d’avoir été gouvernés par des régimes fascistes et qu’il est donc absurde de sa part d’imaginer que l’un venge l’histoire de l’autre sur ce point. Par ailleurs même si la Croatie actuelle est bigote et nationaliste, personne à ma connaissance ne s’y réclame du régime Oustachi – tout comme en France personne ou presque ne revendique l’héritage pétainiste.
      Je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire sur les supporters et le président mais peu importe.
      Notez que je ne critique pas les salaires des footballeurs, au contraire, je trouve cet angle curieux.

      Répondre
      1. Chelpo

        @Jean-no : Merci d’avoir pris le temps de me lire et de me répondre.

        J’en appelle à votre indulgence quant aux qualificatifs dont j’ai gratifié le drapeau français. Il s’agissait pour moi d’un procédé de style, un peu malhonnête sans doute, mais je trouvais que l’esprit de votre texte y était assez bien rendu (entre mon drapeau pourri et le vôtre qui a du sang sur les mains, reconnaissez une certaine continuité). Je vous reconnais néanmoins qu’il s’agissait là d’une exagération de ma part, et que vous pouvez, si le coeur vous en dit, remplacer par vos propos exacts — le contenu de ma pensée n’en sera pas changé.

        Je ne nie pas que la France ait eu son mot à dire dans le déclenchement de la guerre, même si son origine serait plutôt à chercher du côté de Berlin (von Moltke, le ministre de la guerre du Reich, s’en considérait par exemple comme le responsable). L’Allemagne a déclaré la guerre à la France, qui était très heureuse de saisir l’occasion. Et si l’état-major a pris du temps à se « mettre au goût du jour » de la guerre moderne, je ne trouve pas non plus que le drapeau, en temps qu’objet, puisse être nommé unique responsable de la chose. Cela dit, j’entends ce que vous dite au sujet du nationalisme.

        Pour la suite : j’entends aussi ce que vous dites.

        En ce qui concerne le président, ce que je voulais dire, c’est que l’on peut y opérer la même comparaison que pour le football : vous vous étonnez de ce que des adversaires politiques communient ensemble dans la victoire de leur équipe (contre l’Autre) ; ce à quoi je réponds que des adversaires footballistiques (mettons les clubs de Paris et de Marseille, dont je pense pouvoir affirmer sans me tromper qu’ils ne s’aiment pas) peuvent aussi communier dans la victoire de leur parti, contre l’Autre qui est cette fois si un adversaire politique.
        Je me relis et me trouve obscur, donc je grossis le trait : le mélenchoniste et le lepéniste sont heureux ensemble de la victoire de la France = le supporter PSG et le supporter OM sont heureux ensemble de la victoire de Macron.
        Seulement, vous disiez ensuite qu’il s’agissait là de la base du racisme, puisque l’autre est, dans votre exemple, un étranger ; aussi, j’entendais vous montrer que le phénomène est le même dans le cas où l’autre est un compatriote (mais un opposant politique).

        Parenthèse sur le salaire des footballeurs : je voulais dire « critiquer » dans le sens de « parler de », mais il est vrai que c’était maladroit.

        Sur ce, j’espère avoir clarifié ma première déclaration. Bonne soirée à vous, et au plaisir de vous relire.

        Répondre
        1. Jean-no Auteur de l’article

          @Chelpo Tout ce que je voulais dire, moi, à propos du racisme ou de l’altérité, c’est qu’avec le football, il faut toujours une autre équipe, il n’y a pas comme dans l’athlétisme la possibilité de se battre contre soi-même, de se dépasser, il faut un vainqueur et un vaincu. Et c’est pas très grave tant que c’est bon-enfant, mais quand ça se mêle à des questions d’identification patriotique (triffouillis les oies en division d’honneur, l’OM ou la France, peu importe) je ne trouve pas ça très sain.
          Je suis étonné qu’on ne prévoie pas l’existence de compétitions qui ne soit attachées à aucun lieu, où ce qui compte serait que des gens qui s’entendant fassent équipe, comme on monte un groupe de rock par exemple. Je comprends qu’une telle proposition semble absurde étant donné le financement du football, mais ça serait marrant, les supporters soutiendraient les équipes selon leur personnalité et non uniquement parce qu’elles appartiennent par hasard au même territoire.

          Répondre
  4. Enzo33

    Salut Jean-No,

    Bel article comme toujours, et belle saillie anti-foot. Je rebondis juste sur ta dernière réponse à Chelpo : tu mentionnes toi-même le « mécanisme du plaisir » qui s’active lorsque l’autre (ou l’ennemi) est en souffrance, et qui est la base-même du racisme. C’est vrai, et la comparaison avec l’athlétisme met justement en évidence ce point-là. L’athlétisme ne sera jamais aussi populaire que le football car en athlétisme la compétition avec les autres est plus diffuse. Il s’agit d’aller le plus vite possible, le plus loin possible, mais la victoire sur l’adversaire est moins évidente. Les émissions de télé-réalité qui ont vu le jour au tournant du millénaire ont d’ailleurs, avec leur succès, apporté un éclairage intéressant sur ce mécanisme : à chaque épisode de l’émission il y avait un vaincu, et pas un vainqueur. Au-delà de leur débilité intrinsèque, l’aspect novateur qui les rendit révolutionnaires était bien celui-ci. Le coeur de l’explication sur le succès planétaire du football se trouve probablement ici : ce que tu appelles « mécanisme du plaisir » qui est déclenché par la souffrance de l’ennemi, c’est ce que des milliers d’années de civilisation ont progressivement permis, non pas de supprimer, mais de canaliser. C’est ainsi que l’assassinat, la torture ou la provocation de souffrances sont généralement punies par la loi aujourd’hui, dans une majorité de pays. Le sport, et notamment le football, est un espace dans lequel ces pulsions peuvent s’exprimer à visage découvert sans pour autant s’exposer à des problèmes. Et j’irais même plus loin, en formulant que laisser des spectateurs imiter le cri du singe quand un joueur noir touche le ballon permet à ces spectateurs d’activer ce « mécanisme du plaisir » de manière plus inoffensive que s’ils bastonnaient ce joueur noir dans un coin de rue.

    Cela étant, je voudrais te poser une question Jean-No. Et cette question, tu vas le voir, je me la pose aussi à moi-même.

    Ton texte, je serais prêt à le signer de A à Z, sauf que je m’en fous du football. Et quand je te dis que je m’en fous, je veux dire que même me déclarer « contre » est une perte de temps à mes yeux. Cela étant, j’ai moi-même vécu quelque chose d’analogue il y a quelques mois, avec la mort de Johnny Hallyday. J’essayais bien de me dire « mais ne pourrais-tu pas simplement t’en foutre et te taire », je n’y parvenais pas. Quand, au cours d’un concert, il s’asseyait pour boire un peu d’eau et qu’on l’entendait quand même chanter, je pensais que c’était une imposture et que les spectateurs qui avaient payé 80 euros la place avaient le droit d’en avoir connaissance. Mais je m’adressais à des convertis, j’essayais de les convaincre, et un converti n’est pas un convaincu. Un argument rationnel viendra difficilement ébranler un converti. Mais pourquoi donc ne suis-je pas tout simplement dans le camp de ceux qui s’écrasent sur ce sujet ?

    Répondre
    1. Jean-no Auteur de l’article

      @enzo33 : la théorie du football (enfin la partie compétition) comme exutoire, comme moyen de dévier ou de canaliser des pulsions me semble assez crédible.
      Sur le fait de ne pas pouvoir s’empêcher de causer, j’imagine qu’il peut y avoir plusieurs raisons. Personnellement mes deux moteurs sont le sentiment que je sujet est intéressant, qu’on peut en tirer une morale, des idées…, d’une part, et puis la pression d’autre part. Par la pression, je veux dire l’impression d’être victime d’un martelage et d’avoir besoin d’y résister.

      Répondre
  5. Groetel

    Bon, j’arrive pas mal après la bagarre, mais il y a un truc qui m’interpelle, à propos du foot. Quand j’étais jeune, disons dans les années 70-80, le foot, comme le Tour de France, comme Johnny Hallyday, était un marqueur social assez infaillible : des trucs de prolos, de beaufs, sans appel. Et puis, dans les années 90, il y a eu une espèce de coming out, d’aggiornamento : tout le monde s’est mis à adorer ça, et plus on était cultivé, éduqué, etc., plus c’était un signe de d’ouverture d’esprit et de distinction. Ou je rêve ? Derrière ça, je vois le spectre de la culture américaine, dans laquelle le sport, spectacle ou pratique, fait l’unanimité, et surtout dans laquelle la culture populaire est plus ou moins la seule légitime, dans laquelle « le plus grand nombre » a toujours raison, sorte de perversion de l’idée démocratique – ou peut-être est-ce dans ses gènes. Ne pas communier dans le foot, quelque part, aujourd’hui, c’est un peu être un mauvais citoyen. Ou je rêve ?
    Pour le reste, d’accord avec vous à 100%, y compris en ce qui concerne les mauvaises raisons de ne pas aimer le foot. Bizarrement, il y en a.

    Répondre

Répondre à Chelpo Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.