Le bon côté…

Emmanuel Macron en tête, c’est un problème si on se penche sur son programme (très peu préoccupé par l’écologie, notamment, qui est pourtant l’urgence vitale de notre époque), mais c’est moins problématique si l’on se demande ce que signifie ce vote du point de vue de son électorat, si on analyse ce que ses électeurs projettent sur le personnage. Déjà, il semble incontestable que lesdits électeurs veulent dire par leur vote qu’ils ne croient plus à la division du monde entre PS et RPR (et avatars successifs), qu’ils ne veulent plus voir les mêmes têtes défiler indéfiniment à l’écran, que cette pantomime de l’alternance les a lassés. Et cela se comprend. Plus embêtant d’une certaine manière, ce choix peut aussi exprimer un ras-le-bol de la politique en général : trop compliqué, on ne veut plus de clivages, de lutte des classes, de choix. Je fais partie de ceux qui ont l’impression de voir nos social-démocraties prêtes à basculer dans le monde tel que nous l’annonçait la science-fiction des années 1970, où les États cèdent définitivement la place à des corporations plus ou moins bienveillantes entre lesquelles se jouent les véritables jeux du pouvoirs, et qui n’est jamais qu’une forme anonyme de féodalité. L’immense avantage d’une prévisible victoire de Macron, en tout cas, tient dans ce que le personnage est moins « clivant » que d’autres, et s’il ne représentera certainement pas la totalité (ni même une majorité) des français, il n’est pas non plus un épouvantail trop effrayant, il ne sera pas haï ou craint par trois personnes sur quatre, contrairement à ses concurrents du soir Le Pen, Fillon et Mélenchon. Il n’est pas raciste, ne déteste pas les journalistes (qui lui ont offert d’exister), ne se désigne aucun ennemi mortel, aucune cible (religieuse, ethnologique, culturelle, sociale, financière, institutionnelle, professionnelle), et au contraire, étant donné sa position très particulière, sera sans doute le premier président français depuis longtemps à pouvoir construire une majorité politiquement hétéroclite sans que l’on parle de cohabitation ou d’ouverture : puisque « En marche ! » n’est pas un parti, puisque d’innombrables personnalités politiques issues de grands partis concurrents ont fait connaître leur ralliement, on peut imaginer que notre prochain gouvernement sera un gouvernement de coalition où des personnes issues d’horizons différents devront travailler en bonne intelligence.

Vu à Paris

J’espère que ceux que Macron a convaincus supporteront le passage à la réalité, l’ouverture de la boite du chat de Schrödinger, qui ne permettra plus d’affirmer pouvoir superposer simultanément deux états incompatibles. Sans parler de la différence entre leurs choix politiques respectifs, un Macron me semble gazeux, totalement dénué de consistance face à quelqu’un comme Mélenchon. Et j’ai peur que ceux qui ne le voient pas aujourd’hui le découvrent un peu brutalement plus tard. Mais je peux me tromper sur l’avenir, c’est peut-être précisément ce manque d’épaisseur politique qui a été la raison du succès électoral de Macron. Si l’on attend des gens qu’ils votent rationnellement pour un programme clairement défini, il semble impossible de préférer Macron à la plupart des dix autres candidats. Mais si le sens du vote est justement de refuser les programmes trop clairs, de refuser de se positionner en fonction de décisions techniques ou difficiles, alors, ce choix prend tout son sens. Finalement, l’aura de Macron, c’est la nouveauté, la jeunesse, une certaine nonchalance vis à vis de l’histoire et de la tradition politique, une réputation d’être favorable à l’esprit d’entreprise, à une certaine fluidité économique et à l’Union européenne. Tout ça est assez positif en soi, mais les arbitrages vont être difficiles entre les intérêts des uns et des autres, et cela commencera dès la constitution du premier gouvernement « en marche ».

J’ai eu très peur en ouvrant l’enveloppe et en découvrant la tête de François Fillon – le moment m’a immédiatement rappelé une scène marquante du film Shining, où Jack Nicholson passe sa tête au travers d’une porte qu’il a attaquée à la hache dans un accès de folie furieuse. Sans vouloir de mal au bonhomme (assez pathétique), j’avoue que je suis surtout soulagé de voir disparaître ses idées et ses soutiens de la campagne.

Ce soir toujours, Jean-Luc Mélenchon a déçu ou énervé certains en refusant d’extrapoler les premiers résultats électoraux à la France entière, apparemment animé par l’espoir d’obtenir la troisième voire même la seconde place de l’élection. Et surtout, il a fâché en n’appelant pas immédiatement à voter contre le Front National. rappelant que ceux qui l’avaient choisi pour les représenter dans cette élection ne lui avaient pas donné de mandat pour donner des consignes de vote et annonçant que ceux-ci seront appelés à se prononcer rapidement. Certains reprochent à Mélenchon de ne pas être démocrate, mais cette fois on lui en veut de l’être trop ! Et puis qu’est-ce qui est le plus « républicain » (quoique ça veuille dire) : en appeler « à l’intelligence de chacun », comme l’a fait Mélenchon, ou bien demander aux électeurs d’aller mettre le bulletin qu’ils ne veulent pas dans l’urne, au nom de la démocratie ?
Même si je comprends le propos de Mélenchon, je pense qu’il aurait été bien qu’il se positionne clairement dès qu’on lui a tendu le micro pour le faire, histoire que ses électeurs ne se retrouvent pas accusés d’être interchangeables avec ceux du Front National, accusation devenue systématique dans de nombreux médias et chez les détracteurs de la « France insoumise » et qui, il me semble, pose plus de questions quant aux priorités morales et politiques de ceux qui l’émettent qu’elle n’informe sur le mouvement et ses électeurs.

Personnellement, j’ai voté Mélenchon, j’irai voter Macron, sans conviction mais aussi sans souffrance, plutôt heureux d’avoir échappé à un second tour Fillon-Le Pen. Je ferai mon devoir, quoi, sans plaisir et sans espoirs. Bien sûr, ce dimanche ne me semble pas vraiment joyeux, je constate que mon pays est très à droite, à peine plus concerné par l’écologie que Donald Trump, et semble avoir perdu tout rêve d’avenir un peu ambitieux. C’est ainsi,
le progrès devra se faire autrement que par la lutte politique, ce que j’ai, du reste, toujours su.
Mais au moins, c’est terminé, je vais pouvoir me remettre à penser à autre chose qu’aux élections, car celles-ci m’ont paralysé pendant deux semaines, alors même que je ne suis militant de rien et que j’avais mille fois plus utile et intelligent à faire. Je vais tenter de ne pas trop m’intéresser aux élections législatives qui se profilent. Le bon côté c’est que c’est terminé.

2 réflexions sur « Le bon côté… »

  1. Fouc P

    J’ai au moins un point commun avec toi : pas bien bossé ces deux dernières semaines, et je suis dans la merde à cause de ça.

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