L’affaire Mehdi Meklat, suite

Je me dois de publier un complément à mon article précédent, qui était écrit à chaud, en découvrant l’affaire (et la personne) Mehdi Meklat. J’ai, depuis, participé à de houleuses conversations sur Twitter et lu les différentes réactions émanant de personnalités médiatiques ou politiques1, et les articles de presse que cette histoire a suscités2. Contrairement à ce que beaucoup ont cru en voyant que je ne participais pas à la joyeuse séquence de lapidation, je n’ai jamais voulu défendre ses tweets, et pas plus tenté d’en minimiser le contenu. Je n’ai pas non plus cherché à mettre en balance ces tweets avec d’autres erreurs ou horreurs commises par d’autres personnes censément opposées, car pour moi, une horreur commise par quelqu’un qui appartient à un camp, à une bande, et une horreur commise par quelqu’un qui appartient à l’autre bande, ça ne crée pas un équilibre, un match nul, ça fait deux horreurs. En fait, je pense même que toutes les erreurs appartiennent au même camp objectif, participent au même monde, malgré les oppositions culturelles, communautaires, idéologiques et autres. La seule chose qui m’intéresse, c’est de comprendre (non, comprendre n’est pas excuser !).
C’est ce qu’a voulu faire Claude Askolovitch, qui est allé rencontrer Mehdi Meklat, qu’il ne connaissait pas, et qu’il s’est proposé (finalement sans grand effet) de conseiller, car son brouillon de réponse (…) était mièvre. Il évoquait sa famille et ses bonnes actions, ses reportages auprès des éclopés du capitalisme. Il ne pouvait pas être mauvais, alors? «Ne vous abritez pas!» Je lui disais de prendre des risques. «La seule chose qui m’intéresse, c’est de savoir jusqu’où vous ressemblez à cette violence, et jusqu’où je peux la comprendre, voire la partager…». Plutôt que la comparaison à l’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde qui est venue à l’esprit de plusieurs commentateurs, Askolovitch établit un lien avec le golem du rabbin löw : le monstre qu’on crée pour se défendre mais qui échappe à tout contrôle.
Une autre tribune me semble apporter une ouverture, c’est Mehdi Meklat : Internet est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes, par Xavier de la Porte sur France Culture. Xavier fait une présentation des faits plutôt dépassionnée et juste qui se conclut par une réflexion sur nos vies numériques : « Il y a sans doute chez Mehdi Meklat une complexité qui nous échappe, et lui échappe aussi. Mais voilà, qui d’autre que lui peut le savoir, à condition que lui-même le sache ? Une seule chose est certaine dans cette histoire : avec sa capacité de mémorisation, avec les possibilités qu’il offre de jouer avec les identités, avec ce qu’il permet de cette parole mi-privée mi-publique, avec le sentiment d’impunité qu’offre cette parole, Internet est un lieu compliqué. Mais c’est un lieu encore plus compliqué pour les gens complexes ».

La palme du tweet incongru revient à celui-ci : une capture d’une page du premier livre de Mehdi Meklat et badroudine Saïd Abdallah censée être une « preuve » d’on ne sait quoi… Car c’est bien connu, aucun romancier n’a jamais mis en scène des personnages néfastes, des assassins, des crimes affreux,…

Je comprends les gens qui se sentent en colère, il y a de quoi. Je comprends que la colère leur rende insupportables, pour l’instant en tout cas, les tentatives de réflexion et de mise à distance. Enfin je ne sais pas si je le comprends mais je le constate, ceux qui s’y essaient se font copieusement insulter, reprocher une complaisance indigne ou irresponsable, etc. En trois jours, on m’a traité d’à peu près tous les noms, on m’a soupçonné d’être un inconscient, un futur collaborateur du califat de Daech-en-France, on m’a accusé, moi, athée laïcard, de soutenir une religion, on m’a reproché d’être pacifiste (je plaide coupable), on m’a asséné des cours sur l’histoire, sur les religions, sur la sourate numéro tant, on m’a juré qu’on n’enverrait jamais ses enfants à l’Université Paris 8 juste pour me punir puisque j’y enseigne, on a exhumé mes tweets honteux3, on m’a posé quinze fois la même question sans jamais accepter mes réponses, on m’a dit que je devais me taire (au nom de la liberté d’expression puisque je suis complice de ses ennemis, bien sûr), on m’a traité d’ignorant, on m’a dit que je faisais du deux-poids-deux-mesures4, etc., etc.
Sur Facebook, je bénéficie d’un environnement contrôlé : les gens avec qui j’y discute sont majoritairement des personnes que je fréquente dans le monde tangible, donc d’accord ou non, on peut discuter de manière civilisée. Sur Twitter, ça s’est avéré plus difficile, mais bon, je ne suis pas un nerveux, j’ai répondu patiemment, a priori toujours poliment, mais malgré tout un peu vexé de constater que mes contradicteurs ignoraient mes questions ou mes arguments lorsque ceux-ci dévoilaient l’incohérence de leurs raisonnements, et qu’ils ne consultent aucun des documents que je leur signale. Ceci dit, quand ils m’envoient sur leurs sites fascistes, je suis réticent à cliquer. Car mes contradicteurs sur Twitter, ces jours-ci, étaient souvent très très à droite, l’un m’expliquait par exemple le bien qu’il fallait penser du régime de Pétain, et la plupart me traitaient à chaque occasion de « gauchiste ». J’ai régulièrement répété que je n’étais pas de gauche, ce qui m’a valu quelques excuses — je me suis gardé de spécifier que si je ne suis pas de gauche, je reste infiniment moins de droite !

Sur Amazon, de courageux justiciers viennent descendre en flèche non le livre (que personne n’a lu) mais un de ses deux auteurs, à son tour insulté. Un exemple parmi d’autres du fait que le sentiment d’être dans le camp des gentils autorise un certain déchaînement de violence.

Une chose m’a intéressé : face à cette personnalité dissonante (le gentil Mehdi/l’affreux Marcelin), un Docteur Jekyll et Mister Hyde, comme beaucoup l’ont décrit, la plupart des gens choisissent de penser que la vérité de la personne est forcément le mauvais personnage, le Mister Hyde, et que cela entache et dénonce tout ce que le docteur Jekyll a pu produire de positif au cours de sa jeune existence.
Je vois deux raisons possibles à cette vision des choses. La première, c’est la peur que chacun a de laisser s’exprimer le Mr Hyde qu’il confine dans un coin de sa tête et espère contrôler.  C’est une peur que je comprends très bien car, sans doute, je la partage, je ne veux pas avoir d’indulgence envers mes propres pulsions. Ça ne vous arrive jamais de penser des horreurs, même de manière très fugace ? Moi, si, et pourtant mon surmoi (ou mon cortex préfrontal ventromédial, si vous préférez) veille au grain, c’est un calviniste pas commode, assez coincé et très sensible à la peur de se montrer injuste comme à celle d’éprouver de la honte.
L’autre raison m’inquiète beaucoup plus, parce qu’elle est ressassée sur toutes les ondes et dans les magazines d’information par les intellectuels médiatiques membres du « printemps républicain », par le discours d’une partie des journalistes, etc., et qu’elle trouve un fort écho populaire. Je parle de la peur panique qu’inspirent les musulmans : celui-ci, que l’on célébrait comme talentueux et bon-esprit mais qui expliquait refuser de s’excuser d’exister s’avère avoir été, plus ou moins en secret, un petit con ? Pataras, c’est tout ce qu’il représente qui s’en trouve sali, qui devient suspect, comme si on n’avait attendu qu’un domino en équilibre douteux pour que tout l’édifice s’écroule5.  Ce sont tous ceux qui l’ont aidé (Arte, France Inter, Le Seuil, etc.), qui deviennent les idiots utiles du plan machiavélique des Frères Musulmans ou de l’Arabie Saoudite. Bref, les musulmans sont intrinsèquement et irrémédiablement antisémites, sexistes et homophobes, leur livre saint les rend fous6, et ceux qui se refusent à ces généralisations sont des naïfs et des aveugles.

Le film Invasion of the Body Snatchers (Don Siegel, 1956) est souvent considéré comme une évocation de la psychose anticommuniste de son époque, même si on ne saurait dire si les humains « remplacés » sont censés être les communistes ou les macCarthystes. Le climat paranoïaque actuel m’évoque ce film.

Le problème que je vois dans cette opinion c’est qu’elle n’a qu’une issue : le choc des civilisations, la guerre. Une personne sur quatre dans le monde est musulmane, et parmi ces personnes, nombre sont croyantes et pratiquantes. Si on ne les considère pas comme des personnes douées de raison, à qui on peut expliquer son point de vue, avec qui on peut partager des valeurs, alors on n’a plus beaucoup de perspectives. Si on pense qu’un humain sur quatre est et ne peut être qu’un ennemi mortel, alors on ne peut vivre que dans la peur, et on devient l’instrument des projets de tous ceux qui ont intérêt à entretenir cette peur et à créer des occasions de l’exacerber. C’est pour préparer les batailles que l’on rassemble ses troupes, qu’on les excite, qu’on envoie de pauvres gens qui n’ont pas la moindre idée de ce que sont la pluralité de la presse et la liberté de caricaturer brûler des bâtiments diplomatiques français, ou qu’on réussit à provoquer des semaines de psychose au sujet d’une tenue de bain.
Les perspectives d’avenir que cela me suggère me font, à mon tour, très peur.

Les comptes parodiques sont nombreux sut Twitter. Certains sont très drôles, d’autres bien plus faibles. Certains, aussi, peuvent être soupçonnés d’émaner de partis politiques, tant ils sont systématiques à relayer leurs idées.

Revenons au cas de Mehdi Meklat. Qu’est-ce qu’on en fait, de ce jeune homme ?
Je ne vais pas essayer de récapituler la séquence des tweets et des erreurs fatales (conserver les tweets, supprimer les tweets) qui aurait permis de tenter de contextualiser l’ensemble au delà des « on dit que » dont la liste ne cesse de gonfler. Je dois tout de même rappeler qu’il n’a pas été « démasqué », comme Lorànt Deutsch en son temps, mais qu’il a plusieurs fois, et de manière très badine, évoqué ces tweets dans diverses interviews, Je ne vais pas non plus m’attarder sur la tradition très vive sur Twitter des comptes parodiques.
Les précisions de ce genre sont désormais inaudibles et passent pour des calculs byzantins. On veut voir perler le sang, le fautif doit expier.
La LICRA a décidé de porter l’affaire en justice. Pour moi, c’est une bonne et une mauvaise chose. Une bonne chose, car l’affaire va pouvoir être dépaysée, quitter le tribunal populaire pour être jugée dans un tribunal tout court, et on peut espérer voir le droit appliqué équitablement. Mais c’est aussi une mauvaise chose, car un procès se conclut par une transaction : on troque la faute commise et la culpabilité qui l’accompagne contre une amende ou une peine de prison. On paie sa dette. Mais est-on beaucoup plus avancé ?
Certains réclament la disparition médiatique de Mehdi Meklat : on ne doit plus vendre ses livres, sa maison d’édition doit le congédier, les médias avec lesquels il travaille doivent rompre toute collaboration. Une vengeance, donc, mais dans quel but exactement ? Qu’est-ce qui peut en ressortir ? Pourquoi lui refuserait-on le droit de faire ce qu’il sait bien faire au nom de ce qu’il a fait de mal ? Quel métier veut-on qu’il fasse ensuite ? Quand aura-t-il le droit de redevenir journaliste et romancier ? Est-ce qu’une partie du public aimerait — pour conforter ses préjugés — que Mehdi Meklat devienne fou et paranoïaque comme l’est devenu Dieudonné, qu’il choisisse de devenir le Mr Hyde qu’on l’accuse d’être ?
Personnellement (c’est encore mon intransigeant surmoi calviniste, voire zwingliste, qui parle), je ne crois pas au pardon, aucune mauvaise action n’est jamais lavée, elle a été commise, elle existe à tout jamais, chercher à en réparer les conséquences ne répare rien, c’est juste le minimum que l’on puisse faire. Et avec Internet, aucune mauvaise action ne pourra plus jamais être oubliée. Mais d’un point de vue pragmatique, que faire de Mehdi Meklat ? Qu’a-t-on prévu qu’il devienne ? Qu’est-ce que ses dix mille juges proposent ?

  1. Christiane Taubira, nettement visée dans l’affaire, réagit avec un texte clair qui condamne les tweets sans condamner le reste de l’œuvre. Pierre Siandowski, des Inrockuptibles, réagit avec fermeté mais aussi amitié et confiance.
    La réaction du jeune homme, publiée sur Facebook, est à lire aussi. Voici sa conclusion : « Pourtant, ces outrances n’ont rien à voir avec moi. Elles sont à l’opposé de ce que je suis et ce que je veux représenter. Je me souviens que Marcelin Deschamps, parfois, en une heure, pouvait ne jamais s’arrêter. Sa diarrhée verbale était son expérience ultime, comme un déversement sale et visqueux dans un monde qui peut l’être tout autant. Aujourd’hui, j’ai conscience que les provocations de Marcelin Deschamps, ce personnage pouilleux, étaient finalement leurs propres limites. Elles sont désormais mortes et n’auraient jamais dû exister ». []
  2. Notamment : Docteur Mehdi et Mr Meklat (Mediapart) ; Mehdi Meklat, jeune écrivain prodige, et son double antisémite et homophobe (Arrêt sur images) ; Le chroniqueur Mehdi Meklat rattrapé par ses tweets haineux (Le Monde) ; D’anciens tweets injurieux d’un chroniqueur du Bondy Blog provoquent un tollé (Le Figaro) ; Tweets outranciers : l’étrange cas du Dr Meklat et de M. Deschamps (Libération) ; Mehdi Meklat prétend que c’était son double maléfique qui tweetait (Rue89) ; Mehdi Meklat : “Avec Marcelin Deschamps s’est joué quelque chose de l’ordre de l’autodestruction” (Télérama).
    J’ai aussi lu des portraits et des interviews de Mehdi Meklat. J’ai été particulièrement intéressé par son passage, il y a moins d’une semaine, à La Grande Librairie où, avec son binôme Badroudine Saïd Abdallah, il fait figure de jeune homme posé, intelligent et intéressant, brillant pour son très jeune âge. Certains y avaient vu une « humiliation » de Philippe Val (lui aussi invité), ce que j’ai désespérément cherché, et depuis, certains interprètent l’impassibilité de « Mehdi et Badrou » lorsque Val ou Kamel Daoud s’expriment comme une muette hostilité, mais je pense qu’objectivement, rien ne démontre quoi que ce soit de ce genre. []
  3. Notamment un où je plaisantais sur le fait que la télé continentale appelait « régionalistes » les listes nationalistes corses… On n’a pas su m’expliquer le problème que posait cette réflexion. []
  4. On m’a par exemple dit que je n’aurais pas été aussi indulgent avec Lorànt Deutsch. Ce procès d’intention m’a posé deux problèmes. Le premier c’est que je n’ai jamais eu pour but d’être indulgent envers les tweets de Mehdi Meklat. Le second est que je ne voyais pas du tout de quoi il était question… Et puis on m’a rappelé les tweets de @Lacathelinierre, compte utilisé par l’acteur-historien pour couvrir d’injures toute personne le critiquant. Il se montrait furieusement misogyne, voyait en ses contradicteurs des « islamo gauchos » et des « bobos connos ». Enfin, il ironisait régulièrement sur le massacre du Bataclan. Il s’est défaussé en plaidant le compte piraté, ce qui a suffi à beaucoup et l’affaire n’a pas pris des proportions trop exagérées.
    J’ai cherché ce que j’avais dit à l’époque : j’avais ricané, j’avais relayé deux articles, et cela m’avait inspiré un article sans rapport avec les tweets en question. Mais je n’avais demandé la tête de personne, je n’avais pas écrit à l’éditeur de Deutsch pour lui demander de rompre son contrat, etc. Je ne pense pas souvent participer à des « lynchages » virtuels. J’emprunte sans doute les mêmes vagues et les mêmes courants que tout le monde, mais je n’aimerais pas me voir en piranha. []
  5. On peut voir comme cette histoire a ouvert la boite à fantasmes avec un article de l’écrivain (à compte d’auteur, mais peu importe) Arnaud Vauhallan, qui écrit : « Vous les bourgeois, c’est sans doute un univers qui vous fascine et vous imaginez sans doute des banlieues comme des endroits où les méchants policiers traquent les gentils jeunes en fonction de leur couleur de peau, en réalité c’est pas ça. Les violences dans ces endroits ne sont pas commises par les policiers et tout le monde le sait, sauf les bourgeois. C’est pas les policiers qui pissent dans l’ascenseur, qui dealent du shit dans le hall, qui fouillent les gens pour voir si c’est pas des flics avant de rentrer dans la cité, qui balancent de l’électro-ménager sur les voitures de l’Etat, qui font des tournantes, des braquages, qui brûlent des bagnoles, c’est pas les policiers qui font ça et tout le monde le sait. »
    … Sans souscrire à certains récits angéliques (mais qui y souscrit, au fait, qui y croit en dehors de ceux qui les dénoncent, comme ici ?), indiens contre cowboys, etc., les gens qui vivent dans les banlieues auront du mal à contresigner un tel ramassis de clichés ! []
  6. Comme je l’ai écrit de nombreuses fois sur ce blog et ailleurs, je ne crois pas du tout à l’hypothèse du livre qui dirige les actes : les gens choisissent dans les livres saints (ou maudits) ce qu’ils veulent bien en retenir. Croire que quiconque serait assez influençable pour être l’esclave d’un livre revient à exonérer de leurs responsabilités ceux qui agissent mal au nom des livres. C’est ce que je pense des religions en général : elles sont faites par les hommes, et ceux-ci obéissent à ce à quoi ils veulent bien obéir. Et quand elles servent à opprimer, ceux qui s’en réclament ne retiennent que ce qui les arrange.  Cf. mon article Il n’existe pas de religion de paix. []

11 réflexions sur « L’affaire Mehdi Meklat, suite »

  1. Muadib

    Sur la page du livre que tu reproduis « Et les clowns comme toi, c’est comme ces putains de sale clown de feujs. Vous allez tous y passer. »
    Certes, je n’ai pas lu le livre, donc c’est hors contexte. S’il n’y avait pas ses tweets par ailleurs, je ne réagirais probablement pas.
    Mais quand je vois la façon dont Laurence Rossignol, il n’y a pas si longtemps, a été crucifiée 🙂 pour avoir dit « «Il y a des femmes qui choisissent, il y avait aussi des nègres afric… des nègres américains qui étaient pour l’esclavage. « !
    J’ai du mal avec l’idée qu’il y aurait des mots imprononçables tels que « nègre », mais que par contre des appels au meurtre, des déclarations antisémites, misogynes ou homophobes ne doivent pas être dénoncées parce que que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Muadib : mais un romancier qui crée un personnage raciste qui dit des mots racistes, même si ça dit des choses du romancier (qui peut-être évacue une violence qui le déborde – et qui n’est pas forcément ses idées), c’est assez commun, non ? Quand Laurence Rossignol parle en tant que ministre, des esclaves qui trouvaient très bien d’être esclaves, et utilise le vocabulaire des manuels scolaires de 1930, ça pose un problème, c’est plus étrange et inquiétant que condamnable par le pal, du reste. L’unique chose qui la sauve c’est qu’on sent qu’elle n’est pas consciente du degré d’insulte envers tout le monde qui se trouvait dans sa comparaison.
      Sinon je ne dis pas qu’il ne faut pas dénoncer, mais passé un certain stade de violence, ça dit des choses sur ceux qui dénoncent aussi.

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      1. Muadib

        @ Jean-No D’accord sur le romancier, mais ce sont ses tweets qui nous donnent à voir différemment ce qu’il a pu écrire. Peut-on lire ces livres en faisant comme s’il n’avait pas publié ces tweets ?
        En ce qui concerne le mot nègre, ce n’est qu’un mot. Selon le contexte et celui qui l’utilise sa signification est différente. Et pourtant c’est comme si un tabou absolu avait été transgressé. On est quasiment dans le pensée magique. Comme si de ne pas prononcer le mot, supprimait le racisme et que de le prononcer le suscitait. Les américains utilisent des euphémismes tels que le « N word » comme si ça changeait quoique ce soit. (Enfin bon maintenant le N word semble également devenu tabou.)
        Avec Mehdi Meklat on n’est pas dans la pensée magique, mais dans la pensée articulée. Ce ne sont pas les mots qui posent problème mais les idées qu’il revendique dans ses tweets.
        Toute cette discussion est surréaliste. Suppose que ce soit Cyril H. ou Trump ou un syndicaliste policier ou un membre de la famille L P qui nous ait sorti ces tweets. Tu serais avec la meute. Parce que c’est Mehdi Meklat ce serait différent?

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  2. Caligans

    Les horreurs « symétriques » ne s’annulent pas mais on peut faire un parallèle favorable à MM : il était tout seul et avait conscience qu’il disait des horreurs (en tout cas il le dit) tandis qu’en face ils sont en meute et ne veulent pas admettre qu’ils sont ignobles (envers les musulmans, lgbt, &c.) et qu’appeler à la mort sociale de quelqu’un c’est pire que traiter une éditocrate de pute.

    Il y aurait aussi à creuser sur la forme : le langage « banlieue » qu’il utilise (naturellement, pas au second degré comme les bourgeois ?) l’assimile automatiquement à un stéréotype très péjoratif (agressivité, antisémitisme bu au lait de la mère, délinquance, etc), indépendamment du fond. Rien que ses mots le condamnent aux yeux de la meute. Par exemple, ils ont ressorti ce tweet https://twitter.com/mehdi_meklat/status/830156670466740226 pour prouver qu’il n’avait pas de double mais que Marcellin c’était lui. Or, nous avons été nombreux à réagir au tweet #bamboula de Bilger et si c’était en termes plus châtiés, au fond, on pensait la même chose que lui, notre mépris profond exprimé sans insultes est absolument équivalent à « C’est ta mere la bamboula sale batard ».
    Faudrait compter, mais on pourrait dire que ça annule pas mal d’horreurs. J’avoue ne pas voir beaucoup de différence entre le souhait rhétorique qu’on cassât les jambes de Finkielkraut et le mépris plus sophistiqué que je pourrais exprimer à son égard…

    Enfin, la thèse des pulsions me va très bien. Moi aussi j’ai un surmoi très puissant mais je conçois que d’autres soient plus extravertis. En plus twitter donne l’illusion de pouvoir interpeller des gens connus ou médiatiques — illusion qui se dissipe rapidement ce qui peut conduire à forcer la dose pour se faire entendre, faire réagir.

    Bref, quoi qu’on en pense il ne mérite pas la curée.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Caligans : oui, le problème de la curée, c’est son but final : où est-ce que ça nous emmène ? On m’a signalé cet article de Libé : Punir l’autre, quelle jouissance .
      J’ai pris la réflexion de Bilger au premier degré : il explique que de son point de vue, le mot n’a pas toujours été une insulte, et ça induit qu’il ne se considère pas comme raciste. Là il me semble qu’il a surtout besoin de pédagogie, de se demander si son âge d’or personnel ne bénéficiait pas juste d’une totale impunité dans le racisme, le sexisme et l’homophobie, déjà, se demander comment le mot était reçu par ceux qu’il visait, se demander qui l’utilise à présent et avec quelles intentions, etc. Et qu’il se demande aussi qui le soutient, lui, et avec quelles intentions.
      Dire « ah ce Finkielkraut, faudrait lui casser les jambes », je suis sûr que je pourrais le faire (enfin pas forcément lui, le pathétique du personnage m’attendrit). C’est violent, ce genre de mots, mais ce sont les trucs qu’on dit, on ne peut pas imaginer qu’un vingtenaire qui sort ce genre de phrase ait véritablement le projet d’attenter physiquement à Finkielkraut… Sauf si on a si peur, au fond, des arabes, qu’on ne pense pas que leur humour puisse être de même nature que le nôtre.

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  3. Cocomuze

    Je suis assez gênée et étonnée de voir que dans ses citations Askolovitch coupe un mot qui m’avait frappée en lisant la chronique de Meklat : « Il (son personnage) était honteux, misogyne, antisémite, raciste, islamophobe et homophobe ». C’est le mot « islamophobe » qui me choque ici : les twits sont effacés, donc difficile de vérifier, mais il me semble que son Macellin était un personnage cohérent, les diable des banlieues que tous les racistes (de droite comme de gauche) fantasment à longueur de temps et d’éditoriaux. Pourquoi ajouter « islamophobe » à la liste de ses haines alors que cela dénote, n’était sûrement pas présent ?
    Pour moi il y a là une forme de déni chez Meklat, une tentative vaine de mettre dans le même sac toutes les oppressions, comme si celles que son personnage accumulaient n’avaient aucun lien les unes avec les autres, n’étaient pas cohérentes dans le stéréotype que représentait ce Mr Hyde. Et par là de déliter son personnage comme s’il n’était qu’un amas confus de propos haineux, sans portée politique.

    Perso je suis d’origine normande (campagnarde) depuis plusieurs générations. Un juif, jusqu’à mes années fac, je ne comprenais pas du tout ce que c’était ; pour moi c’était juste une personne que les nazis haïssaient et mettaient dans des camps. Cela n’avait pas une once de réalité. Être arabe ou noir était déjà en soi un concept assez abstrait du fond de ma cambrousse, mais alors être juif n’en parlons pas… Tout ça pour dire que le concept de juif ne faisait écho à rien pour moi. Alors que pour un jeune franco-algérien il est évident que le conflit israélo-palestinien est là depuis l’enfance, cela a de l’écho naturellement !
    Il y a chez ceux que fustigent le Printemps Français (et que je soutiens la plupart du temps) une omission (bien compréhensible au demeurant, car toute la société se charge de le marteler en permanence donc ça suffit bien) des xénophobies et du sexisme spécifiques à certains milieux. La société française blanche et de culture catho est très sexiste, la société musulmane algérienne aussi, et pas exactement sur le même mode ni sur les mêmes ressorts. Une femme ne peut pas hériter comme un homme en Algérie ; l’homosexualité est punie par la loi ; … Ce stéréotype monstrueux et haineux de Marceliin est cohérent car il est tout ce qu’un jeune garçon banlieusard et racisé qui débarque dans la hype parisienne peut vouloir refouler, soit parce que c’est l’étiquette qu’on lui colle, soit parce que certains aspects touchent juste, ne serais-ce que par indigence (ne pas avoir combattu telle ou telle xénophobie avant).

    Je ne connaissais pas non plus cette figure médiatique avant la semaine dernière, le résultat est que je le vois d’abord comme quelqu’un de méprisable, sans remède à ça. Certes son compte devait relever parfois de l’humour, comme pas mal de comptes outranciers, mais pour sortir toute cette haine, toutes ces insultes, toutes ces obsessions et ces stéréotypes, il faut les avoir quelque part en soi ou les avoir côtoyés dans sa vie, et c’est bien ça qui me fait froid dans le dos.

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    1. Jean-no Auteur de l’article

      @Cocomuze c’est vraiment dommage que Mehdi Meklat ait supprimé ses 50 000 tweets. Je suis allé les voir avant qu’il ne les supprime, comme les gens qui sont allés faire des captures et qui à mon avis on fait des recherches sur des mots-clé : blanc, juif, Charlie, Ben Laden… Mais ces captures constituent une sélection, il est impossible d’apprécier la masse. L’action en justice le permettra, ça risque d’être intéressant. Apparemment le personnage faisait une fixation amoureuse sur Mathieu Gallet (le patron de Radio France, donc Mehdi Meklat), ce qui n’est pas typique de l’expression des mauvais garçons des banlieues qui, effectivement, rejettent l’homosexualité.
      Sur l’antisémitisme maghrébin, il y a trois sources. Bien sûr, le Coran parle des juifs, qui sont vus comme des traîtres car ils ne veulent pas reconnaître le prophète, mais ça sera surtout grave à la fin des temps : s’ils ne changent pas d’avis à ce moment là, ils deviendront des hypocrites et ils passeront un sale moment. Il y a bien sûr le conflit israélo-palestinien, notamment depuis la guerre des six jours et avec la médiatisation des intifadas. Une source moins évoquée, mais sans doute capitale, est le décret Crémieux, en 1870 : du jour au lendemain, les juifs algériens (dont l’arrivée dans le Maghreb est antérieure à celle des arabes) ont obtenu la citoyenneté française alors que les arabes sont resté des « indigènes ». Ça semble avoir créé un ressentiment qui a eu des effets au moment de l’indépendance du pays et qui perdure aujourd’hui.

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      1. Cocomuze

        Oui effectivement, mettre en relief certains tweets au détriment d’autres est aussi un choix idéologique, je fais confiance aux divers frontistes pour avoir été fins sur ce coup là. Mais ils ne sont pas totalement perdus apparemment, des archives existent même après suppression.
        Sur le décret Crémieux : j’ai appris son existence aujourd’hui même (avant de lire votre réponse) en écoutant un débat passé sur iTélé (https://www.facebook.com/rokhaya.diallo/videos/1381686218539372/). Le plateau est déséquilibré dans le bon sens (c’est subjectif) pour une fois. C’est effectivement une donnée propre à l’Algérie qui est à la fois assez récente et fracassante, ça peut expliquer des choses.

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        1. Jean-no Auteur de l’article

          @Cocomuze : les tweets seront accessibles à la justice, tout est conservé, mais ils ne nous sont pas accessibles à nous.

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  4. grockoco

    Dans ce texte né d’une admirable dépense d’énergie neuronale pour essayer de comprendre (sans excuser bien sûr, quelle horreur !) des tweet mal-pensants, remplacez Meklat par Dupont-la-joie, et Frères Musulmans par fachosphère, et bidonnez vous un bon coup. Merci Jean-No, je reviendrai vous lire, nous sommes de bons chrétiens.

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  5. Graindeville

    Reconnaître aux uns le droit au blasphème, oblige à reconnaître aux autres le droit à la caricature.
    La caractérisation d’islamophobe par l’auteur me paraît d’une très grande justesse. Car si les tweets exhumés (une infime partie) épargnent les personnes de culture ou de confession musulmane, il en dresse un caricature, dont peu semble avoir compris qu’il s’agissait d’un miroir tendu à une certaine France, pas celle « douce » de C.Trénet réinterprétée par R.Taha, mais celle, je le cite, « qui pue la haine ».

    Entre ceux qui lâchent et ceux qui lynchent, je renonce à choisir.
    Mais une chose est sûre cette tempête dans un verre d’eau, laissant craindre à certains de se voir éclaboussés, m’a surtout paru le symptôme d’une France, qui a perdu tout sang froid.

    Le jeteur d’huile sur le feu à l’humour ravageur a certes provoqué l’incendie, en renonçant à rapatrier sa créature au royaume de l’art et en la laissant déverser son torrent d’insanités sur Twitter. Mais ceux qui n’ont pas su l’éteindre et ceux qui soufflent sur les braises se voient renvoyés dos à dos.

    Sacré césar de s’être invité au dîner annuel du CRIF dans le discours inaugural de son président! Mehdi a atteint sa cible. En librairie, et quand bien même sa défense est inaudible en l’état (fragile, elle n’en est pas moins crédible), son roman de haine s’arracherait.

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