Archives mensuelles : novembre 2017

Où nous allons et comment tenter de l’éviter, mais bon c’est trop tard de toute façon

(bonjour ami ! La première partie de cet article ne te sert à rien, tes convictions sont arrêtées, tu es bouché à l’émeri et tu ne reviendras pas dessus : tu chercheras dans ma prose une confirmation de tes préjugés, qu’ils soient opposés ou semblables aux miens. Je le sais parce qu’on est tous pareil, je fais exactement comme toi et, même si j’aimerais être plus malin, rien ne m’est plus désagréable que des idées ou des informations qui vont contre ma vision du monde. Tu peux donc directement sauter à la fin de l’article, après un spoil du début de l’épisode 6 de la série Gaston Phébus, sortie en 1978, qui ne casse pas des briques et dont j’ai déjà parlé dans mon article d’hier)

Au cours d’une émission animée par David Pujadas où il répondait à une tirade énergique de l’humoriste Yassine Belattar, Jean-Sebastien Ferjou (LCI, Atlantico) expliquait que « poser la question de l’Islam et de l’Islamisme ce n’est pas mettre en cause les musulmans » et ajoutait respecter l’analyse de son contradicteur, tout en signalant qu’il ne « tolère pas l’emploi du terme islamophobie ». Il respecte ses interlocuteurs tant que ceux-ci utilisent les mots qu’il veut, quoi.

David Pujadas, Yassine Belattar et Jean-Sébastien Ferjou. Belattar l’humoriste ne s’est pas montré très drôle, mais en tout cas très éloquent.

Je reviendrais sur la première pensée exprimée plus loin, commençons par ce que me suggère la seconde : je pense que ce monsieur est islamophobophobe, c’est à dire qu’il craint le mot « islamophobie ». cette affection courante s’appuie sur un thought-terminating cliché qui affirme tout à la fois que le mot « islamophobie » :
1- assimile l’Islam, qui est une religion, à une race.
2- rend impossible toute critique de l’Islam, et constitue donc un outil de chantage idéologique, puisque toute critique de la doctrine musulmane est associé à du racisme (voir 1).
3- a été inventé par les mollahs de la Révolution islamique iranienne afin d’interdire, donc, toute critique de l’Islam (voir 2).

Sur le dernier point, certains ont fait remarquer de longue date que le mot « islamophobie » est au moins centenaire1, et donc plus ancien que la prise du pouvoir en Iran par l’ayatollah Khomeini, mais c’est peine perdue, l’origine lexicale inventée par Caroline Fourest et Fiametta Venner en 2003 vit sa petite vie, indépendamment de toute vérification et ne cesse d’être reprise par des politiques, des philosophes médiatiques et des éditorialistes : ce mot, selon eux, n’est pas un simple mot, c’est une arme de combat, l’outil d’une conjuration visant à interdire certains débats, et ils se sentent donc en conséquence autorisés à refuser autant le mot que le fait, à se sentir par avance eux-mêmes absous de toute suspicion d’islamophobie, puisque c’est un mot de l’ennemi…  Si les preuves d’une ancienneté du mot ne parviennent pas à impressionner ceux qui colportent son origine de manière erronée, c’est parce qu’ils ont trop envie de refuser qu’il existe.
Pourtant, même si c’était vrai, même si le mot avait véritablement été inventé au cours des années 1980 par les lugubres gardiens de la Révolution, qu’est-ce que ça changerait ? En langue française, on a le droit d’inventer des mots et pourquoi pas des mots en « phobe » autant qu’on le veut ? Je peux dire que quelqu’un est googleophobe, skateboardophobe ou ComicsansMSophobe ça ne sera pas très beau, ça ne sera pas un vrai mot, peut-être que ça ne décrira rien qui existe réellement, mais on le comprendra ce que je veux dire. On ne dira pas que je transforme Google, le skateboard ou la Comic sans MS en « races » – pas plus que les espaces confinés qui effraient les claustrophobes ou la foule que redoutent les agoraphobes constituent des « races », bien sûr.
La phobie, par ailleurs, ce n’est pas forcément le rejet ou la haine, c’est la peur — peur qui peut, certes, devenir la cause d’un rejet ou d’une haine.

Vu dans les locaux de la Fédaration nationale d’achats des cadres du passage du Havre, pas plus tard qu’il y a deux jours. C’était une journée spéciale pour les adhérents « One ». Je le savais pas, j’y étais par hasard, c’est vraiment du bol car j’ai pu profiter d’une super promo. Cependant j’ai compris en discutant avec la vendeuse que ma promo était de même valeur que la réduction que j’aurais eu notamment en tant qu’adhérent. Du coup je me dis que je me suis un peu fait avoir. C’est intéressant, hein ! C’est juste pour vérifier si vous lisez les légendes, en fait. Mais tout est vrai.

La vraie question n’est pas de savoir qui est propriétaire du mot, mais de se demander s’il existe bel et bien une peur de l’Islam en France en 2017. Je me souviens d’avoir vu toute la classe politique disserter pendant l’été 2016 sur le « burkini« , tenue réputée conforme à l’Islam selon un mufti australien2, dont le nom est un gag (burqa + bikini) et que personne n’a jamais du porter en France puisque les seules photos que la presse a trouvé pour illustrer les articles sur le sujet étaient systématiquement issues du catalogue de la styliste créatrice de ce vêtement, et puisque les quelques cas de femmes bannies des plages pour cause de burkini, pour autant que je sache, l’avaient été pour d’autres tenues réputées islamiques et pas pour avoir effectivement porté le burkini. Une réaction aussi excessive, où tout un pays débat d’une question qui relève plutôt de l’imaginaire, me semble un bon exemple, parmi bien d’autres souvent moins légers, d’un climat de psychose généralisée. Oui, la peur de l’Islam existe en France et elle est prégnante. Et comme l’arachnophobie, par exemple, cette peur n’est pas forcément irrationnelle : certaines araignées sont bel et bien dangereuses, après tout, et de la même manière des gens se sont montrés coupables ces dernières années d’abominables déchaînement de violence terroriste au nom de l’Islam. Au passage, si des gens comme Riss ou comme Coco, et d’autres membres de la rédaction de Charlie Hebdo qui étaient là le jour du massacre de leurs amis, ont peur des musulmans, s’ils frémissent en entendant « Allahu akbar » (dieu est le plus grand — profession de foi banale de tout musulman mais cri de guerre poussé par les frères Kouachi entre deux rafales de fusil mitrailleur), je n’ai rien à leur dire, aucune leçon politique à leur donner, et si je trouve injuste et idiot l’éditorial de la semaine de Riss, qui accuse par avance Edwy Plenel du prochain attentat qui touchera l’hebdomadaire satirique, je sais que je ne peux pas me mettre à la place qui est la sienne, je n’ai aucune légitimité à mettre en question sa réaction. De la même manière, je salue sans réserves le courage des gens qui se battent contre l’oppression religieuse là où la religion a du pouvoir, et je comprends mal les français qui au nom d’un calcul assez pervers reprochent à des gens de culture musulmane de renier la religion de leurs pères ou de se rebeller contre des tyrannies dont ils ne voudraient pas pour eux-mêmes.

Départ des français pour la troisième croisade.

Bien que les terroristes djihadistes ne soient pas représentatifs de la masse de leurs coreligionnaires, ils sont effectivement de vrais musulmans. On aime bien dire d’eux « ça ce n’est pas le vrai Islam », mais c’est comme de dire que les croisades ne sont pas représentatives du Catholicisme, c’est faux. Les croisades ne résument pas le catholicisme mais elles sont bel et bien une partie de l’histoire de cette religion, et les croisés étaient sans doute nombreux à penser que c’est bien Jésus qui leur commandait de partir couvrir Jérusalem de sang sarazin.
Et les gens de Daech, d’Al Qaeda ou les Frères musulmans sont tous autant qu’ils sont des musulmans. Pas les musulmans mais bien des musulmans. Le leur dénier n’est pas plus logique que de résumer leur religion aux crimes qu’ils commettent.
Pour les psychiatres, une phobie est une peur qui se manifeste de manière excessive. Plutôt que de jurer que l’islamophobie n’existe pas, ceux qui l’éprouvent devraient être honnêtes avec eux-mêmes et constater qu’ils ont développé une sensibilité disproportionnée et potentiellement problématique à tout ce qui touche à la religion des musulmans. Car c’est un problème : les musulmans existent en France, où ils représentent 7,5% de la population, ce qui n’est pas rien, mais leur présence imaginaire est bien plus élevée puisqu’un sondage récent a établi que les Français estimaient en moyenne la présence des musulmans en France à 31%, soit près d’un tiers de la population, contre à peine plus d’un quinzième en réalité !
La peur, la haine, la détestation, sont des sentiments naturels qu’on ne peut pas s’interdire à soi-même afin de coller à quelques principes. Ce ne sont ni des crimes, ni des délits, même si leur expression, pour les effets qu’elle peut avoir, peut être pénalisée. Je me souviens que l’écrivain Michel Houellebecq ou l’actrice Véronique Genest se sont décrits eux-mêmes comme islamophobes, ou qu’Élisabeth Badinter a dit qu’il ne fallait pas craindre d’être qualifié d’islamophobe. Même s’il est dommage pour ces gens de vivre dans la peur, je trouve plus honnête de leur part de faire un tel constat que de se faire croire qu’on peut rejeter une idée, une idéologie, une croyance, une culture, indépendamment des personnes qui les portent, qui y adhèrent.

L’union sacrée contre Edwy Plenel est une véritable cour des miracles avec par exemple une ancienne ministre socialiste ; un journaliste algérien connu pour son opposition à l’islamisme ; un quotidien catholique traditionaliste et nationaliste. Eh oui, Médiapart s’est fait beaucoup d’ennemis.

Revenons à la première pensée exprimée par le gars d’Atlantico : dire qu’on peut « poser la question de l’Islam et de l’Islamisme » sans pour autant mettre en cause les musulmans induit d’une part que la question posée a déjà sa réponse (si poser la question doit aboutir à une mise en cause), et d’autre part que les musulmans peuvent être considérés à part de l’Islam alors qu’ils se caractérisent par le fait qu’ils adhèrent à cette religion. Quand à l’association de « Islam » et « Islamisme », elle semble quelque part nier la distinction entre les deux notions (une religion, d’une part, et l’inspiration religieuse d’une action ou d’un régime politique, d’autre part). Essayons la même phrase en visant une autre communauté regroupée autour d’une foi : « Poser la question du Christianisme et de l’intégrisme ce n’est pas mettre en cause le chrétiens ». Ça sonne mal, non ? C’est ce genre de formules, ou les habituels « les terroristes ne sont qu’une fraction infinitésimale des musulmans mais ne trouvez-vous pas que le Coran pousse au crime ? » qui sont il me semble une insulte pour les musulmans français, et une manière constante de leur dire : « on ne veut pas de vous, on veut que vous rasiez les murs ! »… Et que peut-on attendre d’une telle ambiance ? Si on vous intime l’ordre de raser les murs, qu’est-ce que vous ferez ?3

Tout ça m’amène à une notion médiatique que je trouve très perverse : celle du « musulman modéré ». Si on suit les journaux télévisés les plus banals, ceux qui façonnent les consciences et qui expriment tout à la fois les poncifs les plus répandus, on apprend qu’il existe des bons musulmans, les musulmans « modérés », et puis des mauvais, qui n’ont pas de nom générique, mais peuvent être appelés intégristes, radicaux, ou encore salafistes et djihaddistes, autant de mots qui ne sont pas synonymes les uns des autres mais que regroupe l’ensemble des « non-modérés ».
Je ne suis pas croyant, et je suis même clairement religiophobe, mais il me semble que de nombreuses religions — et c’est en tout cas le cas du Christianisme et de l’Islam, deux religions monothéistes exclusives qui reposent sur un credo —, condamnent la modération : le croyant est censé se donner tout entier à la divinité qu’il adule, et s’il ne le fait pas, sa foi n’a pas de valeur, il n’a pas le droit d’être « tiède », comme le dit le livre des Révélations : « Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche »4. On trouve des réflexions du même tonneau tout au long de la Torah5. Enfin, dans l’Islam, peu de péchés sont plus graves que l’« association » (rendre un culte à d’autres divinités, vénérer des saints ou même, selon certaines interprétations, se montrer superstitieux), et il vaut mieux être incroyant qu’« hypocrite », c’est à dire que si l’on se dit croyant il faut l’être sans réserves et sans calcul.
Oui moi aussi je trouve que tout cela constitue une forme malsaine de chantage, mais c’est un fait, cela fait partie des principes théoriques de ces religions et le plus tolérant des curés, le plus libéral des imams, auront du mal à absoudre une de leurs ouailles qui se dira « un tiers chrétien, un tiers musulman, un tiers bouddhiste ». Puisque la religion est avant tout un outil de coercition sociale, un moyen pour souder le groupe autour d’un certain nombre de rites, de pratiques, de croyances, de lieux, de valeurs, alors on n’est pas censé dire que l’on n’y adhère qu’à moitié, et on n’est pas censé choisir ce à quoi on adhère, on doit prendre le pack entier. Du moins officiellement, car tout croyant effectue une sélection, ne serait-ce que parce qu’il est logiquement impossible de cocher toutes les cases en même temps, eu égard à l’incohérence des livres et à la grande latitude d’interprétation permise par des siècles de réflexion théologique et de pratique populaire6.

Natacha Polony devient une héroïne pour le site identitaire fdesouche, Christophe Barbier le plus mauvais journaliste de France à ma connaissance prend parti contre Edwy Plenel, et enfin, un ancien premier ministre, au nom de la liberté d’expression et de la démocratie, veut que Médiapart « rende gorge » et soit « exclu du débat public ». Charmant !

On peut en penser ce qu’on veut (j’en pense beaucoup de mal, pour ma part), mais cette injonction à se donner entier à son dieu fait qu’il est absurde d’exiger des croyants de se revendiquer « modérés », et un peu idiot de laisser entendre que les seuls musulmans non-modérés, passionnés, entiers, sont ceux qui posent des bombes ! Du reste, laisser penser qu’un musulman véritable est un meurtrier est précisément le cœur de la propagande de Daech… Quelle idée d’épouser la même vision des choses ? Ceux qui insultent les musulmans travaillent au même monde de misère que ceux qui leur promettent le Califat : l’un pousse, l’autre attire, il n’y a pas de tension, juste une direction.
Je vais en choquer plus d’un en l’écrivant mais pour moi, Élisabeth Badinter, Dieudonné, Manuel Valls, le Printemps Républicain, Riposte laïque, Tariq Ramadan, Caroline Fourest, le Parti des Indigènes de la République, etc., etc., s’ils sont bien adversaires, n’en sont pas moins unis autour d’une vision du monde assez semblable. Parfois avec une vraie honnêteté intellectuelle et en espérant sincèrement aller dans le bon sens, je ne mets pas ça en question a priori (même si j’ai mon opinion sur le degré d’opportunisme de certains). J’ai peur que tous ces gens nous mènent vers la guerre, peut-être vers une nouvelle Saint-Barthélémy, peut-être juste vers une extension du communautarisme, vers une vague de radicalisation molle mais dévastatrice7 d’une partie des musulmans autant que d’une partie des chrétiens. Ma théorie, je l’ai dit souvent, c’est que nous nous dirigeons vers un affrontement, non pas parce que le livre de l’un dit noir et que le livre de l’autre dit blanc, ça n’a en général aucune importance, mais parce que le pétrole, l’uranium, les terres cultivables, l’eau non-souillée, l’air respirable, sont inexorablement amenés à manquer, et que même si en apparence tout se passe encore bien, même si nous nous faisons encore croire que la science et la technologie pourront nous sauver in extremis8, nous nous préparons à nous entre-tuer, c’est ce que disait Claude Lévi-Strauss quelques années avant sa mort :

(…) De ces disparitions, l’homme est sans doute l’auteur, mais leurs effets se retournent contre lui. Il n’est aucun, peut-être, des grands drames contemporains qui ne trouve son origine directe ou indirecte dans la difficulté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une humanité en proie à l’explosion démographique et qui – tels ces vers de farine qui s’empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture commence à leur manquer – se mettrait à se haïr elle-même parce qu’une prescience secrète l’avertit qu’elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l’espace libre, l’eau pure, l’air non pollué9.

Pour s’entre-tuer, il faut des camps bien identifiés, il faut qu’il y ait les « nôtres » et les « autres », et il faut un prétexte, un désaccord fondamental, irréconciliable, puis, ça marche toujours, accuser son adversaire d’être un danger futur. Le temps se charge d’apporter l’étincelle.

Si je partage l’analyse d’Edwy Plenel sur le fait qu’il existe une gauche et une droite alliés dans une guerre contre les musulmans, je ne mets pas Charlie Hebdo dans ce sac, ne serait-ce que parce que Charlie Hebdo exprime de nombreuses sensibilités différentes et, par son caractère satirique, (vaguement) anar et (encore un peu) déconneur, permet le décalage, permet de ridiculiser tous les discours, ou permet de ridiculiser l’idée même de sérieux10. L’humour est une des armes de l’intelligence. Malheureusement pour eux, le monde entier, que ce soient ceux qui leur souhaitent mille morts ou ceux qui veulent en faire un porte-étendard politique, les force à se prendre au sérieux. Si j’ai trouvé l’édito de Riss excessif, j’admets qu’il est maladroit ou imprudent de la part de Plenel de mentionner Charlie Hebdo comme faisant partie d’une « guerre contre les musulmans »11. Tout comme je trouve injuste de la part de Charlie Hebdo de se ranger derrière l’idée qu’en considérant que les musulmans de France sont victimes d’une forme de stigmatisation, Médiapart est au mieux « idiot utile de l’islamisme » et au pire, un média « compagnon de route de l’intégrisme », comme je l’ai entendu dire vendredi par une journaliste sur Arte. Et ne parlons pas de l’odieuse accusation d’avoir sciemment couvert des viols, ou encore plus incroyable, le rapprochement assez obscène fait par Joann Sfar et repris sans vérification par une partie de la presse entre les 130 morts du Bataclan et les 130 signataires (en fait 150) d’une tribune de soutien à Edwy Plenel.
À l’heure où je parle, la dessinatrice Coco a fermé son compte Twitter, sous le poids des insultes — elle a tout mon soutien, mais même si son dessin affirmant qu’Edwy Plenel avait volontairement évité de s’intéresser aux mœurs sexuelles de Tariq Ramadan était plutôt réussi et drôle (elle est un des derniers talents de ce journal), il était injuste. La seule personne qui se soit elle-même accusée d’avoir été au courant et de n’avoir rien dit, c’est Caroline Fourest12.
J’en veux vraiment à ceux qui se servent opportunément de cette histoire pour régler des comptes. Je pense par exemple à Manuel Valls qui, au nom de la défense de la liberté d’expression et de la démocratie a souhaité tout haut que Médiapart « soit exclu du débat public » et « rende gorge » ! J’en viens à me demander si Plenel ne prépare pas un dossier sur l’ancien premier ministre et si ce dernier n’est pas en train de jouer le tout pour le tout, à coup d’insinuations toxiques, pour décrédibiliser le site d’investigation ou pour faire passer son travail pour une vendetta entre personnes. Ou bien il cherche juste un prétexte pour pousser plus avant son personnage de « monsieur je-serais-intraitable », son créneau marketing.

Gaston Phébus (1978) épisode 1. On entend toujours parler de l’armée de Phébus dans la série, composée de dizaine de milliers d’hommes, mais à l’image on a toujours les six ou sept mêmes mecs. C’est un peu cheap. Comme d’utiliser une pauvre carrière à ciel ouvert comme décor pour représenter la Palestine. La séquence ci-dessus est intéressante pour la manière dont elle représente les Croisades : les soldats francs, qui sont techniquement une armée d’invasion, sont présentés comme les preux chevaliers qui vont au secours d’un homme torturé et se font prendre en étau par une bande d’orientaux patibulaires à qui la caméra ne donne jamais la chance d’être montrés comme des personnes : ce sont des burnous et des turbans qui braillent en faisant tourner des sabres. Ils sont fourbes, bruyants et lâches13.

Une chose me choque de plus en plus dans le discours ambiant, c’est sa binarité : si on ne va pas dans le sens du troupeau, c’est qu’on est l’ennemi — et on découvre vite à ses dépens qu’il s’agissait d’un troupeau de loups pour qui désigner l’ennemi, c’est se donner la permission de le juger sans procès, de le condamner sans jugement et d’exécuter sa peine sans condamnation. À une époque pas si lointaine, la tolérance consistait à accepter que quelqu’un soit différent, ait une autre vision du monde, d’autres idées. Aujourd’hui, chez beaucoup, c’est un cri de ralliement : on est dans la bande des tolérants dégoulinants d’esprit démocratique, ou bien on est l’ennemi et on doit être abattu. À une époque on pouvait ne pas aimer quelque chose sans demander pour autant une loi pour l’interdire !
Pour ma part j’ai l’impression et je m’efforce constamment d’être tolérant suivant l’acception ancienne du mot. Je considère que le monde entier a tort, je n’aime pas la politique, Je n’aime pas les religions, elles me font peur, je n’aime pas les symboles qui vont avec les religions, et notamment l’obsession de la distinction sexuelle dans les religions monothéistes. Beaucoup de valeurs politiques, religieuses ou philosophiques qui ne sont pas les miennes me répugnent, mais je respecte la folie de chacun tant que je n’ai pas la preuve que les fous font du mal à d’autres qu’à eux-mêmes.

Gaston Phébus (1978), suite. Ayant eu contre son gré un enfant avec son épouse qu’il déteste (c’est un peu compliqué à expliquer), Gaston III de Foix-Béarn hait son rejeton Gaston, un adolescent difficile (qui, sous-entend lourdement mais sûrement le scénario, s’intéresse plutôt aux garçons qu’aux filles). Tout naturellement, comme ça se faisait à l’époque, le jeune homme essaie d’empoisonner sa famille sur le conseil de son oncle maternel, Charles le mauvais. L’affaire tourne mal car son frère Yvain (Lambert Wilson, alors à ses débuts) parvient à l’en empêcher. Il ne veut cependant pas que son demi-frère soit puni (dans les fratries, on se chamaille, mais face à l’autorité parentale, on peut aussi être solidaire !), mais le poison est involontairement repéré par un chien qui, après l’avoir ingéré, décède. C’est la goute d’eau qui fait déborder le vase, Gaston est envoyé dans sa chambre sans manger. Mais quand les choses se calment, il continue de refuser de s’alimenter ! Dans la scène ci-dessus, Gaston III essaie de convaincre son fils de goûter une cuisse de poulet mais ce dernier refuse. Alors son père négocie, menace, s’énerve. Mais ça marche pas ces trucs-là, croyez-en mon expérience, l’éducation est un truc bien plus fin. Le fils meurt, la jugulaire accidentellement tranchée par son papa qui faisait mine de le menacer avec un poignard et qui s’est montré maladroit en le manipulant. En plus il savait pas que son fils était hémophile.

Bon, maintenant, parlons solutions.
Car quand des gens a priori intelligents s’écharpent, des gens qui a priori cherchent à être du bon côté de la barre, il y a un problème à régler. Sur les affaires dont il est question, je dois dire que je suis effrayé, chaque jour, sur Twitter, en voyant les positions des uns et des autres se rendre caricaturales et devenir affaire de réflexes, de réactions épidermiques qui transforment des personnes estimables en machines à penser par catégories et par mots-clés.
Je veux continuer à débattre même si ça m’épuise et si ça me désespère, alors je vais tenter de me tenir à quelques principes qui peuvent m’aider à être juste :
— Éviter la tentation des oppositions qui s’équilibrent : si on me parle d’une injustice commise par x, il ne faut pas lui opposer une injustice commise par y : une injustice plus une injustice, ça ne fait pas un équilibre, ça fait deux injustices. Les deux injustices doivent être condamnées, elles ne s’annulent pas. Par ailleurs, chacun a ses points sensibles et ses points aveugles, il faut l’admettre (y compris à son propre sujet) et éviter de poser ça en termes accusatoires.
— Ne pas réagir à une nouvelle sans connaître le contexte, sans avoir pris connaissance de la phrase entière et même des phrases qui précèdent et qui suivent, sans avoir vu la vidéo, sans avoir lu l’article.

Un exemple tout frais de problème de contexte : hier Aurore Bergé (porte-parole de la République en Marche) a exhumé un tweet de Mélenchon qui proposait que le Parti de Gauche offre l’asile politique à Gérard Filoche, laissant croire que cette proposition suit le tweet douteux de Gérard Filoche. L’indignation est générale, jusqu’à ce que certains remarquent que le tweet de Mélenchon date de 2014 et ne peut donc pas être lié à une affaire de 2017. La jeune députée a été forcée d’admettre son erreur, expliquant qu’elle n’avait pas vu la date du tweet (admettons – ça m’est arrivé assez souvent pour que je puisse y croire), mais ajoutant l’insulte à l’injure en se demandant tout haut si l’offre est toujours d’actualité, en accusant Mélenchon d' »avoir des amitiés avec le Parti des Indigènes de la République » (dont il s’est pourtant fermement démarqué), et finissant par retourner sa chaussette sale en demandant que l’on se calme puisqu’elle n’a « justement aucune envie d’employer les méthodes qui sont celles des Insoumis ». Ce qui m’intéresse ici et qui motive le point suivant, c’est que je pense que le sentiment que Mélenchon est suspect d’indulgence envers l’antisémitisme, provoqué l’exhumation opportuniste d’un de ses vieux tweets, ne va pas quitter ceux qui l’auront éprouvé (notamment ceux qui étaient déjà prêts à la recevoir sans filtre), alors même qu’ils auront été ensuite informés de la manipulation. Les sentiments sont comme l’amiante ou ces métaux lourds qui s’accumulent dans l’organisme et ne le quittent jamais : les révisions, le complément d’information, la réflexion, ne permettent jamais de s’en débarrasser vraiment, et ils refont surface à la première occasion.

—  S’efforcer de mettre à jour les informations qu’on a tenues pour exactes et qui se sont révélées ne pas l’être, et tenter de revenir sur les sentiments que l’on a éprouvé en les entendant. Cette seconde partie est presque impossible à effectuer, malheureusement : une indignation qui s’appuie sur une mauvaise information restera toujours en sourdine quand bien même on aura découvert sa fausseté.
—  Réagir à ce que les gens font, à ce qu’ils disent, pas à ce qu’on pense qu’ils pensent en vertu de leurs amitiés ou de la personne qui s’est trouvée avec eux, un jour lambda, sur une photographie.
—  Se rappeler que les gens (et se compter dedans) sont bien plus largués qu’ils ne se le font croire, bien moins maîtres de leurs pensées, de leurs émotions, de leurs références, de leurs goûts, de leurs répulsions, de leurs frayeurs, qu’ils ne le voudraient.  Chacun de nous est jeté dans le monde sans avoir rien demandé et passe les quelques décennies qu’il y vit à tenter de donner un sens aux choses en attendant de disparaître. Et puis il meurt sans avoir rien compris, mais en ayant parfois fait du bien ou du mal, et  en ayant parfois eu le choix de ses actes.
— Tenter d’éviter les excès verbaux, qui braquent forcément, et les métaphores outrancières.
— Traiter chacun, même adversaire, même ennemi, comme une personne, c’est à dire comme quelqu’un qui est responsable de ses actes et qui s’exprime en son nom. Cela sert autant à être juste soi-même qu’à contraindre sont interlocuteur à ne se cacher ni derrière un leader, ni derrière un dieu, ni derrière une idée, et à agir en tant que personne et non en tant qu’agent.

Hier avant d’aller me coucher j’avais plein d’autres idées de méthodes à appliquer pour rendre le monde moins stupide mais au réveil, je les ai oubliées. On verra une autre fois.
Et toi, lecteur, as-tu des propositions ?

  1. Demandez à Google books.  []
  2. Il paraît que de nombreuses femmes britanniques portent ce vêtement sans rapport à des convictions religieuses mais pour épargner le soleil à leur peau trop fragile, et que ce vêtement a aussi du succès en Asie du Sud Est chez des femmes qui veulent aller à la plage mais refusent de bronzer. En revanche il n’est pas spécialement validé par Daech. []
  3. Il semble que certaines jeunes femmes ne se mettent à porter le hijab que par réaction à ce qu’elles ressentent comme une attaque envers leur religion. Lire à ce sujet le livre de témoignages Des voix derrière le voile, par Faïza Zerouala, éd. Premier Parallèle. []
  4. Apocalypse 3:16. []
  5. Par exemple Rois 8:61 : « Que votre cœur soit tout à l’Éternel, notre Dieu, comme il l’est aujourd’hui, pour suivre ses lois et pour observer ses commandements ». Les dix commandements, déjà, ne disent rien d’autre avec cet avertissement : « car moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux ». []
  6. Je note que les religions laissent une latitude au doute et aux errements du croyant, tant que tout cela permet de renforcer son adhésion au crédo, mais il faut que cela soit contrôlé, dirigé : on peut confesser à un prêtre que l’on doute, et se le reprocher à soi-même, mais on n’est pas censé en parler autour d’un verre avec des gens qui ont d’autres croyances : on lave son linge sale en famille. []
  7. Daech est comme l’épisode des Anabaptistes de Münster au XVIe siècle (et bien d’autres poussées de fièvre sectaires dans l’histoire) : ravageur et spectaculaire, mais forcément épuisant pour tout le monde et appelé à l’autodestruction.
    Mais d’autres mouvements sont plus lents, moins visibles, moins meurtriers en apparence mais plus solides et plus efficaces à long terme, conçus pour durer. []
  8. Alors même que certains d’entre nous voient la science comme une sorte de luxe inutile et idéologiquement nuisible — on trouve ça chez Trump, chez les religieux et chez certains écologistes, mais aussi de manière plus insidieuse dans le discours médiatique et dans les politiques publiques de partis politiques pourtant « science-friendly ». []
  9. Claude Lévi-Strauss, réception du Prix international de Catalogne, mai 2005. []
  10. La zone d’ombre de Charlie Hebdo, pour moi, c’est la psychanalyse, qu’ils traitent avec une dévotion respectueuse très constante. []
  11. Notons tout de même que la phrase dite par Plenel sur France Info à ce sujet a été malhonnêtement tronquée. []
  12. Bien que je la mentionne plusieurs fois dans ce texte, je ne pense pas de mal de Caroline Fourest, si ce n’est qu’elle peine à revenir sur ses emballements quand bien même ils a été démontré qu’ils étaient mal informés, ce qui décrédibilise totalement son propos. L’orgueil la rend malhonnête. Mais depuis que j’ai vu une manifestation de deux cent hommes, avec à leur tête un curé illuminé en soutane, l’accueillir à la sortie d’un train avec des intentions brutales, je me dis que sa vie quotidienne doit être un enfer et qu’elle est courageuse de s’en tenir à ses idées même si celles-ci sont erronées. []
  13. Les Croisades, dont on parle avec légèreté chez nous à présent, n’ont pas été une entreprise pacifique mais bien une sanglante série de guerres de conquête. Rappelons le célèbre témoignage de Raymond d’Agiles (Historia francorum qui ceperint Jerusalem) : « On vit alors des choses jamais vues. De nombreux infidèles furent décapités, tués par les archers ou contraints de sauter du haut des tours. D’autres encore furent torturés puis jetés dans les flammes. On pouvait voir dans les rues des monceaux de têtes, de mains et de pieds. On chevauchait partout sur des cadavres. Ce fut un tel massacre dans la ville que les nôtres marchaient dans le sang jusqu’aux chevilles. Les croisés pillaient à satiété : ils parcouraient les rues, entraient dans les maisons, raflaient or, argent, chevaux, tout ce qu’ils trouvaient… ». Notons qu’à l’époque, « les infidèles » c’étaient les musulmans. C’est encore sous ce nom que, cinq siècles plus tard, ont été massacrés les Mayas et les Aztèques. []

Faut pas prendre les avocats du diable pour des guacamoles au piment

Gérard Filoche a publié hier nuit un visuel complètement ahurissant montrant Emmanuel Macron au dessus d’une globe terrestre, avec un brassard rouge et blanc, à la mode nazie, mais où la svastika est remplacée par le sigle dollar. En dessous est écrit « En marche vers le chaos mondial ». Le tweet était accompagné du commentaire « un sale type, les français vont le savoir tous ensemble bientôt ». Le lien entre Macron, le dollar (nous le croyions europhile !), le nazisme et le chaos mondial est en soi très très très douteux. Mais comme beaucoup j’ai dû me pincer en voyant les autres détails de l’image, en filigrane : un drapeau américain (ok), des billets de banque (ouais), un drapeau israélien (ah.), et trois personnages : Jacques Attali, que j’ai reconnu, et deux autres personnes que je n’ai pas reconnues mais qui se sont avérées être Patrick Drahi, patron de SFR/Altice, et Jacob Rothschild, de la banque du même nom. En voyant ça, et avant même d’avoir identifié tous les personnages, j’ai bondi, et j’ai partagé mon effarement sur Twitter puis sur Facebook : quelle mouche a piqué Filoche ? Les références sentent à plein nez ce qui rapprochait, pendant la période d’entre deux guerres, une certaine gauche et une certaine droite. Et effectivement, renseignement pris, l’image émane du site d’Alain Soral, qui se dit « antisioniste » mais chez qui ce mot semble être un cache-nez pour « antisémite ».
Mais au fond pas besoin d’être averti de l’origine de l’image ou docteur en sémiotique pour percevoir un énorme problème, qu’on en juge :

Le lamentable tweet en question, retiré une heure plus tard environ. L’image est issus du site Égalité et réconciliation, tenu par Alain Bonnet dit Soral, et a valu ces derniers jours à son auteur une citation à comparaître au Tribunal de Grande Instance de Paris pour provocation à la haine envers une personne ou un groupe de personnes en vertu de leur origine.

Je suis ensuite allé voir mon épisode de la série Gaston Phébus : le lion des Pyrénées (1978) dont j’ai acquis le DVD et dont je tiens à dire qu’à part un acteur (Georges Marchal) tout le monde joue mal, à commencer par Jean-Claude Drouot (Thierry la Fronde), qui incarne Gaston III de Foix-Béarn. Quant à Nicole Garcia (Agnès de Navarre), elle fait ce qu’elle peut mais son rôle est écrit avec les pieds. Le récit tombe dans le grand n’importe quoi, sans aucun lien à ce qu’on sait de la biographie véritable du prince de Béarn.
J’ai profité de ce temps perdu pour réfléchir un peu au cas de Gérard Filoche. Je n’aime pas énormément ce monsieur1, je ne me sens pas lié à lui politiquement ou affectivement, mais je n’ai jamais décelé chez lui d’indices qui laissent croire à une proximité de vues avec Alain Soral, hors d’un petit dénominateur commun consistant à critiquer la finance mondialisée et à détester Emmanuel Macron bien entendu. Enfin bref, quelque chose ne collait pas, et, avec bien d’autres, j’ai réfléchi à des hypothèses : compte piraté ? Dans un commentaire de blog, Filoche a confirmé qu’il avait sciemment publié l’image, qu’il jugeait son tweet « pas terrible » et que, averti du tollé, il l’avait fait effacer :

oui je dormais, ça m’a réveillé alors que j’ai beaucoup bossé aujourd’hui
a ce que comprends, ils tentent d’interpréter un tweet pas comme il est, il y a un brassard dollars pas nazi bien sur
le tweet est pas terrible
mais y’a rien de tel de ce qu’ils prétendent y voir, le reste est leur cabale2
je l’ai fait quand même retirer aussitôt que j’ai su
ce genre de cabale vient de gens qui défendent macron plus qu’ils ne le combattent
a chaque fois ils essaient, je remarque que ce sont les mêmes, contre moi, ça tente de faire diversion, c’est leur complot à eux, pas a moi
quand on parle du fond, y a plus personne pour répondre,
haussez les salaires et baissez les dividendes !

On remarque qu’il ne parle que du brassard, et je me suis dit une chose : et s’il n’avait pas vu le reste ? Après tout, l’image est sombre, peu lisible, il suffit d’avoir la vue basse, d’utiliser un écran trop petit, par exemple celui d’un téléphone, ou juste mal calibré, et on peut rater des détails qui comptent. L’hypothèse qu’il ait diffusé l’image sans connaître son origine (elle circule hors du site d’Alain Soral), et sans en percevoir (littéralement) le contenu me semble au fond crédible, car le personnage est sans finesse dans son utilisation des images. Il est tout à fait du genre à publier « finance=SS », mais on ne l’a jusqu’ici jamais vu être dans le fielleux registre du sous-entendu-bien-entendu si typique à l’extrême-droite.

Alors ça c’est vraiment dégueulasse. Phébus (casque verte, teinture ni-faite-ni-à-faire, sur l’image de droite) s’est fait usurper le trône par son frère bâtard, lequel complotait avec le frère de l’épouse de Gaston qui s’était marié par vengeance mais c’est un peu compliqué à expliquer. Bon donc Gaston s’échappe de la prison du Châtelet, revient, et reprend son trône. Mais voilà que son oncle, le bâtard Corbeyran, décide qu’il doit se battre en duel contre son neveu imposteur : « ça doit se régler entre bâtards ». Même si je suis une personne de banlieue, c’est pas moi qui dis « bâtards » tout le temps hein, c’est dans le film. Bon, bref, Corebeyran est vieux mais il est vaillant, il réussit rapidement à prendre le dessus. Seulement voilà, l’autre profite d’un moment d’inattention de son oncle, le seul gars sensé de l’histoire et l’unique bon acteur du téléfilm, pour lui planter dans le cou une lame qu’il avait cachée dans sa manche. Et l’autre meurt, quoi. C’est vraiment dégueulasse.

Beaucoup ont été moins indulgents que moi et Filoche s’est fait traiter de tous les noms, notamment par tous ceux qui ne l’aimaient déjà pas du tout, ou qui sont opposés à tout ce qu’il a tenté d’incarner politiquement, à savoir une aile gauche du PS donnant des leçons à Hollande, Valls, Sapin, El Khomery ou Macron. Et même si je n’ai pas d’affection particulière pour Filoche, j’ai trouvé ça injuste : utiliser la suspicion d’antisémitisme comme dernier clou-du-cercueil, comme gale-qu’on-accuse-le-chien-d’avoir, comme flacon-qui-importe-peu-du-moment-qu’il-procure-l’ivresse, venant d’opposants politiques (comme Rachid Temal, mon sénateur PS, dont j’ai découvert l’existence à cette occasion3) je trouve ça petit. Et venant de gens de bonne foi, je trouve ça dommage.
Alors en idiot inutile que je suis, j’ai passé ma journée à défendre Gérard Filoche !
Une amie a fini par me demander :

Jean No, tu peux juste expliquer pourquoi tu essayes de pardonner son geste ?

Eh bien voilà ma réponse : je ne pardonne rien, mais tout bêtement, ici, je ne crois pas au crime, ou en tout cas, sauf preuve du contraire, je crois que le crime est plutôt de tweeter fatigué, voire en ayant un coup dans le nez, de poster une image sans l’avoir bien regardée. Mais surtout, je considère que la paranoïa complotiste antisémite est une question suffisamment grave pour ne pas la banaliser en en accusant quelqu’un avec légèreté juste parce qu’on n’aime pas sa tête. Sur cette question comme sur d’autres, j’ai tendance à me faire l’avocat du diable, et souvent précisément pour défendre des gens pour qui je n’ai pas de sympathie car j’essaie d’échapper contre moi-même au biais de confirmation et autre effet de halo illustrés et justifiés par des adages tels que « y’a pas de fumée sans feu », « si ce n’est toi c’est donc ton frère » et « qui vole un œuf vole un bœuf » qui reviennent tous à dire que l’on ne tient pour vrai que ce qui correspond à ce qu’on pensait déjà.
On tombe facilement dans ce genre de travers sans le vouloir, je ne pourrais pas me regarder dans une glace si je le faisais sciemment, et je suis, par extension, incapable de ne pas réagir si j’ai l’impression que c’est ce que d’autres sont en train de faire. Surtout si je les apprécie, hein.

Lire ailleurs : L’inquiétante étrangeté de la caricature antisémite, par André Gunthert/Imagesociale.fr.

  1. Gérard Filoche me semble un peu l’homologue de Nathalie Kosciusko-Morizet dans la crèmerie concurrente : le représentant d’une fallacieuse opposition interne au parti, qui affirme porter un discours « alternatif » pour rabattre les hésitants qui quitteraient le parti sinon, mais qui in fine, n’a aucune influence sur les orientations de son parti et vote pour l’essentiel avec lui : un apparatchik déguisé en refuznik ! Je le trouve excessif dans ses paroles (hier aussi il proposait la cour martiale pour Mélenchon pour crime d’avoir refusé de s’allier à lui…), et je ne me suis pas fait avoir deux fois à ses trémolos pour les retraités, les chômeurs, les travailleurs et qui vous voulez : c’est un camelot sans grande vision qui occupe un créneau. Enfin c’est ainsi qu’il m’apparaît, je ne sais pas si j’ai raison (je n’ai pas creusé plus que ça). Par ailleurs il ne m’a jamais répondu sur Twitter, c’est donc quelqu’un d’antipathique. []
  2. Je vous laisse imaginer ce qu’a pris Filoche pour avoir employé le mot « Cabale », qui vient de l’hébreu Kabbale. []
  3. Les sénateurs sont élus selon un processus non-démocratique, cette fonction sert à placer les cadres du partis, ils se sentent donc tout à fait dispensés de faire connaître leur existence à leurs administrés. []