Archives mensuelles : novembre 2016

Je ne suis pas de gauche mais je suis encore moins de droite

Sur Twitter, beaucoup de gens qui se jugent de gauche hésitent à aller voter pour la primaire du parti Les Républicains, et certains ont d’ailleurs sauté le pas ou s’apprêtent à le faire.
Les discussions sont parfois houleuses, notamment entre personnes « degôche » qui se reprochent de trahir leurs idéeaux soit en allant voter aux primaires soit en ne le faisant pas. Les motivations du vote sont diverses : il y a ceux qui veulent voter pour le candidat qui leur semble malgré tout le plus proche de leurs idées, par exemple Nathalie Kosciusko-Morizet, et puis il y a ceux qui font des calculs plus complexes et compte voter en tenant stratégiquement compte des sondages : si Sarkozy remportait la primaire, la défaite des Républicains à la présidentielle serait une certitude, et donc c’est pour lui qu’il faut voter, même en voyant en lui le pire candidat de son camp. J’ai entendu énoncer tellement de plans différents qu’il me semble que cela ne sert à rien de se déplacer aujourd’hui, et que je peux économiser les deux euros de l’inscription pour jouer une grille au Loto.

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Ce qui m’a intéressé dans ces discussions, c’est qu’elles révèlent les points auxquels telle ou telle personne est sensible : sociale, sociétale, géopolitique,…
Il y a par exemple ceux qui aiment bien Nathalie Kosciusko-Morizet car elle est réputée écolo-phile, bobo-phile, pro-mariage pour tous, pro-PMA, etc. ; Il y a ceux qui veulent tout sauf Juppé car ils considèrent que Juppé est trop complaisant avec les musulmans intégristes ; il y a ceux qui veulent tout sauf Fillon car celui-ci a un programme économique très à droite et est complaisant avec Bachar-el-Assad. Que ce soit pour faire perdre les Républicains ou pour avoir le candidat le moins pire, je n’ai vu personne proposer de voter pour Jean-François Copé, même par pitié, le pauvre ! Ni pour Poisson, du reste, mais ce dernier est moins pathétique, moins émouvant, car il n’est là que pour représenter un courant minoritaire et n’a jamais cru à ses chances, contrairement à Copé qui semble persuadé que son tour viendra.
Même si je comprends l’argument qui consiste à dire que l’on peut s’autoriser à mentir pour une bonne cause, j’avoue que j’aurais du mal à me rendre dans un bureau de vote pour signer un papier qui m’engage sur l’honneur à voter aux présidentielles pour le candidat qui aura remporté la primaire1. Surtout que j’habite la même ville depuis ma naissance, que je n’ai jamais fait mystère de ma très faible adhésion aux valeurs de cette famille politique, et qu’on me regardera donc l’œil en coin si je participe à cette élection : je ne suis pas de droite.

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Si j’y réfléchis bien, chaque fois que je vote, je mens : je n’ai jamais cru en aucun candidat, et si je suis infiniment moins de droite que de gauche, je ne me sens représenté par aucune formation politique de gauche, et tant mieux car ça m’inquiéterait si c’était le cas : voter POUR un candidat, c’est se faire croire qu’on soutient ce dernier, qu’on croit en lui et qu’on accepte l’autorité qu’il revendique sur nos existences alors qu’il ne nous a jamais rencontrés en personne et ignore tout de ce que nous sommes. Si je vote en faveur de quelqu’un, ce n’est que parce qu’il me semble moins dangereux que les autres.
Je suis bien forcé d’admettre qu’il existe des gens qui veulent le pouvoir, qui sont capables de beaucoup pour l’obtenir, qui ont l’immodestie de penser qu’ils le méritent et qui sont suffisamment dénués de scrupules pour approcher du but.
Je ne reconnais à ces gens ni autorité ni droit sur ma personne, mais je constate non seulement qu’ils existent, et aussi qu’ils ont les moyens d’exercer sur moi le pouvoir que je leur refuserais si je disposais effectivement d’un véritable choix. Paradoxalement, mon anarchisme ne va pas jusqu’à refuser l’existence de la République : il faut s’entendre sur un minimum de règles, il faut construire des choses ensemble, il faut des débats. Aucun de nous ne vit tout seul.

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Je crois que mon récepteur TNT préfère NKM

Donc je vote. Je vote pour le moins pire des candidats, pour le plus inoffensif, pour le moins mauvais programme, et contrairement à ce qu’on entend souvent dire, je ne crois pas que tous les candidats se vaillent, je ne pense pas que la France des cinq années qui vienne sera la même, qu’elle soit dirigée par Sarkozy, Hollande, Le Pen ou Mélenchon. Je ne crois pas non plus que ces gens soient fondamentalement mal intentionnés, pas plus que le staphylocoque doré ou le virus de la grippe : ces phénomènes existeront sans doute toujours, ils ont leurs propres motivations, qui ne sont pas forcément les nôtres, il faut vivre avec. Je n’ai jamais bien compris que l’on se mette à soutenir avec acharnement les gens pour qui on a un jour choisi de voter. Est-ce qu’on fait ça avec son cancer ? Est-ce qu’on s’engueule avec ses voisins, dans un restaurant en self-service, parce qu’on a pris un plat et eux un autre, alors que ni eux ni nous n’avons réellement voulu du choix qui nous était proposé ?2.
Je vote aussi et surtout parce que le jour où plus personne ne le fera, on finira par en perdre définitivement le droit. Et si le droit de choisir le candidat dont on n’attend rien ne constitue pas un privilège très enthousiasmant, ce droit est avant tout la possibilité de se débarrasser de l’élu en place sans recourir à des moyens violents. Et c’est déjà pas mal.
Négatif, moi ?

  1. C’est ce que je comprends dans cette phrase : « Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France. »… Néanmoins, elle est ambiguë. Que sont les valeurs républicaines de la droite et du centre ? Est-ce que quelqu’un qui vote pour le Nouveau Parti Anticapitaliste n’est pas favorable à l’alternance ? []
  2. Et pour poursuivre ma métaphore culinaire, lorsque l’on a choisi un plat, est-on forcé de s’auto-convaincre que non seulement on le voulait, mais que l’on voulait tout ce qui se trouve dedans ? C’est mon problème avec les idéologies, elles forcent à choisir un « pack » de valeurs politiques, ça ressemble furieusement à de la vente liée. []