Archives mensuelles : mai 2018

Les vertus de l’homéopathie

(suite à une conversation sur Twitter…)
(oui, je sais, cet article est un peu long. Vous n’avez qu’à vous contenter de regarder les images)

Pour le site Scientists of America j’ai écrit un jour un article qui prenait la défense de l’homéopathie, intitulé L’Homéopathie peut sauver des vies, dont le raisonnement était résumé par cette phrase : « rien de plus inoffensif qu’un médicament sans principe actif ».
C’était une blague, une manière de dire que l’homéopathie ne soigne rien, mais une blague un peu sérieuse, et plus le temps passe, plus je vois s’affronter les anti-homéopathie et les pro-homéopathie, et plus je finis par être convaincu par la validité du contenu de mon propre article. Il faudrait inventer un mot (à moins qu’il existe déjà) pour décrire ce mécanisme qui fait qu’on finit par croire à une chose parce qu’on l’a dite. Bien des religions, des idéologies politiques ou même des théories scientifiques à présent sérieuses doivent être nées comme ça.

Samuel Hahnemann (1755-1843), l’inventeur de l’homéopathie. Il a vécu 88 ans, ce qui est bien pour l’époque, mais il est mort d’une bronchite en juillet, je dis ça je dis rien (vision d’artiste).

Tout d’abord, une évidence : l’homéopathie ne repose sur aucune base théorique sérieuse, elle relève de la pseudo-science, elle ne passe ni le crible de la logique1 ni celui des études pharmacologiques. On constate bien qu’elle peut provoquer des changements dans l’état de santé des patients, mais ni plus ni moins que le célèbre effet Placebo : ce n’est pas le produit qui agit, mais une donnée psychologique difficile à expliquer et qui a moins à voir avec la composition du remède lui-même qu’avec l’acte de l’administrer.
Le simple fait que les pouvoirs publics n’imposent pas plus d’autorisation de mise sur le marché aux médicaments homéopathiques qu’aux confiseries est un indice du peu de capacité d’action qu’on leur prête2. Mais est-ce vraiment un combat important que de dénoncer cette pseudo-science ?

Les gens qui s’en prennent le plus violemment à l’homéopathie le font au nom de trois arguments principaux.
1 – il s’agit d’une escroquerie qui repose sur la crédulité des patients et qui fait croire à ces derniers que la maladie et la guérison relèvent de la magie.
2 – il est dangereux pour un malade de refuser un médicament qui fonctionne au profit d’un médicament qui ne fonctionne pas.
3 – il n’est pas admissible que la Sécurité Sociale dépense de l’argent pour rembourser des médicaments sans effets.

Sur le troisième point, Philippe Douste-Blazy avait proposé une réponse assez pragmatique, que certains jugeront cynique lorsqu’il était ministre de la santé et qu’il défendait le remboursement de l’homéopathie par la Sécurité Sociale : « si vous regardez le budget de l’assurance maladie consacré aux médicaments homéopathiques, vous vous apercevez que c’est une toute petite goutte d’eau par rapport au reste des prescriptions médicamenteuses, et en tout cas si vous les enlevez, alors les patients prendront autre chose et ce seront des médicaments qui seront peut-être eux remboursés à 100%, avec des interactions médicamenteuses possibles ».
En bref : l’homéopathie est souvent un moindre mal car le public veut des médicaments à tout prix, y compris lorsqu’il vaudrait mieux s’abstenir, et il vaut alors mieux lui fournir de faux médicaments que des vrais, quitte à dépenser un peu d’argent public pour cela.

Anecdote : le père de Philippe Douste-Blazy était un médecin et un grand chercheur dans la lutte contre le cancer. Sa mère, quant à elle, a longtemps dirigé la Ciergerie Lourdaise, société monopolistique dans le domaine des bougies votives de la cité mariale. Au fait : est-il plus choquant d’être soigné par un médecin qui croit aux vertus de l’homéopathie ou par un médecin qui va à la messe le dimanche et qui croit au pouvoir de la prière ?

Le second point (mieux vaut se soigner avec un médicament qui fonctionne que de croire qu’on se soigne avec un médicament qui ne fonctionne mas) est en apparence une évidence, mais s’appuie sur l’idée que les gens souhaitent guérir de véritables maladies. Or il n’est pas certain que ce soit toujours le cas, et il est même certain que ça ne l’est pas. Une affection banale telle que le rhume ne se soigne pas, on peut traiter certains de ses symptômes (fièvre,…), mais il n’existe pas de moyen de lutter contre le virus lui-même (ou plutôt les virus), ni, la plupart du temps, de besoin de le faire, puisque la guérison est spontanée. C’est pourtant le quatrième motif de consultation en médecine généraliste, représentant une consultation sur huit3 ! Et les consultations médicales ne sont sans doute que le sommet de l’iceberg, il suffit de voir à quel point les pharmaciens mettent en avant leurs remèdes non-remboursés pour le rhume (parfois rebaptisé « état grippal » lorsqu’il fatigue plus que d’habitude) pour imaginer le volume des ventes en automédication de remèdes tels que l’aspirine, le paracétamol, les vitamines, etc.
Ces médicaments ne sont pas tous bénins. Les Dolirhume, Actifed, Nirophen ou Fervex, par exemple, ont des effets graves pour un certain nombre de patients chaque année (selon les médicaments : de l’ulcère au risque d’AVC !), et certains ne devraient être consommés qu’en parfaite conscience de leur composition et des doses à ne pas dépasser, par exemple dans le cas du paracétamol, molécule très répandue dans ce genre de remèdes mais dont le surdosage peut endommager le foie, amenant plusieurs milliers de personnes aux urgences chaque année. La médecine de complaisance, notamment dans le cas des anti-dépresseurs, des barbituriques et autres traitements psychiatriques est une réalité française bien connue et aux effets ravageurs (risques suicidaires, dépressions, altération du comportement, etc.). Sans parler de médecine de complaisance, les praticiens qui prescrivent ces produits ne semblent pas toujours tous conscients de leurs effets. On entend souvent dire par les médecins eux-mêmes que leur formation et surtout leur formation continue sont incomplètes au chapitre du médicament, qu’ils sont souvent contraints de s’en remettre aux boniments des visiteurs médicaux pour savoir quels médicaments prescrire. Or les visiteurs médicaux représentent des sociétés vénales dont les pratiques ne sont pas nécessairement vertueuses : un laboratoire préférera assez logiquement promouvoir la molécule dont il possède le brevet plutôt qu’une autre qui a fait ses preuves depuis longtemps mais dont la composition est dans le domaine public. Et ne parlons pas du disease mongering, pratique qui pousse les laboratoires à forger des maladies, à communiquer massivement à leur sujet puis à proposer des médicaments miraculeux pour les guérir.
On peut parler aussi de la pratique, parfois encouragée par les fabricants, qui consiste à utiliser un médicament, parfois dangereux, pour une mauvaise raison : un traitement cardiaque pour la perte de poids ; un traitement contre l’hyper-activité pour la concentration scolaire ; un sirop contre le mal de mer ou un sirop antitussif pour leurs effets psychotropes ; un traitement de la circulation sanguine pour ses effets aphrodisiaques, etc.
Plus simplement, beaucoup de gens ont dans leur armoire à pharmacie des substances très dangereuses, auxquelles ils ont eu accès à une période donnée pour une raison légitime et dont ils utilisent à tort le reliquat sans demander d’aide à leur médecin mais avec le souvenir que le produit les a, une autre fois, guéri. Parfois même, c’est juste une erreur, un manque de discernement lié à l’âge où à la vue qui les mène à consommer un médicament dangereux.

Bref, dans un monde où chacun serait idéalement et honnêtement conseillé, conscient du degré de gravité/bénignité de son état, capable de résister à l’idée de se faire soigner lorsque c’est inutile, respectueux des prescriptions, la médecine sérieuse, scientifique, serait la seule valable. Mais ce n’est pas tout à fait le cas, et j’ai peur que le cocasse oscillococcinum4 des laboratoires Boiron soit bien moins dangereux pour les personnes qui ont le nez qui coule que des produits réellement actifs et dont les effets secondaires sont eux aussi actifs et parfois ravageurs.
Je ne connais pas les statistiques qui exposent le nombre de gens qui ont préféré se laisser mourir à coup d’homéopathie alors qu’ils souffraient d’un mal qui eût été efficacement traité par un antibiotique, par exemple, je ne suis pas certains qu’ils soient aussi nombreux que les gens qui les citent pour argumenter de la dangerosité d’une pseudo-médecine. En revanche, les risques sanitaires que fait courir la trop grande circulation des antibiotiques, qui mène certaines bactéries à y être résistantes, est un problème concret.
Au passage, on cite souvent les éleveurs qui vantent l’homéopathie comme preuve que « ça marche ». Je ne crois pas vraiment que leur expérience soit une preuve de l’intérêt des substances elles-mêmes (mais cela en dit sans doute beaucoup sur leur rapport aux bêtes), mais je dois dire qu’en tant que consommateur, je préfère savoir que la viande que je mange vient d’animaux qui n’ont pas été bourrés d’antibiotiques afin de supporter une promiscuité et des conditions d’existence ignobles.
Enfin, la « vraie » médecine, celle qui fonctionne, peut avoir un dernier défaut : lorsqu’elle sait traiter les symptômes, il arrive qu’elle néglige ce qui les provoque. Je pense par exemple aux antihistaminiques, si efficaces avec les allergies respiratoires, dont il serait utile de chercher à comprendre pourquoi leur nombre a littéralement décuplé (de 3 à 30% des gens) en un demi-siècle. Il y a des recherches sur le sujet, évidemment, heureusement, mais on n’a pas l’impression que les pouvoirs publics voient comme une priorité le fait de découvrir pourquoi nous sommes de plus en plus agressés par l’air que nous respirons.

Reste un argument : l’obscurantisme. Au nom de la science, au nom de la raison, il est criminel de laisser croire qu’une théorie farfelue puisse être mise sur un pied d’égalité avec la recherche scientifique sérieuse, et permettre une telle chose peut faire reculer la science et l’esprit scientifique. Je comprends cet argument mais il appelle une autre question à mon sens : si la recherche médicale est par définition scientifique, la pratique de la médecine l’est-elle vraiment, ou plus exactement, le rapport que les patients entretiennent vis-à-vis des soins médicaux est-il idéalement rationnel ?
J’ai eu principalement deux médecins dans ma vie. J’ai connu le premier depuis mon enfance jusqu’à celle de mes propres enfants. C’était un médecin à mon avis assez extraordinaire, doué d’une expérience énorme et qui a plusieurs fois établi des diagnostics périlleux qui se sont révélés fondés. Et chaque fois il l’a fait avec la sagesse de dire qu’il n’était sûr de rien et qu’il fallait effectuer des tests cliniques complémentaires. Ce médecin était fondamentalement honnête : lorsque l’on venait se plaindre d’avoir les bronches trop souvent encombrées, il prenait un air sévère pour nous dire que la seule chose à faire était d’arrêter de fumer. Ou dans d’autres cas, qu’il fallait faire un peu d’exercice, manger mieux ou moins, et autres mesures du même genre. Il recourait aussi à des techniques psychologiques redoutables, comme le fait de nous raconter ce qui arrivait à ses patients précédents : une mère enceinte d’un fœtus avec une anomalie cardiaque, des parents dont la fille souffrait d’une terrible maladie osseuse ou que sais-je encore… Impossible de jurer que ces patients existaient réellement, ou qu’ils venaient juste de passer, mais une chose est sûre : on relativisait aussitôt  nos petits problèmes, et on se sentait même un peu honteux d’être là pour se plaindre que son enfant en parfaite santé ne dorme ou ne mange pas comme écrit dans le livre de Laurence Pernoud. Pour les cas négligeables, il refusait souvent d’être payé, et je crois que c’était encore une de ses techniques psychologiques : n’étant pas payé, il prouvait en quelque sorte qu’on s’était montrés un peu capricieux et qu’on le dérangeait pour rien.
Bien sûr, lorsque le cas était grave, il le prenait très au sérieux et avait des diagnostics pointus et apparemment infaillibles. Je me souviens l’avoir réveillé à quatre heures du matin pour qu’il vienne constater que notre fils n’allait pas bien, et il a aussitôt pensé qu’il s’agissait d’une invagination intestinale — affection mortelle lorsqu’elle n’est pas traitée —, nous a emmené aux urgences, où son diagnostic n’a pas été pris au sérieux par les spécialistes avant une douzaine d’heures. Quand ce médecin a pris sa retraite, son cabinet était un peu miteux, et il tenait des propos un peu aigris : l’honnêteté ne paie pas forcément.
Le médecin suivant est lui aussi à la retraite, je l’ai fréquenté une dizaine d’années, l’ayant essentiellement choisi pour une question de proximité géographique. Il recevait dans un bureau de notable, avec encyclopédies, tapis et meubles cirés. Il aimait prendre le temps de bavarder, et notamment de s’épancher sur le sujet de son épouse qui avait divorcé en le ruinant — quoique son état de misère n’ait rien eu de franchement flagrant. Il pouvait lui aussi être pédagogue et honnête, mais de manière plus perverse. Je me souviens qu’une fois il m’a prescrit des antibiotiques en me disant ceci : « ça ne vous fera pas guérir plus vite, vous n’en avez pas besoin, mais quand les gens sortent de mon cabinet, ils ont besoin d’un bonbon, de quelque chose à aller acheter à la pharmacie. Alors je ne vous conseille pas d’utiliser ce médicament mais je vous le prescris ».  Il me laissait le choix, c’était à moi de décider si j’étais capable d’entendre un discours raisonnable ou si j’étais venu chercher un remède magique chez le sorcier du village.
Je pense qu’il n’est pas rare que des gens consultent un médecin en ayant déjà décidé ce qu’il faut que celui-ci leur dise et leur prescrive et en n’acceptant pas vraiment d’être contrariés, il me semble même que c’est ce qui a motivé l’incitation à déclarer un médecin traitant : éviter que les patients aillent de médecin en médecin jusqu’à tomber sur celui qui leur dira ce qu’ils veulent entendre.

Je n’imagine pas qu’il ait existé une seule société humaine exempte de personnes affirmant pouvoir en guérir d’autres à l’aide de potions, d’actes et de rituels. Cela ne signifie pas que les médecins d’aujourd’hui soient des charlatans, ni que ceux du néolithique l’aient été eux non plus – sans doute les hommes (ou femmes) de l’art étaient des gens qui avaient observé, déduit et compris des tas de choses – mais l’universalité et la permanence de cette activité indique à mon sens un éternel besoin, de la part des malades, de recourir à des gens aptes à les rassurer.

Les patients — vous, moi — sont-ils des spécialistes en épistémologie ? Des biologistes ?Entretiennent-t-ils avec la science, la médecine et la pharmacie un rapport si rationnel que ça ? Quand je vois les publicités pour des crèmes censées faire maigrir, où un séduisant beau gosse en blouse blanche dit d’une voix assurée : « c’est de la science ! » ou « ça fonctionne ! », j’ai l’impression que l’industrie de la communication a compris à quel point l’idée de science pouvait être utilisée comme argument d’autorité, c’est à dire, paradoxalement, tout le contraire d’un argument scientifique. Et j’ai peur que les médecins soient eux-mêmes contraints au simulacre de l’omniscience et de l’omnipotence, car ce ne sont pas que des remèdes que l’on vient chercher chez eux, ce sont aussi des certitudes, l’idée que quelqu’un sait ce qu’il faut faire. Le médecin qui dit « je sais pas ce que vous avez mais ça n’a pas l’air grave » aura à mon avis moins de succès que celui qui dira « on va peut-être devoir faire des tests mais en attendant je vais vous prescrire deux milligrammes de ceci à prendre à jeun pendant une semaine, une goutte de ça dans un grand verre d’eau le soir et cette pommade qui sent bon si ça vous gratte encore et puis revenez me voir si ça ne va toujours pas ».

L’homéopathie n’est pas une science sérieuse, c’est un fait, mais il est un peu exagéré de laisser entendre que le grand public a besoin de cette pseudo-science pour entretenir un rapport douteux à la connaissance scientifique en général. Je ne parierais pas non plus que les amateurs d’homéopathie le soient parce qu’ils sont séduits par la théorie, effectivement franchement bancale. J’imagine que beaucoup cherchent là une alternative à la brutalité médicale, qui traite le corps comme un objet et la vie comme une maladie.

  1. Rappelons le principe : pour soigner une maladie qui provoque tel symptôme, on utilise un poison qui provoque le même symptôme, que l’on dilue dans de l’eau un certain nombre de fois jusqu’à atteindre le moment où il est improbable mathématiquement qu’il subsiste ne serait-ce qu’une molécule du produit dans la solution obtenue. On mélange le tout à du sucre, et voilà. Notons que la forte présence du sucre et d’autres excipients comme le lactose n’est peut-être pas sans effet. []
  2. Je me souviens aussi d’un fait-divers comique : des enfants étaient tombés sur des cartons entiers de médicaments homéopathiques et en avaient dévoré le contenu comme s’il s’était agi de bonbons… Le laboratoire responsable de ces médicaments avait alors rassuré les familles en avouant que les billes de sucre qu’il produisait ne pouvaient avoir aucun effet sur la santé. []
  3. Selon des chiffres de 2007 en tout cas. []
  4. Réputé traiter les états grippaux, cette préparation à base de foies et de cœurs de canards de barbarie repose sur la croyance en les vertus de l’homéopathie, d’une part, mais aussi sur la foi dans l’existence d’un micro-organisme baptisé oscillocoque par le médecin qui l’a observé il y a un siècle et qui reste le seul à l’avoir vu depuis ! []