Les derniers jours de la politique

Je me souviens que ma grand-mère paternelle n’aimait pas beaucoup François Mitterrand, mais qu’après l’élection de ce dernier, elle m’avait dit quelque chose comme : « maintenant, c’est lui le président, il n’y a plus à en discuter, espérons qu’il travaillera bien ». À présent, Emmanuel Macron est le président, et il faut bien en prendre son parti et souhaiter que le destin de la France tourne au mieux. Promis, juré, donc j’ai envie de croire en Emmanuel Macron. Enfin j’avais envie d’y croire, je le dis au passé, car le début de son mandat ne prend pas un tour très rassurant.
Bien sûr, je n’ai pas voté pour lui, j’ai même parfois eu l’impression d’assister à un épisode d’hallucination collective en observant son ascension, alors bien sûr, j’attendais peu de son quinquennat, mais j’espérais au moins que les qualités que j’avais cru identifier chez le nouveau président s’exprimeraient. Il me semblait qu’un président qui invente sa majorité en piochant les personnes et les idées à droite, à gauche et au centre, aurait comme première vertu d’abandonner les automatismes propres à chaque culture politique et peut s’autoriser toutes les solutions aux problèmes qu’il doit régler, peut s’autoriser le dialogue avec tous les acteurs politiques et non-politiques du pays. On pouvait aussi espérer que sa majorité, du fait de la diversité des parcours et des idées de ses membres, permettraient des débats ouverts, non mécaniques, et au fond bien plus intéressants que les traditionnelles oppositions entre partis.
Enfin, puisqu’il avait brillamment réussi à empêcher la presse de l’amener sur le terrain de l’identité et de la religion, j’espérais que nous allions enfin vivre une présidence un peu reposante sur ces sujets qui pourrissent le pays et montent les gens les uns contre les autres.

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, comme chacun sait. Ces propositions, issues du programme d’Emmanuel Macron se trouvent encore sur son site mais sont contredites par la proposition de budget : 850 millions d’euros de coupes dans l’armée, 80 millions dans l’éducation nationale et 331 millions d’euros de coupes pour l’éducation et la recherche.

Mais où en sommes-nous exactement ? Pour financer la baisse de l’ISF et la recapitalisation d’AREVA (une question critique, effectivement, car notre sécurité nucléaire en dépend… Ce que nos gouvernants précédents auraient pu mieux mesurer), le gouvernement contredit toutes les promesses d’une campagne terminée depuis quelques mois seulement, en supprimant des crédits partout où il s’était engagé au progrès ou à la stabilité, y compris lorsque cela mène à un vrai péril. Pour exemple, les universités, depuis leur autonomisation, peuvent faire faillite, et leur finances sont déjà bien fragiles. Je ne suis pas spécialement attaché à l’idée de porter le budget de la Défense à 2% du PIB, mais il est incroyable d’avoir fait une telle promesse pour enlever ensuite près d’un milliard d’euros à l’armée… La semaine où on s’est engagé à réserver plus de six milliards pour les jeux olympiques de 2024 — et en sachant très bien qu’il n’est jamais arrivé que le budget prévisionnel des jeux soit tenu, et qu’un doublement ou un triplement de la somme n’est pas rare. Bien entendu, en 2024, le président aura peut-être changé, et c’est de toute façon lorsque les jeux seront passés depuis longtemps les jeux que la dette pèsera durablement.

Trois mois seulement pour ravaler ses promesses (en se disant surpris de la mauvaise gestion des gouvernements précédents dont l’actuel président a été ministre de l’Économie et par les problèmes d’Areva dont le premier ministre a été le lobbyiste), c’est rapide. C’est même fulgurant, comme tout ce que fait Macron. Tant qu’à trahir ses promesses, après tout, peut-être vaut-il mieux le faire d’un coup sec comme on arrache un sparadrap, qu’en y allant petit à petit comme l’a fait le précédent président : la première méthode laisse à peine le temps de comprendre que l’on souffre.

La fascination qu’exerce Emmanuel Macron sur les médias n’est pas forcément de l’amour, mais elle n’en est pas moins dérangeante. Comme les passereaux qui nourrissent l’oisillon du coucou au détriment de leur progéniture, ils voient ce qu’il se passe et ironisent même sur le sujet, mais n’en sont pas moins irrésistiblement attirés, comme hypnotisés.

S’il n’avait fait que revenir sur ses promesses financières, Macron ne ferait que suivre la tradition de ses prédécesseurs. Mais, fort de sa majorité absolue à l’Assemblée, il donne aussi quelques signes inquiétants d’autocratie et de mauvaise éducation bourgeoise. Sur la mauvaise éducation, on se rappellera de sa méprisante sortie sur le tee-shirt et le costume (« Vous n’allez pas me faire peur avec votre Tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler »), de son ironie sur les Comoriens qui tentent d’atteindre Mayotte (« Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent. »), de sa récente description des gares (« Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ») ou plus récemment encore, de son affirmation que le problème de développement de l’Afrique était civilisationnel, et s’expliquait notamment par le fait que les femmes y ont sept ou huit enfants… Même si l’ensemble du propos est moins choquant que les phrases qui en ont été extraites, il y a là une terrible ignorance de principes démographiques universels connus depuis deux siècles (la richesse fait la dénatalité, pas le contraire), et une essentialisation de la misère qui est aussi obscène que l’étaient nos aïeux réactionnaires lorsqu’ils affirmaient que les femmes ne pouvaient être ni scientifiques ni artistes, n’ayant pas le cerveau conformé pour cela.
Bien entendu, plus on parle devant des micros et plus on est amené à dire des choses rapides, imprécises, idiotes, parfois contre ses propres opinions… Peut-être ne faut-il voir là que des phrases malheureuses qu’on regrette sitôt après les avoir dites et auxquelles il faut éviter de donner de l’importance. Mais si ces petites phrases qui échappent à leur auteur et le rendent suspect d’une mentalité bien moins moderne que prévu persistent à s’accumuler, il faudra se poser des questions et se demander si le vernis n’est pas en train de craquer. Comme beaucoup l’ont remarqué, en tout cas, les mêmes phrases n’auraient jamais été pardonnées à Sarkozy ou Valls.

Président de la République à trente-neuf ans en ayant attendu d’avoir démarré sa campagne pour construire son programme – un programme avant tout composé d’affirmations tautoloqiques ou évidentes (du niveau « pour que la France retrouve sa grandeur il faut qu’elle retrouve sa grandeur ») et dont les seules promesses précises ont déjà été abandonnées…  Je ne vois qu’une explication au maraboutage général dont les Français ont été victimes : Emmanuel Macron est soutenu par le cabinet d’avocats démoniaques Wolfram & Hart (dans la série Angel, pour ceux qui ne connaissent pas).

Enfin, notre tout nouveau président montre quelques signes d’autoritarisme : il veut maîtriser la presse (qui s’en plaint), affirme avoir une pensée trop complexe pour s’abaisser à expliquer ses actions aux misérables vermisseaux que nous sommes : ce n’est pas de la mauvaise volonté, ce n’est pas qu’il refuse de répondre aux questions des journalistes, c’est juste que ces derniers ne pourraient pas appréhender la complexité de ses réponses. On imagine qu’il n’aurait pas osé leur dire une chose pareille avant d’être élu ! J’ai l’impression d’être dans un très mauvais remake du Schtroumpfissime (1964), par Peyo1.
Puisque c’était le point faible que certains craignaient de lui découvrir, Macron tente de s’imposer comme « leader » : il broie la main de Donald Trump (puis s’en vante pendant deux semaines), il dit à l’armée « Je suis votre chef », et il impose au groupe parlementaire La République en marche un règlement particulièrement autoritaire : interdiction de laver son linge sale en public, interdiction de co-signer des amendements ou des lois avec des membres d’autres groupes,… Quant aux statuts du parti, que vont bientôt voter ses adhérents, ils semblent être particulièrement peu démocratiques. C’était prévisible : le parti est né pour servir les ambitions d’un homme, et pas pour promouvoir des idées : les idées sont venues après, ce qui a déterminé le vote, c’est plutôt le renouveau que représente une personnalité presque sortie de nulle part, presque vierge en politique puisque son tout premier mandat électif aura été la présidence de la République.

J’imagine bien qu’il ne faut pas trop désespérer les électeurs d’Emmanuel Macron2, parce qu’on ne sait pas trop vers où ils se tourneront lorsqu’ils auront fait le deuil du renouveau et de la modernité qu’ils ont voulu qu’il représente. On dit souvent « après ça, c’est sûr, les gens voteront Le Pen ». Mais je n’y crois pas, les gens n’éliront jamais Le Pen, qui est à mon avis la plus grande perdante de l’élection qui vient d’avoir lieu. Je parie plutôt sur quelque chose d’encore plus grave : l’abandon de toute foi dans le débat politique pour organiser notre pays : nous serons mûrs pour confier nos destinées à des instances administratives technocratiques et à de grandes sociétés bienveillantes qui sauront ce qui est bien pour nous comme pour elles et qui se partageront les restes des grandes entreprises publiques (notre patrimoine commun) : santé, éducation, transports, énergie,… J’aimerais me tromper, mais j’ai peur qu’Emmanuel Macron, comme François Hollande, comme Nicolas Sarkozy, comme l’aurait pu faire François Fillon, eût-il été élu, travaille à une France dans laquelle les frais d’inscription annuels à l’université coûtent le prix d’une automobile, une France où les salariés ne peuvent pas porter de projet collectif, une France où les services vitaux sont à la merci de quelques multinationales. J’ai des enfants, je leur souhaite tout autre chose que ça3, J’aimerais me tromper. Sincèrement.

  1. Mise à jour du 16 juillet : en vacances chez mes parents, où se trouve l’album, je me suis décidé à relire le Schtroumpfissime, qui était conforme à mon souvenir, à un détail très savoureux près : j’avais complètement oublié que ceux qui résistent au despote se font appeler… « Les Insoumis ». À la fin de l’histoire, le pouvoir est repris par le grand schtroumpf, dont l’autorité ne sera pas contestée : la démocratie, décidément, c’est trop dangereux. []
  2. Ce qui me semble positif dans le Macronisme ce sont justement les électeurs, des gens qui veulent autre chose qu’une pathétique guerre de partis, qui veulent une France moderne, dans son siècle, mais aussi apaisée. J’ai peur qu’ils aient misé sur le mauvais cheval. []
  3. On me fait la remarque que cette phrase semble un peu égoïste. D’une part, peut-être, oui : au fond il est naturel de souhaiter que ses enfants aient une belle vie, parce que c’est à ça que servent les parents. Ensuite, bien sûr, je ne parle pas spécifiquement de mes enfants à moi, je veux dire par là que ce n’est pas pour moi-même que je m’inquiète, mais pour ceux qui me survivront, pour l’avenir, quoi. []

3 réflexions sur « Les derniers jours de la politique »

  1. Zou

    Je ressens tout à fait la même chose. Merci pour la synthèse, je commençais mentalement à me faire une liste de toutes les aberrations de notre Président et de ses camar… euh collègues en marche.

    J’ai regardé quelques interventions concernant les interventions récentes de l’assemblée nationale: je suis assez effaré de voir ces glands réjouis défendre leur idéologie suffisante… Quel mépris! Je crois sincèrement que ces gens, malgré leur réussite, notion qu’ils imaginent objective et légitime au regard de leurs fonctions, sont profondément tièdes.

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  2. FoucPerotin

    Pour une fois, j’ai envie de faire court. Ben oui, tu as raison sur tout. Bien sûr, ou bien vu. C’est comme un refrain : on le voyait assez bien venir mais, comme on aime être positif au fond, on se disait : « ça sera peut-être pas si négatif que ça sur tout ». Et puis non, finalement c’est bien le scénario négatif. Et s’y ajoutent ensuite deux couches. 1. le moment où on se dit : merde, c’est quand même pire que ce que je voyais venir. 2. le moment où on se dit : merde, en fait c’est franchement pire que ce que je voyais venir. Alors, ça fait bien chier. Je ne commente pas les alternatives futures, parce que c’est plutôt désespérant et que je ne vois rien naître en quoi croire vraiment (même si j’ai « cliqué » sur le site du M1717, et même adheré à ATTAC – là, j’ai payé une vraie cotisation –, le jour où Macron m’a trop énervé avec l’abandon de fait de la TTF européenne).

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